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Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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Messages : 6465 Inscription le : 28/04/2010 Age : 49 Localisation : Yvelines
Sujet: Re: Stefan Zweig [Autriche] Ven 17 Oct 2014 - 11:53
Leporella
Crescenz est une bonne paysanne du Tyrol. Brute de fonderie, la mine taillée à la serpe et des manières tout aussi rustiques. Peu causante, asociale, laide, mais forte et courageuse. Elle abat sa besogne journalière comme un rouleau compresseur écrase le bitume.
Un jour, une bourgeoise de Vienne descend à l’hôtel dans lequel elle travaille et, impressionnée par cette travailleuse austère, choisit de doubler ses gages et l’entraine à la ville à sa suite. La baronne se félicite chaque jour de son caprice : Crescenz la sert avec efficacité et fidélité. Elle est même la seule domestique à parvenir à supporter la tension qui règne dans la maison baronnale : Madame et Monsieur ne se supportent pas, Madame pousse continuellement des cris hystériques tandis que Monsieur contemple la déliquescence des nerfs de Madame avec une petite moue d’une politesse exemplaire mais fort exaspérante.
A la suite d’un incident fort bénin, la domestique zélée s’entiche du maître de maison. C’est le début de la fin. Crescenz prend alors fait et cause pour Monsieur et n’obéit plus qu’à contrecœur à sa maîtresse. La descente aux enfers de la baronne s’accélère encore. A tel point que Madame se voit contrainte de partir deux longs mois en sanatorium.
Une période bénie pour Monsieur et sa domestique. Monsieur rentre de nouveau en galante compagnie (une femme différente chaque soir), tandis que Crescenz (qui n’a pas de désir pour elle-même) se sent honorée de travailler pour un maître ayant un tel succès. Elle ne lésine pas pour que la maisonnée soit rutilante et la courtisane bien reçue. En l’absence du chat, les souris dansent.
Mais toute chose a une fin : le chat rentra. L’hystérie reprit avec plus de vigueur encore. Si bien que Monsieur s’exila huit jours à la chasse. Sur les marches du perron, au moment du départ, Crescenz tendit la valise à son maître et – avec un regard chargé de haine – dit à son maître quelque-chose ressemblant à « Reposez-vous, je me charge du reste ! ».
Vaguement inquiet, le baron partit pour être rappelé de façon urgente trois jours plus tard : on venait de retrouver Madame la baronne morte dans son lit : un suicide ! Un doute ignoble se fit alors jour dans l’esprit du veuf. Si les cris d’orfraie ne tourmentaient plus la maisonnée, une peur sourde les remplaça. Monsieur évitait la domestique autant qu’il le pouvait, rasait les murs et se tenait éloigné de sa maison. Lorsqu’il était chez lui, il s’enfermait dans son bureau à double tour, une boule douloureuse à l’estomac. Dans la maison, Crescenz se comportait comme si rien ne s’était passé…
Une nouvelle où la peur fait son œuvre. Une peur inconsidérée, une peur irraisonnée. Crescenz est-elle coupable ou la baronne a-t-elle réellement choisi d’en finir ? Zweig ne tranche pas mais utilise cette incertitude pour orchestrer une ambiance pesante, délétère.
Captivant !
Exini Zen littéraire
Messages : 3065 Inscription le : 08/10/2011 Age : 51 Localisation : Toulouse
Sujet: Re: Stefan Zweig [Autriche] Ven 17 Oct 2014 - 23:00
Un Zweig par jour ! Tu ne lâcheras pas l'affaire, et tu as bien raison.
Harelde Zen littéraire
Messages : 6465 Inscription le : 28/04/2010 Age : 49 Localisation : Yvelines
Sujet: Re: Stefan Zweig [Autriche] Lun 20 Oct 2014 - 10:08
Exini a écrit:
Un Zweig par jour ! Tu ne lâcheras pas l'affaire, et tu as bien raison.
Je vais faire une petite pause maintenant. Et reprendre un peu Balzac et Henry James... J'alterne les plaisirs !
darkanny Zen littéraire
Messages : 7078 Inscription le : 02/09/2009 Localisation : Besançon
Sujet: Re: Stefan Zweig [Autriche] Sam 8 Nov 2014 - 16:53
Biographie passionnante de bout en bout, premièrement parce qu'elle s'ancre dans une période de trouble politique important qui sera à l'origine de transformations radicales pour la société française. Et aussi parce qu'elle parle d'une femme controversée, haïe, vilipendée, caricaturée à l'excès, que rien n'épargnera jusqu'à la fin que l'on sait.
Il n'est pas question ici de prendre sa défense ou au contraire de l'accuser avec toute la haine possible en la rendant responsable de tous les maux. L'auteur insiste sur le parcours de cette femme, propulsée à 15 ans à la Cour de France, arrachée à l'affection des siens et à son pays, ne connaissant rien à rien, affublée d'un mari n'en connaissant pas davantage, avec les yeux des courtisans rivés sur elle. Une ribambelle de personnes à son service, soucieuse avant tout de la fameuse étiquette, la corsetant dans un rôle pour lequel elle n'avait été nullement préparée.
Un mariage désastreux, non consommé pendant 7 ans, pas d'héritier en vue.... Que faire ? et bien......s'amuser, profiter de la couronne comme on dit, et s'ensuit une vie de plaisirs, de bals, danse, théâtre, une vie nocturne qui s'oppose en tous points à celle du Roi, placide, timide, que les plaisirs de la chasse, de la forge et de la bonne chère contentent largement.
Tant pis si le déficit grossit dangereusement, si les ministres successifs alertent le Roi par des chiffres qui donnent le vertige, la vie à la Cour ne subit d'autre changement qu'un peu moins de bling-bling qu'au temps du Roi Soleil, la Reine ayant pris possession de son plus beau jouet , le Petit Trianon, loin des convenances de la Cour et de ses obligeances.
On vit dans un cercle fermé, on ne se déplace jamais, sauf pour aller à Paris se divertir, bref, ce que vit le peuple de France est totalement ignoré ou mis de côté par ce couple qui règne tout de même depuis 15 ans.....
Dans cette première partie, le portait de marie-Antoinette n'est pas à son avantage et fait ressortir sa superficialité, sa légèreté, sa volonté de ne surtout pas être embêtée par toute conversation un tant soi peu réfléchie. Une vraie "tête à vent" comme dirait sa mère Marie-Thérèse, l'impératrice d'Autriche, avec qui elle aura tout le temps correspondu, celle-ci ne ménageant pas ses efforts pour l'inciter à se conduire plus dignement.
Question dignité et grandeur, il faut attendre les événements qui s'accélèrent à partir de 1789 pour enfin voir émerger une femme, qui, dans son malheur, montrera une force et une énorme capacité pour ne pas sombrer ou courber l'échine. Rien ne lui sera épargné, mais vraiment rien. Tout ce qui peut être la cause de la souffrance d'une femme (calomnie, séparation d'avec son époux, puis de son enfant, accusations abjectes, enfermement et isolement total....), elle va l'endurer avec la plus grande résistance possible, jusqu'au bout.
L'auteur ne cherche pas à prendre ou à nous faire prendre parti, en évitant le plus possible les accès de sentimentalisme, bien que par moments, on frissonne et on déplore un tel manque d'humanité. Le but est de faire comprendre comment on en est arrivé là, et quel destin funeste mais terriblement prévisible se dessinait pour cette femme embarquée malgré elle dans les tourments de l'histoire.
Un livre magistral, documenté, qui fait froid dans le dos par moments et qui réveille les consciences.
Marie-Antoinette, célèbre portrait d'Elisabeth Vigée le Brun, nous sommes en 1783, la reine a 28 ans
Dix ans plus tard, au tribunal révolutionnaire.
Dernière édition par darkanny le Sam 8 Nov 2014 - 19:06, édité 2 fois
Invité Invité
Sujet: Re: Stefan Zweig [Autriche] Sam 8 Nov 2014 - 18:45
J'avais moi aussi été très impressionnée par ce livre, portrait aussi documenté que passionnant sur le plan psychologique. On sent vraiment la patte de l'écrivain habitué à disséquer les tourments des âmes humaines. Mon vieil exemplaire était littéralement parti en lambeaux lors de la lecture, et je me dis régulièrement qu'il faut que je le rachète pour le relire.
darkanny Zen littéraire
Messages : 7078 Inscription le : 02/09/2009 Localisation : Besançon
Sujet: Re: Stefan Zweig [Autriche] Sam 8 Nov 2014 - 19:02
Il marque ce livre, il impressionne et restera dans ma mémoire c'est sûr.
Je l'imagine en lambeaux le pauvre....
Invité Invité
Sujet: Re: Stefan Zweig [Autriche] Sam 8 Nov 2014 - 20:58
Eh oui, très vieux livre de poche et mauvaise colle donnent souvent ce résultat. Et impossible de réparer les dégâts à moins d'une reliure… Autant racheter un exemplaire.
Sullien Sage de la littérature
Messages : 1591 Inscription le : 23/10/2012
Sujet: Re: Stefan Zweig [Autriche] Sam 8 Nov 2014 - 21:34
Une bonne idée de lecture, merci darkanny !
darkanny Zen littéraire
Messages : 7078 Inscription le : 02/09/2009 Localisation : Besançon
Sujet: Re: Stefan Zweig [Autriche] Sam 8 Nov 2014 - 21:50
Je pense que cela pourrait te plaire.
églantine Zen littéraire
Messages : 6498 Inscription le : 15/01/2013 Age : 59 Localisation : Peu importe
Sujet: Re: Stefan Zweig [Autriche] Mar 11 Nov 2014 - 12:29
La confusion des sentiments .
Ce grand classique a été suffisamment commenté pour que je ne reprenne pas en détails tout ce qui été dit et redit . Quelques mots juste pour exprimer mon appréciation personnelle :
Le thème n'est guère nouveau tant la littérature a nourri , abondamment je pense, ce genre de relations ambigues de maître à élève , à l'âge des premiers tourments de la chair et de l'âme en quête d'absolu . Dans ce court récit , l'écriture de Sweig porte à merveille toute l'exaltation , ponctuée par des phases d'abattement et de grande détresse chez Roland , de ce jeune homme électrisé par la puissance magnétique de son professeur , son maître , son mentor , son Pygmalion ....Schéma bien classique donc , celui de de cette phase quasi incontournable où l'individu cherche un guide pour "devenir".... Mais Sweig a choisi d'exprimer ce passage à travers un regard plus sensuel , plus trouble encore , plus audacieux ....jouant avec ses trois personnages clés : le professeur , l'élève et la femme du professeur ! On comprendra vite que toute l'ambiguité , la perversité des relations à l'intérieur du couple, le trouble que suscitera en lui la belle dame , la relation de dépendance affective et intellectuelle à l'égard du maître, conduiront Roland dans les affres du tourment passionnel .....Aveugle , victime de ses premiers émois amoureux tumultueux et désordonnés , il cherchera quel grand mystère échappe à son entendement pour remettre un peu d'ordre dans ce chaos intérieur qui l'emprisonne .... Le lecteur a bien sûr compris dès le départ ..... Pourtant , sous la plume merveilleusement rythmée de Stefan Sweig , on finit par douter de l'évidence , on se surprend à vivre ce récit comme une sorte de grand suspens psychologique , presque comme un thriller .... Et en cela c'est singulier , unique et brillant !
Dernière édition par églantine le Mar 11 Nov 2014 - 22:02, édité 3 fois
eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: Stefan Zweig [Autriche] Mar 11 Nov 2014 - 21:37
Le Voyage dans le Passé (Widerstand der Wirklichkeit, publication partielle en 1929 ; publication complète en 1976). Traduit par Baptiste Touverey. Le Livre de poche. 177 pages. Ce livre comporte la nouvelle en français - 70 pages - , suivie de la version originale en allemand, et pour finir "Stefan Zweig et le monde d'hier", un texte d'Isabelle Hausser qui retrace la vie de Zweig, dont voici un extrait : "La Vienne où naît Stefan Zweig, en 1881, avait connu d'importants changements au cours des vingt années précédentes. [...] si la culture morale et scientifique de la bourgeoisie libérale autrichienne était analogue à celle du reste de l'Europe, il n'en allait pas de même de sa culture esthétique. Elle adhérait à la Gefühlskultur (la culture des sentiments) issue de l'aristocratie. Contrairement à ce qui se passa dans d'autres pays d'Europe, la bourgeoisie, libérale et puritaine, ne parvenant pas à détruire l'aristocratie, finit par en assimiler les valeurs." (page 147). Un texte intéressant. L'avant-propos du traducteur, lui, prend un malin plaisir à résumer tout Le Voyage dans le Passé. Est-ce par pur esprit de sadisme ? Si le traducteur veut parler du texte, l'analyser, il n'a qu'à le faire après ! Les postfaces, ça sert à ça. Ou bien a-t-il a peur que le lecteur, une fois le texte de Zweig fini, ne referme le livre et ne lise pas ce qu'il veut nous dire, je ne sais pas. Bref.
Le Voyage dans le Passé s'ouvre par des retrouvailles entre un homme et une femme.
Citation :
"« Te voilà », dit-il en venant à sa rencontre les bras ouverts, presque déployés." (page 13).
L'homme, c'est Louis (mais Ludwig en vo... était-il vraiment nécessaire de franciser le prénom ? parle-t-on "Louis de Beethoven" ? Non, alors...). Ils prennent le train. En même temps que le voyage géographique, Louis voyage dans le passé.
Citation :
"C'est vers le passé, vers le passé, que voltigeaient ses pensées : un autre paysage, une autre époque se déployaient comme en rêve, aimantés par le rapide cliquetis cadencé des roues." (page 42).
Citation :
"Confronté dès son enfance à une pauvreté humiliante, nourri par l'assistance publique, il avait réussi à survivre grâce à des emplois de précepteur et de répétiteur, aigri avant l'heure par les privations et le pain de mauvaise qualité. En mettant de côté, le jour, quelques centimes pour s'acheter des livres, en consacrant ses nuits à l'étude, les nerfs épuisés et tendus jusqu'à se rompre, il avait achevé ses études de chimie sortant premier de sa promotion et, grâce aux vives recommandations de son professeur principal, il avait été introduit auprès du célèbre Conseiller G., directeur de la grande usine de Francfort." (page 16).
Intelligent, travailleur acharné, il va se faire remarquer par le Conseiller et travailler directement avec lui ; il va ainsi faire la connaissance de sa femme, beaucoup plus jeune que son mari, et en tomber amoureux.
Citation :
"La soudaine explosion des sentiments qu'ils s'étaient avoués, par l'immense puissance de son souffle, avait fait voler en éclats toutes les digues et barrières, toutes les convenances et les précautions : comme des animaux, brûlants et avides, ils tombaient dans les bras l'un de l'autre quand ils se croisaient dans un couloir obscur, derrière une porte, dans un coin, profitant de deux minutes volées ; la main voulait sentir la main, la lèvre la lèvre, le sang inquiet sentir son frère, tout s'enfiévrait de tout, chaque nerf brûlait de sentir contre lui le pied, la main, la robe, une partie vivante, n'importe laquelle, d'un corps qui se languissait de lui." (page 38).
La trame de base est très classique, mais le texte tient vraiment bien grâce au regard rétrospectif, à la conscience que du temps est passé, et à l'incertitude quand au dénouement. "Il semble que Zweig ait voulu répondre à sa manière à la grande question : l'amour résiste-t-il à tout ? Résiste-t-il à l'usure du temps, à la trahison, à une guerre mondiale ?" (Baptiste Touverey, avant-propos, page 7).
Une bonne nouvelle.
Le film que Patrice Leconte en a tiré a pour titre Une Promesse. Le changement se justifie : la construction n'est plus en flashbacks, il n'y a plus de voyage dans le passé. Louis/Ludwig, devenu Friedrich (pour faire plus germanique ?), est interprété par Richard Madden, le Robb Stark de Game of Thrones ; le Conseiller est interprété par Alan Rickman (le professeur Severus Snape de Harry Potter), et sa femme est interprétée par Rebecca Hall (vue notamment dans Vicky Cristina Barcelona de Woody Allen), qui sert ici une cup of tea.
Tout ce petit monde parle anglais et fait forcément très british. Le film, souvent maladroit, n'est hélas pas très bon. Pour tenter de ne pas sombrer dans l'académisme de la reconstitution trop propre (tout le monde est beau et propre sur soi... Louis/Ludwig n'est vraiment pas marqué pas ses efforts et la misère dont il tente de s'extraire), la caméra bouge un peu de temps en temps, de façon inexplicable (le caméraman avait envie de se gratter ?), ce qui ressemble à un aveu d'impuissance. On a le droit de changer des éléments d'un livre, mais si c'est pour faire moins bien (la fin est nulle !), à quoi bon ? Franchement ? D'une bonne nouvelle, Patrice Leconte a fait un film banal.
Bande-annonce (qui en dit beaucoup) :
Dernière édition par eXPie le Mer 12 Nov 2014 - 22:44, édité 1 fois
pia Zen littéraire
Messages : 6473 Inscription le : 04/08/2013 Age : 56 Localisation : Entre Paris et Utrecht
Sujet: Re: Stefan Zweig [Autriche] Mer 12 Nov 2014 - 17:54
églantine a écrit:
on se surprend à vivre ce récit comme une sorte de grand suspens psychologique , presque comme un thriller .... Et en cela c'est singulier , unique et brillant !
Encore un bon commentaire!
J'ai survolé le fil en effet...Il y a beaucoup de commentaires. Vous m'avez tous donnée envie de le lire. On va voir de quel côté je me place... Je commence Le joueur d'échecs et j'espère faire encore une belle découverte!
topocl Abeille bibliophile
Messages : 11706 Inscription le : 12/02/2011
Sujet: Re: Stefan Zweig [Autriche] Dim 23 Nov 2014 - 21:26
Le monde d'hier Souvenirs d'un européen
Nous sommes en 1941. Stephan Zweig, désespéré de l'homme et du monde, dévasté par un nouvel exil, joue une fois de plus son rôle d'écrivain : témoin et penseur se retournant sur son histoire et l'histoire de ce siècle . Ce livre se partage entre l' autobiographie à orientation littéraro-intellectuelle, et un témoignage historique. On sent dès le début que c'est un cri désespéré.
La première moitié du livre est consacrée au tournant XIXème-XXème siècle , cet avant guerre insouciant. De Vienne, à la fois libérale et puritaine, Zweig, jeune homme précocement brillant et descendant d'un bourgeoisie plus qu'aisée, voyage sans limites à travers l'Europe et le monde, tisse des amitiés artistiques dans toutes les capitales... jusqu'à l'assassinat de Louis- Ferdinand et au déclenchement de la 1ere guerre mondiale, où, citoyen européen qui commence à être reconnu en tant qu'auteur, il se retrouve l'un des seuls à prôner un pacifisme résolu, attaché à sa « liberté intérieure ».
C'est un récit à la fois fort instructif, élégant et très maîtrisé , les différences de mentalités entre les capitales sont finement analysées, Zweig décrit de belles figures d'amis artistes. Par contre absence totale de femmes, on est là pour parler de choses sérieuses... J'ai également été gênée par une vision du monde tout à fait biaisée par sa situation privilégiée, ignorant tout du sort des moins favorisés (les ouvriers étaient bienheureux en ces temps où l'on avait réduit leur temps de travail, explique-t'il) et l’impression que tous les citoyens partagent, et son bonheur, et ses points de vue. Comme s'il régnait une fraternité universelle, comme si la notion de nationalisme n'avait émergé que le jour de la déclaration de guerre, pour mieux exploser dans les décennies suivantes. Cette « naïveté » explique sans doute sa surprise à découvrir les excès de la haine et les enthousiasmes belliqueux.
Dans l'après-guerre, les blessures du traité de Versailles qu'on croit enterrées, la misère et la famine jugulées, l'inflation maîtrisée, s'installe un temps que Zweig veut croire serein. Il y connaît un succès planétaire, fréquente les grands de ce monde en matière de pensée et d'art, sa collection d’autographe trouve un essor éblouissant, dans le temps-même où le festival de Salzbourg s'épanouit. Quelques confrontations avec les chemises noires mussoliniennes, lui mettent la puce à l'oreille, mais son ingénuité est toujours là, ce sont des temps heureux. Là encore il semble curieusement croire que cette plénitude est commune à tous.
Ce n'est que peu à peu qu'émergent Hitler et ses sbires, « dressés à l'attaque, à la violence et à la terreur », sans trop attirer l'attention. Puis, brutalement, les interdictions aux Juifs, les brimades, et pour Zweig, le choix de l'exil d'où il sera confronté aux tentatives de conciliation qui n'empêcheront pas la déclaration de guerre. C'est la fin des choix, la perte d'une nationalité, l'effroyable statut d'apatride, puis d'étranger ennemi. Là encore une certaine ingénuité, l'idée qu'en Amérique du Sud, loin de l'Europe explosée, un monde meilleur de tolérance est possible.
Témoignage et réflexion sur un monde en mutation qui perd une certaine innocence et qui court à sa perte, on ne doit pas attendre de Le monde d'hier une objectivité historique ; c'est le regard désespéré d'un homme des plus choyés, naufragé au sein d'un monde en perdition. On découvre cet homme et sa vision de l'histoire des quarante premières années du XXème siècle. Car Stefan Zweig a choisi de s'épargner de voir la suite.
églantine Zen littéraire
Messages : 6498 Inscription le : 15/01/2013 Age : 59 Localisation : Peu importe
Sujet: Re: Stefan Zweig [Autriche] Dim 23 Nov 2014 - 21:31
Ah voilà que je vais le rajouter vite fait dans ma PAL celui-là : arrête miss Topocl de faire des commentaires , je vais mourir axphyxiée par mes PAL-LAL !
darkanny Zen littéraire
Messages : 7078 Inscription le : 02/09/2009 Localisation : Besançon
Sujet: Re: Stefan Zweig [Autriche] Dim 23 Nov 2014 - 22:05