Lecture en commun - Balzac : Le lys dans la vallée

Nezumi a écrit:

Bien sûr il est écrit pour le bien du jeune homme et Henriette lui conseille d'être juste, charitable, honnête en bref toutes les valeurs chrétiennes...

C'est une Henriette bien plus manipulatrice et calculatrice que dans mon souvenir que je redécouvre, mais cela ne me la rend pas antipathique pour autant. Dans le cas de son mari, cette aptitude est un moyen de se défendre, de protéger ses enfants et leur avenir
Dans le cas de Félix, cette lettre lui permet, sous un vernis de sacrifice et de désintéressement, de garder un ascendant sur le jeune homme et de ne pas le perdre complètement, ce qui est d'un égoïsme assez touchant au fond. Cela la rend bien plus humaine.

C'est drôle, je n'en ai pas fait la même lecture, je ne la trouve pas manipulatrice, mais elle fait naïvement état des usages en cours dans son milieu, et probablement utilisés fréquemment par les membres de sa propre famille qui sont arrivés dans le monde. Je ne la trouve pas manipulatrice envers mari, elle essaie simplement de rendre son mariage vivable et d'assurer la survie du domaine. Elle est obligée de ruser avec un fou pour la survie des siens.

J'en suis pratiquement à la fin du livre maintenant et j'ai trouvé étonnante encore cette rencontre éclair entre les deux femmes qui se toisent, se mesurent rapidement puis se fuient. Etonnante cette requête de Mme de Mortsauf de vouloir rencontrer sa rivale lors du rendez-vous amoureux de Félix. Je trouve cette scène abracadabrante et encore plus ce qui suit: que la comtesse veuille recommander Félix comme un trésor à Lady Dudley (alors qu'elle meurt de jalousie et de frustration). Impossible d'y croire vraiment.

Par contre la jalousie féroce de Lady Dudley est amusante, elle use de tous les artifices qu'elle possède pour conserver l'amour de Félix, mais elle est trop dure et manque du véritable amour, elle ne peut offrir qu'une relation physique éhontée. D'ailleurs Félix aimerait pouvoir rassembler ces deux femmes, celle qui le comble de son amour de femme (déguisé sous celui d'une mère) et celle qui assouvit ses désirs sans pudeur. Eternel rêve masculin : l'amoureuse, la mère, l'amante.

Les textes de Balzac vieillissent bien grâce à cela, ses portraits humains et les sentiments qu'il décrit restent incroyablement actuels, même si parfois quelques longueurs et lourdeurs s'y glissent.

J'espère finir demain, car La pauvre Madame de Mortsauf se meurt.....Décidément ce nom n'est bien porté que par son mari qui devait mourir mais ne meurt pas !

Le truc qui me paraît invraisemblable dans plusieurs romans de Balzac, ce sont justement ces personnes qui meurent sur commande. Elles sont malheureuses, surtout en amour, et cela se termine par un beau décès, très photogénique et édifiant. Du mal à croire que cela est possible, mais Balzac a recours au procédé plusieurs fois. Cela paraissait parfaitement naturel à l'époque. De nos jours, ce serait juste une dépression.

DOM a écrit : Je trouve cette scène abracadabrante et encore plus ce qui suit: que la comtesse veuille recommander Félix comme un trésor à Lady Dudley (alors qu'elle meurt de jalousie et de frustration). Impossible d'y croire vraiment.

certainement que la Comtesse pense ainsi en "confiant" Félix à la Lady, avoir un contrôle sur elle aussi.

à remarquer aussi qu'à cette époque les gens mouraient aussi beaucoup plus jeunes

Le lettre posthume de Mme de Mortsauf est bien conforme à sa conduite et à ses recommendations jusque là. On y voit l’héroïne tragique romantique par excellence au destin funeste : elle aime mais ne peut succomber à cet amour à cause des liens du mariage. On la ‘trompera’ donc, et elle en mourra de jalousie. C’est Mme de Mortsauf jusqu’au bout avec un caractère entier sans compromis possibles.

Elle donne aussi ici une explication à sa soumission à son mari : comme elle le trompait en pensée en aimant Félix, elle pensait expier sa faute en supportant toutes ses méchancetés.

Mais, et là, je rejoins nezumi et je la trouve très manipulatrice en voulant conserver un ascendant sur Felix par-delà la mort, en le faisant culpabiliser et en lui confiant son mari et ses enfants pour qu’il veille sur eux comme elle le faisait. Elle souhaite épouser Félix à travers sa fille. Là le lys est carrément terni, il en devient presque monstrueux !

Mais bon je n’ai pas tout à fait fini, je dois continuer après cette lettre exemplaire de Mme de Mortsauf…..

domreader a écrit:

Mais, et là, je rejoins nezumi et je la trouve très manipulatrice en voulant conserver un ascendant sur Felix par-delà la mort, en le faisant culpabiliser et en lui confiant son mari et ses enfants pour qu’il veille sur eux comme elle le faisait. Elle souhaite épouser Félix à travers sa fille. Là le lys est carrément terni, il en devient presque monstrueux !

Ah! N'est-ce pas ? C'est horrible cette espèce de chantage affectif caché derrière un esprit de sacrifice...
Dès le début j'ai trouvé cette histoire de mariage avec Madeleine extrêmement glauque. Félix lui-même a l'air effrayé par la perspective. En plus à ce moment la gamine est une morte en sursis...

La Comtesse avait déjà évoqué le fait qu'elle destinait Madeleine à Félix auparavant, mais il n'avait pas bien compris.

Par contre j'ai remarqué lors du départ définitif de Félix alors que Madeleine lui a lâché ce qu'elle a sur le coeur, alors qu'il se retourne, comme il le faisait lorsqu'Henriette était présente, il est surpris agréablement de voir Madeleine sur la terrasse.

Arabella a écrit:

Le truc qui me paraît invraisemblable dans plusieurs romans de Balzac, ce sont justement ces personnes qui meurent sur commande. Elles sont malheureuses, surtout en amour, et cela se termine par un beau décès, très photogénique et édifiant. Du mal à croire que cela est possible, mais Balzac a recours au procédé plusieurs fois. Cela paraissait parfaitement naturel à l'époque. De nos jours, ce serait juste une dépression.

Oui, tout à fait et il n'y a pas que chez Balzac d'ailleurs, par ex. dans Les liaisons dangereuses, Mme de Tourvel se meurt d'amour. Ca m'a toujours paru bizarre aussi

Pas forcément une dépression. Il y a vraiment des gens qui se laissent dépérir (et développeraient même certains cancers) suite à des deuils, des situations très pénibles. Le stress affaiblit les défenses immunitaires aussi.

Oui, certes le stress, les défenses affaiblies, d'accord. Mais peu de gens meurent tout de même rapidement de chagrin, je dirais que c'est tout de même un procédé un peu facile pour terminer un roman. Un côté convenu cette mort par amour, je dirai qu'à certaines époques c'était un peu un cliché.

je me replonge avec délectations, au fil de vos interventions, dans ce déphasage possible entre Madame de Mortsauf et Madame de Mortsauf-pas-remise-en-question-dans-les-yeux-de-Félix... c'est d'une très grande force que d'arriver à le dire sans le dire, ça colle un flou pas possible tout en gardant l'essence de l'atmosphère, presque tordu !

J'ai enfin fini le livre il y a deux ou trois jours sur la merveilleuse lettre de Natalie et j'ai éclaté de rire en songeant à la tête que ce nigaud de Félix pouvait bien faire en la lisant.

Un joli pied de nez de l'auteur, à Félix, à nous lecteurs et aussi à lui-même ! (Pirouette cacahuète)

C'était vraiment drôle et bien senti. Natalie de Manerville remet tout le monde à sa place avec bon sens et un certain humour.

domreader a écrit:

C'était vraiment drôle et bien senti. Natalie de Manerville remet tout le monde à sa place avec bon sens et un certain humour.

Ah oui, ça fait du bien ! Un des meilleurs moments du livre !

Comme Domreader, la réponse épistolaire de Nathalie de Manerville m'a beaucoup plu: j'ai mieux goûté au sel humoristique de balzac remettant les pendules à l'heure et dotant son héros d'une maladresse qui renvoie une image bien triste de lui-même.
J'ai vraiment savouré l'écriture, les descriptions des paysages, très naturalistes, l'adéquation des sentiments des personnages avec leur environnement. J'ai aimé les langueurs de Mme de Mortsauf, ses "coquetteries vertueuses", son réalisme derrière son appétit de romanesque.
Bref, j'ai vécu une très belle relecture et je pense avoir mille fois plus apprécié le roman aujourd'hui que lors de mes années lycée!
J'ai ri mais j'ai aussi pleuré (vous n'avez pas oublié que j'étais bon public, n'est-ce pas ) devant la dévastation due à la jalousie. L'intimité de l'agonie, sans doute un peu "violente" voire inopportune pour le lectorat de l'époque, fut un grand moment romantique: Henriette se rendant compte qu'elle vécut dans un mensonge du nom de vertu et parvenant à sauver son âme en assumant son amertume pour atteindre une sérénité.
Il n'y a pas à dire: lire des clasiques ça ressource!!!!

excellente conclusion de relecture Chappy !

Chatperlipopette a écrit:

Il n'y a pas à dire: lire des clasiques ça ressource!!!!

Oh que oui ! J'en ai peu lu ces dernières années et cela me manque beaucoup. Je crois que je vais en glisser un de temps en temps parmi les contemporains, à découvrir ou à redécouvrir, ça fait toujours du bien