Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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 Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes

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shanidar
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Marie
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MessageSujet: Re: Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes   Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes - Page 3 EmptyDim 15 Mai 2011 - 3:10

Citation :
Comme le soulignait Marie, il arrive un point où malgré tout le bon vouloir qu'il a, le lecteur ne peut pas s'imaginer être 'comme' Aue et c'est sans doute à cet instant, dans l'absolu solitude du personnage, que le lecteur retire une partie de son intérêt pour la lecture qui se déroule
Je dirais plutôt que le but initial n'est pas atteint..si c'était le but, c'est très complexe. Le problème est le mélange entre un récit historique tout à fait documenté ( tout ce qui est raconté est-hélas- vrai, et ceux qui ont fait cela n'étaient tous des psychopathes comme Aue, on en revient au problème initial..), et les allusions littéraires de plus en plus appuyées ( depuis le titre lui-même) à la mythologie grecque et aux Euménides dont tu parles plus haut.
J'aime bien ce que dit Senti en réponse à la question sur l'homosexualité , mais je me demande si elle ne s'inscrit pas tout simplement dans ce contexte qui comprendra aussi l'inceste et le matricide ?

Citation :
je comprends que l'on pense aux Disparus
Babelle, je ne pense pas aux Disparus, car bien sûr l'époque et le contexte sont les mêmes, mais l'un est un récit, et l'autre un roman. Simplement, le hasard fait que Daniel Mendelsohn fait une analyse des Bienveillantes en allant plus loin que je n'aurais pu le faire, faute de culture suffisante!
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topocl
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MessageSujet: Re: Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes   Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes - Page 3 EmptyDim 15 Mai 2011 - 16:16

Courante.
n.f. Danse française sur un air à trois temps.

Sans aucune culture musicale, j'ai beaucoup de mal avec ces titres de parties que je ne sais pas du tout comment interpréter … N'est-ce pas un tout petit peu prétentieux ? (Ce ne serait pas la première fois que Littell voudrait étaler son érudition)

Dans cette partie, on abandonne le côté tortionnaire. Aue est déplacé à Stalingrad en pleine déconfiture. Même s'il essaie de s'agiter un peu, il subit et n'est plus acteur. La première partie est une description très approfondie et efficace de cette armée épuisée, affamée, frigorifiée, désespérée, où il n'est plus question que de survivre une heure encore. C'est le plus tragique récit de guerre que j'ai jamais lu. Puis peu à peu, de façon parfaitement insensible (même quand on essaie de relire après coup), on s'insinue dans une histoire totalement onirique et délirante, dont on aura l'explication dans la partie suivante. C'est assez astucieusement mené, pour laisser entendre que la réalité quotidienne est tellement folle et absurde, il n'y a pas de rupture tranchée entre elle et le vécu halluciné de Aue.


J'ai profité de la pause que j'ai faite avant la lecture de cette partie, pour aller lire les commentaires qui ont été postés sur les Bienveillantes sur le fil de Littell. C'est très intéressant car on se rend compte que parler d'un livre a posteriori ou au fil de la lecture e est t une approche très différente. Je relève qu'un des questionnements importants apportés par ce livre aux autres parfumés, c'est de savoir si Littell a bien fait de choisir un réel monstre comme personnage principal. Cette lecture, et le fait de prendre du recul en arrêtant ma progression quelques temps, m'a amené quelques réflexions que je vous livre en vrac.

Tout d'abord je pense que l'idée que n'importe quel homme « normal » pourrait se transformer en bourreau dans des circonstances aussi exceptionnelles que celle du nazisme est une évidence pour qui a un tant soit peu réfléchi au problème. Littell n'a finalement pas besoin de construire un roman pour démontrer cela. Et évidemment pour lui, en tout cas dans la partie biographique antérieure à la guerre (et sans doute dans la partie postérieure que je n'ai pas encore abordée) c'est beaucoup plus intéressant de décrire un personnage aussi particulier que Aue plutôt qu'un « homme normal ». D'autant qu'il est bien clair que Littell veut faire dans l'hyperbole (d'ailleurs, peut-on bien parler du nazisme autrement que dans l'excès ?) : énormité du roman, aucune retenue dans la multiplication des détails, « monstruosité » de la documentation. Je dirais qu'il n'a pas su faire le choix entre écrire un livre d'histoire sur le nazisme, un essai de réflexion sur ce sujet, un roman centré sur un personnage, une tragédie grecque etc. il a ainsi produit une oeuvre qui a fait un effet boeuf à sa sortie, mais qui n'a pas su faire de choix et qui part dans tous les sens. Prenant un peu plus de recul il aurait pu produire au contraire trois ou quatre bouquins parfaitement réussis .

J'ai une autre idée, je ne sais pas si elle correspond à ce que Littell a voulu faire. J'imagine que Aue peut être vécu comme une métaphore de l'Allemagne dans le XXe siècle : un homme qui est né avec une structure psychologique particulièrement rigide comme l'était la mentalité prussienne, qui a connu dans son enfance des traumatismes particulièrement violents (ce qui correspondrait pour l'Allemagne à la défaite de 1918, l'humiliation qui en a été la conséquence, et la crise de 29 particulièrement douloureuses dans ce pays). Incapable de s'adapter, il a développé une organisation totalement perverse (c'est-à-dire manipulatrice, utilisant l'autre comme un objet) centrée sur une haute estime de soi, le rejet de tout ce qui est différent (donc fragilisant), la violence étant la seule réponse soi-disant protectrice qui ait pu s’ élaborer. De même qu'il existe des tuteurs de résilience, je pense qu'il existe des tuteurs de déchéance, que Aue a trouvé le sien en la personne de Thomas (?) et l'Allemagne en la personne de Hitler.
Même si je m'y intéresse beaucoup en tout cas sur cette période, je n'y connais pas grand chose en histoire et cette interprétation est peut-être totalement injustifiée. Qu'en pensez-vous ?
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MessageSujet: Re: Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes   Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes - Page 3 EmptyDim 15 Mai 2011 - 20:12

J’apprécie beaucoup ton interprétation. Comme je l’ai déjà dit sur un autre fil, M. Aue est toujours resté pour moi un personnage de papier tant il n’a jamais pris corps dans mon esprit : trop invraisemblable, trop monstrueux pour un seul homme. Mais il est à l’image du roman et de l’Allemagne de l’époque : censure, raideur, rigorisme d’un côté et retour du refoulé de l’autre avec toute la violence et la perversité que l’on sait. Mais ce personnage si construit par J. Littell perd en même temps toute crédibilité : je n’y crois pas, du coup je m’en distancie et l’impact et la résonance que ce personnage aurait pu susciter en moi diminuent jusqu’à disparaître progressivement. A force de vouloir en faire trop, J. Littell en perd la mesure et finit par se prendre les pieds dans le tapis avec son personnage pas très crédible. Et si la partie historique du roman a suscité mon intérêt, je n'ai pas su apprécier la partie plus romancée, beaucoup moins réussie à mon sens.
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MessageSujet: Re: Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes   Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes - Page 3 EmptyDim 15 Mai 2011 - 20:31

Ton commentaire me fait aller plus loin dans ma comparaison entre Aue et l'Allemagne nazie: en effet on ne croit pas à ce personnage, mais aussi quand on parlait des horreurs perpétrées par les nazis, au début, personne ne voulait y croire....
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MessageSujet: Re: Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes   Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes - Page 3 EmptyDim 15 Mai 2011 - 20:43

J'en ai conscience mais maintenant on sait, ce qui ne rend pas pour autant crédible M. Aue, qui est un condensé de plusieurs personnes, ce qui en fait quelques-unes de trop pour un seul homme Suspect
En tout cas, je ne pense pas que J. Littell ait voulu poussé la comparaison jusque là. : il en fait un personnage complètement détraqué dans un monde qui a perdu ses repères, digne avatar de son époque mais je ne pense pas qu'il ait voulu sciemment en faire un personnage auquel on ne peut y croire. Mais je peux me tromper, peut-être s'en est-il expliqué à ce sujet dans une interview ou l'autre ? Si oui, je trouverai tout de même cette démarche bien étrange...
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MessageSujet: Re: Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes   Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes - Page 3 EmptyMar 17 Mai 2011 - 17:25

J'ai un peu l'impression de rester seule à lire les Bienveillantes, je sais que Igor a arrêté (où en es tu Shanidar ?), mais tant pis je continue… J’ai l'impression que Littell est formidable dans certaines descriptions de faits historiques particuliers ( les Einsatzgrupen, Stalingrad) . Par contre, tout le côté biographique de Aue, ses interrogations métaphysiques, son auto-apitoiement qui est en même temps une auto-admiration me lassent plutôt. Il paraît normal que je ne m'attache pas ce personnage, mais je dois dire qu'il ne m’intéresse pas non plus. Pervers, tordu, infantile, vaniteux…

La période après Stalingrad, après sa blessure aussi, est une période de remise en question. Il essaie d'aller voir ailleurs, de trouver d'autres missions, mais cela paraît difficile, il est trop marqué par ses antécédents. Il se retourne vers son histoire familial, on comprend mieux son histoire avec sa soeur où il n'est pas arrivé à dépasser l'enfance, il retourne voir sa mère, on ne sait pas trop pourquoi (espoir de renouer des choses ? Espoir de vengeance ?) Et on tombe sur une nouvelle énigme dont il ne nous donne pas la clé… Sans doute préfère-t-il ne pas nous la donner alors qu'il avait annoncé une honnêteté complète. Ou peut-être saura-t-on plus tard ?

Finalement le choix se fait pour lui d'une certaine façon, il va repartir dans le système nazi et l'élimination des juifs. Cela le contrarie un peu, mais il a des responsabilités, cela le flatte et il y reprend goût.
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MessageSujet: Re: Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes   Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes - Page 3 EmptyMer 18 Mai 2011 - 2:06

Citation :
J'ai un peu l'impression de rester seule à lire les Bienveillantes,
En tout cas, je te suis, et Senti aussi, visiblement! Ce n'est pas une lecture que l'on peut oublier.
Si j'ai le temps ( je le prendrai !) je recopierai à la fin ce regard nouveau de Mendelsohn qui m'explique mieux ( ou du moins me satisfait plus ) ce personnage .
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MessageSujet: Re: Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes   Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes - Page 3 EmptyMer 18 Mai 2011 - 8:29

topocl a écrit:
J'ai un peu l'impression de rester seule à lire les Bienveillantes, je sais que Igor a arrêté (où en es tu Shanidar ?),
Shanidar a expliqué ici son absence
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MessageSujet: Re: Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes   Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes - Page 3 EmptyMer 18 Mai 2011 - 8:59

Marie a écrit:
Citation :
J'ai un peu l'impression de rester seule à lire les Bienveillantes,
En tout cas, je te suis, et Senti aussi, visiblement! Ce n'est pas une lecture que l'on peut oublier.
Si j'ai le temps ( je le prendrai !) je recopierai à la fin ce regard nouveau de Mendelsohn qui m'explique mieux ( ou du moins me satisfait plus ) ce personnage .
Mais oui, je vous suis avec grand plaisir, même si ma lecture date un peu mais je partage avec plaisir ce qu'il m'en reste.
J'attends avec impatience le regard de Mendelsohn pour mieux comprendre les références à la mythologie grecque à travers le personnage de M. Aue, cet "homme" qui a passé outre tous les interdits et qui demeure malgré tout pour "témoigner".
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MessageSujet: Re: Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes   Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes - Page 3 EmptyMer 18 Mai 2011 - 10:22

je suis revenue mais ma lecture est restée stagnante (le livre était trop lourd pour être transporté...). Je suis donc encore à Kharkov... mais je vais mettre un petit peu de turbo.
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MessageSujet: Re: Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes   Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes - Page 3 EmptyMer 18 Mai 2011 - 10:35

Marie a écrit:
J'aime bien ce que dit Senti en réponse à la question sur l'homosexualité , mais je me demande si elle ne s'inscrit pas tout simplement dans ce contexte qui comprendra aussi l'inceste et le matricide ?

pardon de revenir sur ce thème, mais l'homosexualité n'est pas un crime contrairement à l'inceste et au matricide. Je parle ici en me plaçant au niveau de Littell, écrivain contemporain, créant un être de fiction et qui en lui donnant une attitude homosexuelle semble le condamner à une existence de déviant, ce qui était vrai en 40 mais ne l'est plus aujourd'hui. Ce hiatus me gêne, j'y vois une sorte de condamnation de l'homosexualité totalement rétrograde. Il n'était pas nécessaire d'ajouter aux problèmes du narrateur une sexualité de ce type. Je trouve...

Je note également que Littell ne décrit que les doutes, les horreurs, l'alcoolisme, les dépressions, les passages à l'acte (meurtre de Ott) dans son récit et qu'il ne met jamais en avant la fierté du soldat vainqueur, mangeant l'Ukraine, avalant Kiev... Nous sommes au contraire confrontés à une armée déliquescente, pleine de doute, affamée, mal logée, mal ravitaillée, ce qui ne correspond pas à l'image de la Wermacht de l'année 41 que nous connaissons. (J'ai pour ma part en mémoire les colonnes interminables de prisonniers Ukrainiens présentées aux infos, à une avancée fulgurante, radieuse...). Sans doute, les choses étaient bien plus compliquées qu'on ne le disait à l'Ouest mais en ne montrant qu'un aspect des évènements (le plus noir, le plus sordide), Littell devient borgne. J'aurais aimé un peu plus d'équanimité dans le propos (car comme le dit Sentinelle tous les officiers n'étaient pas des psychopathes...).

En revanche je trouve que Littell dose savamment les moments d'horreur intense et les pauses dans la narration, ce qui rend la lecture possible malgré le sujet abordé de front.
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Marko
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MessageSujet: Re: Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes   Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes - Page 3 EmptyMer 18 Mai 2011 - 10:46

shanidar a écrit:
pardon de revenir sur ce thème, mais l'homosexualité n'est pas un crime contrairement à l'inceste et au matricide. Je parle ici en me plaçant au niveau de Littell, écrivain contemporain, créant un être de fiction et qui en lui donnant une attitude homosexuelle semble le condamner à une existence de déviant, ce qui était vrai en 40 mais ne l'est plus aujourd'hui. Ce hiatus me gêne, j'y vois une sorte de condamnation de l'homosexualité totalement rétrograde. Il n'était pas nécessaire d'ajouter aux problèmes du narrateur une sexualité de ce type. Je trouve...

J'ai lu le roman à sa sortie et je ne l'ai pas perçu de cette façon. Je ne pense pas qu'il l'envisage comme une "déviance" fondamentale qui le condamnerait à en cumuler d'autres... Trop loin pour bien argumenter mais Wikipedia s'en est chargé (l'article est d'ailleurs très bon et complet pour une fois):

Citation :
Aue a un comportement homosexuel, ce qui ne va pas sans poser de problèmes pour un nazi qui veut faire carrière. Il lui est reproché de ne pas s’être marié, par exemple par Himmler lors de leur entrevue (p. 497), et ne pas donner d’enfant au Reich.

En même temps, c’est indirectement à cause de son homosexualité qu’il devient membre du SD et plus tard impliqué dans les crimes nazis. Ayant été arrêté par la police à Berlin, suite à un meurtre commis, sur un lieu de rendez-vous homosexuel notoire, il n’a pas d’autre choix que d’accepter la « proposition » de Thomas (p. 75).

Si Littell a choisi un narrateur homosexuel, c’est précisément en vertu de cet aspect problématique de l’homosexualité. Selon Littell (émission du 13 novembre 2006, France Inter), elle confère à son narrateur un recul, une lucidité que n’a pas un brave père de famille comme Eichmann. Elle permet aussi d’expliquer la confession du narrateur laquelle s’oppose au silence des bourreaux nazis.

Selon Stéphane Roussel[21], non seulement l'homosexualité crée cette distanciation dont parle Littell, mais elle est aussi un reflet de la crise que traverse l'Histoire; homme troublé dans un monde troublé, Aue traverse les frontières géographiques, éthiques et sexuelles, souhaitant, plus que de se rapprocher de sa sœur, être une femme, afin d'échapper, sur le mode du fantasme, à la guerre, et laissant, dans une perspective de compréhension de l'Histoire et de l'histoire intime, finalement une grande place à la fatalité, au fatum de la tragédie antique.

À plusieurs occasions, Aue a des relations homosexuelles, notamment en Crimée ou à Paris. Toutefois, il y a toujours de sa part dissociation entre amour physique et sentiment (Les types avec qui j’ai couché, je n’en ai jamais aimé un seul, p. 29). Après l’acte, il renvoie assez brutalement son amant d’un soir.

Comme le précise Claire Devarrieux[20], « ce garçon est un homosexuel qui a juré fidélité à sa sœur jumelle, lié à elle par l’inceste. Puisqu’elle lui est interdite, il se met à sa place, il se veut femme, ouvert au sexe des autres hommes sans les aimer. Tel est le regret de Max, il ne peut dire "je suis nu e, aimé e, désiré e". »

Son homosexualité et son désir d’être une femme s’expliquent, selon lui, par son amour pour sa sœur (Il est fort concevable qu’en rêvant d’être une femme, en me rêvant un corps de femme, je la cherchais encore, je voulais me rapprocher d’elle, p. 29). Un autre passage est éclairant : « Je me suis souvent dit que la prostate, ce clitoris du pauvre, et la guerre sont les deux dons de Dieu à l’homme pour le dédommager de ne pas être femme. » Par ailleurs, quand il a des relations sexuelles avec un jeune homme à Paris, il cherche à voir le visage de sa sœur. Il semble d'ailleurs uniquement passif lors de ses relations sexuelles avec des hommes.

On peut constater toutefois qu’il n’est pas insensible au charme et à la beauté des femmes en dehors de sa sœur, ce que son intérêt pour Hélène semble attester. Il ne manifeste toutefois pas de désir sexuel pour elles, comme le prouvent plusieurs scènes du roman : sa relation avec Hélène reste platonique. Il refuse l’offre faite par l’accompagnatrice de Mandelbrod de passer la nuit avec lui ; par ailleurs, lors d’une soirée avec Thomas, il repousse brutalement une fille qui l’aguiche et ne consent à monter avec une fille qu’en raison de la présence de Thomas.
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MessageSujet: Re: Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes   Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes - Page 3 EmptyMer 18 Mai 2011 - 10:58

mouis, je ne suis pas convaincue, la transsexualité apporte sans doute un plus au personnage (son désir d'être femme parce que les femmes sont plus fortes que les hommes, hélas, ne veut strictement rien dire, en tant que femme je sais pertinemment que je suis vouée à être inférieure à l'homme, même si je m'y refuse), mais c'est l'homosexualité qui est décrite pas le changement de sexe... enfin c'est un détail...
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MessageSujet: Re: Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes   Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes - Page 3 EmptyMer 18 Mai 2011 - 13:52

shanidar a écrit:
je suis revenue mais ma lecture est restée stagnante (le livre était trop lourd pour être transporté...). Je suis donc encore à Kharkov... mais je vais mettre un petit peu de turbo.
Shanidar, je crois que je vais faire une pause et t’attendre un peu (j'en suis à la page 850 de l'édition de poche, je fais un tour sur un roman roman plus ludique pour souffler un peu), donc pas de précipitation…

Pour ce qui est de l'homosexualité de Aue, le fait d'entrer dans la SD était sans doute aussi une recherche d'un élément protecteur, consciemment ou inconsciemment. Une façon donc de « rentrer dans le moule » et d'être moins exposé.
Mais d'autre part je suis bien d'accord pour dire que Littell le « charge » de façon excessive. D'ailleurs d'une façon générale, tout ce qu'il fait dans ce roman est assez excessif… Il n'a pas vraiment le sens des limites.

Marie a écrit:
Si j'ai le temps ( je le prendrai !) je recopierai à la fin ce regard nouveau de Mendelsohn qui m'explique mieux ( ou du moins me satisfait plus ) ce personnage .

Si tu veux, Marie, retrouve le passage dans Les Disparus et dis-moi où c'est (j'ai l'édition de poche). Je pourrais recopier la citation, j'ai acquis récemment un logiciel de reconnaissance vocale c'est très pratique et très rapide.
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MessageSujet: Re: Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes   Lecture en commun - Jonathan Littell : Les Bienveillantes - Page 3 EmptyMer 18 Mai 2011 - 15:10

shanidar a écrit:
Marie a écrit:
J'aime bien ce que dit Senti en réponse à la question sur l'homosexualité , mais je me demande si elle ne s'inscrit pas tout simplement dans ce contexte qui comprendra aussi l'inceste et le matricide ?

pardon de revenir sur ce thème, mais l'homosexualité n'est pas un crime contrairement à l'inceste et au matricide. Je parle ici en me plaçant au niveau de Littell, écrivain contemporain, créant un être de fiction et qui en lui donnant une attitude homosexuelle semble le condamner à une existence de déviant, ce qui était vrai en 40 mais ne l'est plus aujourd'hui. Ce hiatus me gêne, j'y vois une sorte de condamnation de l'homosexualité totalement rétrograde. Il n'était pas nécessaire d'ajouter aux problèmes du narrateur une sexualité de ce type. Je trouve...
Je ne pense pas que Littell envisage l'homosexualité sous cet angle déviant. Je pense vraiment que l'homosexualité de M. Aue permet de le maintenir à une certaine distance de tout l'attirail nazi. C'est par cette distance qu'il pourra d'ailleurs témoigner de ce qui s'est passé, même s'il le fait sans regret, un peu comme s'il n'y avait pas vraiment participé (comme s’il avait tout vu derrière un miroir sans tain). On connait de grands officiers nazis qui adhéraient totalement à cette idéologie et qui ne se sont jamais exprimés à ce sujet sur le banc des accusés : il faut une prise de distance pour y mettre des mots.

Mais je reconnais que cela puisse poser question. Son essai Le sec et l'humide évoque à son tour l'homosexualité. Il ne la condamne pas du tout, que du contraire, mais je trouve tout de même curieux que c’est justement lors de cette évocation que son langage dérape. Aussi dit-il à propos de Degrelle, je cite : «on pourrait regretter que Degrelle n’ait jamais su s’ouvrir à cette forme de plaisir [l’homosexualité]: peut-être ne lui manquait-il justement, pour devenir un être humain, qu’un bon coup de pine au cul». Curieux tout de même ce changement de ton radical qui tranche totalement avec le reste du récit, ce qui me fait dire que Littell essaye d’un côté de banaliser l’homosexualité dans le contenu mais le contenant, la formulation vulgaire qui je le répète tranche de tout au tout avec le reste du recit, me fait penser qu’il ne la banalise pas tant que cela dans son esprit. En tout cas je me rappelle très bien l'effet de surprise que j'ai eu en lisant ce passage, me demandant vraiment pourquoi l'auteur s'exprimait subitement de la sorte. Assez révélateur mais je ne sais pas de quoi exactement jemetate

Pour le reste, je place l’inceste et le matricide dans un tout autre contexte que celui de son homosexualité. M. Aue est l’homme qui va au-delà de tous les interdits posés par la société occidentale, à l’image de son pays qui va au-delà de l’imaginable. C’est ce qui le rend monstrueux, hors norme et hors catégorie. A l'image des dieux grecs peut-être, pour qui tout était permis (inceste, viol, meurtre, parricide etc) ? Je suis vraiment curieuse de ce qu'en dit Mendelsohn à ce sujet sourire



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