Lecture en commun - Balzac : Le lys dans la vallée

Arabella a écrit:

Alors vous avez vraiment lu tant que ça par obligation à l'école ? Dans mes souvenirs, rien de tel.

Je trouve en effet que la jalousie de Mme de Mortsauf la rend plus vraimsemblable, ses regrets aussi. En fait, à la fin du roman, Balzac précise que lors de leur rencontre, Félix avait 22 ans et Henriette 28 ans ....

Concernant "Le lys dans la vallée" je l'ai lu spontanément à l'époque, en rien ce ne fut une lecture "imposée". Je m'aperçois qu'en raison de mon inexpérience et de mon jeune âge (NB: je fais partie d'une génération élevée à la campagne...un tantinet cucul la praline) je suis passée à côté de jolies émotions. Je redécouvre, autrement, ce très beau roman.

Nezumi a écrit:

Presque fini "Les deux femmes", l'après-midi ayant surtout été occupée à éponger une inondation due à la pluie diluvienne qui tombe ici...
Vue à travers le prisme des yeux adorateurs de Félix, Mme de Mortsauf, parangon de pureté et d'abnégation, créature céleste, parait caricaturale c'est vrai. Mais si on lit entre les lignes, se dessine un personnage plein de bon sens, les pieds bien sur terre, qui essaie de composer avec des circonstances bien pénibles. Bien sûr le Lys n'est pas un manifeste féministe, mais la triste condition des femmes qui, en se mariant, ne passaient que d'un maître à l'autre est au centre de ce roman.
Quant au personnage de M. de Mortsauf, sa véracité me frappe. L'entourage qui tremble au gré des humeurs changeantes, le tyran domestique charmant en société, tout cela sonne vrai...

Tu as raison Nezumi, j'avais du mal à mettre les mots sur mes impressions: lorsqu'elle conjure Félix d'aller de l'avant, de se construire un avenir, elle a du bon sens, tout comme lorsqu'elle gère le domaine à la place de son mari. Henriette de Mortsauf est une vraie éminence grise qui sait s'effacer pour le bien-être de son époux. Une abnégation sublime ou détestable selon le regard que l'on porte sur cette qualité/défaut.
On a l'impression d'être au coeur de cette bonne société rurale et aristocratique, dans la gêne depuis la Révolution et l'Empire mais gardant les valeurs d'honneur. C'est une plongée instructive dans ce microcosme.

C'est que cette relecture jette pour moi un éclairage nouveau sur Mme de Mortsauf. Quand j'ai lu ce roman à 15 ans, elle m'apparaissait clairement en victime et martyre. Là, son côté "super-woman" me frappe car elle cumule tous les rôles, mère, infirmière, gestionnaire du domaine, sans compter de surprenantes aptitudes en diplomatie...

Tout d'abord elle a appris à donner à son mari l'impression qu'il contrôle leurs affaires, alors que c'est elle qui tient les rênes.
Et puis la fameuse lettre à Félix est dans ce sens un véritable petit traité de manipulation, non ?
Bien sûr il est écrit pour le bien du jeune homme et Henriette lui conseille d'être juste, charitable, honnête en bref toutes les valeurs chrétiennes...
Mais au fond, il lui apprend comment s'assurer la réussite sociale en utilisant les gens et leurs sentiments, en sachant flatter, s'attirer les faveurs des puissants. Ne pas accorder son amitié à ceux qui sont "déconsidérés" par la société car cela pourrait nuire à son avenir, ce qui ne manque pas de cynisme...Et ne cite-elle pas Talleyrand, le Machiavel de l'époque ?
Et que dire des femmes! Elle lui conseille en gros de jouer les gigolos avec les "douairières", les femmes mûres et influentes car elles lui serviront davantage que les jeunes femmes qui, elles, n'auront rien à lui apporter. Avec une habilité consommée, elle prévient toute critique en précisant que ce n'est pas dans son propre intérêt qu'elle ne veut pas que Félix s'intéresse aux jeunes femmes, mais dans le sien. Pour qu'il ne mette pas en péril son avenir.
La femme à laquelle il devra apporter son amour est en fait son portrait craché...

C'est une Henriette bien plus manipulatrice et calculatrice que dans mon souvenir que je redécouvre, mais cela ne me la rend pas antipathique pour autant. Dans le cas de son mari, cette aptitude est un moyen de se défendre, de protéger ses enfants et leur avenir
Dans le cas de Félix, cette lettre lui permet, sous un vernis de sacrifice et de désintéressement, de garder un ascendant sur le jeune homme et de ne pas le perdre complètement, ce qui est d'un égoïsme assez touchant au fond. Cela la rend bien plus humaine.

Par contre, question crédibilité, comment expliquer qu'une femme qui a toujours vécu recluse en province en sache autant sur les relations sociales, les intrigues de salon etc ?

ses origines familiales et la vie de son époux ?

elle contraste bien avec les mots de Félix cette lettre, après on ne peut qu'être persuadé que ça ne peut pas bien tourner, c'est presque une bande annonce de la suite !

animal a écrit:

ses origines familiales et la vie de son époux ?

Oui, mais cela suffit-il à expliquer une telle connaissance ? C'est une véritable experte en RH cette femme!
Or elle n'a jamais vécu à la cour, jamais vraiment fréquenté les salons...

Bédoulène a écrit:

la Comtesse, dit connaître le monde au travers de ce que lui ont conté sa tante aimée et le Comte dans son émigration, on peut le croire étant donné la vie éloignée de la société - de la cour notamment - qui est la sienne. Et malgré celà sa lettre est un document d'information et d'initiation assez complet et précis (je ne sais si vous comprenez ma pensée).

Oui, absolument, j'ai le même sentiment. Le pragmatisme et la lucidité à l'état pur et de bons conseils. Même si le côté chrétien revendiqué et cette manipulation me semblent un peu incompatibles mais bon.
Expie parlait plus haut de la présence de l'auteur qu'on ne percevait pas dans le style naïf et fleuri de Félix.
Là on la sent clairement, avec sa fine connaissance des rouages et mécanismes des relations sociales. (Balzac sors du corps d'Henriette!)

(Désolée si tout cela a un goût de réchauffé pour vous, je n'ai pas pu progresser dans la lecture aussi vite que je le voulais)

Personne n'a parlé des bouquets de Félix ?

Henriette explique à Félix que c'est sa tante qui l'a initiée à la vie mondaine. Bien sûr, le fait qu'elle lui conseille de se tenir éloigné des jeunes femmes ne semble pas tout à fait désintéressé

krys a écrit:

Henriette explique à Félix que c'est sa tante qui l'a initiée à la vie mondaine. Bien sûr, le fait qu'elle lui conseille de se tenir éloigné des jeunes femmes ne semble pas tout à fait désintéressé

Oui, quelle fine mouche cette Henriette!

si Nezumi j'ai relevé la phrase sur les bouquets (qui nous l'imaginons sont superbes, Félix connait le langage des fleurs)

je me cite :

A la poësie des bouquets de fleurs offerts à la Comtesse, qui disent en silence les émois de Félix répond, de son aveu, le jeu de la tapisserie.

je ne retrouve plus le passage, mais c'est ce qu'elle dit à Félix.


Il n'y a finalement que Félix pour penser que la Comtesse ne l'aime que de façon maternelle après la lecture de la lettre qu'elle lui adresse pour son départ à Paris.

Et Nezumi je suis encore très imprégnée de cette lecture pour prendre plaisir à suivre vos messages.

Nezumi a écrit:

Par contre, question crédibilité, comment expliquer qu'une femme qui a toujours vécu recluse en province en sache autant sur les relations sociales, les intrigues de salon etc ?

Je pense qu'elle du en voir beaucoup chez ses parents, et sa mère doit être une experte. Et même sa tante, si chrétienne a du lui en apprendre pas mal.

Bédoulène a écrit:

si Nezumi j'ai relevé la phrase sur les bouquets (qui nous l'imaginons sont superbes, Félix connait le langage des fleurs)

je me cite :

A la poësie des bouquets de fleurs offerts à la Comtesse, qui disent en silence les émois de Félix répond, de son aveu, le jeu de la tapisserie.

J'avais oublié le coup de la tapisserie, mais oui, c'est l'amour courtois à fond!

Oui, c'est bizarre Arabella, ce mélange femme-chrétienne-comme-il- faut/tacticienne machiavélique.
Je ne pense pas que Balzac y ait ajouté un sous-entendu sur l'hypocrisie des classes aristocratiques ?

N'oublions pas les jésuites, des fins stratèges. Ca m'étonne qu'il n'y en ait pas un dans le coin.

Les rapports de force sont un grand ressort des romans balzaciens, et garder le pouvoir ou essayer d'en avoir plus est une constante. Ce n'est même pas de l'hypocrisie, cela paraît aller de soi, de ne pas tout dire, et d'essayer de se placer sans en avoir l'air. D'essayer de s'accaparer des avantages au détriments d'autres personnes.

Arabella a écrit:

Ce n'est même pas de l'hypocrisie, cela paraît aller de soi, de ne pas tout dire, et d'essayer de se placer sans en avoir l'air. D'essayer de s'accaparer des avantages au détriments d'autres personnes.

Oui, venant de ces deux "femmes de fer" que sont Mme de Vandenesse et la duchesse de Lenoncourt. Mais que ça sorte de la bouche de la douce Henriette, c'est plus étonnant.
Cette dimension m'avait complètement échappé à la 1e lecture, parce que l'âge aidant je m'étais juste focalisée sur l'histoire d'amour romantique.
Mais cela donne plus d'épaisseur et d'ambiguïté à son personnage.

Malgré tout elle une femme de son époque et de son milieu. Elle ne remet jamais en cause que ses enfants soient supérieurs socialement aux paysans qui travailleront toute leur vie pour les enrichir.