Nancy Huston

Je serais ravie de vous entraîner vers cette lecture...Le personnage principal ne laisse pas indifférent. Son univers non plus.

La Virevolte.


C'est un roman d'émotions, de ressentis, sans jugement. C'est sensible, subtil, tendre, réaliste surtout, avec des moments de joie et de souffrance. La première partie est consacrée à la vie familiale et conjugale de Lin. Elle, une danseuse talentueuse, épouse Derek, un professeur de philosophie. Ils s'aiment, font deux enfants, Angela puis Marina. C'est l'émerveillement face aux bons mots des fillettes. On sent l'amour maternel grandir. Cependant le manque est là car doit-on sacrifier sa carrière quand on est mère ? C'est le thème même de ce livre, en sous-entendus ; jamais l'auteure ne juge les choix de Lin. Elle raconte, elle suggère.

Dans la seconde partie, Lin a fait son choix : la danse. Elle a quitté New York pour Mexico. Elle demande le divorce, voit très peu ses filles, se réalisant en tant que femme. C'est un choix qui n'est pas sans souffrances et elles sont multiples. Cependant Lin assume.

Un livre à lire et relire car on s'y reconnaît, car certaines images sont sublimes (chorégraphie sur la vieillesse, etc.), car la vie est incontestablement faite de choix qu'il est préférable d'assumer.

Les bons mots des enfants :

Citation :

- Viens, on va prendre le bain, dit Derek.

- Non, j'ai pas envie.

- Si, s, viens, ce sera un bain très agréable.

- D'accord.

- D'accord ? -Je prendrai juste l'agréable, pas le bain.



- Maman ? Maman, tu sais quoi, j'ai le goût rose.

- Ah bon, c'est vrai ?

- Ouais. C'est grave, tu sais, d'avoir le goût rose.

- Et pourquoi ?

- Parce qu'on pleure à chaque fois.

- A chaque fois que quoi ?

- A chaque fois qu'on entend une histoire triste.

La danse finale :

Citation :

C'est une danse sur le vieillissement. Lin a toujours su, depuis ses débuts, que la carrière d'une danseuse était une version miniature, impitoyablement condensée, d'une vie humaine ; ici elle l'a comprimée encore plus, resserrant en l'espace d'une seule soirée cet arc de la jeunesse à la vieillesse, vu non de l'extérieur comme perte de la beauté mais de l'intérieur : oui sa danse explore les secrets rouages lubrifiés de la chair dans son intimité la plus extrême ; ses danseurs sont des cellules de nerfs et de muscles et d'os, des globules sanguins - d'abord en expansion, mus par une vitalité électrique, puis ralentissant peu à peu, devenant turgescents, trébuchant, se cognant les uns aux autres, s'altérant oui - mais en beauté, en beauté -, dansant l'infection et le déclin inévitables, sculptant l'artériosclérose et les varices, les secousses et les spasmes du mal neurologique - mais en beauté - oui, cela aussi - acceptez, acceptez cette musique-là aussi, cette trahison, la dissonance puissante de cette débâcle.

Merci Eve Lyne !
je note ce titre !
ce livre a l'air d'être comme je les aime

shéhérazade a écrit:

Merci Eve Lyne !
je note ce titre !
ce livre a l'air d'être comme je les aime

Cela fait plaisir. Son principal atout est de ne pas juger. Quelle femme n'a pas rêvé de mener de front sa carrière professionnelle et sa vie de maman ! Lorsque la carrière exige des déplacements lointains, la décision n'est pas toujours aisée à prendre. Tout ce que raconte Nancy Huston est crédible. Son héroïne fait le choix de quitter la maison, seulement elle souffre de l'absence de ses filles, tout en s'accomplissant dans sa passion de danseuse. Des inconvénients certes, un épanouissement professionnel intense, est-ce que ça valait le coup... au lecteur de juger. C'est le roman de cette auteure que je préfère, d'autant que j'ai dû moi-même choisir à une époque entre ma carrière et mon enfant.

Eve Lyne a écrit:

La Virevolte.


C'est un roman d'émotions, de ressentis, sans jugement.

Magnifique roman en effet...

Nancy Huston dans LIRE à propos de sa propre mère:
"Oui, elle a fondé une autre famille. Nous ne vivions plus dans le même pays. Mon père s'est installé aux Etats-Unis avec sa nouvelle femme. Le lien que j'avais, petite, avec ma mère était un lien d'absence, exclusivement nourri d'imaginaire et d'évocations à travers ses lettres, ses mots. J'en parle dans Nord perdu... C'est pour cela que je suis devenue écrivain, parce qu'il y avait dans ma vie quelque chose d'incompréhensible qui requérait un immense et perpétuel effort d'imagination pour tenter de le comprendre. Dans La virevolte, je me suis efforcée de me mettre à la place d'une mère qui abandonne ses enfants. Ecrire permet de tout voir en face... "

EveLyne , tu viensde me rappeler indirectement que je dois rédiger mon commentaire de Une adoration ...

Je viens de finir La virevolte...

Ce livre ne peut laisser sans émotion, surtout les femmes me semble-t-il, car il renvoie à la question de la vie de famille vs la carrière.

Ce livre est poignant, très poétique. Il va de la vie des uns à celle des autres, en avant, en arrière, comme dans une danse.
Et en même temps on ne s'y sent pas très à l'aise car dans la première partie tout comme dans la seconde, on sent qu'il manque toujours quelque chose à Lin.

Et cette allégorie de la vie comme d'une danse ! magnifique !!

ce livre m'a émue, il m'a transportée. C'est vrai qu'il ne juge pas, il va jusqu'au bout, Lin assume, plus ou moins aisément mais elle assume. C'est ce qui fait, selon moi la force de ce livre.

J'avais déjà lu l'empreinte de l'ange il y a quelques années qui m'avait beaucoup plu. Lignes de faille par contre, je n'avais pas réussi à rentrer dedans. Je réessaierai ou avec un autre !

Après ma bonne lecture de son dernier livre, Infrarouge, vous me donnez vraiment envie de continuer avec elle avec ce roman.. je note

J'ai enchaîné presque la lecture de Une adoration avec celle d'Infrarouge (voir commentaire page précédente) .
Ces temps-ci, une période Nancy Huston pour moi donc.


Une adoration

Un crime a eu lieu et il s’agit d’élucider le mystère. Les témoins vont se succéder à la barre, pendant treize jours (treize chapitres) et donner leurs points de vues très divers en s’adressant à « Votre honneur », personnage dont le lecteur a vite fait de comprendre qu’il s’agissait de lui-même…Le voilà donc attentionné à chaque mot, le voilà saisi par le récit, tenu en haleine et curieux de démêler la vérité au milieu du flot des paroles …

C’est donc un roman polyphonique , à la limite parfois de la cacophonie, mais où l’on ne perd jamais le fil du récit en dépit du peu de respect de la chronologie des événements, du fait que certains personnages soient morts, d’autres vivants, que tous ne soient d’ailleurs pas des personnages puisque vont venir témoigner une passerelle d’importance, une glycine, le couteau du crime, une baguette de pain, un étang, un cèdre du Liban…Sans oublier la romancière elle-même !…

La victime, assassinée à l’âge de 49 ans, est Cosmo, un comédien célèbre. Un comédien de génie, un passionné, un « forcené du travail », adoré par les femmes et adulé par les «cosmophiles» qui connaissent ses textes par cœur. Sandrine raconte comment « la salle remet sa volonté entre les mains de l’acteur » qui s’inspire de ses rencontres pour construire ses histoires : "Elles seules, les histoires, sont susceptibles de transformer le chaos de notre vie en destinée".
Mais qui est vraiment Cosmo ? Et pourquoi l’a-t-on tué ? C’est ce que l’on va comprendre peu à peu en suivant les témoignages…
Qui est Cosmo ?...Seulement un « clown fornicateur » comme le prétend Franck (fils de sa maîtresse) ? Qu’est-ce qui l’a fait ce qu’il est ? Mais aussi qui sont ces témoins … reliés parfois sans le vouloir à cette dramatique histoire ?

Dans ce roman, des traits d’humour, le ton de l’espièglerie…Mais aussi des portraits touchants, plein d’humanité…Et l’importance que peut prendre sur un individu la vie du village de ses origines …Ici un village berrichon où l’on croise :
- Elke, la mère aimante de Fiona et Franck, abandonnée par son mari, employée au café du village, « La Fontaine, banal bistrot de village, glauque ou accueillant selon l’humeur des clients et le temps qu’il fair. » Elke maîtresse éperdue d’amour pour Cosmo.
- Franck qui déteste le comédien.
- Fiona qui admire Cosmo, l’aime bien et entretient, en soumission, une relation trouble avec son frère Franck.
- Josette, mère de Cosmo
- Sandrine , infirmière, meilleure amie d’Elke
- Latifa, une émigrée algérienne et son fils Kacim, inculpé du meurtre
- Le beau Jonas dont il ne faut surtout rien dire en présentant le livre
- Véra, qui joue un rôle d’importance

Tous les sentiments se croisent dans ce récit passionnant, qui ne cesse de surprendre…Dans ce récit, donc dans ce village, comme dans tous les villages pourrait-on dire …Amour, jalousie, passion, haine, fascination… des sentiments qui peuvent mener à la folie. Des rêves aussi…

"Ceci est une histoire vraie, je vous le jure. Oh, j'ai changé les noms, bien sûr ; j'ai changé les lieux, l'époque, les métiers, les dialogues, l'ordre des événements et leur signification ; et pourtant, tout ce que je vais vous raconter est vrai. C'est une audition comme toujours, une fantasmagorie comme toujours : les témoins vont converger ici et s'efforcer un à un de vous convaincre, de vous éblouir, de vous mener en bateau ; je leur prêterai ma voix mais c'est sur vous qu'ils comptent pour les comprendre, de vous qu'ils dépendent pour exister, alors faites attention, c'est important ; vous êtes seul juge... comme toujours."
Nancy Huston.

" Je me suis réveillée un matin avec cette adresse au juge. J'ai compris que tout le monde allait défiler à la barre, et que ça conférerait une urgence à toutes les paroles. J'ai écrit le premier jet en cinq semaines, en travaillant du matin au soir, tous les jours, complètement à l'écoute. "
Nancy Huston

Merci pour ce très bon commentaire Coline. Je l'inscris tout de suite sur ma liste. C'est une auteure tellement touchante, à la plume si belle, que j'ai moi aussi envie de l'approfondir.

CANTIQUE DES PLAINES

C’est une belle histoire forte que ce roman lyrique, à mon avis parmi les plus beaux de Nancy Huston.

La narratrice du roman écrit un long adieu à son grand-père, Paddon, qui vient de mourir. Elle essaie d’écrire aujourd’hui, à partir de quelques bribes d’écritures que lui a léguées son grand-père, l’histoire ce dernier. Non pas l’histoire d’un héros, mais celle d’un homme, avec ses espoirs et ses désillusions, ses échecs, sa force et ses renoncements.
Il fut un intellectuel qui enseigna mais ne voulut jamais qu’écrire sans y parvenir. Un père de famille frustré de ne pas réaliser son oeuvre et parfois violent. Un époux exigeant. Et l’amoureux fou d’une maîtresse artiste peintre, une métisse indienne, Miranda, qui ouvrit douloureusement ses yeux et son cœur de fils de pionnier à la conscience du sort des Indiens.

« Tu rêvais d’écrire un chef-d’oeuvre et de le déposer aux pieds de Miranda, le draper autour de ses épaules, t’en servir pour lui gratter le dos ou lui parfumer le creux des genoux. Tu parlas longuement avec elle du temps et elle te dit qu’en dépit de son mariage, elle ne s’était jamais habituée au temps de l’homme blanc, cette perpétuelle fuite en avant, ce mètre à ruban qui vous filait devant les yeux à toute vitesse, divisé en segments puis en fragments puis en poussière. Le temps blanc était de l’argent et il coulait à travers les doigts blancs qui s’acharnaient à l’arrêter, le retenir, le mettre à la banque. Mon peuple, dit-elle, baignait dans le temps comme dans un bain chaud, notant ses rythmes et ses cycles et se berçant de l’idée que, de façon générale, tout devenait de plus en plus tard. Ils ne voyaient pas chaque jour ou chaque saison comme le début d’une chose nouvelle, mais comme le même jour ou la même saison qui revenait leur rendre visite, légèrement plus âgé que la dernière fois. À quoi bon y fourrer le plus d’activités possible?"

De son enfance à l’âge adulte, mais sans respect forcément de la chronologie, Paula la petite-fille de Paddon, la narratrice, essaie de reconstituer, avec tout l’amour qu’elle porte à son grand-père, l’histoire de quatre générations de la famille Sterling dans les Grandes Plaines de l’ Alberta (province natale de Nancy Huston). La rigueur du climat et la pauvreté des pionniers, leur isolement au sein des immensités, la culpabilité qui est parfois la leur devant le destin des Indiens vaincus…C’est cette vie rude, austère et violente qu’elle tente de reconstituer.
En fond, le contexte mondial jamais oublié : les Nazis, Haïti…
Autour de Paddon, des personnages souvent austères, meurtris et magnifiques. Ses parents, sa femme, ses enfants…Et surtout l’extraordinaire Miranda…

Paula s’adresse à Paddon, tout au long du roman, tendrement, douloureusement, parfois violemment. Elle le tutoie dans de longues phrases.

Ce récit est passionnant et l’écriture de Nancy Huston lui donne un souffle rare chez elle, peut-être le souffle des Grandes plaines…

NORD PERDU

Un essai qui vaut surtout la peine d’être lu pour ceux qui ont envie de connaître mieux Nancy Huston, d’origine canadienne anglophone, qui vit en France depuis de nombreuses années et écrit dans les deux langues.

Son essai, « Nord Perdu » tente d’exprimer la difficulté mais aussi la richesse d’une existence comme la sienne, nourrie de cultures et de langues diverses.
Un sujet qu’elle connaît bien, d’autant plus qu’elle est l’épouse de Tzvetan Todorov (Bulgare) le père de ses enfants.

« Ici (dans le pays d’exil), vous taisez ce que vous fûtes… tout ce qui vous a formé, vous a fait vous, ils l’ignorent...Là (pays d’origine), vous taisez ce que vous faites. Ce que vous pensez, dites, lisez, voyez dans la vie de tous les jours depuis des décennies n’a aucun intérêt pour les gens de chez vous ».

La condition de l’exilé est de sentir toujours « étranger » et souvent seul…
Dans le pays de l’exil (même s’il y a très longtemps que l’on y vit) comme dans son pays d’origine, même si l’on y a des attaches proches et que l’on y retourne fréquemment…
On reste à jamais imprégné de son enfance :

« En quoi suis-je encore l’enfant de mon pays ? En tout : pour la simple raison que j’y ai passé mon enfance.»

« Chaque exilé a la conviction…qu’il existe une partie de lui-même ou pour dire mieux un autre lui-même qui continue de vivre là bas. »

Nancy Huston essaie de retrouver les étapes et les sources qui ont nourri son écriture dans la langue française, une écriture nécessaire, un des buts de sa vie d’exilée. Elle écrit dans les deux langues et se traduit elle-même évidemment.

« Les exilés sont riches. Riches de leurs identités accumulés et contradictoires ».

Dans Douze France qui fait suite à Nord perdu , douze « photographies »en mots de la France (je n'y ai guère trouvé d'intérêt).



Lisez plutôt Cantique des plaines...(commentaire juste avant )

Ça fait un bon moment que j'ai commencé Infrarouge et je traîne, je traîne : je ne suis pas du tout emporté par ce texte.

monilet a écrit:

Ça fait un bon moment que j'ai commencé Infrarouge et je traîne, je traîne : je ne suis pas du tout emporté par ce texte.

Que te dire?...Passe à autre chose!...Il y a tant à lire!...
Ce roman m'a déroutée, puis finalement convaincue....Il est un peu à part peut-être dans l'oeuvre de Nancy Huston.

coline a écrit:

Il est un peu à part peut-être dans l'oeuvre de Nancy Huston.

c'est peut être alors pour cela que je l'ai mieux aimé que Lignes de faille

A la première lecture je n'ai pas aimé Lignes de failles, à la seconde (rarissime chez moi) j'ai adoré :)