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Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: José Saramago [Portugal] Dim 6 Juil 2014 - 21:47
Il a fait l'objet d'une adaptation en 2013 : Enemy (sortie française : 24 août 2014), mis en scène par Denis Villeneuve, avec Jake Gyllenhaal, Sarah Gordon, Mélanie Laurent,Isabella Rossellini.
Ce film a remporté un grand nombre de Prix Génie au Canada : meilleur metteur en scène, meilleure actrice pour un second rôle (Sarah Gordon ; ah, l'importance des seconds rôles !)...
... meilleure photo, meilleur montage, meilleure musique originale... et a eu de nombreuses nominations, notamment pour Jake Gyllenhaal (catégorie premier rôle).
La tonalité du film est très différente de celle du livre. Les Saramago sont "bavards" dans le sens où l'écrivain est toujours présent, il tire les ficelles, commente, joue avec le lecteur. Enemy est un film opaque ; toutes les couleurs vives sont bannies : une teinte jaune délavée envahit tout. La bande-son consiste généralement en bruits sourds qui maintiennent la tension. Tout est fait pour que le spectateur sente une oppression.
Nous sommes à Toronto. Voici Jake Gyllenhaal-Tertuliano Máximo Afonso en prof d'histoire :
Pour montrer qu'il est déprimé, sa cravate est desserrée, il a les cheveux un peu plaqués sur le front, on sent qu'il n'est pas bien. Dans le livre, il enseignait à des élèves beaucoup plus jeunes. Mais la différence majeure, on la voit bien sur la photo, ce sont les ordinateurs. Internet facilite les recherches... Et il y a les téléphones portables.
Le film n'est pas très long (1h30). Si on n'a pas lu le livre, les motivations des personnages seront incompréhensibles. D'un autre côté, la lecture préalable du livre fait que l'on n'interprète ces motivations que dans le sens explicité par le livre, et uniquement dans celui-ci (les personnages y sont plus fouillés, plus "réels"). Tout paraît alors poussé, artificiel, et le film carrément incompréhensible.
Voir le film comme une adaptation du livre de Saramago est sans doute une très grosse erreur (que j'ai commise) : il faut bien comprendre qu'Enemy est un film dans la lignée par exemple d'un Mulholland Drive de David Lynch (Isabella Rosselini n'est pas ici pour rien ; on notera qu'elle joue le rôle de la mère, mais pas la même que dans le livre : c'est que, dans le film, elle a un message différent à faire passer) : qu'est-ce qui est réel ? qu'est-ce qui est symbole, ou qui relève du subconscient... ? et du subconscient de qui, en fait ? Et on cherche le petit détail d'une scène qui sera la clef de tout. Certaines scènes semblent maladroites... c'est forcément fait exprès : Denis Villeneuve a du métier et du talent, il sait ce qu'il fait.
Mais quel est le sens du film ? Et que signifie la fin (dont on ne parlera pas ici, mais qui a fait couler beaucoup d'encre numérique) ? Il y a eu de nombreux articles sur le sujet (à ne pas lire avant de voir le film, bien sûr ! On peut citer notamment une interprétation originale et argumentée sur : http://www.slate.com/blogs/browbeat/2014/03/14/enemy_movie_ending_explained_the_meaning_of_the_jake_gyllenhaal_and_denis.html ). On trouvera bien sûr ailleurs beaucoup d'autres interprétations (notamment sur http://www.imdb.com/title/tt2316411/board/nest/230114429 ).
Alors que le livre était souvent ludique (mais il a sans doute des profondeurs qui m'ont échappé), le film est bien différent. Une vision rapide (si l'on peut dire pour un film ; disons, une vision distraite) ne permet pas de comprendre. Peut-être même que toute première vision est incompréhensible.
Denis Villeneuve, dans une interview du Huffingtonpost (voir : http://www.huffingtonpost.com/2013/09/19/denis-villeneuve-prisoners_n_3951351.html ; traduction perso), parle de son film : "C'est un film exigeant pour les spectateurs. J'ai été fasciné par les films qui créent un effet de vertige - qui sont capables d'imprimer des images dans votre subconscient, mais dont le but était que ce soit vous qui trouviez la signification de tout ça. Si vous revoyez Enemy, vous verrez que tout a une réponse et une signification. C'est un film agencé comme un jeu. Il ne donne pas de réponses. Il suscite beaucoup de questions dans votre esprit, mais c'est fait comme un puzzle.[...] Et je suis conscient, pour être honnête avec vous, que certains - ou peut-être, beaucoup de gens - seront frustrés et diront : c'est quoi ce bordel ? ("What the fuck?" )."
Du coup, à la lumière de toutes les explications et interprétations (et on peut y passer des heures), on en vient à se poser la question : est-ce que ces explications sont applicables pour le livre ? Globalement non. Mais certaines, sans doute...
Queenie ...
Messages : 22891 Inscription le : 02/02/2007 Age : 44 Localisation : Un peu plus loin.
Intéressant cette comparaison entre le livre et le film, et ça intrigue !
Harelde Zen littéraire
Messages : 6465 Inscription le : 28/04/2010 Age : 49 Localisation : Yvelines
Sujet: Re: José Saramago [Portugal] Jeu 10 Juil 2014 - 10:23
Le conte de l'île inconnue
Il était une fois un petit royaume dont nous ne connaîtrons jamais le nom. Sa capitale, où trône le roi en son beau palais, est en bord de mer et tournée vers l’orient (le soleil se lève sur l’onde salée – configuration inédite de la part d’un écrivain portugais dont le regard pointe vers le couchant). Le palais est immense et possède comme on s’en doute de nombreuses portes. A chaque porte sa fonction : la porte des requêtes où le roi ne se rend jamais, la porte des offrandes où le monarque se tient en permanence afin de recevoir à bras ouverts les cadeaux qu’on lui présente obséquieusement, la porte des décisions qui sert à l’occasion…
Et c’est justement à la porte des requêtes qu’un homme frappe tout à coup. Il frappe tant qu’il peut, mais personne n’est là pour ouvrir. Quand ses sujets commencent à se plaindre du bruit et du peu d’attention que leur roi leur porte, le souverain envoie le premier conseiller voir ce que veut le requérant. Le premier conseiller transmet l’ordre au second conseiller qui transmet à son tour au troisième. Quand l’ordre est parvenu au bas de l’échelle, la servante qui ne peut déléguer à personne ouvre la porte et demande à l’homme la raison de tout ce foin : « Je veux un bateau » répond-t-il. Et la réponse de faire tout le trajet inverse jusqu’à l’oreille royale.
L’insistance du requérant est telle que, de fort mauvaise humeur, le roi est contraint de se déplacer pour s’entretenir en personne avec celui-ci. On discute le bout de gras et le bateau est finalement accordé : l’homme désire partir à la recherche d’une île encore inconnue. Le monarque a eu beau lui affirmer qu’il n’en existait plus depuis belle lurette, rien n’y fit.
Alors que l’homme satisfait dans sa requête s’éloigne vers le port, la servante qui a passé sa vie à balayer les coursives du château, balaya la rue du regard en se disant qu’elle irait bien se faire engager par le nouvel armateur pour désormais balayer le pont du navire…
Un livre trouvé au gré de mes pérégrinations sur la toile. Pas tout à fait par hasard, mais presque. Un petit livre disponible au rayon littérature adolescente. Je ne savais pas que Saramago avait écrit des livres à destination de la jeunesse. Ma curiosité piquée au vif, je me suis donc jeté dessus « pour voir ».
Et bien j’ai vu ! Et ce, dès la première page. J’ai immédiatement retrouvé la verve de cet extraordinaire écrivain que j’aime tant. Son style efficace habituel, ses dialogues inclus dans la prose, son humour fortement teinté d’ironie et d’irrévérence. Un texte savoureux, absolument délicieux et au vocabulaire aussi précis que riche. Puissent nos chères têtes blondes ne lire que des livres d’une telle qualité.
Evidemment, c’est un livre pour enfants. Le dernier tiers et la conclusion sont un plus naïve que dans les livres « plus sérieux » de l’auteur. Plus simple, mais aucunement simpliste. La poésie du texte est des plus agréables. Quant à la métaphore de l’île inconnue, elle risque de ne pas être comprise des plus jeunes. Très belle lecture avalée en 30 ou 45 minutes.
Citation :
« Et pourquoi veux-tu donc un bateau, peut-on le savoir, tel fut en effet ce que le roi lui demanda quand il se considéra suffisamment bien installé sur la chaise de la servante, Pour me lancer à la recherche de l'île inconnue, répondit l'homme, Quelle île inconnue, demanda le roi en déguisant son rire, comme s'il avait devant lui un fou délirant, un de ces fous qui ont la marotte de la navigation et qu'il ne faut surtout pas contrarier dès l'abord, L'île inconnue, répéta l'homme, Sottise, il n'y a plus d'îles inconnues, Elles sont toutes sur les cartes, Et quelle est donc cette île inconnue que tu cherches, Si je pouvais te le dire, elle ne serait plus inconnue, Qui t'en a parlé, demanda le roi, à présent plus sérieux, Personne, Dans ce cas, pourquoi t'obstines-tu à dire qu'elle existe, Simplement parce qu'il est impossible que n'existe pas une île inconnue... »
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: José Saramago [Portugal] Jeu 10 Juil 2014 - 10:51
Voilà de quoi compléter ma collection de romans illustrés
Queenie ...
Messages : 22891 Inscription le : 02/02/2007 Age : 44 Localisation : Un peu plus loin.
Sujet: Re: José Saramago [Portugal] Jeu 10 Juil 2014 - 20:34
Intéressant ! Merci Harelde !
eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: José Saramago [Portugal] Mer 10 Sep 2014 - 23:38
- Les Poèmes possibles (Os Poemas Possíveis, 1966). Traduit du portugais par Nicole Saganos en 1998. Editions Jacques Brémond. 185 pages. Les poèmes sont présentés en portugais et en français, ce qui est une bonne chose en matière de poésie. Même si on ne connaît pas le portugais (et c'est mon cas), cela permet de se faire une vague idée du texte d'origine (rimes ? vers de tailles très différentes ?).
Le recueil est composé de plusieurs parties : Jusqu'à la racine (Até ao sabugo), Poème à bouche fermée (Poema a boca fechada), Mythologie (Mitologia), L'amour des autres (O amor dos outros), Dans ce coin du temps (Nesta esquina do tempo)
De nombreux poèmes parlent du poète et de son oeuvre. Par exemple, "Procédé" (Processo), page 13 :
Les mots les plus simples, les plus communs, Ceux à rapporter à la maison et à s'échanger, En langue d'un autre monde se convertissent : Il suffit que les yeux du poète, de soleil Rasant, les illuminent.
As palavras mais simples, mais comuns, As de trazer por casa e dar de troco, Em língua doutro mundo se convertem: Basta que, de sol, os olhos do poeta, Rasando, as iluminem.
Ou encore l'amusant "Recette" (Receita), page 109 :
Prendre un poète pas fatigué, Un nuage de rêve et une fleur, Trois gouttes de tristesse, un ton doré, Une veine saignant de frayeur. Quand le mélange bout et se tord Y jeter la lumière d'un corps de femme, Renforcer avec une pincée de mort, Car un amour de poète en réclame.
Tome-se um poeta não cansado, Uma nuvem de sonho e uma flor, Três gotas de tristeza, um tom dourado, Uma veia sangrando de pavor. Quando a massa já ferve e se retorce Deita-se a luz dum corpo de mulher, Duma pitada de morte se reforce, Que um amor de poeta assim requer.
Qui dit poète dit souvent "femme" pas bien loin... Cela se vérifiera souvent. Par exemple, "Plage" (Praia), page 141.
Circulaire, le poème t'entoure : En boucles serrées il vient encercler Ton corps allongé sur le sable.
Comme une autre abeille à la recherche d'autre miel, Abandonnant les arômes du jardin, Le poème se met à frôler ta peau.
Circular, o poema te rodeia: Em voltas apertadas vem cercando O teu corpo deitado sobre a areia.
Como outra abelha em busca de outro mel, Os aromas do jardim abandonado, Vai rasando o poema da tua pele.
Autre thème qui revient souvent : le temps qui passe. Ainsi, "Semelles" (Meias-solas), page 35 :
Je sais bien que les semelles que j'ai mises Aux bottes ajustées ne résistent pas A la chaussée du temps que je parcours.
Peut-être qu'arrêté, les bottes me dureraient, Mais tranquille qui peut l'être, même voyant Que c'est de ce cheminement que je me meurs.
Bem sei que as meias-solas que deitei Nas botas aprazadas não resistem À calçada do tempo que discorro.
Talvez parado as botas me durassem, Mas quieto quem pode, mesmo vendo Que é desta caminhada que me morro.
Dernière édition par eXPie le Mer 10 Sep 2014 - 23:54, édité 3 fois
eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: José Saramago [Portugal] Mer 10 Sep 2014 - 23:39
Il y a aussi des interrogations sur le sens de la vie... "Un bourdonnement seulement" (Um zumido, apenas), page 37 :
Tombe une mouche dans la toile. Les fines pattes De l'araignée rassemblée se détendent, Et dans les palpes gourmands, entre les fils, Le bourdonnement s'enroue, et s'arrête, net.
Ce qui a vécu, est mort. Abandonné Au balancement du vent, le corps sec Bat le compte du temps qui m'enroule Dans un cocon d'étoiles étouffé.
Cai a mosca na teia. As finas patas Da aranha recolhida se distendem, E nos palpos gulosos, entre os fios, O zumbido enrouquece, e pára, cerce.
O que viveu, morreu. Abandonado Ao balouço do vento, o corpo seco Bate a conta do tempo que me rola Num casulo de estrelas sufocado.
La comparaison entre le minuscule et le cosmique, on la retrouve également dans "« De moi à l'étoile...»" (« De mim à estrela »), page 57 :
De moi à l'étoile un pas me sépare : Eclats de la même lumière que dispersa Dans l'accidentelle explosion de la naissance, Entre la nuit qui fut et doit être, La gloire solaire de la pensée.
De mim à estrela um passo me separa: Lumes da mesma luz que dispersou Na casual explosão do nascimento, Entre a noite que foi e há-de ser, A glória solar do pensamento.
Il y a également des poèmes liés à la religion (dans la partie "Mythologie" principalement : on trouve Aphrodite, Zeus, mais aussi Judas - "Sans Judas, Jésus ne serait pas Dieu", page 83).
On trouve aussi des poèmes à résonance plus politique, comme "Mains propres" (Mãos limpas), dans lequel on sent une parenté avec Tavares, page 67 :
Du geste de tuer à deux mains L'art de pétrir n'est pas différent (Que le progrès a du bon, quel repos : Le bouton de droite donne le pain, Avec le bouton de gauche, facilement, Je lance, sans regarder, la fusée Et j'atteins l'ennemi).
Do gesto de matar a ambas mãos O jeito de amassar não é diferente (Que bom este progresso, que descanso: O botão da direita dá o pão, Com o botão da esquerda, facilmente, Disparo, sem olhar, o foguetão, E o inimigo alcanço).
Et puis, parfois - souvent, en fait - , c'est très cérébral. Exemple avec "Espace courbe et fini" (Espaço curvo et finito), page 117 :
Conscience de ne pas être, Ou d'être dans un être qui me transcende, Dans un filet de présences et d'absences, Dans une fuite vers le point de départ : Un près qui est si loin, un loin ici. Une angoisse d'être et de craindre La semence qui se surprend d'être, Les pierres qui répètent les cadences De la vague toujours nouvelle et répétée Qui dans cet espace courbe vient de toi.
Oculta consciência de não ser, Ou de ser num estar que me transcende, Numa rede de presenças e ausências, Numa fuga para o ponto de partida: Um perto que é tão longe, um longe aqui. Uma ânsia de estar e de temer A semente que de ser se surpreende, As pedras que repetem as cadências Da onda sempre nova e repetida Que neste espaço curvo vem de ti.
Les Poèmes possibles est un recueil de quelque 150 poèmes qui brassent la plupart des grands thèmes de la poésie. Il vaut mieux ne pas le lire d'une traite.
topocl Abeille bibliophile
Messages : 11706 Inscription le : 12/02/2011
Sujet: Re: José Saramago [Portugal] Jeu 23 Oct 2014 - 16:31
Caïn
Citation :
Amen. D'aucuns penseront que le malicieux caïn abuse de la situation, jouant au chat et à la souris avec ses innocents compagnons de navigation, lesquels, comme le lecteur l'a déjà soupçonné, il s'était mis à éliminer l'un après l'autre. Celui qui aura cru cela se sera trompé. Caïn se débat avec sa colère contre le seigneur comme s'il était prisonnier des tentacules d'une pieuvre, et ses victimes d'à présent, comme abel dans le passé, ne sont que de nouvelles tentatives de tuer dieu. (...) Et dieu, que dira dieu, demanda Noé, Pars tranquille, je me charge de dieu.
Saramago parle ici de caïn, son caïn réinventé, mais le lecteur ébloui ne se laisse pas abuser, caïn n'est que le complice qui permet à l'auteur, à travers les mots, « jouant au chat et à la souris », de « se débat[tre] avec sa [propre] colère contre le seigneur ».
Citation :
Ce garçon irait loin. C'eût peut-être été le cas si le seigneur n'avait pas croisé son chemin. Toutefois, il allait déjà assez loin, mais pas dans le sens prophétisé par son père.
L'auteur s'amuse, affabule sur la trame de l'histoire de caïn, chassé par dieu après le meurtre premier, condamné à l'errance, marqué à vie. Il déambule donc de lieu en lieu, lui, l’agriculteur dans l'âme, mais surtout d'un temps à l'autre , et connaît ainsi un certain nombre des épisodes bibliques marquants (jéricho, sodome et gomorrhe, le sacrifice d'isaac, le veau d'or, le déluge...). Et caïn, qui n'est pas l'obéissant aveugle attendu de Dieu, voit tout cela de son œil d'homme meurtri, ramène les grands questionnements au terre à terre, n'hésite pas devant les anachronismes, réfléchit, s'interroge, s'offusque. Juge dieu, sacrilège suprême, lequel lui apparaît vengeur, égoïste, jaloux, imbu de lui-même et tyrannique, disposant des hommes qu'il malmène dans un monde implacable. Où est l'amour? Certes, il n'apporte pas de contre-proposition, mais comme il semble suggérer que n'importe quelle solution serait meilleure, est-ce bien important ?
Citation :
L'histoire des hommes est l'histoire de leur mésentente avec dieu, il ne nous comprend pas et nous ne le comprenons pas.
Irrévérence première, saramago supprime les majuscules nominales, ce que j'ai respecté dans mon commentaire. Dieu pas plus que les hommes n'y ont droit. Il supprime aussi les dialogues , lesquels s'enchaînent sans guillemets, sans tirets, sans retours à la ligne, conservant la fluidité du récit, comme pour entériner des évidences.
Tout cela peut sembler fort sombre ? Ca l'est : la religion, des hommes pris dans des carcans de pensée, souffrant et faisant souffrir pour cela, un monde sans pitié… Mais au-delà se de cette réflexion, ce livre est à se tordre de rire. À chaque page saramago a un regard facétieux, joueur qui rend son propos jouissif et percutant.
Alors saramago, prix nobel de l' humour - d'un humour constructif parce qu'il interroge, et démoniaquement intelligent ?
Citation :
Comme tout, les mots ont leurs quoi, leurs comment et leurs pourquoi. Certains, solennels, nous interpellent d'un air pompeux, se rengorgeant comme s'ils étaient destinés à de grandes choses, et ne voilà-t-il pas qu'il n'étaient qu'une brise légère, incapable de déplacer une aile de moulin, d'autres, communs, habituels, des mots de tous les jours finissent par avoir des conséquences que personne ne se serait hasardé à prévoir, ils n'étaient pas nés pour cela et pourtant ils ébranlèrent le monde.
églantine Zen littéraire
Messages : 6498 Inscription le : 15/01/2013 Age : 59 Localisation : Peu importe
Sujet: Re: José Saramago [Portugal] Jeu 23 Oct 2014 - 18:22
topocl a écrit:
Mais au-delà se de cette réflexion, ce livre est à se tordre de rire. À chaque page saramago a un regard facétieux, joueur qui rend son propos jouissif et percutant.
Alors saramago, prix nobel de l' humour - d'un humour constructif parce qu'il interroge, et démoniaquement intelligent ? .
Je n'ai lu que L'aveuglement voilà bien longtemps , une lecture atrocement marquante d'ailleurs pour ce roman brillant : j'ai du mal à l'imaginer dans un registre humoristique donc me voilà bien curieuse , je vais voir si je le trouve à la BDP ! Merci !
topocl Abeille bibliophile
Messages : 11706 Inscription le : 12/02/2011
Sujet: Re: José Saramago [Portugal] Jeu 23 Oct 2014 - 18:38
De mon côté, je vais voir su côté de L'évangile selon Jésus Christ, qu'il avait écrit trente ans plus tôt.
Harelde Zen littéraire
Messages : 6465 Inscription le : 28/04/2010 Age : 49 Localisation : Yvelines
Sujet: Re: José Saramago [Portugal] Mer 29 Oct 2014 - 9:00
églantine a écrit:
Je n'ai lu que L'aveuglement voilà bien longtemps , une lecture atrocement marquante d'ailleurs pour ce roman brillant : j'ai du mal à l'imaginer dans un registre humoristique donc me voilà bien curieuse , je vais voir si je le trouve à la BDP ! Merci !
L'aveuglement est effectivement un livre très dur, très marquant. Mais d'autres livres sont bien plus légers. Et Caïn est très drôle comme le dit topocl. Il y a aussi Les intermittences de la mort ou le Voyage de l'éléphant qui sont très savoureux. Saramago est bourré d'humour, d'irrévérence. Ces livres sont délectables !
topocl Abeille bibliophile
Messages : 11706 Inscription le : 12/02/2011
Sujet: Re: José Saramago [Portugal] Mer 11 Fév 2015 - 16:59
Les intermittences de la mort
Entre conte philosophique et sketch humoristique, voici un récit qui met en scène la mort, celle qui est connue comme implacable , et que Saramago transforme peu à peu en une figure humaine.
On se laisse le plus souvent emporter, malgré quelques longueurs, par cette histoire facétieuse, pleine de digressions savoureuses, où Saramago, conteur fécond, se joue des mots, des situations et du lecteur.
Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
Sujet: Re: José Saramago [Portugal] Mer 11 Fév 2015 - 17:45
Il faudra donc que je fasse sa connaissance, par lequel est-il préférable de commencer ?
eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: José Saramago [Portugal] Mer 11 Fév 2015 - 22:21
Bédoulène a écrit:
Il faudra donc que je fasse sa connaissance, par lequel est-il préférable de commencer ?
Pour moi (parmi les livres que j'ai lus, bien sûr), c'est l'Aveuglement. Il permet d'entrer dans le style particulier de Saramago, avec en plus une histoire très forte, très impressionnante. Le Dieu Manchot est énorme, aussi, c'est foisonnant (donc peut-être plus difficile d'entrée ?).
D'autres donneront d'autres titres (Caïn, le Voyage de l'Eléphant) que je n'ai pas encore lus, mais que je lirai un jour. Je me permets de me fier à Saramago qui avait dit (je ne retrouve plus la date exacte, mais c'était avant la parution de Caïn et Le Voyage de l'Eléphant) qu'il avait déjà écrit toutes les oeuvres marquantes de son oeuvre. Ce qui ne veut pas dire que ce soit de mauvais livres, bien sûr.
En tout cas, à propos du fameux style de Saramago, il suffit de lire comme si Saramago nous racontait une histoire, et ça coule naturellement. Mais on peut aussi ne pas s'y faire.
topocl Abeille bibliophile
Messages : 11706 Inscription le : 12/02/2011
Sujet: Re: José Saramago [Portugal] Jeu 12 Fév 2015 - 8:29
A propos de ce style, c'est pour ça que je parlais de conteur, on a vraiment l'impression de l’entendre raconter et on se dit qu'à une prochaine lecture il pourrait rajouter une digression différente.
Ne pas mettre de majuscules aux noms propres, ça a un sens, ou juste un truc rigolo qu'il a trouvé?