Notre Café Littéraire.. ici on cause

où que ce soit. Et une librairie française à l’étranger plus encore peut-être, car dans certains pays, cela relève vraiment du sacerdoce tant les taxes à l’importation sur les livres en provenance de France rendent leur prix de vente à l’unité assez prohibitifs pour décourager les lecteurs les plus fidèles. Cela dit, j’ai un peu de mal à m’associer au choeur de ceux qui déplorent depuis quelques temps comme “un scandale” la fermeture annoncée en septembre prochain de la fameuse Librairie de France sise depuis 1935, à la Rockefeller Centrer Promenade, sur la 5ème avenue de New York, entre la 49ème et la 50 ème rue. Regrets éternels. Mais ce qui est incroyable, c’est que cela ne se soit pas produit avant.

En effet, depuis l’époque où la famille Molho débarquée de Grèce l’y avait installée avec l’appui du banquier David Rockefeller au centre du monde des affaires (il voulait une présence européenne dans son immeuble), les choses ont beaucoup changé. Le temps n’est plus où Saint-Exupéry, André Maurois, Claude Lévi-Strauss, André Breton et autres exilés de la guerre y faisaient salon. Le Rockefeller Center est désormais un centre commercial de haut luxe dans lequel une librairie est considérée comme une tache et une anomalie. Les gens qui le fréquentent n’ont rien à faire des livres et de la littérature.

L’animateur de cette librairie qui emploie une cinquantaine de personnes en convient lui-même :”A une autre époque, on aurait commandé 3000 exemplaires du dernier prix Goncourt; aujourd’hui, je n’en ai pas dix exemplaires en stock”. Comment une librairie pourrait-elle survivre dans un temple du fric où le bail est passé de 360 000 dollars à 1 million de dollars par an, en un temps où bon nombre de ses clients ont intérêt à commander leurs livres en ligne ? Elle ne peut pas et c’est normal. Lorsque la librairie Le Divan a dû quitter la place Saint-Germain-des-Près, beaucoup s’en sont émus; or, son chiffre d’affaires en déclin en témoignait, le quartier n’étant plus ce qu’il était, elle n’y avait plus sa place, voilà tout.

Personne ne se lamenterait de ne pas pouvoir vendre des livres avenue Montaigne à Paris (sauf chez Artcurial, mais ce sont des livres d’art importés de partout et ils coûtent la peau des fesses). Les Molho devraient descendre down town, continuer à exercer leur art auprès de ceux qui y sont sensibles, ou se mettre vraiment au commerce des livres en ligne, et cesser de croire que le gouvernement français fera quelque chose pour eux. Comme s’il allait faire classer une prestigieuse librairie française à l’étranger à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques.

Ce n’est pas au moment où il ferme des Instituts français en Europe (et ça, c’est une scandaleux gâchis) que le quai d’Orsay va se préoccuper d’une entreprise privée et familiale de diffusion de la culture à New York ! Plus de pragmatisme, une anticipation de l’évolution de ce type de librairie hélas condamné, moins de naïveté. Cela aurait évité aux propriétaires de la Librairie de France d’espérer un geste de Nicolas Sarkozy :”Lorsqu’il est venu dîner au Rockefeller Center en septembre, il n’a même pas franchi le seul de la librairie…”. Etonnant, non ?