Après m'être réjouie du grand Gargantua, dont j'ai fini la relecture récemment, je me suis dit que le forum des Parfumés méritait au moins un sujet sur son auteur, j'ai nommé François Rabelais !
Rapide biographique :
- Citation :
- Né d'un père avocat à Chinon, François Rabelais étudie le latin, le grec, et correspond avec le célèbre humaniste Guillaume Budé. Il a d'abord été moine et traducteur avant d'exercer les fonctions de médecin puis d'écrivain. Homme de la Renaissance, il a allié, sa vie durant, foi en Dieu, discours anticléricaux, pensée humaniste et sens de la farce. Ses deux principaux héros littéraires, des géants, père et fils, sont issus de la littérature du Moyen Age. Dans ses deux oeuvres majeures, 'Gargantua' et 'Pantagruel', il fait preuve d'un style hors du commun, d'une richesse de vocabulaire exceptionnelle et associe des opinions 'éclairées' sur l'éducation, l'extension des savoirs ou la guerre, à une technique littéraire où le récit historique se mêle aux inventions fantastiques. Virtuose du langage et grand créateur de mots, polémiste, savant, précurseur dans de nombreux domaines, François Rabelais réalise la synthèse entre la tradition comique carnavalesque du Moyen Age et les nouveaux savoirs de la Renaissance. Sa vie et son oeuvre polymorphe, qui donne à rire et à penser, qui échappe à tout classement, sont le triomphe
de la liberté d'esprit.
Source : Evene
Pour ma part, je vais me concentrer plus particulièrement sur Gargantua. Ce livre est un délice ! Il est vivant, joyeux, enjoué, sans tomber dans le côté naïf des bons-vivants, il relève au contraire tous les défauts et les vices de l'homme mais ne les juge pas et les regarde au contraire d'un œil bienveillant.
De ce point de vue là, il s'agit vraiment d'un livre humaniste, qui confère à l'homme toute sa grandeur dans ce qu'il a de plus misérable.
Je ne peux m'empêcher de vous livrer un extrait de ce livre. Il s'agit de mon chapitre préféré intitulé :
Comment Grandgousier congneut l’esperit merveilleux de Gargantua à l’invention d’un torchecul
Sus la fin de la quinte année, Grandgousier, retournant de la defaicte
des Ganarriens, visita son filz Gargantua. Là fut resjouy comme un tel
pere pouvoit estre voyant un sien tel enfant, et, le baisant et
accollant, l’interrogeoyt de petitz propos pueriles en diverses sortes.
Et beut d’autant avecques luy et ses gouvernantes, esquelles par grand
soing demandoit, entre aultres cas, si elles l’avoyent tenu blanc et
nect. A ce Gargantua feist response qu’il y avoit donné tel ordre qu’en
tout le pays n’estoit guarson plus nect que luy
« Comment cela ? dist Grandgousier.
— J’ay (respondit Gargantua) par longue et curieuse experience
inventé un moyen de me torcher le cul, le plus seigneurial, le plus
excellent, le plus expedient que jamais feut veu.
— Quel ? dict Grandgousier.
— Comme vous le raconteray (dist Gargantua) presentement.
« Je me torchay une foys d’un cachelet de velours de une
damoiselle, et le trouvay bon, car la mollice de sa soye me causoit au
fondement une volupté bien grande ;
« une aultre foys d’un chapron d’ycelles, et feut de mesmes ;
« une aultre foys d’un cache coul ;
« une aultre foys des aureillettes de satin cramoysi, mais la
dorure d’un tas de spheres de merde qui y estoient m’escorcherent tout
le derriere ; que le feu sainct Antoine arde le boyau cullier de
l’orfebvre qui les feist et de la damoiselle qui les portoit !
« Ce mal passa me torchant d’un bonnet de paige, bien emplumé à la Souice.
« Puis, fiantant derriere un buisson, trouvay un chat de Mars ;
d’icelluy me torchay, mais ses gryphes me exulcererent tout le perinée.
« De ce me gueryz au lendemain, me torchant des guands de ma mere, bien parfumez de maujoin.
« Puis me torchay de saulge, de fenoil, de aneth, de marjolaine,
de roses, de fueilles de courles, de choulx, de bettes, de pampre, de
guymaulves, de verbasce (qui est escarlatte de cul), de lactues et de
fueilles de espinards, — le tout me feist grand bien à ma jambe, — de
mercuriale, de persiguire, de orties, de consolde ; mais j’en eu la
cacquesangue de Lombard, dont feu gary me torchant de ma braguette.
« Puis me torchay aux linceux, à la couverture, aux rideaulx, d’un
coissin, d’un tapiz, d’un verd, d’une mappe, d’une serviette, d’un
mouschenez, d’un peignouoir. En tout je trouvay de plaisir plus que ne
ont les roigneux quand on les estrille.
— Voyre, mais (dist Grandgousier) lequel torchecul trouvas tu meilleur ?
— Je y estois (dist Gargantua), et bien toust en sçaurez le tu
autem. Je me torchay de foin, de paille, de bauduffe, de bourre, de
laine, de papier. Mais
Tousjours laisse aux couillons esmorche,
Qui son hord cul de papier torche.
— Quoy ! (dist Grandgousier) mon petit couillon, as tu prins au
pot, veu que tu rimes desjà ? — Ouy dea (respondit Gargantua), mon roy,
je rime tant et plus, et en rimant souvent m’enrime. Escoutez que dict
nostre retraict aux fianteurs :
Chiart,
Foirart,
Petart,
Brenous,
Ton lard
Chappart
S’espart
Sus nous.
Hordous,
Merdous,
Esgous,
Le feu de sainct Antoine te ard !
Sy tous
Tes trous
Esclous
Tu ne torche avant ton depart !
« En voulez-vous d’adventaige ?
— Ouy dea, respondit Grandgousier.
— Adoncq dist Gargantua :
RONDEAU
En chiant l’aultre hyer senty
La guabelle que à mon cul doibs ;
L’odeur feut aultre que cuydois :
J’en feuz du tout empuanty.
O ! Si quelc’un eust consenty
M’amener une que attendoys
En chiant !
Car je luy eusse assimenty
Son trou d’urine à mon lourdoys ;
Cependant eust avec ses doigtz
Mon trou de merde guarenty
En chiant.
« Or dictes maintenant que je n’y sçay rien ! Par la mer Dé, je ne
les ay faict mie, mais les oyant reciter à dame grand que voyez cy, les
ay retenu en la gibbesiere de ma memoire.
— Retournons (dist Grandgousier) à nostre propos.
— Quel ? (dist Gargantua) chier ?
— Non (dist Grandgousier), mais torcher le cul.
— Mais (dist Gargantua) voulez vous payer un bussart de vin Breton si je vous foys quinault en ce propos ?
— Ouy vrayement, dist Grandgousier.
— Il n’est (dist Gargantua) poinct besoing torcher cul, sinon qu’il
y ayt ordure ; ordure n’y peut estre si on n’a chié ; chier doncques
nous fault davant que le cul torcher.
— O (dist Grandgousier) que tu as bon sens, petit guarsonnet ! Ces
premiers jours je te feray passer docteur en gaie science, par Dieu !
car tu as de raison plus que d’aage. Or poursuiz ce propos
torcheculatif, je t’en prie. Et, par ma barbe ! pour un bussart tu
auras soixante pippes, j’entends de ce bon vin Breton, lequel poinct ne
croist en Bretaigne, mais en ce bon pays de Verron.
— Je me torchay après (dist Gargantua) d’un couvre chief, d’un
aureiller, d’ugne pantophle, d’ugne gibbessiere, d’un panier, mais ô le
mal plaisant torchecul ! puis d’un chappeau. Et notez que des
chappeaulx, les uns sont ras, les aultres à poil, les aultres veloutez,
les aultres taffetassez, les aultres satinizez. Le meilleur de tous est
celluy de poil, car il faict très bonne abstersion de la matiere
fecale.
« Puis me torchay d’une poulle, d’un coq, d’un poulet, de la peau
d’un veau, d’un lievre, d’un pigeon, d’un cormoran, d’un sac d’advocat,
d’une barbute, d’une coyphe, d’un leurre.
« Mais, concluent, je dys et mantiens qu’il n’y a tel torchecul
que d’un oyzon bien dumeté, pourveu qu’on luy tienne la teste entre les
jambes. Et m’en croyez sus mon honneur. Car vous sentez au trou du cul
une volupté mirificque, tant par la doulceur d’icelluy dumet que par la
chaleur temperée de l’oizon, laquelle facilement est communicquée au
boyau culier et aultres intestines, jusques à venir à la region du
cueur et du cerveau. Et ne pensez que la beatitude des heroes et
semidieux, qui sont par les Champs Elysiens, soit en leur asphodele, ou
ambrosie, ou nectar, comme disent ces vieilles ycy. Elle est (scelon
mon opinion) en ce qu’ilz se torchent le cul d’un Oyzon, et telle est
l’opinion de Maistre Jehan d’Escosse.»