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| Jean Giono | |
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Auteur | Message |
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Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
| Sujet: Re: Jean Giono Mar 20 Mai 2014 - 20:40 | |
| Oui Sigismond je comprends ! merci je reviens sur Batailles dans la Montagne : L'espace vallée étant inondé, les sauvetages se sont par radeau, donc on pense bien sur au radeau de la Méduse. Sigismond que dirais tu quant à l'expédition de Saint-Jean et Marie, la fillette pour aller chercher la dynamite ? La débâcle des corps ensevelis, rappel biblique ? Sigismond pour répondre à ta question sur la fin, je pense que comme la fillette nous n'aurons pas la réponse mais le choix d'imaginer et puisqu'il parle de chance, je me dit qu'il part sur un bon chemin. D'après ce que dit l'une des filles de Giono, son père aimait beaucoup imaginer, un seul mot lui suffisait faisons de même | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: Jean Giono Mar 20 Mai 2014 - 21:31 | |
| Pour rebondir sur l'aspect symbolique (si ce n'est ésotérique) de Giono, voici mon commentaire du Chant du monde. Lecture toujours très riche et puissante qui trouve un écho d'autant plus fort qu'elle s'accompagne de la lecture commune que nous en avons faite. Le chant du mondeLe chant du monde est comme une leçon écrite pour la réappropriation de la nature et du vivant en passant en premier lieu par l'homme lui-même. La redécouverte du corps, de la respiration, de l'endroit où celle-ci naît, régénère, exulte. Le lieu secret de la résurrection, de la renaissance. Deux hommes, l'homme fleuve-Antonio et l'homme des bois-Matelot, partent à la recherche du fils de ce dernier. En chemin, ils croisent une femme qui accouche dans un champ. Elle est aveugle. Elle séduit Bouche d'or (Antonio). Il va la voir partout avec lui, dans ses rêves, ses ivresses, dans son amour de la nuit et de l'eau. Elle est celle par laquelle la Nature passe au tamis des sensations, un arbre, un fleuve, la nuit, les étoiles, pour elle ces mots ne veulent rien dire, ils sont odeurs, toucher et sons. Mais c'est elle qui voit mieux que les hommes… Et puis il y a le besson, le fils du Matelot, sans peur, sans âme, sans cœur à part pour s'emparer de Gina, la nièce du Maudru. Le Maudru est l'homme du pays, celui qui possède les troupeaux de bœufs et dirige les bouviers, les taneurs, tout le petit peuple de la ville. C'est à cet homme que le besson aux cheveux rouges comme le feu va s'attaquer… Israel Ariño Un livre dans lequel il est donc question d'eau et de feu. Quelle soit fleuve, givre, glace, neige ou brume printanière l'eau est dans ces mille manières toujours la même et celle qui dit le temps qui passe, sa transformation suivant les saisons, elle est celle qui fabrique la boue, la glaise dont la nature toute entière se nourrit. Elle est surtout l'eau dans laquelle Bouche d'or nage, vit et aime. Le feu est à la fois le nourricier et le dévastateur. Arme des hommes, il l'accompagne dans les longs hivers frileux et enflamme les granges pleines de bétail. Il est réconfort et meurtrier. Il brûle dans les veines pleines d'amour des hommes et jaillit en flammes quand leur colère s'épanche. Il est force et destruction. Il est vengeance. Encore un grand livre d'un auteur dont je ne me lasse pas. Avec une écriture d'une force qui étourdit, d'une malice qui ravit, Giono peint les hommes et les femmes, les enfants et les lieux qu'ils habitent comme un explorateur, un inventeur de couleurs, d'odeurs et de sensations. Il est tout à la fois lyrique et terreux, glacé et emphatique, ivre et plein d'une sobriété qui retient. Il emporte dans le feu et la glace et ses mots restent comme des images glanées au fil d'une excursion dans les abysses humains et les précipices naturels. Beau. Très beau. Et merci à Sigismond et Bédoulène pour la proposition de lecture. | |
| | | Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
| Sujet: Re: Jean Giono Mar 20 Mai 2014 - 22:02 | |
| merci pour ton commentaire Shanidar, le plaisir de la LC continue ainsi dans vos ressentis ! | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Jean Giono Mar 20 Mai 2014 - 23:09 | |
| C'est bon de suivre vos échanges... Vous allez réussir à me faire revenir à Giono. | |
| | | Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
| Sujet: Re: Jean Giono Mer 21 Mai 2014 - 0:31 | |
| - Bédoulène a écrit:
- Oui Sigismond je comprends ! merci
je reviens sur Batailles dans la Montagne :
L'espace vallée étant inondé, les sauvetages se sont par radeau, donc on pense bien sur au radeau de la Méduse.
Sigismond que dirais tu quant à l'expédition de Saint-Jean et Marie, la fillette pour aller chercher la dynamite ?
La débâcle des corps ensevelis, rappel biblique ?
Sigismond pour répondre à ta question sur la fin, je pense que comme la fillette nous n'aurons pas la réponse mais le choix d'imaginer et puisqu'il parle de chance, je me dit qu'il part sur un bon chemin.
D'après ce que dit l'une des filles de Giono, son père aimait beaucoup imaginer, un seul mot lui suffisait faisons de même C'est surtout le long échange entre Saint-Jean et Boromé que je ne comprends pas bien (oui, je sais, il n'y a qu'à tenter une lecture de plus... ), disons que le point de vue de Boromé tel que je m'en souviens est assez clair, tandis que celui de Saint-Jean me parait hermétique, je ne vois pas où il (le) mène. C'est, pour ainsi dire, la clôture du roman, donc je crois qu'on peut le prendre pour une manière de conclusion, ensuite il ne reste que la scène finale (qui fait du bien). - Bédoulène a écrit:
- merci pour ton commentaire Shanidar, le plaisir de la LC continue ainsi dans vos ressentis !
Oui, tout à fait, et ravi que ce livre t'ai plu à ce point, ton enthousiasme fait plaisir à lire ! | |
| | | Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
| Sujet: Re: Jean Giono Mer 21 Mai 2014 - 8:38 | |
| Sigismond, je pense que la réflexion de Boromé à St Jean : "tu as dit non, même si tu as hésité" càd que le non de St Jean est l'affirmation que s'il perdait Sarah il n'en mourrait pas LUI, alors que Boromé le dit nettement. Donc St Jean se rend compte que Sarah est moins essentielle pour lui que pour Boromé, il en tire donc la conclusion en se retirant.
Quel beau personnage que Boromé ! son couple avec Sarah peut aussi être interprété.
Mais j'ajoute qu'une lecture moins référencée suffit à mon plaisir | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: Jean Giono Mer 21 Mai 2014 - 10:45 | |
| Je voulais également dire que le commentaire de topocl sur Le grand troupeau rejoint exactement ce que je pense de ce roman et que, comme pour elle, il est pour l'instant le livre sur la guerre 14-18 le plus violent et le plus fort que j'ai pu lire. Comme si à travers le 'on' qu'il emploie si souvent, Giono extirpait l'essence de l'humanité toute entière, mélangeant amis et ennemis (ce que souligne également animal) pour en donner le suc et cette impression de magma boueux lié à la réalité de cette guerre que personne ne veut, ne comprend, n'a choisi. Je garde aussi en mémoire le portrait extrêmement troublant de Julia, femme de chair et de sensualité, farouche, fraîche et indomptable, d'une force sidérante.
Oui, Marko, il faut revenir à Giono !! | |
| | | topocl Abeille bibliophile
Messages : 11706 Inscription le : 12/02/2011
| Sujet: Re: Jean Giono Mer 21 Mai 2014 - 10:53 | |
| - shanidar a écrit:
- il est pour l'instant le livre sur la guerre 14-18 le plus violent et le plus fort que j'ai pu lire.
Je me demande si ce n'est pas lié au fait qu'il parle simultanément du front et des civils. Ca n'est pas si fréquent, du moins dans ce que j'ai lu . Et aussi que même au début il n'y a pas du tout de fleurs aux fusils. | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: Jean Giono Mer 21 Mai 2014 - 11:02 | |
| - topocl a écrit:
- shanidar a écrit:
- il est pour l'instant le livre sur la guerre 14-18 le plus violent et le plus fort que j'ai pu lire.
Je me demande si ce n'est pas lié au fait qu'il parle simultanément du front et des civils. Ca n'est pas si fréquent, du moins dans ce que j'ai lu . Et aussi que même au début il n'y a pas du tout de fleurs aux fusils. Je suis d'accord avec ce que tu avances. Rares sont ceux qui ont parlé de ceux qui restent autrement qu'en les regardant à travers le prisme du 'guerrier' en permission. Il y a des pages intéressantes chez Barbusse ou Remarque sur la manière dont les soldats sont perçus (assez mal bien souvent) par des civils qui ne peuvent pas comprendre leur état d'esprit (désespéré, bien souvent). Giono en parlant des gens des campagnes, de leur vie quotidienne, de leurs attentes (le courrier, le gendarme...), du travail des femmes apportent une vision qui est bien plus puissante parce que intime, sexuée, quotidienne. Je pense aussi qu'en se dégageant totalement de la trame autobiographique, que l'on retrouve plus ou moins chez Barbusse, Remarque, Chevallier, Guéhenno... qui écrivent à la première personne, Giono apporte une universalité qui loin de diluer son propos le rend plus violemment accessible à tous. Et puis sa langue est tellement unique... | |
| | | églantine Zen littéraire
Messages : 6498 Inscription le : 15/01/2013 Age : 59 Localisation : Peu importe
| Sujet: Re: Jean Giono Mer 21 Mai 2014 - 11:11 | |
| - topocl a écrit:
- shanidar a écrit:
- il est pour l'instant le livre sur la guerre 14-18 le plus violent et le plus fort que j'ai pu lire.
Je me demande si ce n'est pas lié au fait qu'il parle simultanément du front et des civils. Ca n'est pas si fréquent, du moins dans ce que j'ai lu . Et aussi que même au début il n'y a pas du tout de fleurs aux fusils. Je n'en ai lu qu'un dans ma vie sur cette guerre : Le grand troupeau ! Je dois avouer que pour une première approche , je suis rentrée de plein fouet dans le vif du sujet . Cest vrai que dans toute cette horreur , Giono continue à insuffler un souffle de vie puissant , sensuel .....C'est toujours le triomphe de Mère nature , à travers les arbres , les plantes , les femmes ....Mère nourricière salvatrice et source de plaisir au delà de toute les vilenies que l'homme est capable de créer .... Quant à sa langue , elle n'est que sensualité en écho avec ses thèmes de prédilection . | |
| | | Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
| Sujet: Re: Jean Giono Mer 28 Mai 2014 - 16:21 | |
| Les récits de la demi-brigade (1972) 6 nouvelles, narrées au "je" par Martial Langlois, personnage Gionien bien connu de ceux qui ont lu "Un roi sans divertissement". Martial Langlois est un vétéran des guerres napoléoniennes, Capitaine de la Demi-Brigade de Gendarmerie de Saint-Pons (dans les actuelles Alpes de Haute-Provence) sous la Restauration (1814-1830). Chaque nouvelle peut être lue séparément et dans n'importe quel ordre. C'est Giono lui-même qui a choisi l'ordre de parution, qui ne correspond pas à l'ordre chronologique d'écriture. En fait je conseille presque de commencer par la dernière, L'Ecossais ou la fin des héros, qui est du reste la première par ordre chronologique d'écriture, et aussi la plus longue. - Noël (écrite en 1960, une vingtaine de pages): Narre l'histoire dans usurier qui part, le soir de Noël en diligence sous la neige, après un dîner copieux et arrosé, extirper les fonds d'une famille qui est sa débitrice; la garde de la diligence est assurée par le Capitaine Langlois en personne... - Une histoire d'amour (écrite en 1961, vingt-deux pages): Une enquête fond hivernal et surtout sur trame de complot contre l'Etat (les "verdets"). - Le bal (écrite en 1962, vingt-quatre pages): Encore une enquête sur arrière-plan de complot royaliste-légitimiste contre la République version Orléanistes. Ou comment faire pour ne pas se rendre à l'évènement " people" de l'été d'alors, parce qu'on compte bien sur la présence de Langlois à ce bal et non sur le terrain, en train de déjouer les plans des malfaiteurs... - La mission (écrite en 1963, vingt-cinq pages): Langlois, en train de filer quelque(s) complotiste(s)-conspirationniste(s), se fait tirer dessus de près. Mais son cheval, un humble cheval de poste qui n'est a priori pas du tout préparé ni dressé aux astuces suprêmes de la cavalerie de combat de guerre, effectue une volte savante et le coup manque... - La belle hôtesse (écrite en 1965, trente-deux pages): Une enquête des plus bizarres, ou l'adversaire de Langlois ne se rencontre jamais. Jamais, est-on bien sûr ? - L'Ecossais ou la fin des héros (écrite en 1955, une cinquantaine de pages divisées en sept chapitres): Un fil ténu d'indice improbable amène Langlois dans un hameau, où un rendez-vous sur mesure était préparé par les responsables de meurtres et de diligences dévalisées... Outre Langlois, quelques autres personnages traversent ces nouvelles - Marinette, l'indic' qui n'en dit pas trop, Pourcieux le colporteur, le Marquis et la Marquise de Théus pour les personnages secondaires, Achille, le Colonel de Gendarmerie d'Aix, supérieur hiérarchique de Langlois et ancien compagnon d'armes des campagnes napoléoniennes (et aussi de captivité). Langlois dit "vous" à Achille dans certaines nouvelles, mais "tu" dans d'autres (témoignage des différentes époques d'écriture, sans doute). Souffrez que je laisse dans l'ombre le déroulement et l'analyse de chaque nouvelle, mais elles sont si courtes, et doivent se recevoir en mode "surprise !" par le lecteur, ce qui fait que déflorer n'est pas commenter, dans leur cas. Justes quelques brefs propos généraux (mais je reste ravi d'échanger de façon plus ample, peut-être sous spoiler ou via mp au pire, si d'autres Parfumés-lecteurs ont envie): Si vous sortez de livres de Giono plutôt lyriques et foisonnants, ces nouvelles vont vous dérouter, par leur concision dépouillée d'une part (il n'y a rien de très "ornemental"), leur construction type "polar" d'autre part, et jusqu'aux dénouements, qui n'en sont parfois pas tout à fait: Là où s'arrête l'enquête le lecteur s'invitera de lui-même à peser les tenants et les aboutissants, à prolonger... Les ressorts psychologiques intéressent Giono -et son héros- au plus haut point, et là, c'est bonheur de lecture. Langlois est un personnage certes un peu "revenu de tout", relativiste, toutefois il incarne l'exemplarité dans l'exercice de sa profession, et aime tutoyer le danger mais pas "bêtement" (il le dit lui-même). Une dose d'humour un peu particulier affleure de ces pages, parfaitement digestes. Reste que, quand Giono se met en tête de camper, par exemples et entre mille, un col des Cévennes, un parcours de diligence de nuit, de décrire des chevaux, le temps qu'il fait ou des âmes humaines, eh bien, c'est toujours du Giono, c'est-à-dire que ça porte la marque d'un très grand maître-conteur. C'est peut-être d'autant plus exquis pour le lecteur et éternel relecteur Gionoïde plus que bien acclimaté, à savoir que, dans ce registre-là aussi, si inaccoutumé et déroutant pour ceux qui ne connaissent que ses romans les plus célèbres, il joue sa partie avec maestria et nous surprendra, décidément, toujours. Mais on savait l'homme capable de composer des partitions titanesques pour orchestres démesurés aussi bien que de petites musiques de chambre, n'est-ce pas ? | |
| | | Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
| Sujet: Re: Jean Giono Mer 28 Mai 2014 - 16:47 | |
| Sigismond dans quelque temps je reviendrais sur Giono, je note donc ce livre et nous pourrons en discuter. - Spoiler:
après 2 LC et quelques jours en Ardèche"]
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| | | Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
| Sujet: Re: Jean Giono Mer 28 Mai 2014 - 21:21 | |
| Sinon, en lisant (relisant) "Refus d'obéissance" (1937) on tombe sur quatre chapitres inédits du "Grand troupeau", qui sont juste saisissants. (NB: Ils s'intitulent: Montée à Verdun, Veille d'attaque devant Saint-Quentin, Quiconque donc me trouvera me tuera !, Bataille du Kemmel) Il est d'ailleurs agréable de les lire en ayant les personnages du "Grand troupeau" bien en tête, c'est-à-dire fraîchement après, tout simplement parce qu'on retrouve certains (oui, n'est-ce pas, je sais, c'est évident s'agissant de chapitres ôtés du roman, n'empêche !). Je me demande si un éditeur a une la bonne idée de les inclure, en addenda, à une édition du "Grand troupeau", auquel cas cette édition serait à préférer. Ce qui saute aux yeux, c'est que, si Giono a fait un choix de construction en laissant de côté ces chapitres (retranchés pour cause d'équilibre du roman), ce n'est certes point par moindre qualité littéraire qu'ils furent écartés ! Un petit extrait: - Bataille du Kemmel a écrit:
- Derrière un mètre d'aubépine il y avait une batterie anglaise. Des roues, des tronçons de tubes, des douilles vides, des obus comme des cocons de chenilles, des chevaux éventrés, le cou tordu, la tête touche le dos; des hommes, la face contre la terre, les mains crispées, des visages noirs qui mordent le ciel; une jambe, de la chair en bouillie, de la cervelle d'homme sur une jante de roue; au milieu de tout ça un canon tire. Deux artilleurs nus jusqu'à la ceinture. Ils vont lentement, ils prennent l'obus, l'enfournent, claquent le portillon, tirent, puis s'abattent à genoux dans les morts. Ils regardent le coin du ciel d'où vient la réponse. Elle éclate, ils se redressent, ils chargent, ils tirent. Ils marchent sur le cadavre de l'officier.
Un autre: - Montée à Verdun a écrit:
- Par la croupe du vallon on voit un fantôme de ville dans de la fumée.
L'air tremble. Des coups de masse tombent dans la ville; des pattes qui grattent en éparpillant les maisons, l'agonie comme d'un boeuf plus grand que le ciel et qui ne veut pas mourir, et que l'on s'acharne à assommer à gtrands coups de masse. Dans la fumée, des gravats jaillissent comme des vols de pigeons. CA s'éclaircit un peu, on voit une espèce d'église, pattes raidies en l'air, gros ventre balloné, morte. "C'est ça, l'Alsace ? fait Marroi. _Qu'est-ce que c'est que ça ? demande Olivier. - Ca quoi ? - Cette ville ? - Verdun, fait Doche. - L'abattoir", dit Marroi. Là autour, des convois au galop, des automobiles à plein gaz sur des pistes de bois, et les madriers sautent derrière elles. Cinq ou six hommes courent vers un petit bois. Une troupe au pas cadencé butte contre un ordre gueulé, tape des talons, rentre son hérissement de fusil. L'encolure de taureau d'un canon court écarte un buisson pour beugler. On vient, on l'essuie, on lui caresse l'échine; il se gonfle encore, sort du buisson et beugle. Des soldats, des paquets de soldats, debout, l'arme au pied, attendent d'être utilisés. De temps en temps le gros canon sort sa tête du buisson, regarde, beugle, puis il se cache et il attend. | |
| | | Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
| Sujet: Re: Jean Giono Jeu 29 Mai 2014 - 8:36 | |
| c'est un peu dommage que nous n'ayons pas eu "l'intégralité" dans le grand troupeau.
merci de nous en informer et des extraits. | |
| | | Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
| Sujet: Re: Jean Giono Jeu 29 Mai 2014 - 15:31 | |
| - animal a écrit:
- le fait qu'il y était, tout ça compte beaucoup dans l'impression, de même qu'on se pose la question de nos ancêtres qui ont vécu ça (peut-être) ou quelque chose d'approchant, à côté, sans les connaitre (...)
En y réfléchissant, il suffirait peut-être de regarder dehors et penser à des drames toujours actuels pour se sentir mal à l'aise, choqué, ému par ce livre. Je rebondis sur ce fragment de commentaire d'Animal à propos du "Grand troupeau" pour introduire un texte de Giono, un témoignage (on est dans le Giono-"vécu") tiré de son essai " Recherche de la pureté": c'est férié aujourd'hui, je me suis senti l'âme d'un petit copiste ! Plus sérieusement, je ne crois pas que ces pages soient disponibles sur le web; vous voudrez bien m'excuser pour les inévitables coquilles, j'ai tapé si mécaniquement... Il me semble qu'il faudrait peut-être "lier" ce texte au fil " La guerre de 14..." (enfin, la modération verra). L'extrait est long, très pudding et quasi magmaïen même; Giono, sans art, en style presque télégraphique. Mais le contenu se suffit, amplement, l'art du romancier serait superflu, qui sait s'il ne dénaturerait pas ou n'en atténuerait pas l'inhumanité absolue, recevons-donc ce récit brut - et n'hésitez pas à le faire partager - comme dit Animal "En y réfléchissant, il suffirait peut-être de regarder dehors et penser à des drames toujours actuels"... - extrait de recherche de la pureté a écrit:
-
- Spoiler:
Sous le fer de Verdun les soldats tiennent. Pour un endroit que je connais, nous tenons parce que les gendarmes nous empêchent de partir.On en a placé des postes jusqu'en pleine bataille, dans les tranchées de soutien, au-dessus du tunnel de Tavannes. Si on veut sortir de là il faut un ticket de sortie. Idiot mais exact. Non pas idiot, terrible. Au début de la bataille, quand quelques corvées de soupe réussissent encore à passer entre les barrages d'artillerie, arrivées là, elles doivent se fouiller les cartouchières et montrer aux gendarmes le ticket signé du capitaine. L'héroïsme du communiqué officiel, il faut ici qu'on le contrôle soigneusement. Nous pouvons bien dire que si nous restons sur ce champ de bataille, c'est qu'on nous empêche soigneusement de nous en échapper. Enfin, nous y sommes, nous y restons; alors, nous nous battons ? Nous donnons l'impression de farouches attaquants; en réalité nous fuyons de tous les côtés. Nous sommes entre la batterie de l'hôpital, petit fortin, et le fort de Vaux, qu'il nous faut reconquérir. Cela dure depuis dix jours. Tous les jours, à la batterie de l'hôpital, entre deux rangées de sacs à terre, on exécute sans jugement au revolver ceux qu'on appelle les déserteurs sur place. On ne peut pas sortir du champ de bataille, alors maintenant on s'y cache. On creuse un trou; on s'enterre; on reste là. Si on vous trouve on vous traîne à la batterie et entre deux rangées de sacs à terre on vous fait sauter la cervelle. Bientôt il va falloir faire accompagner chaque homme par un gendarme. Le général dit "ils tiennent". A Paris est un historien qui s'apprête à conjuguer à tous les temps et à toutes les personnes (y compris la sienne) le verbe "tenir à Verdun". Ils tiennent, mais, moi général, je ne me hasarderais pas à supprimer les gendarmes ni à conseiller l'indulgence à ce colonel du 52ème d'infanterie qui est à la batterie de l'hôpital. Cela dure depuis quinze jours. Depuis huit jours les corvées de soupe ne reviennent plus. Elles partent le soir à la nuit noire et c'est fini, elles se fondent comme du sucre dans du café. Pas un homme n'est retourné. Ils ont tous été tués, absolument, tous, chaque fois, tous les jours sans exceptions. On n'y va plus. On a faim. On a soif. On voit là-bas un mort couché par terre, pourri et plein de mouches mais encore ceinturé de bidons et de boules de pain passées dans un fil de fer. On attend que le bombardement se calme. On rampe jusqu'à lui. On détache de son corps les boules de pain. On prend les bidons pleins. D'autres bidons ont été troués par les balles. Le pain est mou. Il faut seulement couper le morceau qui touchait le corps. Voilà ce qu'on fait tout le jour. Cela dure depuis vingt-cinq jours. Depuis longtemps il n'y a plus de ces cadavres garde-manger. On mange n'importe quoi. Je mâche une courroie de bidon. Vers le soir, un copain est arrivé avec un rat. Une fois écorché, la chair est blanche comme du papier. Mais, avec mon morceau à la main, j'attends malgré tout la nuit noire avant de manger. On a une occasion pour demain: une mitrailleuse qui arrivait tout à l'heure en renfort a été écrabouillée avec ses quatre servants à vingt mètres en arrière de nous. Tout à l'heure on ira chercher les musettes de ces quatre hommes. Ils arrivaient de la batterie. Ils doivent avoir emporté à manger pour eux. Mais il ne faudrait pas que ceux qui sont à notre droite y aillent avant nous. Ils doivent guetter aussi de dedans leur trou. Nous guettons. L'important c'est que les quatre soient morts. Ils le sont. Tant mieux. Cela dure depuis trente jours. C'est la grande bataille de Verdun. Le monde entier a les yeux fixés sur nous. Nous avons de terribles soucis. Vaincre ? résister ? tenir ? faire notre devoir ? Non. Faire nos besoins. Dehors, c'est un déluge de fer. C'est très simple: il tombe un obus de chaque calibre par minute et par mètre carré. Nous sommes neuf survivants dans un trou. Ce n'est pas un abri, mais les quarante centimètres de terre et de rondins sur notre tête sont devant nos yeux une sorte de visière contre l'horreur. Plus rien au monde ne nous fera sortir de là. Mais ce que nous avons mangé, ce que nous mangeons se réveille plusieurs fois par jour dans notre ventre. Il faut que nous fassions nos besoins. Le premier de nous que ça a pris est sorti; depuis deux jours il est là, à trois mètres devant nous, mort déculotté. Nous faisons dans du papier et nous le jetons là devant. Nous avons fait dans de vieilles lettres que nous gardions. Nous sommes neuf dans un espace où normalement on pourrait tenir à peine trois serrés. Nous sommes un peu plus serrés. Nos jambes et nos bras sont emmêlés. Quand un veut seulement plier son genou nous sommes tous obligés de faire les gestes qui le lui permettront. La terre de notre abri tremble autour de nous sans cesse. Sans cesse les graviers, la poussière et les éclats soufflent dans ce côté qui est ouvert vers le dehors. Celui qui est le près de cette sorte de porte a le visage et les mains écorchés de mille petites égratignures. Nous n'entendons plus à la longue les éclatements des obus; nous n'entendons que le coup de masse d'arrivée. C'est un martellement ininterrompu. Il y a cinq jours que nous sommes là-dedans sans bouger. Nous n'avons plus de papier ni les uns ni les autres. Nous faisons dans nos musettes et nous les jetons dehors. Il faut démêler ses bras des autres bras, et se déculotter, et faire dans une musette qui est appuyée sur le ventre d'un copain. Quand on a fini on passe la saleté à celui de devant, qui la passe à l'autre qui la jette dehors. Septième jour. La bataille de Verdun continue. De plus en plus héros. Nous ne sortons toujours pas de notre trou. Nous ne sommes plus que huit. Celui qui était devant la porte a été tué par un gros éclat qui est arrivé en plein dedans, lui a coupé la gorge et l'a saigné. Nous avons essayé de boucher la porte avec son corps. Nous avons bien fait. Une sorte de tir rasant qui s'est spécialisé depuis quelques heures sur ce morceau du secteur fait pleuvoir sur nous des éclats de recul. Nous les entendons frapper dans le corps qui bouche la porte. Malgré qu'il ait été saigné comme un porc avec la carotide ouverte, il saigne encore à chacune de ces blessures qu'il reçoit après la mort. J'ai oublié de dire que depuis plus de dix jours aucun de nous n'a de fusil, ni de cartouches, ni de couteau, ni de baïonette. Mais nous avons de plus en plus ce terrible besoin qui ne cesse pas, qui nous déchire. Surtout depuis que nous avons essayé d'avaler de petites boulettes de terre pour calmer la faim, et aussi parce que cette nuit il a plu et, comme nous n'avions pas bu depuis quatre jours, nous avons léché l'eau de la pluie qui ruisselait à travers les rondins et aussi celle qui venait de dehors et qui coulait chez nous par dessous le cadavre qui bouche la porte. Nous faisons dans notre main. C'est une dysenterie qui coule entre nos doigts. On ne peut même pas arriver à jeter ça dehors. Ceux qui sont au fond essuient leurs mains dans la terre à côté d'eux. Les trois qui sont près de la porte s'essuient dans les vêtements du mort. C'est de cette façon que nous nous apercevons que nous faisons du sang. Du sang épais, mais absolument vermeil. Beau. Celui-là a cru que c'était le mort sur lequel il s'essuyait qui saignait. Mais la beauté du sang l'a fait réfléchir. Il y a maintenant quatre jours que ce cadavre bouche la porte et nous sommes le 9 août, et nous voyons bien qu'il se pourrit. Celui-là avait fait dans sa main droite; il a passé sa main gauche sur son derrière; il l'a tirée pleine de ce sang frais. Dans le courant de ce jour-là nous nous apercevons tous à tour de rôle que nous faisons du sang. Alors, nous faisons carrément sur place, là, sous nous. J'ai dit que nous n'avons plus d'armes depuis longtemps; mais nous avons tous notre quart passé dans une courroie de notre équipement, car nous sommes à tous moments dévorés par une soif de feu, et de temps en temps nous buvons notre urine. C'est l'admirable bataille de Verdun. Deux ans plus tard, au Chemin des Dames, nous nous révolterons (à ce moment-là je survivais seul de ces huit derniers) pour de semblables ignominies. Pas du tout pour de grands motifs, pas du tout contre la guerre, pas du tout pour de grands mots d'ordre, simplement parce que nous en avons assez de faire dans notre main et de boire notre urine. Simplement parce qu'au fond de l'armée, l'individu a touché l'immonde. Voilà...à vous lire, si ça vous inspire (?), c'est un des plus forts témoignages que j'ai trouvé sur ladite " Grande Guerre", s'ensuit immédiatement dans le texte d'où c'est extrait ("Recherche de la pureté") un autre témoignage, sur les révoltes dans les troupes, récit lui aussi tout ce qu'il y a de plus recommandable ! | |
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