Dans ses livres précédents,
Houellebecq m'intéressait et m'agaçait à la fois. Trop de scories, de scènes faites pour choquer le bourgeois. Pour la première fois, avec La possibilité d'une île, il m'avait lassé. La mécanique tournait à vide. Je n'attendais donc pas grand chose du nouveau
Houellebecq.
J'ai lu le commentaire de Marko, d'autres avis à droite et à gauche. Intriguant, ma foi. Je m'apprêtais pourtant à ne pas aimer, à appeler ce roman Le tarte et le dérisoire. Dès les premières pages, j'ai été (agréablement) surpris et j'ai dévoré ce livre avec un appétit de squale, parfois mort de rire, le plus souvent admiratif. C'est son meilleur, et de loin. La carte et le territoire, Marko a déjà tout dit, et tellement bien que je ferais mieux de me taire ("chiche" entends-je l'écho des Parfumés). Non, je vais quand même à y aller de mon modeste avis, écrit sur un coin de table, à chaud, juste après en avoir terminé la lecture.
Résumé des épisodes précédents, grossièrement esquissé : en quelques années, avec une poignée de livres et quelques apparitions médiatiques marquantes, le dénommé
Michel Houellebecq s'est taillé une réputation d'homme et d'écrivain assez peu fréquentables, dont le cynisme et la misanthropie semblent le fond de commerce, et les partouzes dégradantes (pléonasme ou oxymore ?), le terrain de jeu favori. Portrait réducteur et forcé, évidemment, colporté par ses contempteurs, pour répondre à la masse de ses fidèles qui, tant à France qu'à l'étranger, n'est pas loin de le considérer comme le maître à penser d'une société décadente et mercantile. C'est à dire la nôtre.
Août 2010 :
Houellebecq prend les cartes en mains et marque son territoire. Surprise : son nouveau roman est apaisé, dans la grande tradition de la littérature française, avec une prose liquide qui se savoure tel un vin vieilli en fût de chêne. L'écrivain, ce n'est pas nouveau, mais bien plus convaincant que par le passé, se double d'un moraliste. Son roman se déroule dans un futur très proche, dans ces années 2010 qui s'annoncent, et cette légère touche futuriste permet à
Houellebecq de peindre les travers d'une société soumise aux lois du marché. Et quoi de mieux pour en parler que le monde de l'art, ses faux-semblants et ses engouements invraisemblables pour le dernier mouvement à la mode. Cette partie-là, cette description de ce microcosme agité, c'est du nanan !
Houellebecq fait du "Namedropping", si irritant en temps normal, un exercice jubilatoire. Après une évocation du génie de Fra Angelico ou du Corbusier, l'auteur expose la vie de certains "People", Beigbeder et l'improbable JP Pernaut, en tête. Drôle de télescopage, aux effets de gaz hilarant, d'autant que le portrait des dites célébrités est tout sauf conventionnel. Plus fort encore, il introduit le personnage de
Michel Houellebecq, dans une manoeuvre qui s'apparente plus à une auto-dérision stratosphérique qu'au narcissisme redouté.
Etude de moeurs quasi balzacienne, puis roman policier décalé (la partie la moins réussie), le roman se termine dans une apothéose tranquille et inéluctable. Pessimiste, très pessimiste, sur la nature humaine et la vacuité de ses entreprises. C'est une évidence,
Houellebecq n'a pas fondamentalement changé, il s'est juste débarrassé des oripeaux de la provocation qui entravaient sa lecture. Au demeurant, La carte et le territoire est aussi un livre sur les rapports complexes entre un père et son fils, alors que le premier vit ses derniers mois. Des pages étonnantes où affleure une tendresse et une forme d'empathie qui devaient déjà exister dans ses autres livres mais qui étaient soigneusement dissimulées. Par pudeur, sans doute, un mot qu'on est tout esbaudi d'écrire à propos du vilain
Michel Houellebecq.
Foin des controverses et des scandales passés, n'est-il pas temps de considérer
Houellebecq pour ce qu'il est : un auteur majeur de la littérature française du du début du XXIème siècle. On verra bien ce que la postérité décidera mais des livres aussi lucides et profonds sur l'évolution d'une civilisation en pleine mutation, telle que la nôtre, il ne s'en écrit pas deux par an.