| Parfum de livres… parfum d’ailleurs Littérature, forum littéraire : passion, imaginaire, partage et liberté. Ce forum livre l’émotion littéraire. Parlez d’écrivains, du plaisir livres, de littérature : romans, poèmes…ou d’arts… |
|
| Gonçalo M. Tavares [Portugal] | |
|
+21Bédoulène ArturoBandini Exini Cachemire jack-hubert bukowski domreader topocl Igor shanidar Arabella tom léo Aeriale Emmanuelle Caminade bix229 Babelle colimasson Nathria Marie Queenie kenavo eXPie 25 participants | |
Auteur | Message |
---|
eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Gonçalo M. Tavares [Portugal] Dim 3 Oct 2010 - 22:26 | |
| Gonçalo M.TAVARES (Luanda, Angola, 08/1970 - ) "Après avoir étudié la physique, le sport et l’art, il est devenu professeur d’épistémologie à Lisbonne. Depuis 2001, il ne cesse de publier (romans, recueils de poésie, essais, pièces de théâtre, contes et autres ouvrages inclassables). Il a été récompensé par de nombreux prix nationaux et internationaux dont le Prix Saramago, le Prix Ler/BCP (le plus prestigieux au Portugal), le Prix Portugal Telecom (au Brésil). Gonçalo M. Tavares est considéré comme l’un des plus grands noms de la littérature portugaise contemporaine, recevant les éloges d’auteurs célèbres comme Eduardo Lourenço, José Saramago, Enrique Vila-Matas, Bernardo Carvalho et Alberto Manguel." nous dit le site de l'éditeur Viviane Hamy. Parmi ses livres inclassables et très courts : Monsieur Calvino et la promenade, Monsieur Valéry et la logique, ...avec des dessins, schémas... Son roman Jérusalem obtient le Prix Saramago 2005. A cette occasion, Saramago a dit : "« Jerusalém é um grande livro, que pertence à grande literatura ocidental. Gonçalo M. Tavares não tem o direito de escrever tão bem apenas aos 35 anos : dá vontade de lhe bater ! »" ("« Jérusalem est un grand livre, une partie de la littérature occidentale. Gonçalo n'a pas le droit d'écrire si bien à 35 ans : ça me donne envie de le frapper !"). "Gonçalo M Tavares est, sans aucun doute, l'un des écrivains les plus importants de sa génération. Antonio Lobo Antunes", proclame un ruban jaune autour de Apprendre à Prier à l'ère de la technique. Bref, ces avis (on pourrait citer aussi Vila-Matas) sont à prendre avec plus de considération que les recommandations de Marc Lévy ou d'Anna Gavalda à propos de tel ou tel ouvrage de consommation courante. On pourra visiter le site officiel de l'écrivain. Bibliographie - Citation :
- Index: (cliquez sur les numéros de page pour y accéder directement)
Cycle « Le Quartier » 2008 Monsieur Valéry, Page 12009 Monsieur Calvino et la promenade, Pages 1, 4, 2009 Monsieur Kraus et la politique, Page 32010 Monsieur Brecht et le succès, Page 22011 Monsieur Walser et la forêt, Page 2Cycle « Le Royaume » 2003 Un Homme : Klaus Klump, 2004 La Machine de Joseph Walser, 2004 Jérusalem, Pages 3, 4, 2010 Apprendre à prier à l'ère de la technique, Pages 1, 2, Hors cycles2012 Un voyage en Inde, Page 3, - Citation :
- mise à jour le 05/02/2014, page 4
Dernière édition par eXPie le Jeu 14 Mai 2015 - 22:22, édité 2 fois | |
| | | eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal] Dim 3 Oct 2010 - 22:26 | |
| Apprendre à Prier à l'ère de la technique (Aprendera rezar na Era da Técnica, 2007 ; traduit en français en 2010 par Dominique Nédellec). Editions Viviane Hamy. 366 pages. Le sous-titre du livre est : Position dans le monde de Lenz Buchmann. Il s'agit du quatrième ouvrage d'un cycle consacré au Mal. Il commence par une première partie intitulée "Force", sous-partie "Apprentissage", sous-sous partie "L'adolescent Lenz découvre la cruauté". On notera que le livre est extrêmement découpé, donnant une impression de rationalité scientifique, et que les titres des différentes parties valent souvent le détour : "La médecine et la guerre : deux façons d'utiliser la main droite", "Donnez-moi une raison de ne pas tuer les plus faibles", "Fabriquer le danger mais ne pas l'industrialiser"... On peut dire que le livre commence fort, et cette découverte de la cruauté, ou plutôt de l'exercice de la domination, va être un élément fondateur de la pensée et des actions de notre héros, qui découvre ainsi la Force. Il y a d'un côté ceux qui ont cette force, qui mènent, qui imposent leur volonté, et de l'autre ceux qui se laissent faire. Notre héros, s'appelle Lenz Buchmann. Dans le roman, tous les noms sont de consonance germanique, même s'il n'y a pas de précision géographique ou temporelle. Lenz se met rapidement à la chasse. - Citation :
- "L'inconnu existait dans la forêt et, en l'absence de porte d'entrée et de paillasson, Lenz parcourait, vingt minutes durant, les chemins que la nature, avec sa stupidité bien à elle, avait spontanément ménagés pour laisser passer les hommes. [...]
Dans la forêt, la vertu n'avait pas été ensevelie sous la moisissure, une autre puissance était suspendue au-dessus de lui tandis qu'il cheminait entre les arbres robustes, mais retors, qui cachaient des centaines d'existences animales ; des existences qui étaient, au bout du compte, des pièces de gibier - résumé extraordinairement synthétique de ce qu'étaient aussi les relations humaines. Lenz ne se faisait pas d'illusions : s'il ne s'engageait pas dans les rues de la ville avec la même prudence, prêt à tirer avec son arme, c'était uniquement parce que, dans cet autre espace, quelque chose inhibait encore la haine : l'intérêt économique réciproque. " (page 14). Mais un combat existe également entre l'homme et la nature : - Citation :
- "Lenz ne se faisait pas d'illusions sur la terre qu'il foulait : il existait entre l'homme et la nature un point de rupture qui avait été dépassé depuis longtemps. [...] Dans ces journées de calme, Lenz décelait une santé trompeuse, une préparation du mal - quelqu'un nettoyait minutieusement le catafalque la veille de l'arrivée de la dépouille." (page 41).
Lenz devient un chirurgien renommé. - Citation :
- "Le plus stupéfiant lorsque Lenz opérait, c'était qu'à un certain moment le bistouri et même sa main droite semblaient se dissoudre dans le corps du malade. Le bistouri s'introduisait dans le corps, tel un poignard, et semblait chercher quelque chose de bien plus extraordinaire qu'une artère ; le bistouri marquait le premier point d'attaque ; une attaque, en l'occurrence, qui visait à sauver la personne attaquée." (page 27).
Lenz cherche, avec son bistouri, à "instaurer une nouvelle monarchie" (page 24), il rétablit l'ordre, il mène un combat contre l'anarchie : la maladie. Il sauve des gens, mais ne se considère pas comme bon pour autant. - Citation :
- "Et cette confusion - entre bonté et compétence technique - commençait à lézarder le mur que Lenz avait érigé entre sa vie professionnelle et sa vie privée, dans laquelle la dissolution des valeurs morales était manifeste. Le plaisir qu'il éprouvait à humilier les prostituées, les femmes faibles ou les adolescents, les mendiants qui venaient frapper à sa porte ou sa propre femme, ne pouvait pas être plus éloigné de cette aura qui, à en croire certains proches des malades qu'il avait opérés et sauvés, émanait de sa personne." (page 32).
Eh oui, Lenz aime bien s'assurer de sa supériorité, imposer sa volonté sur les autres, ce qui se traduit par quelques petites déviances... On ne peut vraiment pas dire que Lenz croit en la bonté de l'Homme : - Citation :
- "Evidemment, la technique et la médecine, dont il était un fidèle porte-drapeau, permettaient la prolongation des passions ; ce qui pour Lenz signifiait seulement que l'être humain pouvait désormais haïr plus longtemps." (page 42).
Mais bientôt : - Citation :
- "Il était las d'avoir à traiter avec des hommes individuels et d'être lui-même un homme individuel ; ce n'était pas une échelle qui lui convenait ; il voulait opérer la maladie d'une ville entière et non d'un seul être vivant insignifiant. [...]
Du pain et de la peur, dit Lenz à voix haute, spontanément, rompant ainsi une longue période de silence. " (page 90). Il est temps de changer d'échelle. On en apprendra plus sur l'éducation de Lenz, ses relations avec son père, son frère... Lenz est un loup, tandis que son frère est un chien. Or "le chien ne pourra pas protéger le loup parce qu'il n'en a pas la force, et le loup ne protégera jamais le chien parce que ce n'est pas dans sa nature". (page 98). Lenz est "le seul Buchmann, le seul à arborer le style de ceux qui jugent et non le style de ceux qui sont jugés." (page 129). Il méprise les gens dans leur globalité : ils sont faibles. "Chaque révolution traduisait désormais une aspiration à plus de sécurité et non à plus de pouvoir." (page 186). Un livre très remarquable, très fort, très bien écrit, souvent surprenant, vraiment marquant.
Dernière édition par eXPie le Dim 3 Oct 2010 - 23:07, édité 1 fois | |
| | | kenavo Zen Littéraire
Messages : 63288 Inscription le : 08/11/2007
| Sujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal] Dim 3 Oct 2010 - 22:33 | |
| - eXPie a écrit:
- Un livre très remarquable, très fort, très bien écrit, souvent surprenant, vraiment marquant.
je vois.. tu n'as aucune pitié pour ma PAL je note | |
| | | eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal] Dim 3 Oct 2010 - 22:43 | |
| - kenavo a écrit:
- eXPie a écrit:
- Un livre très remarquable, très fort, très bien écrit, souvent surprenant, vraiment marquant.
je vois.. tu n'as aucune pitié pour ma PAL je note Ensuite, des goûts et des couleurs... Mais j'ai vraiment beaucoup aimé ce ton original, distant, analytique, et la plongée dans l'intellect tordu de Lenz... Ca me donne bien envie de lire Jerusalem. | |
| | | Queenie ...
Messages : 22891 Inscription le : 02/02/2007 Age : 44 Localisation : Un peu plus loin.
| Sujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal] Lun 4 Oct 2010 - 10:18 | |
| Ça m'interpelle, je le note. | |
| | | Marie Zen littéraire
Messages : 9564 Inscription le : 26/02/2007 Localisation : Moorea
| Sujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal] Mar 5 Oct 2010 - 6:09 | |
| Noté! Mais j'ai vu passer Jerusalem , maintenant prêt à déménager et pas encore lu.. | |
| | | eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
| | | | eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal] Mer 13 Oct 2010 - 19:47 | |
| - Citation :
- Rencontres avec l'écrivain Gonçalo M. TAVARES le vendredi 15 octobre, à l'occasion du lancement aux éditions Viviane Hamy de deux ouvrages : "Monsieur Brecht et le succès" et "Apprendre à prier à l'ère de la technique"
1-Rencontre à l’Université Censier Paris III, 13 rue de Santeuil, 75005, le vendredi 15 octobre à 10h30, salle 327... 2-Rencontre Lecture: le comédien Claude Aufaure lira un choix de textes à Librairie L'Écume des Pages - 174 bd Saint Germain, 75006, le même jour à 19 h. (source : ici). | |
| | | eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal] Jeu 14 Oct 2010 - 22:23 | |
| Monsieur Calvino et la promenade. (O Senhor Calvino, 2005) Traduit du portugais en 2009 par Dominique Nédellec. 86 pages. Dessins de Rachel Caiano. Viviane Hamy. Monsieur Calvino fait partie du cycle "O Bairro" - Le Quartier, que Tavares peuple de plein de personnages qui ont des noms d'écrivains ou d'artistes connus. Ce ne sont pas les vrais artistes que Tavares met en scène, "juste" des gens qui portent le même nom. Cela donne un effet assez étrange. Ces livres sont successions de petites scènes qui peuvent être poétiques, humoristiques, graphiques, étranges, absurdes, incompréhensibles. Le livre commence par "Comme le village d'Astérix : « o bairro », un lieu où l'on tente de résister à l'entrée de la barbarie". Et on a le plan du quartier : On voit Borges au centre, Walser totalement excentré, Musil, Foucault, Wittgenstein, Beckett et Orwell sont voisins à l'ouest. A l'est, on a Melville, Gogol... Télérama (n°3169 du 6 octobre 2010, page 34) nous apprend que "Il y a quelques mois, près de trois cents étudiants en architecture, pilotés par une quinzaine d'enseignants de l'université Lusiada de Lisbonne, ont relevé le défi : concevoir les maquettes du Bairro de Gonçalo M. Tavares." Mais nous sommes ici pour faire connaissance de Monsieur Calvino. Globalement, Monsieur Calvino a une relation curieuse à l'infini, ou au monde qui l'environne. Par exemple, prenons l'air. On n'y fait pas attention, à l'air. Alors, Monsieur Calvino a un truc à lui, basé sur un ballon... ainsi, il se force à faire attention à une partie de cet air. - Citation :
- "Sans cette enveloppe colorée, cet air, à présent comme souligné et se distinguant du reste de l'atmosphère, passerait totalement inaperçu. Pour Calvino, choisir la couleur du ballon revenait à attribuer une couleur à l'insignifiant. Comme s'il décidait : aujourd'hui l'insignifiant sera bleu." (page 19).
Une des plus jolies scènes s'intitule La Fenêtre. La voici en entier : - Citation :
- "Chez Calvino, des rideaux avaient été mis à l’une des fenêtres - celle qui offrait la meilleure vue sur la rue -, rideaux que l’on pouvait boutonner, une fois tirés. Sur le rideau droit se trouvaient les boutons et sur le gauche les boutonnières correspondantes.
Calvino, pour regarder cette fenêtre, devait d’abord défaire les sept boutons, l’un après l’autre. Ensuite seulement, il écartait les rideaux et pouvait regarder, contempler le monde. Ses observations terminées, il tirait les rideaux et refermait chacun des boutons. C’était une fenêtre à boutonner. Lorsqu’il voulait ouvrir la fenêtre le matin, au moment de défaire lentement les boutons, il sentait dans ses gestes la même intensité érotique que celui qui retire, avec délicatesse, mais aussi avec anxiété, le chemisier de sa bien-aimée. Aussi voyait-il la vie différemment, depuis cette fenêtre. Comme si le monde n’était pas quelque chose de disponible à tout moment, comme s’il exigeait plutôt de lui, et de ses doigts, une série de gestes minutieux. De cette fenêtre, le monde n’était pas le même. »" (pages 21-22). Calvino veut faire attention au monde, distinguer une partie d'infini d'une autre partie, ou du moins focaliser son attention sur une de ces parties, pour mieux la comprendre. Dans le début d'une autre scène, L'Animal de Calvino, on lit : - Citation :
- "Le matin, Calvino allait dans la cuisine pour donner à manger au Poème. La bestiole dévorait tout : aucun aliment ne paraissait lui déplaire ni même la surprendre - et en toute chose elle semblait voir un aliment.
A la fin de la journée, une fois accomplies les tâches les plus urgentes, monsieur Calvino lui caressait le poil avec la délicatesse et l'habile distraction apparente des joueurs de harpe. En de pareils moments, l'univers ralentissait sa rotation et faisait sienne l'indolence intelligente des petits félins. Donner le bain au Poème n'était pas chose aisée ; on eût dit qu'il rechignait à la propreté, exigeant sur un mode sautillant une liberté impudique que seule la saleté peut offrir." (page 26). C'est rudement bien écrit, et il n'a pas besoin de mots compliqués ou de frime stylistique. Si Monsieur Calvino fait des choses qui paraissent excentriques, ou même méchantes, c'est toujours dans un but louable et désintéressé. Par exemple, lorsque des gens égarés dans son quartier lui demandent son chemin, il leur donne des indications farfelues. - Citation :
- "A l'instar de quelqu'un qui a plaisir à montrer un film ou à faire lire un livre qu'il a aimés, Calvino savait que si les gens parvenaient directement à destination, sans aucun détour, ils n'auraient jamais l'occasion d'explorer ces recoins que seuls découvrent ceux qui se sont complètement fourvoyés." (page 65).
On trouve même de la fantaisie dans la description de canalisations d'eau : "Calvino s'arrêta et regarda dans le trou : il y avait là des canalisations diverses, avec des trajectoires circulaires, mais pas seulement, comme si quelqu'un avait construit un parcours sportif pour que l'eau s'amuse un peu avant de devenir seulement utile dans les robinets." (page 69). Il y a souvent des petits schémas pour que le lecteur comprenne mieux : Dans une postface, Jacques Roubaud trace des parallèles avec Palomar, de Calvino (livre dans lequel on trouve : "A la suite d’une série de mésaventures qui ne méritent pas d’être rappelées, monsieur Palomar avait décidé que sa principale activité serait de regarder les choses du dehors."). Je ne l'ai pas lu. Un petit livre excellent, poétique, loufoque. Miam.
Dernière édition par eXPie le Ven 15 Oct 2010 - 7:43, édité 6 fois | |
| | | kenavo Zen Littéraire
Messages : 63288 Inscription le : 08/11/2007
| Sujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal] Jeu 14 Oct 2010 - 22:32 | |
| - eXPie a écrit:
- Jacques Roubaud
auteur qui a même un fil sur Parfum, ici et merci pour ce nouveau aperçu du travail de Gonçalo M. Tavares, cela donne vraiment envie | |
| | | eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
| | | | Nathria Sage de la littérature
Messages : 2867 Inscription le : 18/06/2008 Age : 57
| Sujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal] Mer 10 Nov 2010 - 9:04 | |
| Apprendre à prier à l'ère de la techniqueLenz est froid, glacial et incisif comme une lame de rasoir. Ca tombe bien, il est chirurgien et c’est ce qu’on lui demande : le geste précis, irrémédiable. Il est perçu comme un excellent professionnel, est respecté car il sauve les vies. En lui-même, Lenz est calculateur, épris de son seul pouvoir, celui de vie et de mort sur le patient, il est avide d’un pouvoir unique. Il ne vit que pour cela. Elevé par un père militaire sur un seul chemin de réflexion, il devient l’unique prolongement de la vie de son père. (Sa mère et son frère sont vite évincés.) Lenz est pervers, n’a aucune compassion, aucun affect pour ses semblables sauf pour son père et la bibliothèque de celui-ci (mémoire et terreau de la méditation, tout texte ne correspondant pas à l’idéal philosophique paternel est écarté.). Il est marié à une femme qu’il a vite modelée à ses attentes, ne veut pas d’enfant. Lenz se désintéresse progressivement de la chirurgie, domaine où il excelle et n’a plus rien à prouver, et se lance en politique. Telle une mécanique bien huilée, il contrôle et efface toutes les ombres portées sur son individu. Et si quelque chose d’imprévisible, d’incontrôlable survenait ? La maladie par exemple… Lenz parviendra t-il à continuer de se passer de ses semblables ? Comment se vivra t-il en corps déficient ? Quand la perfection nous lâche… J’ai beaucoup aimé l’évolution du ressenti au fur et à mesure de la lecture, je l’ai tout de suite détesté ce Lenz, puis j’ai compris, sans l’excuser, au vu de l’éducation reçue la personnalité du petit garçon qui se forge sous les brimades du père, puis je l’ai haï, je souhaitais qu’il lui arrive je ne sais quoi, quelque chose qui le blesse, enfin, quand c’est arrivé, je n’étais plus trop sûre de moi… Soulagée mais remuée quand même… Extraits : P221 : Cependant, il existait deux peurs et non une seule. La première peur arrachait les choses à leur immobilité et la seconde, plus puissante, maintenait les choses en mouvement. Lorsque dix mille personnes d’une ethnie déterminée, sans protection, pour l’essentiel des vieillards, des femmes et des enfants, s’enfuient en apprenant la terrible nouvelle de l’avancée de l’ennemi, ce premier mouvement d’abandon de leur terre natale est impulsé par une première peur. Mais ce qui fait que ces déplacés, après avoir parcouru à pied deux cents kilomètres, avancent encore le plus vite possible, en oubliant déjà les plus faibles et ceux qui commencent à défaillir, c’est la seconde peur, la plus puissante, celle qui maintient en mouvement ce qui l’est déjà depuis longtemps. Cette seconde peur est si forte qu’elle permet de vaincre l’extrême épuisement : la nuit tombe, mais personne n’entend se reposer.P239 : Ils disposaient d’un ensemble de forces non quantifiables. Ils avaient simplifié leurs idées, c’est pourquoi leur morale d’action ne rencontrait pas d’obstacles. D’abord, créer un danger sans origine identifiable ; ensuite, grâce à cela, forcer le mouvement de la population ; enfin, préparer un Etat fort où l’on distinguerait deux types de personnes : celles qui protègent et celles qui sont protégées. Voilà les tâches qu’il leur fallait accomplir, en prenant le monde pour établi. Mais avec moins de tâches que de doigts à la main droite, tout devenait facile. | |
| | | eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal] Mar 23 Nov 2010 - 19:11 | |
| Monsieur Valéry (O Senhor Valéry, 2002) Traduit du portugais en 2003 par Dominique Nédellec. 100 pages. Dessins de Rachel Caiano. La Joie de Lire. Tout comme Monsieur Calvino, il s'agit d'une succession de petits textes avec des dessins. Monsieur Valéry a un rapport très fort avec la logique. Il tente de tout penser rationnellement... ce qui le conduit bien sûr à des absurdités. - Citation :
- "Monsieur Valéry était tout petit, mais il n'arrêtait pas de faire des bonds.
Il expliquait : - Comme ça, je suis aussi grand que les personnes de grande taille, sauf que ça dure moins longtemps." (page 5). Cela ne le satisfait évidemment pas complètement... "Il pensa ensuite à congeler un de ses bonds. Comme s'il était possible de suspendre la force de gravité, juste pendant une heure (il n'en demandait pas plus), pour ses trajets à travers la ville." (page 7). Il rationalise aussi ses sentiments. Ainsi le court texte L'Animal domestique : - Citation :
- "Monsieur Valéry avait un animal domestique, mais personne ne l'avait jamais vu.
Monsieur Valéry laissait l'animal enfermé dans une caisse et ne l'en faisait jamais sortir. Il lui lançait de la nourriture par un trou situé sur la partie supérieure de la caisse et nettoyait ses cochonneries par un trou situé sur la partie inférieur de la caisse. Monsieur Valéry expliquait : - Il vaut mieux éviter les sentiments avec les animaux domestiques, ils meurent facilement et ensuite c'est un vrai déchirement. Et Monsieur Valéry dessina une caisse avec 2 trous : un sur la partie supérieur et un autre sur la partie inférieure
Et il disait : - Qui viendrait à éprouver de l'affection pour une caisse ? Monsieur Valéry, sans aucune espèce d'angoisse, demeurait ainsi très satisfait de l'animal domestique qu'il s'était choisi. " (page 11). Il y a ainsi plein de jolis textes. "Monsieur Valéry avait peur de la pluie. Pendant des années, il s'entraîna à esquiver à toute vitesse les gouttes qui tombaient du ciel. Il devint un spécialiste." (page 23). Dans Un voyage à pied (qui comporte une référence à un texte de Patrick Süskind, Monsieur Sommer), il s'interroge : "Qui me dit que l'endroit où j'arrive après dix heures est le même que celui où j'arrive en vingt minutes ?" (page 43). Chez lui, il n'y a pas de miroir : "Si je me trouvais beau j'aurais peur de perdre ma beauté ; et si je me trouvais laid j'éprouverais de la haine pour les belles choses. Ainsi, je n'éprouve ni peur ni haine." (page 57). Monsieur Valéry semble exercer plusieurs métiers. "Pendant quelques années, Monsieur Valéry gagna sa vie comme vendeur de l'intérieur des choses (page 81). C'est un joli petit livre, plein de logique et d'absurde, l'histoire quelqu'un qui "réfléchissait beaucoup" (page 83) | |
| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal] Ven 26 Nov 2010 - 21:05 | |
| Apprendre à prier à l'ère de la technique vient se rajouter à ma LAL... Merci les Parf' ! | |
| | | Babelle Zen littéraire
Messages : 5065 Inscription le : 14/02/2007 Localisation : FSB
| Sujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal] Jeu 30 Déc 2010 - 19:54 | |
| Et s'ajoute à la mienne aussi. Merci pour cette découverte eXPie. | |
| | | Contenu sponsorisé
| Sujet: Re: Gonçalo M. Tavares [Portugal] | |
| |
| | | | Gonçalo M. Tavares [Portugal] | |
|
Sujets similaires | |
|
| Permission de ce forum: | Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
| |
| |
| |
|