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Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: Denis Villeneuve Ven 13 Juin 2014 - 7:14
Denis Villeneuve a réalisé Enemy, qui sort en France en août. C'est l'adaptation de L'Autre comme moi, de Saramago (fil ici), avec Jake Gyllenhaal, Mélanie Laurent et Isabelle Rosselini notamment.
Et, parmi ses films en préparation, il y a une adaptation de L'Histoire de ta vie de Ted Chiang (fil ici), avec Amy Adams.
Il a bon goût, cet homme-là.
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Je viens de voir Enemy en avant-première et j'ai beaucoup aimé l'atmosphère du film qui est particulièrement anxiogène et bien plus lynchienne pour le coup que le récent "The Double". Ce dernier était adapté de Dostoïevski et Enemy reprend une autre histoire de double qui est celle de Saramago comme le précisait Expie au-dessus.
L'argument est simple: un prof d'histoire de faculté découvre dans un film en vidéo son propre sosie qu'il va finir par rencontrer. Les choses vont alors se compliquer.
C'est le type même de film qui va laisser sur le carreau ou donner droit à des pages entières d'échanges sur les blogs où chacun ira de son interprétation pour tenter de décrypter ce que cette histoire nous raconte... Je vous laisse donc le découvrir sans trop en dire même si j'ai quelques idées sur la question. Il y a quelque chose de Lost Highway qui y circule. On pourra avoir aussi une lecture plus théorique, psychanalytique ou philosophique. Il y a en tout cas chez cet homme une sorte d'angoisse de paternité et de dévoration au moment où son épouse est enceinte, une culpabilité aussi en lien avec une relation adultère passée qu'il semble réactualiser mentalement. Lui qui enseigne le conditionnement mental dans les dictatures semble subir l'emprise du réel, d'un monde moderne anxiogène et de fantasmes sexuels pour le moins troublants (et probablement peu compatibles avec la fidélité en l'engagement).
Je trouve une grande maîtrise de mise en scène, glaciale (la scène inaugurale!!), avec un usage déréalisant très réussi de la musique. Les intrusions hallucinatoires ponctuelles sont à la fois simples et impressionnantes. On flotte constamment entre réalité et projection mentale sans ruptures explicites. La construction est parfaitement élaborée et l'utilisation de l'architecture urbaine, arachnéenne et étouffante, contribue au malaise que distille le film. Une belle réussite du genre.
P.S. La clé se trouve dans certains dialogues moins anodins qu'ils n'y paraissent... P.S2. Et n'oublions pas que pour Louise Bourgeois l'araignée c'est maman!
Chymère Sage de la littérature
Messages : 2001 Inscription le : 21/07/2013 Age : 41 Localisation : Dijon
Sujet: Re: Denis Villeneuve Dim 31 Aoû 2014 - 0:58
C'est vraiment le genre de film qu'il faut voir au moins 2 fois pour être sûr d'avoir tout compris... (mais sinon c'est bien, tout comme dit Marko... )
Citation :
Il y a en tout cas chez cet homme une sorte d'angoisse de paternité et de dévoration au moment où son épouse est enceinte, une culpabilité aussi en lien avec une relation adultère passée qu'il semble réactualiser mentalement. Lui qui enseigne le conditionnement mental dans les dictatures semble subir l'emprise du réel, d'un monde moderne anxiogène et de fantasmes sexuels pour le moins troublants (et probablement peu compatibles avec la fidélité en l'engagement).
Oui mais c'est pas le "même" celui qui enseigne et celui qui a une épouse enceinte....
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Denis Villeneuve Dim 31 Aoû 2014 - 8:26
Spoiler:
Il n'y a qu'un seul personnage. Son double est un fantasme subconscient (un dédoublement psychotique si on veut). Le vrai personnage est l'enseignant dont la mère nous apprend qu'il est un comédien raté et dont l'épouse lui demande si sa journée à l'école s'est bien passée (elle sait le conflit qui l'anime en partie) et s'il a "revu" sa maîtresse. Comme dans Lost Highway où Fred Madison s'imagine en Pete Dayton. Personne ne voit jamais les 2 en même temps. Si ça t'intéresse je peux te donner ma version globale de l'histoire. Sachant qu'on peut probablement la voir sous des angles différents.
Chymère Sage de la littérature
Messages : 2001 Inscription le : 21/07/2013 Age : 41 Localisation : Dijon
Sujet: Re: Denis Villeneuve Dim 31 Aoû 2014 - 19:18
Oui ben là on les voit tous les 2 en même temps dans la chambre d'hôtel....
Mais sinon, je veux bien ton explication... j'en ai pas vraiment pour ma part. Faudrait que je le revois...
eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: Denis Villeneuve Dim 31 Aoû 2014 - 19:39
Chymère a écrit:
Oui ben là on les voit tous les 2 en même temps dans la chambre d'hôtel....
C'est bien ce que dit Marko : personne (à part les spectateurs du film) ne voient les deux en même temps. A un moment, la femme va à l'université, elle est stupéfaite. Elle téléphone à son mari, mais à ce moment-là, l'autre est déjà hors-champ (ce qui est une facilité, une petite faiblesse du film).
Chymère Sage de la littérature
Messages : 2001 Inscription le : 21/07/2013 Age : 41 Localisation : Dijon
Sujet: Re: Denis Villeneuve Dim 31 Aoû 2014 - 20:04
Aaaaaah ok....
Avadoro Zen littéraire
Messages : 3501 Inscription le : 03/01/2011 Age : 39 Localisation : Cergy
Sujet: Re: Denis Villeneuve Dim 31 Aoû 2014 - 22:25
Enemy
J'ai apprécié le savoir-faire de Denis Villeneuve à travers l'installation d'une ambiance anxiogène et étouffante mais j'ai suivi les péripéties avec indifférence. Le décor urbain aux teintes ocres vaguement menaçantes crée une dimension opaque, libérant les fantasmes et les cauchemars de Jake Gyllenhaal qui s'effondre peu à peu, trahi par les contours d'une personnalité qui lui échappe.
On peut en effet tenter d'interpréter chaque séquence (et la vision de Marko est largement cohérente) mais je suis resté à distance d'un malaise qui m'a semblé trop froid et désincarné. Cet édifice théorique très maîtrisé ne m'a pas permis de respirer et je n'ai jamais été emporté par les enjeux psychologiques. C'est tout de même un film à découvrir à condition d'entrer dans ce dispositif pour être sensible à la rigueur de l'exercice de style.
Chymère Sage de la littérature
Messages : 2001 Inscription le : 21/07/2013 Age : 41 Localisation : Dijon
Sujet: Re: Denis Villeneuve Dim 31 Aoû 2014 - 22:50
C'est vrai que ça avait un côté très "intellectualisant"... ce qui peut mettre à distance émotionnellement parlant, du coup.
ça me fait penser à un autre grand rôle de Jake Gyllenhaal dans un film de retournage de cerveau : Donnie Darko, qui franchement m'avait fait versé ma larme à la fin.
(et non seulement il canon au-delà de tout ce qui peut-être canon, mais il a une super filmo, ce con.... )
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Denis Villeneuve Dim 31 Aoû 2014 - 22:52
Chymère a écrit:
ça me fait penser à un autre grand rôle de Jake Gyllenhaal dans un film de retournage de cerveau : Donnie Darko, qui franchement m'avait fait versé ma larme à la fin.
Film très complexe à décrypter ce Donnie Darko d'ailleurs!
Chymère Sage de la littérature
Messages : 2001 Inscription le : 21/07/2013 Age : 41 Localisation : Dijon
Sujet: Re: Denis Villeneuve Lun 1 Sep 2014 - 0:07
Oui, c'est vrai... Mais moins que Ennemy, je trouve. Ou disons, j'ai vu plus de "pistes", ou de début de pelote à dérouler... (après, on comprend tous les choses différemment dans ce genre de films).
Sinon, de Robert Kelly, dans la même catégorie, il y a Southland Tales, je ne sais pas si tu connais ? (il n'est pas sorti en salles en France)
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Denis Villeneuve Lun 1 Sep 2014 - 0:10
J'avais regardé 10 minutes mais je n'étais pas entré dedans. A revoir peut-être un de ces jours.
eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: Denis Villeneuve Lun 1 Sep 2014 - 8:21
Chymère a écrit:
Sinon, de Robert Kelly, dans la même catégorie, il y a Southland Tales, je ne sais pas si tu connais ? (il n'est pas sorti en salles en France)
J'ai vu ce film : pour moi, c'est une catastrophe... Ça arrive parfois quand un réalisateur fait un très bon film a petit budget, il a ensuite plus d'argent et il se plante totalement. Je l'ai vu jusqu'au bout, effaré, comme devant une catastrophe naturelle format XXL. Plantage réitéré mais en moins catastrophique (moins boursouflé) avec The Box, en 2009. Depuis, il semble ne plus avoir réalisé de films.
Chymère Sage de la littérature
Messages : 2001 Inscription le : 21/07/2013 Age : 41 Localisation : Dijon
Sujet: Re: Denis Villeneuve Lun 1 Sep 2014 - 9:57
Ben c'est clair que Southland Tales c'est sorte de grand n'importe quoi... Mais en même temps, moi je lui trouve un certain charme. Enfin, je sais pas, ce côté entre le délire mégalomaniaque avec scénario sous acide et le nanar total fait que moi ça m'avait amusée... Faut le prendre un peu au second degré, je pense. Je ne sais pas si c'était le but de Kelly, mais moi c'est comme ça que je le comprends...
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Denis Villeneuve Dim 7 Sep 2014 - 23:42
Chymère a écrit:
Mais sinon, je veux bien ton explication... j'en ai pas vraiment pour ma part. Faudrait que je le revois...
Bon alors voilà une approche possible qui tient compte de tous les paramètres du film:
La rencontre avec ce double pourrait être a priori envisagée comme quelque chose de réel en explorant les conséquences de cet évènement perturbant sur leurs environnements respectifs. Mais cela n'expliquerait pas bien des informations qui circulent dans le film. Ces histoires de club privé, d'araignées, de cicatrice et surtout ce que disent les personnages féminins (la mère et l'épouse).
Mon point de départ est que l'acteur est une projection subconsciente (c'est d'ailleurs ce que dit le réalisateur lui-même) du prof de fac dont la mère nous rappelle qu'il est acteur raté et qu'il vit dans un bel appartement. Il est marié et son épouse lui demandera à la fin du film s'il a passé une bonne journée dans son établissement scolaire.
Un homme marié qui apparaît rapidement comme dépressif voire au bord d'un dérapage psychotique, apparemment troublé par la perspective d'une paternité, qui est tenté de trouver des exutoires sexuels (ce club privé aux rituels érotiques étranges) et qui a manifestement une maîtresse. L'épouse demandant à un moment à "l'acteur" s'il la revoit encore. A noter que cela fait 6 mois qu'il ne s'est plus rendu à son club. Ce qui correspond aux 6 mois de grossesse de l'épouse. 6 mois d'abstinence frustrante manifestement...
La présence de l'épouse avec l'une ou l'autre des identités suggère qu'elle a déjà conscience qu'il souffre d'un trouble de l'identité (d'un conflit si on préfère) et qu'elle interfère le moins possible pour l'aider. En revanche les univers différents où évoluent les 2 personnages font penser que l'une de ces versions est fantasmée. Il est assez facile d'imaginer ce prof mal dans sa peau, acteur raté, inquiet d'un enfermement dans une vie de couple que la paternité va renforcer (et qui enseigne les mécanismes de manipulation dans les "dictatures")... se fantasmer en homme extraverti et sûr de lui, acteur confirmé. La relation adultère avec sa jeune maîtresse peut-être considéré comme un souvenir culpabilisant plutôt qu'une réalité actuelle. L'accident de voiture final ayant une sorte de fonction fantasmatique de résoudre le conflit. De le libérer de ce souvenir et potentiellement d'assumer sa vie réelle. L'accident survenant au même moment où sa véritable identité fait l'amour à sa propre femme. Le rétroviseur brisé ressemblant à une toile d'araignée.
L'affrontement entre les 2 identités est une forme de conflit interne qui vise à se libérer d'une culpabilité (d'adultère) et d'un besoin compulsif d'infidélité (le club). Mais peut-on rejeter ce qui fait partie de nous? C'est là que les araignées interviennent.
Louise Bourgeois disait à propos de ses araignées géantes qu'elles étaient des figures maternelles à la fois un peu inquiétantes et dévorantes mais aussi protectrices. C'est une approche psychanalytique de cette image de la femme qui est maternante mais aussi qui menace et enferme en privant de sa liberté (notamment sexuelle).
A la fin du film, notre enseignant semble avoir en partie réglé son combat intérieur et fait un choix. Mais survient la clé... qui lui rappelle qu'une nouvelle réunion va se tenir dans ce club dont un gardien d'immeuble complice lui rappelle à quel point il lui a procuré des sensations qu'il ne parvient pas à effacer de son esprit.
La tentation est donc toujours là et l'illusion de se satisfaire d'une vie tranquille et fidèle bien précaire. La dernière vision de sa femme en araignée géante (terrorisée), qui rappelle l'image du talon écrasant l'araignée dans le club comme les apparitions oniriques ou hallucinatoires d'araignées géantes dans la ville, est une façon métaphorique de nous montrer que ses désirs sexuels extra-conjugaux sont difficilement compatibles avec une vie "rangée". Difficile de renier ses pulsions. Et façon ironique d'illustrer cette théorie qu'il enseigne en fac selon laquelle on répète souvent les mêmes erreurs et schémas. Tout se répète mais la première fois cela semble une tragédie alors que la seconde fois c'est la farce qui s'impose. Manière de nous dire que toute cette affaire d'infidélité si culpabilisante et pesante jusqu'à la souffrance morale est en fait grotesquement banale et dérisoire. L'araignée menaçante est devenue araignée terrorisée. Peut-être pourrait il concilier les 2 ? En tout cas le film suggère le triomphe de l'instinct (le ça ) sur l'intellect (le Sur moi) à la fin.
Tout ça pour nous raconter de façon ludique et complexe une histoire toute simple d'homme que l'engagement prive de sa liberté sexuelle. Lynch dans ses films procède de la même façon pour suggérer des conflits psychiques de manière en apparence littérales mais en ayant recours à tous les procédés de déplacement et de métaphores en oeuvre dans les rêves comme dans l'inconscient.
J'espère que je suis à peu près clair
Ensuite on peut parfaitement regarder le film sous différents angles. Du conte fantastique à la parabole philosophique autant que d'un point de vue psychanalytique ou ludique. Je serais curieux de lire la manière dont Saramago raconte l'histoire dans son roman.