Denis Villeneuve

Mon avis sera proche de ceux de traversay et Marko...les enjeux dramatiques sont souvent bouleversants, dans leur relecture de la tragédie et du mythe. Mouawad ne craint pas l'excès et la démesure, interroge la souffrance avec obstination (j'essaierai de lire ses pièces prochainement).
Si la mise en scène semble parfois hésiter dans ses choix (parfois sursignifiante ou absente, en décalage avec ce qui est montré), Denis Villeneuve tient malgré tout son pari de l'adaptation. Notamment grâce à l'interprétation de Lubna Azabal : murée dans le silence, dans une expression qui naît par le conflit, elle dévoile une opacité et une violence qui transcendent le récit. Les acteurs interprétant les jumeaux s'en sortent aussi très bien, et on peut saluer la manière dont les intrigues et les époques se greffent. Villeneuve maintient une cohérence émotionnelle, ce qui lui permet d'aboutir au crescendo final.
J'ai aussi été très ému par ce respect du silence, cette froideur à la fois sereine et révoltée qui se dégage du propos, jusqu'à la perception d'un apaisement. De ce point de vue, le film est à la hauteur de son ambition, en révélant au-delà de l'intime un sentiment qui touche une portée bien plus large.

Avadoro a écrit:

J'ai aussi été très ému par ce respect du silence, cette froideur à la fois sereine et révoltée qui se dégage du propos, jusqu'à la perception d'un apaisement. De ce point de vue, le film est à la hauteur de son ambition, en révélant au-delà de l'intime un sentiment qui touche une portée bien plus large.

C'est très vrai. Et d'ailleurs j'ai lu une interview du réalisateur qui expliquait qu'il avait été obligé de "massacrer" le texte de Mouawad en l'adaptant. Il ne pouvait pas le reprendre tel quel forcément. Il voulait faire du cinéma et non du théâtre. Il aurait même voulu un film entièrement non verbal n'ayant recours qu'à la puissance des images. ça n'était pas possible mais il a effectivement introduit des respirations et du silence. Dommage qu'il y ait quand même encore des maladresses. Il fera mieux! En tout cas il m'a secoué.

J'ai profité de mon premier jour de vacances pour aller voir Incendies avant qu'il ne passe plus dans les salles.

Ce film est magnifique, et je me suis vraiment reprochée de ne pas avoir été voir les spectacles de Wajdi Mouawad qui se sont joués juste à côté de chez moi pendant des plusieurs années. En effet cette pièce devait être incroyable, je comprends maintenant l'enthousiasme des spectatuers de cet homme !

En tous les cas le scénario / l'histoire du film est d'une dimension impressionante et je trouve que Villeneuve s'en tire vraiment bien pour gérer les différents moments de l'histoire et surtout pour éviter un pathos qui m'aurait fait fuir ou encore des scènes de violence qui m'auraient aussi fait quitter de la salle. Je me suis demandée si la victime allait se retrouver en face de son bourreau, mais non, c'est bien plus fort que ça ! Seul bémol pour moi, des longueurs parfois, et surtout cette musique peu en phase - non par ces thèmes - mais par la force avec laquelle elle nous est assenée et s'impose à nous et à l'image. En plus je ne suis vraiment pas fan de Radiohead alors...

Plutôt que ces longueurs, j'aurais aimé aussi voir cette femme et ses enfants, ses rapports avec eux - les réflexions hostiles du fils en début de film m'ont donné envie d'en savoir plus, surtout quand il dit agacé, qu'elle n'a jamais pu rien faire de normal dans sa vie et que maintenant ils en sont libérés... ?? Là je suis un peu restée sur ma faim, mais je ne me suis pas sentie laissée à distance par la mise en scène comme Queenie. C'est en fait un film psychologiquement violent mais extrêmement pudique.

C'est donc Amnesiac qui scande la bande son. Je ne connaissais pas Radiohead.
Je me demande si c'est la musique qui donne parfois cette impression d'un défilement trop rapide (au point, comme dit Queenie plus haut, qu'à peine le temps de digérer une étape on passe à la suivante) ou bien si c'est l'organisation du film qui mérite ça. Musicalement ça tonne donc trop mais ça décline aussi pour laisser la place à de beaux tableaux. Et il y a aussi des silences qui explosent.
Les pièces du puzzle affichant une perpétuelle violence dans ce pays retraversé en flashback, on risquerait de se sentir un peu las, (détaché en effet), au point que l'émotion déjà à son comble n'aboutisse pas au choc. Mais le choc est là (en ce qui me concerne avec quelques secondes de retard) et il est très très physique. Dès lors un éclairage a lieu qui fait revivre l'exergue autrement, le cerveau mouline remettant les images antérieures à leur place.
Comme Domreader il me manque aussi un éclairage sur l'enfance et l'adolescence des deux enfants.

domreader a écrit:

J'ai profité de mon premier jour de vacances pour aller voir Incendies avant qu'il ne passe plus dans les salles.

Ce film est magnifique, et je me suis vraiment reprochée de ne pas avoir été voir les spectacles de Wajdi Mouawad qui se sont joués juste à côté de chez moi pendant des plusieurs années. En effet cette pièce devait être incroyable, je comprends maintenant l'enthousiasme des spectatuers de cet homme !

En tous les cas le scénario / l'histoire du film est d'une dimension impressionante et je trouve que Villeneuve s'en tire vraiment bien pour gérer les différents moments de l'histoire et surtout pour éviter un pathos qui m'aurait fait fuir ou encore des scènes de violence qui m'auraient aussi fait quitter de la salle. Je me suis demandée si la victime allait se retrouver en face de son bourreau, mais non, c'est bien plus fort que ça ! Seul bémol pour moi, des longueurs parfois, et surtout cette musique peu en phase - non par ces thèmes - mais par la force avec laquelle elle nous est assenée et s'impose à nous et à l'image. En plus je ne suis vraiment pas fan de Radiohead alors...

Plutôt que ces longueurs, j'aurais aimé aussi voir cette femme et ses enfants, ses rapports avec eux - les réflexions hostiles du fils en début de film m'ont donné envie d'en savoir plus, surtout quand il dit agacé, qu'elle n'a jamais pu rien faire de normal dans sa vie et que maintenant ils en sont libérés... ?? Là je suis un peu restée sur ma faim, mais je ne me suis pas sentie laissée à distance par la mise en scène comme Queenie. C'est en fait un film psychologiquement violent mais extrêmement pudique.

Je n'ai pas encore vu " incendies" , mais c'est certain que je le verrai un jour.

domreader a écrit:

cette pièce devait être incroyable, je comprends maintenant l'enthousiasme des spectatuers de cet homme !

Je vais me procurer la pièce (chez qui est-elle éditée?). ça me semble incontournable de savoir au moins qui est Wajdi Mouawad après cette avoir vu cette adaptation.

Polytechnique (2009)

Citation :

Basé sur les témoignages des survivants du drame survenu à l'Ecole polytechnique de Montréal, le 6 décembre 1989, le film raconte l'évènement à travers les yeux de Valérie et Jean-François, deux étudiants qui ont vu leur vie basculer lorsqu'un jeune homme s'est introduit dans l'école avec une idée en tête: emmener avec lui dans la mort le plus de femmes possible.

La tuerie de l'Ecole polytechnique a fait 14 morts, principalement des femmes, et autant de blessés. Tourné en noir en blanc, le film de Denis Villeneuve est froid et quasi documentaire collant parfaitement à la tragédie. D'où l'impression parfois de voyeurisme malsain. Pour autant, Polytechnique est avant tout un hommage aux victimes, dans sa mise en scène sobre et clinique et à travers deux personnages survivants qui sortiront de ce cauchemar, ou pas. On est évidemment loin d'Elephant de van Sant, Villeneuve ayant avant tout cherché le réalisme, ambition largement atteinte ne serait-ce que par la difficile épreuve qu'il représente.



L'année suivante, le réalisateur tournait Incendies. On attend son prochain film An Enemy (à Cannes ?) adapté de José Saramago.

Prisoners de Denis Villeneuve



Synopsis

Dans la banlieue de Boston, deux fillettes de 6 ans, Anna et Joy, ont disparu. Le détective Loki privilégie la thèse du kidnapping suite au témoignage de Keller, le père d’Anna. Le suspect numéro 1 est rapidement arrêté mais est relâché quelques jours plus tard faute de preuve, entrainant la fureur de Keller. Aveuglé par sa douleur, le père dévasté se lance alors dans une course contre la montre pour retrouver les enfants disparus. De son côté, Loki essaie de trouver des indices pour arrêter le coupable avant que Keller ne commette l’irréparable… Les jours passent et les chances de retrouver les fillettes s’amenuisent…


Un thriller psychologique efficace qui prend son temps et qui illustre à merveille l'enfermement dans toutes ces facettes.

Un père (Hugh Jackman) survivaliste qui n'arrive pas malgré tous ses efforts à protéger sa famille des dangers extérieurs (= père et époux défaillant) et qui devient bourreau pour la bonne cause, un flic (Jake Gyllenhaal) qui a jusqu'ici résolu toutes ses enquêtes et qui est totalement absorbé par cette affaire au point qu'il commet quelques grosses bourdes (= flic défaillant), une mère de famille enfermée dans sa dépression (= mère défaillante), un jeune homme enfermé dans sa névrose et obsédé par une expérience infantile traumatisante (= enfance défaillante), une tante enfermée dans ses croyances religieuses, un jeune attardé (Paul Dano) enfermé dans son silence sans oublier l'enfermement de deux petites filles qui n'est malheureusement pas sans rappeler un affreux fait divers en Belgique. Vous l'aurez compris, il est beaucoup question de doutes, de suspicions, de défaillances et de manquements. Sans oublier le chapitre sur la vengeance, la violence et le vigilantisme.

Côté acteur, Hugh Jackman n'est pas toujours parvenu à me faire oublier Wolverine et je m'attendais parfois à une sortie de griffes mémorable quand il lançait ses mauvais regards.


Mention spéciale par contre pour l'acteur Jake Gyllenhaal qui est absolument excellent dans ce rôle de flic tout en tension avec une face sombre qu'on ne peut que deviner tant on ne connaitra pas grand chose de son passé.


Paul Dano est impressionnant aussi dans ce rôle de jeune attardé qui semble en savoir bien plus qu'il ne veut en dire.


Passage américain pour le canadien Denis Villeneuve réussi (il sait filmer cet homme-là) même si je n'ai toujours pas bien compris la motivation des (du ? de la ?) kidnappeur(s).

Encourageant !

(ouais bon avec Christian Bale à l'affiche, je suis convaincue d'avance)

Hier, à un JT, j'en ai vu quelques images en VF qui en donnaient un aperçu désastreux, un enchaînement de scènes où Hugh Jackman avançait d'un pas déterminé en brandissant un flingue, dans le genre film d'action caricatural "Il revient et il est pas content, il va tout faire péteeeeer!" Et elles ne cadraient pas avec le descriptif de l'intrigue, qui laissait attendre plus de subtilité  . Certaines bandes-annonces racoleuses peuvent vraiment nuire au film et ton commentaire m'incite à y regarder de plus près...

Commentaire qui donne envie !

Je n'ai pas vu la bande-annonce mais ce que tu en dis Nezumi me semble assez désastreux, en effet. Car ce ne sont pas les scènes d'actions qui priment, loin de là. Ils ont fait finalement un condensé des scènes que j'aime le moins mais qui heureusement sont très peu présentes sur les deux heures et demi du film. Au contraire, on pourrait plutôt lui reprocher quelques longueurs et quelques lenteurs mais elles ne m'ont pas gênées car elles permettent de s'installer dans une ambiance tendue et angoissante par moment. Avec quelques fulgurances mais le réalisateur passe vite à autre chose, aux enjeux plus psychologiques je dirai. Ce n'est pas un film de castagne mais de personnages, de tensions psychologiques qui posent question sur la violence. Est-elle justifiable lorsque la cause semble bonne ? Des questions existentielles très américaines (l'auto-justice et le survivalisme aussi en filigrane) bien menées à mon sens avec toutes les erreurs et les conséquences qu'elles peuvent engendrer. On ne peut s'empêcher de penser " et nous, serions-nous capables de tant de violence pour protéger sa famille ? Serions-nous aveuglés à ce point par notre propre violence ? Deviendrions-nous bourreaux avec une telle facilité lorsque nous avons le sentiment que la fin justifie les moyens ? ". L'image du père et du flic aussi sont remis en question, dans leur faiblesse, leur manquement, leur angoisse de ne pas pouvoir être à la hauteur. Chacun est empêtré dans ses névroses et angoisses, enfermé dans son monde. Un titre très révélateur.

Ca a l'air prometteur en effet, je vais probablement aller le voir...

sentinelle a écrit:

Prisoners de Denis Villeneuve



Synopsis

Dans la banlieue de Boston, deux fillettes de 6 ans, Anna et Joy, ont disparu. Le détective Loki privilégie la thèse du kidnapping suite au témoignage de Keller, le père d’Anna. Le suspect numéro 1 est rapidement arrêté mais est relâché quelques jours plus tard faute de preuve, entrainant la fureur de Keller. Aveuglé par sa douleur, le père dévasté se lance alors dans une course contre la montre pour retrouver les enfants disparus. De son côté, Loki essaie de trouver des indices pour arrêter le coupable avant que Keller ne commette l’irréparable… Les jours passent et les chances de retrouver les fillettes s’amenuisent…


Un thriller psychologique efficace qui prend son temps et qui illustre à merveille l'enfermement dans toutes ces facettes.

Un père (Hugh Jackman) survivaliste qui n'arrive pas malgré tous ses efforts à protéger sa famille des dangers extérieurs (= père et époux défaillant) et qui devient bourreau pour la bonne cause, un flic (Jake Gyllenhaal) qui a jusqu'ici résolu toutes ses enquêtes et qui est totalement absorbé par cette affaire au point qu'il commet quelques grosses bourdes (= flic défaillant), une mère de famille enfermée dans sa dépression (= mère défaillante), un jeune homme enfermé dans sa névrose et obsédé par une expérience infantile traumatisante (= enfance défaillante), une tante enfermée dans ses croyances religieuses, un jeune attardé (Paul Dano) enfermé dans son silence sans oublier l'enfermement de deux petites filles qui n'est malheureusement pas sans rappeler un affreux fait divers en Belgique. Vous l'aurez compris, il est beaucoup question de doutes, de suspicions, de défaillances et de manquements. Sans oublier le chapitre sur la vengeance, la violence et le vigilantisme.

Côté acteurs, Hugh Jackman n'est pas toujours parvenu à me faire oublier Wolverine et je m'attendais parfois à une sortie de griffes mémorable quand il lançait ses mauvais regards.
Mention spéciale par contre pour l'acteur Jake Gyllenhaal qui est absolument excellent dans ce rôle de flic tout en tension avec une face sombre qu'on ne peut que deviner tant on ne connaitra pas grand chose de son passé.
Paul Dano est impressionnant aussi dans ce rôle de jeune attardé qui semble en savoir bien plus qu'il ne veut en dire.

Passage américain pour le canadien Denis Villeneuve réussi (il sait filmer cet homme-là) même si je n'ai toujours pas bien compris la motivation des (du ? de la ?) kidnappeur(s).

Pendant dix ans, Denis Villeneuve a été un "produit" essentiellement local, le québecois se faisant connaître, petit à petit, dans les festivals. Avec Incendies, il a pour la première fois embrasé la planète. Il était obligatoire qu'un jour ou l'autre il réalise un film 100% américain avec des stars sur son porte-bagage. Beaucoup se sont brûlé les ailes, et l'âme, à changer ainsi de dimension. Pour Villeneuve, on avait relativement confiance tellement le cinéaste semblait capable d'exporter sinon son univers, du moins son savoir faire. Au vu de Prisoners, le bilan est mitigé. C'est à un film de genre, contraignant, soit le thriller d'angoisse, auquel il s'est colleté. Mais on ne se débarrasse pas aussi facilement des codes en vigueur. Le scénario est bien alambiqué (tiré par les cheveux ?) et semble lorgner vers des sommets inaccessibles (Seven). Péché de gourmandise. Ce n'est pas seulement une affaire de compréhension, c'est aussi une question de rythme et le film cale parfois sur sa durée de 150 minutes. Egalement au débit de Prisoners, une musique agaçante et redondante qui vient souligner les moments de tension. Quant au "coup de sifflet final", oh quelle coïncidence heureuse, il est totalement grotesque.

Heureusement, le film a des atouts à faire valoir. C'est avant tout une oeuvre de crise, de stress ultime qui pousse ses personnages dans leurs retranchements avec des comportements plus ou moins limite. Elle est peuplée de questionnements et non de jugements moraux, on appréciera la nuance. On a déjà plus ou moins vu ça au cinéma (Remember Mel Gibson) mais jamais avec une telle intensité et profondeur. La mise en scène de Villeneuve est glaciale quand il le faut (il a prouvé sa maîtrise dans Polytechnique) évitant ainsi une empathie vis à vis de certains caractères, ce qui aurait été une solution de facilité et de démagogie. L'interprétation globale reste à un bon niveau sans tutoyer non plus les cimes. Et oui, Paul Dano, méconnaissable, mérite largement une mention très bien. Prisoners, en fin de compte, est relativement hybride renouvelant le principe du verre à moitié plein ou a moitié vide. On prendra plutôt la première option parce que le film reste bien en mémoire et qu'on ne peut s'empêcher d'avoir foi dans le cinéaste.

Denis Villeneuve est plutôt accompli comme cinéaste. Dans la mesure où il n'a pas trop raté son entrée en matière dans le circuit états-unien, j'imagine que l'expérience se répètera. Ses premiers films valent aussi le détour (Maëlstrom, Un 32 août sur terre, ...). Cosmos est un film à sketches et il a collaboré avec André Turpin qui a déjà réalisé le film Un crabe dans la tête. Or, dans Cosmos, nous pouvons voir une petite incursion dans le thème de la surdité. André Turpin s'est surtout consacré à sa vocation de directeur photo, mais il a aussi réalisé... son frère est sourd, et c'est pourquoi la thématique revient plus fréquemment dans son oeuvre.