Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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 Kawabata Yasunari

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MessageSujet: Re: Kawabata Yasunari   Kawabata Yasunari - Page 8 EmptyLun 19 Mai 2008 - 13:39

Arabella a écrit:
Le lac

Or étrangement c'est celui de ses livres qui me paraît le plus décousu, le moins fluide et harmonieux. C'est sans doute à cause du sujet, et de ces personnages qui semblent faire en permanence des aller et retour entre la réalité et une sorte de folie douce, mais j'avoue que j'ai moins apprecié ce livre heurté que les autres romans de Kawabata quej'ai lu jusqu'à présent.
Contrairement à la plupart de ses romans, ici le héros est physiquement (et moralement ?) laid, on voit la décrépitude de la vieillesse... peut-être que le style s'est mis au diapason ?
Mais le passage d'une trentaine de pages consacrées au personnage féminin est quand même très curieux...
Kawabata voulait sans doute déstructurer son roman… ?

C'est également son roman le plus explicitement violent, il me semble :
Citation :
"Gimpei était envoûté par la séduction irréelle de cette jeune fille. La seule couleur de sa peau, aperçue entre les revers à carreaux rouges et les chaussures d'épaisse toile blanche, lui poignait tant le coeur qu'il eût voulu ou mourir, ou supprimer la jeune fille" (page 63).
Le style heurté dont tu parles illustre sans doute la violence des pulsions de l'anti-héros... (je fais de la psychologie de bazar, j'en ai peur).
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MessageSujet: Re: Kawabata Yasunari   Kawabata Yasunari - Page 8 EmptyLun 19 Mai 2008 - 18:30

La décrepitude on la voit par exemple peut être avec plus d'insistance dans Grondement de la montagne, où le héros est un vieil homme qui s'achemine lentement vers la mort, mais je n'y avais pas ressenti cette impression de quelque chose de heurté. C'est plutôt, j'ai l'impression par la construction même du récit qu'il y a ce sentiment de quelque chose de décousu, quand tu te poses la question de savoir s'il voulait déstructurer son roman, je crois que tu indiques une piste très intéressante, il y a quelque chose de ça je trouve.
J'ai la sensation qu'il s'est attaqué vraiment à la folie, où quelque chose d'approchant, et que c'est cela qui justifie ce côté où tout part en lambeaux.
C'est vrai que le passage sur Miyako (personnat féminin) est très curieux, j'ai du mal à cerner ce personnage. Encore plus curieux quand Ginpei retrouve Machié et son amoureux, lorsqu'on apprende ensuite incidement que ce dernier est malade, mais sans rien en savoir de plus.
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MessageSujet: Re: Kawabata Yasunari   Kawabata Yasunari - Page 8 EmptyLun 19 Mai 2008 - 21:44

Dans Le Grondement dans la montagne, le vieil homme est poli, si je puis dire, et sa belle fille ressent des choses pour lui. Même s'il y a de la décrépitude, elle est un renfermement vers l'intérieur, un isolement du monde. Même s'il revit des souvenirs, a des rêves, etc., ça reste poli. C'est un homme bien élevé (un Japonais, quoi).
Il est un peu obsédé par sa belle-fille, elle-même ressent des choses pour lui, plus sans doute que pour son mari, mais ils ne disent rien. Ils savent, cela suffit. Tout est calme en apparence, comme un Lac... quant à savoir quels courants courent dessous...

Par contre, Gimpei, l'anti-héros du Lac ressemble un peu à un personnage d'Edogawa Rampo, il a ce côté excessif, un peu taré, grotesque, qui se reflète dans la laideur de ses pieds (les pieds, c'est une des obsessions de Kawabata). Des enfants se moquent des vieux, un vieillard a besoin de dormir avec une femme pour ne pas souffrir de cauchemars (bon, on peut le rapprocher des Belles Endormies, mais je crois que les motivations sont différentes, plus pathétiques dans Le Lac).
Mais le pire, c'est que Mizuki Miyako n'a pas l'air nette non plus.
Elle a un côté dominateur par rapport aux vieux et aux faibles, mais a l'air d'apprécier d'être suivie, si je me rappelle bien. Pourtant, elle a généralement une attitude dominatrice avec les autres. Gimpei "chasse" les jolies jeunes filles... et la foule, elle, essaie d'attraper des lucioles (une façon de dire que les anormaux ne sont pas si anormaux que cela ?)
Deux personnages vraiment pas net... une construction pas nette non plus...
C'est l'avantage de ce genre de livre, on peut interpréter un peu comme on veut...
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MessageSujet: Re: Kawabata Yasunari   Kawabata Yasunari - Page 8 EmptyLun 19 Mai 2008 - 22:27

Le moins que l'on puisse dire c'est que ces deux-là (Ginpei et Miyako) ne sont pas nets. Il y a un côté grotesque, en particulier chez Ginepei, avec ses pieds, et puis lorsqu'il suit son élève, Hisako, le sujet de conversation qu'il trouve, c'est une mycose aux pieds. Tout ça a par moment un côté outré, presque parodique, et cela détonne avec les autres personnages de Kawabata, en effet "bien élevés", respectueux de la bienséance. On est loin des cérémonie de thé, des règles de tournoi de go et de tout ce monde du Japon traditionnel, il y a un côté presque caricatural chez les personnages, ils sont vraiment à côté, en dehors du groupe.
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MessageSujet: Re: Kawabata Yasunari   Kawabata Yasunari - Page 8 EmptyDim 25 Mai 2008 - 17:15

Les Belles Endormies

Mon premier Kawabata et le premier d'une grande série qui m'attend...
J'ai bien apprécié cette intrigue peu commune où l'horreur semble atténuée par la poésie, par une certaine humanité qui se dégage du vieillard...

Ce constant parallèle entre vie et mort, jeunesse et vieillesse, éternité et décrépitude...
Ce "flirt" également entre passé/présent/futur. Pendant les pensées du vieillard dont le présent rappelle sa jeunesse et annonce sa mort... Tout un art!

Cela se lit très vite, à la manière d'une nouvelle mais il n'y avait guère besoin d'en lire plus... Cela m'aurait probablement lassé, à moins d'un revirement particulier, de continuer à voir le vieil homme enchaîner les "petites"...
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MessageSujet: Re: Kawabata Yasunari   Kawabata Yasunari - Page 8 EmptyDim 25 Mai 2008 - 20:48

En 1967 Kawabata avait regroupé en un volume d'une collection de poche, Les Belles endormies ainsi que Le Bras et La Beauté, tôt vouée à se défaire.
Je ne suis pas sûr de lire de la même façon un texte "indépendant" d'un texte publié dans un recueil ; on cherche des échos...

Tiens, dans La Marche de Mina, le roman de Yôko Ogawa, on trouve l'analyse suivante de Belles Endormies, faite par Mina, en quelque sorte :
Citation :
"Ce vieil homme s'entraîne à mourir. En passant la nuit auprès de jeunes filles qu'il a endormies avec des médicaments, et qui sont presque comme si elles étaient mortes, c'est comme s'il dormait avec la mort. Ainsi, le vieil homme essaie de se familiariser avec elle. Pour, le moment venu, ne pas fuir parce qu'il aurait peur..." (page 127).

Il y a sans doute (et même certainement : on est chez Kawabata !) plusieurs interprétations possibles...
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MessageSujet: Re: Kawabata Yasunari   Kawabata Yasunari - Page 8 EmptyDim 25 Mai 2008 - 22:55

Dèsque l'on parle des Belles endormies j'ai envie de rappeler qu'il existe cette merveilleuse édition illustrée par Frédéric Clément:

Kawabata Yasunari - Page 8 41q6m8pznwlss500jd4
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MessageSujet: Re: Kawabata Yasunari   Kawabata Yasunari - Page 8 EmptyMar 3 Juin 2008 - 17:37

Le Lac

J'ai terminé ce petit roman très étrange. J'ai reconnu la patte Kawabata par rapport à Les belles endormies tant dans le style que dans certains thèmes comme la laideur, l'impermanence, le manque...

J'ai trouvé assez difficile d'entrer complètement dans l'univers même si le dernier chapitre m'a davantage happé que les précédents. Au début tout est un peu confus car les souvenirs du personnage Gimpei se mêlent à l'action présente et même au rêve.... Dur dur de décortiquer tout ça!
Le chapitre axé sur la jeune femme m'a semblé, comme l'a dit quelqu'un plus haut, assez déstabilisant, en rupture avec un récit déjà pas très "homogène".
J'ai quand même adoré les dernières pages avec la fête au lucioles qui m'a bien fait rire. Ce style de l'auteur, assez sarcastique, qui parle des participants est vraiment drôle (la marmaille en frénésie devant les lucioles)...

Au final, j'ai une impression confuse qui retranscrit plutôt bien l'état d'esprit de Gimpei: c'est à dire très décalé, perturbé, à côté de la plaque tout en ayant des éclairs de lucidité.

Au passage, j'apprécie beaucoup ces fins qui n'en sont pas. Où tout est à imaginer...

Bref, j'ai préféré Les belles endormies mais ce fut un moment de lecture délectable quand même. Je vais continuer ma route avec cet auteur (continuez vous aussi à me donner envie!) sourire
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MessageSujet: Re: Kawabata Yasunari   Kawabata Yasunari - Page 8 EmptyDim 8 Juin 2008 - 17:10

Kyoto

Désolée d'être aussi en retard, mais j'en reviens à Kyoto, qui était en quelque sorte une lecture commune...je vous livre tardivement quelques unes de mes élucubrations.

C’est drôle j’ai vu vos critiques et résumés, et je suis à la fois de votre avis sur Chieko qui est comme le Kyoto de l’époque entre le passé, la tradition et l’émancipation, le futur, le monde moderne. Je ne connais pas assez Kawabata (je n’en ai lu que deux autres) pour dire s’il s’agit d’un roman mineur ou non, mais en tous les cas une chose m’a intriguée dans ce livre, c’est le thème du double. Je me suis demandé si cette sœur jumelle qui arrivait de nulle part, n’était pas une sœur rêvée, un double imaginaire en quelque sorte, pour réconforter Chieko et aussi pour vivre ce que Chieko a bien du mal à vivre : la solitude et un engagement dans la vie. C’est en effet ce double d’elle-même qui va rencontrer l’amour et commencer une nouvelle vie et c’est Chieko qui restera à la boutique et perpétuera la tradition. Cette sœur venue d’un village cerné d’arbres extraordinairement dressés, n’est-ce pas celle que Chieko rêve d’être mais qu’elle a peur de devenir ? J’ai trouvé les scènes où les deux sœurs se serraient l’une contre l’autre comme dans une matrice, à l’abri du monde, particulièrement oniriques, presque irréelles. C’est sans doute ce qui me touche le plus chez Kawabata.
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MessageSujet: Re: Kawabata Yasunari   Kawabata Yasunari - Page 8 EmptyDim 8 Juin 2008 - 21:05

Oui, c'est vrai ce que tu écris, il y a quelque chose de pas réel là dedans. Est-ce parce qu'il était intoxiqué aux somnifères lorsqu'il a écrit le livre ?
Ou bien est-ce volontaire ?
En tout cas, il y a quelque chose de pas clair. La soeur n'est pas rêvée, puisqu'elle inter-agit avec d'autres personnages, mais elle est comme irréelle...

Elles sont à l'abri du monde... il y a un orage, si je me souviens bien, la soeur "irréelle" protège l'autre, les arbres dressés...
C'était un très beau passage.
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MessageSujet: Re: Kawabata Yasunari   Kawabata Yasunari - Page 8 EmptyDim 15 Juin 2008 - 16:00

Je viens de terminer ce Kyoto et bizarrement, Naeko ne m'a pas semblée si irréelle que ça. C'est vrai qu'elle ressemble à un double qui cristallise les manques de chieko et inversement. Ces deux soeurs sont complémentaires. Comme si l'"ancien" et le "nouveau" avaient besoin l'un de l'autre pour s'équilibrer, pour exister.

J'ai moins accroché à ce roman qu'à Les belles endormies et même Le lac. Je ne le trouve pas évident d'accès voire même moins profond que les deux romans cités avant, mais je reconnais son indéniable valeur. Il me reste à découvrir Le grondement de la montagne et Pays de neige qui sont donc, d'après eXpie, supérieurs (miam!). Very Happy
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MessageSujet: Re: Kawabata Yasunari   Kawabata Yasunari - Page 8 EmptyDim 15 Juin 2008 - 18:00

The Valuk a écrit:
Il me reste à découvrir Le grondement de la montagne et Pays de neige qui sont donc, d'après eXpie, supérieurs (miam!). Very Happy

Kawabata m'attend aussi dans ma PAL...Avec ce titre si merveilleux: La beauté, tôt vouée à se défaire...
Je le garde, depuis quelques temps, comme une friandise que je me réserverais... content
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MessageSujet: Re: Kawabata Yasunari   Kawabata Yasunari - Page 8 EmptyDim 15 Juin 2008 - 18:25

Apparemment, c'est l'éditeur qui a ajouté "la beauté" avant "tôt vouée à se défaire".

Cela change quand même nettement le sens, puisque cela le restreint et l'oriente...
De plus, il paraît qu'il s'agit d'une référence au bouddhisme :
"il fait référence à un poème écrit avec tous les kanas de l'écriture syllabique japonaise qui commence par I ro ha ni o e do chi ri nu ru wo..."
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MessageSujet: Re: Kawabata Yasunari   Kawabata Yasunari - Page 8 EmptyJeu 26 Juin 2008 - 21:22

Les Servantes d'auberge (188 pages, Albin Michel - Le livre de Poche Biblio ; traduit en 1990 par Suzanne Rosset. Préface de Bunkichi Fujimori).
Ce livre contient quatre textes : trois nouvelles - Les Servantes d'auberge, Illusions de cristal, Le Pourvoyeur de cadavres - et un scénario : Une page folle.

1 - Illusions de cristal (Suishô gensô, 1931). 34 pages
Bunkichi Fujimori écrit, dans sa préface (page 15) : "Il s'agit d'une nouvelle expérimentale. Ici, il n'hésite pas à jongler avec les mots et les tournures, en introduisant à dessein des termes techniques et des concepts scientifiques tout à fait nouveaux à l'époque, comme les manifestations génétiques, qui paraissaient alors ésotériques pour le lecteur.
C'est d'une façon délibérée qu'il recourt aux associations d'idées insolites, en jouant avec des images hétérogènes qu'il fait défiler à un rythme vertigineux."

Le style est vraiment différent de ce qu'on a pu lire ailleurs chez Kawabata.
Citation :
"Toute jeune, elle se tenait juste en dessous de l'arc-en-ciel au bord de la rivière. Dans le courant, de petits poissons comme des aiguilles d'argent. Le vent d'automne. Comme elle les trouvait solitaires, ces poissons, quand elle était petite. Les hommes d'autrefois croyaient que les rats naissaient dans le Nil, que la rosée imprégnée dans l'herbe était la mère des insectes, et que le soleil étincelant dans la boue du fleuve avait fabriqué les crapauds. Neige. Cire. Feu. Terre pourrie. Aristote, le Grec, connaissait déjà parfaitement la parthénogénèse. L'abeille mâle naît d'un oeuf non fécondé. Vol nuptial. Cérémonie nuptiale. Chant nuptial. Les lunettes de myope de son mari sur lesquelles elle avait marché avec ses pieds nus. Lit nuptial. Vol nuptial. L'habit de soie de l'ange. La pureté du messager céleste. Sainte Marie. La naissance de Jésus a été prouvée scientifiquement par les recherches d'un savant.[...]" (pages 24-25).

Monsieur et Madame n'ont pas d'enfants (problème de stérilité... en plus de celui de frigidité). Monsieur est généticien, il passe de nombreuses nuits dans son laboratoire, à étudier des spécimens de "pathologie anatomique". Madame est fille d'un obstétricien, mais n'a pas besoin de travailler. Elle est donc seule chez elle, et elle s'ennuie. Elle a un chien avec pedigree, un fox terrier : Play-Boy. Elle s'occupe - et gagne un peu d'argent - en faisant accoupler son beau chien avec des chiennes que des clients amènent. Ah, la jeune fille au visage de garçon avec qui elle prend le thé pendant que le chien fait sa petite affaire...

Mais quelle solitude !

Citation :
"Il y a un secret dans la salle aux portes à poignées en émail blanc. Mère. Comme j'étais triste quand mon père me prenait dans ses bras avec ses mains qui sentaient le lysol. Ruines. Ville de magnificence et de joie, Pompéi. Dans les ruines de Pompéi, un spéculum enterré. Ville de mort. Jours où je me trouvais enterrée, moi, ruine des jours enterrés. Y a-t-il seulement eu un jour où je me sois demandé si j'avais bien fait de me marier avec lui ? Vraiment, je suis chez moi, assise ainsi juste en face de cette jeune fille. Etre deux et pourtant quelle solitude ! Quel esseulement dans les bras de mon mari ! La solitude de ce moment-là. Quel peut bien être le sentiment de solitude chez les animaux ? La solitude du nourrisson." (page 37-38 ).

Curieuse nouvelle, pas toujours évidente à suivre, même si l'on comprend la ligne générale, qui aborde de façon très explicite des thèmes qui seront, par la suite, évoqués de façon beaucoup plus équivoque.
Cécile Sakai, dans Kawabata, le clair-obscur, précise que dans le recueil Illusions de cristal (1934) figurent également Lettres à mes parents dans lesquelles il écrit : "Je crains de donner la vie à un enfant. Car je ne pourrais supporter de laisser en ce monde un orphelin comme moi." (page 73). Ce texte peut mettre sur la piste de la signification d'Illusions de cristal : l'impossibilité de l'enfant.


2 - Les Servantes d'auberge (Onsen Yado, 1929-1930). 47 pages.
Le lecteur suit plusieurs saisons dans la vie de servantes d'un onsen perdu dans la montagne. La nature change, il n'y a pas à proprement parler d'histoire, seulement des histoires, des anecdotes, des flash-back, des changements de perspective.

La nouvelle commence ainsi :
Citation :
"Blanches et nues, elles se mouvaient comme des bêtes.
Ces silhouettes félines, nudités floues qu'estompait une adipeuse rotondité, se faufilaient au plus profond de la vapeur opaque. Seule la chair enveloppant les épaules roulait vigoureusement comme aux travaux des champs, et des chevelures d'ébène ruisselantes, d'une noblesse sublime et pathétique, leur donnaient une étonnante apparence humaine incroyablement vivace.
O-Taki, jetant sa brosse, enjamba la fenêtre comme si elle voulait enfourcher un cheval de bois. Accroupie, à califourchon au-dessus du caniveau, elle écouta le bruit de chute dans le courant [...]" (page 55).
Il y a également des prostituées :
Citation :
"Ses oreilles, son cou, les doigts de ses mains, donnaient envie de les croquer à pleines dents. A cette sensation de tendre douceur, O-Taki sut tout de suite qu'il s'agissait d'O-Saki.
Parmi la dizaine de prostituées de ce village, O-Saki avait été la seule à être condamnée pour avoir enfreint les règles de la morale publique. Elle avait dû quitter le village parce que le fils d'un membre du conseil municipal lui rendait trop fréquemment visite. C'était une fille qui avait un peu trop le tempérament d'une prostituée." (page 66).
O-Saki sort de l'eau :
Citation :
"Elle ressemblait à une limace toute blanche, avec sa peau humide et sa rondeur douce, parfaitement lisse et invertébrée. C'était une bête rampante dont la couche adipeuse s'étirait et se contractait comme celle d'un escargot. O-Taki, soudain emportée par un farouche désir masculin de piétiner ce ventre tout blanc, tendit la main brusquement vers le giron d'O-Saki.
« Prête-moi ta serviette ! »
O-Saki se recroquevilla tout à coup et voulut cacher le bas de son ventre avec sa poitrine mais, à l'endroit que la serviette ne protégeait plus, on pouvait voir sur une partie de sa peau blanche une série de petites cicatrices.
Les oreilles d'O-Saki furent transpercées d'un rouge intense, et ce rouge envahit son corps entier despuis ses seins jusqu'au bas de son ventre. O-Taki ne pouvant résister au plaisir que lui dictait une féroce jalousie contemplait cette magnifique et inhumaine couleur de sang." (page 67).

D'une écriture plus classique que la nouvelle précédente, ce texte, un peu destructuré mais très bien écrit, est vraiment intéressant.


3 - Le pourvoyeur de cadavres (Shitai shôkainin, 1929-1930). 56 pages.
Asagi Shimpachi est un étudiant qui tombe amoureux d'une jeune fille, receveuse dans un bus : visage juvénile, gants de coton blanc.
Citation :
"Elle avait sur la tête une grande casquette noire et le vulgaire crayon qui pointait derrière son oreille laissait une impression indéfinissable. Il n'avait encore jamais vu de coiffure aussi attrayante ni d'aussi belle épingle à cheveux."(pages 106-107).
Puis l'étudiant loue une chambre le jour pour réviser tranquillement. Il part un peu avant que son occupant nocturne, une jeune femme, ne rentre de sa journée de travail, de sorte qu'ils ne se voient jamais.
L'intérêt de la nouvelle réside essentiellement dans l'histoire, un petit peu tordue.


4 - Une Page folle (Kurutta ippêji, 1926). 21 pages.
Plus qu'un scénario pour le cinéaste Kinugasa Teinosuke, il s'agit d'une "composition littéraire destinée à l'Association des cinéastes appartenant au groupe des sensations nouvelles".
Le texte commence ainsi :
Citation :
"La nuit. Le toit d'un hôpital psychiatrique. Un paratonnerre. Il pleut à verse. Des éclairs.

Sur une scène illuminée, une splendide danseuse est en train d'évoluer. Sur le devant de la scène apparaît une rangée de barreaux en fer.
C'est une cellule.
Soudain, la scène illuminée se transforme en asile psychiatrique.

Le tutu de la danseuse se change en camisole d'aliéné." (page 165)

On croirait vraiment voir un film expressionniste allemand, quelque chose comme le Cabinet du Docteur Caligari. Pas mal du tout, même s'il est difficile de comparer ce texte avec une "vraie" nouvelle. Il va à l'essentiel, il est très visuel.


En conclusion, ce recueil offre un éclairage différent - et très intéressant - sur l'oeuvre de Kawabata, avant ses authentiques chefs-d'oeuvre : expérimental avec Illusions de cristal, plus classique mais un brin sensuello-pervers avec Les Servantes d'auberge, un peu grotesque à la manière d'un Edogawa Rampo avec Le Pourvoyeur de cadavres ; en prime, on a un scénario expressionniste.
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MessageSujet: Re: Kawabata Yasunari   Kawabata Yasunari - Page 8 EmptyJeu 26 Juin 2008 - 22:49

J'ai lu ces quatre nouvelles qui figurent dans Romans et Nouvelles, j'y ai pris intérêt mais je ne pense pas que ce soit ce que Kawabata ait écrit de plus marquant. C'est à mon sens plutôt reservé à ceux qui aiment cet auteur et qui souhaitent lire tout ou presque de lui.
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MessageSujet: Re: Kawabata Yasunari   Kawabata Yasunari - Page 8 Empty

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