Lecture en commun - John Knittel : Via Mala

Quel dommage Sentinelle.
Mais tu as raison : ne te force pas si tu n'en as pas envie.


C’est donc dans une atmosphère tout à la fois pesante, oppressante et envoutante que survivent Niclaus, Anna, Sylvélie, Mannli et leur mère. Lauretz, le père vit dans la vallée, dans une maisonnette où il a installé sa maitresse et leurs deux enfants. Il ne monte à Yeff que pour surveiller et tyranniser sa famille. « Ca ne pourra durer toujours ainsi » est le leitmotiv qui revient sans cesse sur leurs lèvres. Mais on sent que cette petite phrase est une ritournelle qui a déjà bien vécu et pourrait encore durer longtemps, tant leur terreur est grande. Mais le destin sait parfois se montrer accommodant : La conduite adultère de Jonas Lauretz, son ivrognerie, ses blasphèmes finissent par exaspérer les autorités qui le condamnent à quatre mois de prison. Sa famille goûte alors pour la première fois à la liberté.

Le côté manichéen des personnages ne m'avait pas gêné jusqu'à la remarque de Domreader. Depuis, Sylvélie m'exaspère avec sa gentillesse exagérée. J'aimerai qu'elle ouvre les yeux et pousse un bon coup de gueule contre ce père à la conduite inqualifiable. Elle m'énerve mais ne me choque pas. Ce genre de personne existe réellement et je puis tout à fait accepter sa présence dans ce roman.

Et effectivement, cela n'a pas duré.
Après un nouveau coup particulièrement mauvais, les deux aînés ont décidé de réagir et d'éliminer le problème. Eliminer le "vieux" comme ils l'appellent. Mais tuer est dur et malgré leur détermination, leurs mains tremblent. L'assassinat est sordide et l'agonie du père est terrible : à l'approche de la mort, la peur le rattrape et il cherche en vain du secours.
La première partie du livre s'achève avec la tyrannie paternelle.

La seconde s'ouvre sur la ville de Lanzberg où Sylvélie s'est enfuit après avoir appris la terrible vérité commise en son absence. Elle travaille dans une brasserie et est courtisée par Andi, fils du riche chatelain local. Le jeune homme est atypique et n'a rien du comportement hautain que pourrait lui donner son argent. Au contraire, il n'aime pas l'argent (peut-être justement parce qu'il n'en manque pas). Le ton est bien plus léger, parfois même badin. Il y a enfin un peu de soleil, un peu de douceur, un peu d'amour. Ca permet de souffler.

Je suis toujours pris par l'histoire.

Sylvelie est un peu la fleur qui pousse sur le fumier dans toute cette noiceur. Mais elle peut souffler, oublier un peu cette famille pesante quand elle travaille pour Lauters, le vieil artiste peintre et qu'elle se trouve à son chalet à plein temps. Elle lui sert alors de servante et aussi de modèle, car Sylvelie est belle. Une étrange relation se noue d'ailleurs entre eux deux. Lauters savoure sa délicieuse jeunesse et pour Sylvelie c'est à la fois un ami, un peu un père rêvé et aussi un mentor. Son humanisme lui redonne espoir. Malheureusement, il meurt presque dans ses bras et on se dit que la trêve aura été de courte durée pour Sylvelie.

La bonne surprise c'est qu'il lui lègue son chalet et tous les tableaux qui sont dedans. Sylvelie est maintenant riche, d'autant plus qu'il lui lègue aussi de l'argent liquide...mais elle n'est pas majeure et c'est l'horrible Jonas Lauretz qui met la main dessus. C'est la goutte d'eau qui fait que la situation bascule et que la famille Lauretz décide d'éliminer le vieil ivrogne. Pendant que Sylvelie est à Zurich affairée à essayer de récupérer son argent, tous les membres de la famille le trucident. Il fallait bien que la présence angélique de la cadette ne pèse pas sur eux pour qu'ils se décident à agir. A son retour ils essaient de lui cacher la vérité, mais elle, qui est pure, décèle le mensonge et comprend tout. Malgré tout, nous lecteurs, sommes soulagés par ce meurtre, même si l'on pressent que la culpabilité et la faute vont peser sur tout ce petit monde, et pendant longtemps...

Dans le livre deux, nous sommes à Lanzberg, petite ville suisse que Knittel n'épargne pas dans sa description: les travers de la Suisse et des Suisses y sont décrits sans détour. C'est d'ailleurs quelque chose qui revient plusieurs fois dans le livre. Knittel a la dent plutôt dure pour ses compatriotes.

Sylvelie s'est réfugiée à Lanzberg après le meurtre, elle y est serveuse au buffet de la gare et on a déjà remarqué sa beauté parmi les habitués...

Dans cette seconde partie, beaucoup plus légère que la première, Sylvélie travaille dans une brasserie et est courtisée par Andi, fils du riche châtelain local. Le jeune homme est atypique et n'a rien du comportement hautain que pourrait lui donner son argent. Au contraire, il n'aime pas l'argent (peut-être justement parce qu'il n'en manque pas). Le ton est parfois badin mais jamais naïf. Il y a enfin un peu de soleil, un peu de douceur, un peu d'amour. Ca permet de souffler. Un répit bref car le hasard veut que le dossier judiciaire ouvert à la disparition de Jonas Lauretz atterrisse dans les mains d’Andi. En sa qualité de principal juge d’instruction de Lanzberg, il doit vérifier les dossiers du juge Bonatch qui vient de mourir brusquement.

La troisième partie renoue avec les ténèbres. Andi mène l’enquête afin de découvrir que sa femme et sa famille persistent à lui cacher. Il aime sa femme mais aime aussi la vérité, la justice et croit profondément en les lis de son pays dont il s'estime le garant. Le lecteur se demande sérieusement laquelle de sa passion sera la plus forte et écrasera l'autre. On aimerait que le livre s'achève sur un happy end, mais Knittel est tout à fait capable de sacrifier ses personnages à la fin qu'il aura choisi.
Pour les Lauretz, la peur et les tourments reviennent.

Harelde , je ne l'ai pas trouvée si légère que cela cette deuxième partie, bien sûr les choses ont l'air de s'arranger, mais on sent bien que quelque chose (la justice) est en suspens au dessus de leurs têtes à tous. Et le refus récurrent de Sylvelie d'épouser le riche juge d'instruction en est la preuve. Elle sait bien que la vérité peut et va les rattraper à tout moment, et alors là, qui peut dire ce qu'il adviendra de tous. Celui pour qui elle craint le plus est son futur mari Andi, bien sûr.

Partout dans la 2ème puis dans la 3ème partie, le poids de la faute, de la culpabilité est présent. Le climat s'alourdit au fur et à mesure que le récit avance. Le mensonge gâte tout et il faudra longtemps à tous les protagonistes pour s'en remettre. Surtout au juge.... Voilà un personnage qui évolue et se complexifie, son choix est plus que difficile et pose les limites de la justice. S'il respecte la justice, il sera injuste, et s'il est juste, il enfreindra les lois et tout ce en quoi il croit. Mais cela le fait mûrir et nuancer ses opinions, du coup le monde ne lui apparaît plus aussi simple et lumineux.

J'aime toujours Knittel, c'est bien écrit quoique de façon très classique. Les situations sont suffisament complexes pour que l'on ne s'ennuie pas, même sî parfois les personnages sont un peu trop 'bruts' et quelques scènes à la limite du mélo. Mais l'ensemble est intelligent et on a plaisir à le lire.

Je partage ton avis.
Au lieu de légère, j'aurais dû dire plus légère. Car on sent effectivement cette épée de Damoclès au-dessus de leur tête. Et on se doute bien qu'elle finira par se décrocher.
J'ai fini ma lecture hier soir. J'aime toujours beaucoup ce livre, même s'il perd un peu de sa superbe. Effectivement, les personnages sont un peu trop caricaturaux. Le juge évolue tout au long de la seconde, puis de la troisième partie. C'est moins vrai pour les autres personnages. Certaines situations sont aussi un peu trop téléphonées. Notamment le revirement du juge qui se dit tout à coup "tient, et si je considérais l'affaire sous un autre angle". Et en 2 paragraphes, ses hésitations cèdent la place à des certitudes. Un peu trop rapide à mon goût.

Néanmoins, j'ai aussi apprécié un paragraphe assez visionnaire :

Citation :

Page 466 : Du plus profond des nations et des races, des conflits et des guerres, une nouvelle histoire naissait. Il y avait une surabondance de force, de pensée humaine, d'actions héroïque dans ce mascaret d'humanité nouvelle. Il lui semblait que la main d'un justicier géant voulait regrouper dans un ordre nouveau les masses d'énergies humaines qui étaient éparpillées sur la table de jeu du monde. Peut-être des combats tels que le monde n'en avait pas encore connu se préparait-ils, peut-être des villes et des populations entières étaient-elles condamnées à disparaître.

Je vous rappelle que Via Mala a été écrit en 1934.

Oui, tu as raison, j'ai repéré aussi d'autres passages, sur la politique notamment, qui auraient tout aussi bien pu s'appliquer à ce que nous vivons aujourd'hui en Europe et ailleurs. Je n'ai pas réussi à mettre la main dessus, mais je me souviens avoir fait la même réflexion que toi sur le fait qu'il était visionnaire et plutôt bien informé sur l'état du monde de son époque.
Mais j'ai passé un bon moment avec ce roman tout de même, l'écriture a un peu vieilli, mais pas tant que ça...d'ailleurs il me reste à lire 'Thérèse Etienne', que j'ai trouvé d'occasion il y a peu. C'était une bonne idée de proposer ce livre en lecture commune comme ça il n'est pas resté à attendre sur mes étagères plusieurs années avant que je ne me décide à le lire, et puis il faut bien reconnaître que Knittel sait raconter une bonne histoire.

Je suis très heureux que ce livre t'ait plu !