Un peintre, un auteur 3 : Pierre Soulages

Extraits de "Entretien avec Pierre Soulages" par Charles Juliet (Editions L'Echoppe)

- Vous n'employez qu'une seule couleur. Pourquoi?

- Ce sont des toiles peintes avec le même noir, oui, mais ce ne sont pas pour autant des monochromes noirs - ni pour celui qui regarde vraiment, ni pour moi- puisque, quand je les fais, je suis guidé par des valeurs différentes, celles-là même qu'engendre la lumière réfléchie par la matière du noir.[...] L'outil n'est pas le noir, c'est la lumière.

- En n'utilisant que cette couleur, ne vous privez-vous pas de toutes celles que vous éliminez?

- Je n'ai rien éliminé, c'est le contraire: le noir, c'est une couleur violente, elles'est imposée, elle a dominé, c'est la couleur d'origine.

- Vous cantonner à une seule couleur, ce n'est donc pas vous restreindre?

- Sûrement pas. Pour moi, le noir, c'est un excès, une passion.

- Le noir est associé aux ténèbres, aux gouffres, aux puissances de mort. Vous ne le vivez donc pas comme tel?

- Quand on écrit avec de l'encre noire, ce n'est pas forcément une lettre de condoléances.

- Est-ce qu'il n'est pas, d'une certaine manière, paradoxal de vouloir faire sourdre la lumière à partir du noir, couleur qui est la plus éloignée de la lumière?

- Cela peut sembler paradoxal mais je ne le vois pas ainsi.
On a l'habitude de penser le noir, ou comme une uniformité sombre, ou comme l'élément le plus efficace d'un contraste. Contraste mettant en évidence, intensifiant, des valeurs ou des couleurs plus claires.
[...] Il n'y a eu aucune volonté délibérée de faire sourdre la lumière du noir, cela s'est imposé pendant que je peignais.



Dans une exposition rétrospective à Tokyo, le professeur Akiyama vint me dire que ces toiles l'impressionnaient et touchaient profondément l'âme orientale. Il m'apprit qu'à l'Epoque Edo déjà, l'art de certaines laques, sur de petites dimensions, reposait sur la lumière naissant des sillons du pinceau.

Pour ma part, je suis complètement hermétique à ce genre de peinture…
C’est comme si l’on alignait des mots dans un ordre sans logique ou que l’on faisait un film sans histoire…

Le simplisme en art, que l’on peut appeler déconstruction ou autrement cela ne change rien, est un terme qui génère chez moi de l’ennui et aucune interrogation…
Quand on pense à tout ce que l’on peut dire dans un regard, dans la configuration d’un paysage ou d’un bâtiment, voire dans la diffusion des couleurs…

Je pense aussi que certains artistes devraient s’interroger sur la qualité de l’œuvre avant de se préoccuper du message qu’ils veulent faire passer voire de la vente de celui-ci…

L'entretien de Charles Juliet avec Pierre Soulages est justement très éclairant sur sa démarche.

Ce ne sont pas ces tableaux-là que j'aimerais avoir chez moi (si j'en avais les moyens! ) mais j'ai été curieuse, accompagnée par le texte, de découvrir justement ce qui, a priori, ne me parle pas...

sousmarin a écrit:

Le simplisme en art, que l’on peut appeler déconstruction ou autrement cela ne change rien, est un terme qui génère chez moi de l’ennui et aucune interrogation…

Je ne sais pas si on peut parler de "simplisme" dans ce cas, car comme l'a dit Coline, Soulages expose et décortique sa démarche. Le processus de création de l'oeuvre vaut, dans ce cas, autant que l'oeuvre elle-même (à mon humble avis, car je ne suis pas spécialiste de l'oeuvre de Pierre Soulages). Quoiqu'il en soit, je comprends que ce genre d'oeuvre puisse te laisser totalement indifférent car il est vrai qu'une partie des artistes dits "contemporains" tombent effectivement dans le travers des raccourcis et du déjà-vu.

Merci Coline pour avoir ouvert ce fil. Je vais essayer de me procurer un exemplaire de cet entretien.

La rétrospective à Beaubourg a commencé: 14 octobre 2009- 8 mars 2010

Le lien vers l'émission "Un soir au musée", diffusé sur la 5 va se perdre probablement sur le fil "à la télé" - je le mets donc aussi sur le fil de l'artiste

ICI

kenavo a écrit:

Le lien vers l'émission "Un soir au musée", diffusé sur la 5 va se perdre probablement sur le fil "à la télé" - je le mets donc aussi sur le fil de l'artiste

ICI

Merci

"Le noir, c’est, d’un côté, l’extrême, le sombre, il n’y a pas plus sombre que le noir, et, à côté de cela, une couleur lumineuse. Le rapport de ces deux possibilités a fait que je me suis orienté vers cette manière de peindre. ”



Un ouvrage très complet en format réduit pour découvrir Soulages.

pour que ces messages ne se perdent pas au bar

Lara a écrit:

Dites j'aimerais votre avis, j'ai beaucoup cogité à propos de Soulage, et j'aimerais savoir ce que vous pensez vous de ses peintures?

Madame B. a écrit:

Bonsoir le bar, bonsor Lara, contente de te revoir.
J'avais adoré l'expo Soulages mais j'avais eu la chance de bénéficier d'une visite guider pour mieux aborder son oeuvre sinon on retse au niveau du j'aime/ j'aime pas, il y a de belles rayures, c'est très noir.
Je te conseille la lecture des Ateliers de Soulages de Michel Ragon. Cela ce lit très bien et permet de mieux comprendre son parcours, ses influences.
Comme le dit Ragon, il faut savoir que pour Soulages, la peinture n'est pas un langage, elle n'a pas de signification. Il le rapporche des Nouveaux Romanciers comme Butor, Robbe-Grillet (tous ces gens là c'est la même époque) qui ont voulu en finir avec le roman traditionnel (celui qui raconte une histoire avec un début et une fin, à la Balzac) déjà mis à mal avec Gide fin XIXème, Kafka, Joyce et Woolf début XXème. Ainsi, le roman et l'art moderne ne chechent pas à dire quelque chose mais sont les lieux d'une recherche, d'une expériementation de la forme et de la matière. D'ailleurs, Soulages a toujours refusé de donner des titres à ses oeuvres.

L'événement fondateur de son oeuvre, c'est une tache de goudron qu'il voit à l'école sur un mur, au lieu d'imaginer des formes, des silhouettes, des animaux, il s'intéresse à la matérialité de la tache (on retrouve cet attachement au matériel dans les outils qu'il crée lui même par exemple). Il a d'ailleurs passé son enfance au milieu d'artisans.
A ses débuts,il va d'ailleurs utiliser le goudron sur ses toiles.

Voilà, ce n'est qu'un début (je suis un peu fatiguée ce soir et je pourrais en parler pendant longtemps). Je ne voudrais pas vous soûler ni vous paraître pédante. Si cela t'intéresse d'en savoir plus je me ferais un plaisir de continuer un peu demain en espérant ne pas avoir été trop obscure (le comble pour Soulages).

Merci Kenavo, tu es adorable. J'allais copier mon message et tu l'avais déjà fait.
J'adore ce forum.