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Parfum de livres… parfum d’ailleurs
Littérature, forum littéraire : passion, imaginaire, partage et liberté. Ce forum livre l’émotion littéraire. Parlez d’écrivains, du plaisir livres, de littérature : romans, poèmes…ou d’arts…
Un avis masculin et personnel sur A. Ernaux. Je confirme : AnnieErnaux était belle et attirante. Les photos l' attestent !
animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
Sujet: Re: Annie Ernaux Mer 18 Avr 2012 - 22:14
La place
Livre passé par un collègue après sa lecture du Léon Morin de BB. Autobiographie, écriture blanche... éventuellement le monde rural, la famille, il y avait de quoi donc faire un léger rapprochement et me faire lire ce livre. On a donc d'une part le récit de la vie du père, ouvrier agricole puis ouvrier puis commerçant barman, un récit de la campagne d'avant l'après-guerre et le récit de la fille qui est un peu d'avant elle aussi et devenue d'après, une française qui parle français, a des sous, une vie normale presque dans l'idéal type de réussite moyenne. L'avantage de ne pas trop en faire dans le sentimental familial, pour mieux préserver la vérité du lien on le sent et éviter de basculer du côté guimauve nombriliste et surplus de sentiment pour la garniture (c'est ce que d'une certaine façon je redoutais avant la lecture, avant d'imaginer lire AnnieErnaux en fait). L'autre avantage n'est pas tant la chronique historique et sociale que le constat du tournant, de la rupture dans le mode de vie et la culpabilité qui va avec. Culpabilité doublée par le fait que l'expérience même de la réussite selon le modèle ne valide pas complètement le modèle en question ni ne le généralise... ce qui fait revenir à une condition humaine du travailleur (et de la femme) et de l'individu "moderne" après cette deuxième guerre avec normalisation, consommation, oubli ? Évidemment ces sentiments mêlés ont de l'intérêt. Le format court (et écrit gros) associé à l'écriture très épurée, allégée aide aussi à conserver la distance, à éviter le comme si on y était. Ce qui n'empêche pas non plus de susciter l'émotion à côté de la réflexion et de ne pas laisser une impression (quand on y pense le risque existe) de témoignage anecdotique, ça a assez de sens pour se préserver de l'écueil.
Une lecture que je n'attendais pas et que je ne regrette pas !
A suivre peut être une autre fois...
topocl Abeille bibliophile
Messages : 11706 Inscription le : 12/02/2011
Sujet: Re: Annie Ernaux Ven 15 Mai 2015 - 21:08
Les années
C'est, dit l'auteur, une « autobiographie impersonnelle ». Non pas, comme il en est coutume, le monde décrit à travers une femme, mais plutôt ici une femme décrite à travers le monde. De son enfance d'après-guerre à sa vie de retraitée, au début du XXIe siècle, perpétuellement désignée par « elle « ou « on », on saura peu de choses (pas même son nom), si ce n'est les codes familiaux et culturels, les habitudes sociales,les événements politiques, les livres, les films vus, les objets fréquentés ou acquis.
Il y a quelque chose de franchement jubilatoire dans ce portrait, qui, quoique singulier, nous fait retrouver autant de choses vues, partagées, vécues, pensées de la manière ou d'une manière approchante. La vie de cette petite fille de milieu paysan, émancipée par ses études, son départ à la ville, sa fréquentation de milieux nouveaux, ses choix de vie et ses options politiques est l'occasion de dérouler une vaste fresque racontant ce qu'a été la vie en France dans la deuxième moitié du XXe siècle : qu'y a-t-on pensé, qu'y a t'on rêvé, à quoi y a-t-on renoncé au profit d'une certaine paresse et d'un choix de confort. On y a , bien sûr, vécu une vie beaucoup plus étriquée que les rêves qu'on avait pu avoir, une vie finalement bourgeoise, stupidement consommatrice, mais à laquelle on est attachée, liée, au point de vouloir l'écrire, en un temps où le souvenir reste encore possible.
La société, la vie en général, la narratrice évoluent, avancent au jugé, progressent ou stagnent… Et au delà de l'histoire des instants, elle porte un regard rétrospectif sur le temps passé, un œil d'espérance vers l'avenir, compare, signant un chemin déjà tracé, et que l'on se doit de continuer. J'ai beaucoup aimé ces regards décalés.
Le lien est constitué par quelques photos ou films, noir et blanc puis couleurs, précieusement conservés (comment seront racontées les vies à l'heure de la photographie numérique et de ses excès?), mais aussi par les repas de famille, rituels préservés quoique évolutifs, variations subtiles sur le thème familial, renversement progressif des rôles. On retrouve aussi, au fil des années, l'histoire de l'écriture qui s'élabore, se construit dans l'incertitude, accompagne Annie Ernaud dans une recherche de son livre et d'elle-même.
topocl Abeille bibliophile
Messages : 11706 Inscription le : 12/02/2011
Sujet: Re: Annie Ernaux Ven 29 Mai 2015 - 14:28
L'autre fille
C'est à 70 ans qu'AnnieErnaux s'adresse enfin à sa sœur, morte avant sa naissance, pour dire cette histoire vraie, qui a marqué toute sa vie, d'une absence, et d'un silence.
Citation :
Ils sont des parents qui ont perdu un enfant. Tu es la, entre eux, invisible. Leur douleur.
Elle devait savoir, mais c'était comme si elle ne savait pas. On n'en parlait pas. Les parents pour moins souffrirent sans doute, et épargner leur deuxième fille, la fillette, sachant sans savoir, pour épargner ses parents.
Citation :
Dans les années cinquante, les adultes nous considéraient, nous, les enfants, comme des êtres aux oreilles négligeables, devant qui on pouvait tout dire sans conséquences à l'exception des choses sexuelles, objet seulement d'allusions.
Citation :
Dans les années 50, selon une règle implicite, il était interdit d'interroger les parents, les adultes en général, sur ce qu'ils ne voulaient pas qu'on sache mais que nous savions.
Oui, elle savait sans doute, implicitement, mais l'ignorait : quelques photos évoquées dans le texte traînaient toujours,
Citation :
Quand j'étais petite , je croyais - on avait dû me le dire - que c'était moi. Ce n'est pas moi, c'est toi
.
C'est à dix ans qu'elle a appris, non pas tant cette mort, donc, que le fait que Ginette, elle, était gentille.
Quand elle écrit, les années ont passé, les parents sont morts, les faits sont compris, pardonnés, la tombe est fleurie chaque Toussaint. Ce n'est pas un règlement de compte, ce n'est pas une dénonciation. C'est comme une tentative de réconciliation, avec elle, avec eux. Comme un regret que cela ne se soit pas fait plus tôt.
Citation :
J'espérais peut-être qu'à la faveur de ce silence ils finiraient par t'oublier. Je vois la vérification de cette hypothèse dans le souvenir d'un trouble profond et inexplicable ressenti à chaque fois que, adulte, il m'a fallu admettre cette évidence : tu étais indestructible en eux.
Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
Sujet: Re: Annie Ernaux Ven 29 Mai 2015 - 15:03
le dernier extrait est terrible pour elle puisqu'elle se rend compte de ce qu'elle ressentait, de reconnaître " tu étais indestructible en eux."
c'est une supposition puisque je n'ai pas lu ce livre
topocl Abeille bibliophile
Messages : 11706 Inscription le : 12/02/2011
Sujet: Re: Annie Ernaux Sam 22 Aoû 2015 - 9:44
Regarde les lumières mon amour
AnnieErnaux s'est glissée dans les contraintes de la collection Raconter la vie du Seuil (ici) et a donc produit 96 pages sur l'un des thèmes proposés : Les lieux producteurs ou expressions du social - espaces exemplaires d’un nouveau mode de vie, lieux révélateurs d’une crise sociale, lieux de flux, nouveaux lieux de travail...
Et quelle meilleure expression du social, que les supermarchés, ces lieux où presque tous, riches et pauvres, jeunes et vieux, se croisent au quotidien, entre plaisir et déplaisir, entre distraction et nécessité, pour assumer sans relâche cette tâche transmise depuis que l'homme est homme, assurer sa subsistance ?
Pendant un an, AnnieErnaux a tenu le journal de ses visites au supermarché, non par des visites d'écrivain-témoin, mais bien en cliente acheteuse, liste et caddie en main. Observant les lieux, les faits, les gens, notant les réminiscences et les réflexions que cela lui apportait, comme l'aurait fait un Georges Perec. Rien de rare, ici, donc, bien au contraire, rien que de l'ordinaire. La frénésie d'achat, le jeu avec nos désirs, la confrontation à l'autre dans une recherche qui mêle fuite et confrontation de la solitude, les enjeux du monde du travail et de la mondialisation, le sexisme et la ségrégation de la pauvreté, tout y est, dans un récit qui n'a que l'apparence de la légèreté et qui m'a donné une sensation de grande proximité avec l'auteur, que ses prises de conscience n'arrivent cependant pas à empêcher de participer à ce grand jeu de la consommation.
C'est un reflet absolument parfait de ce que l'on peut vivre soi-même en fréquentant un supermarché, mêlant amusement et lucidité. Rien de plus. Et tout est dans ce rien de plus. Trompé par la familiarité du sujet, on pourrait être, en lisant ce livre, un peu comme le naïf devant un Picasso qui dit, « J'aurais pu faire aussi bien ». Mais non, bien sûr, le lecteur accroché par cette prose à la fois sensible, curieuse et attentive, n'aurait certainement pas fait aussi bien. .
Menyne Agilité postale
Messages : 864 Inscription le : 26/04/2008 Age : 53 Localisation : dis z'y mieux !
Sujet: Re: Annie Ernaux Dim 10 Jan 2016 - 9:59
J'ai déjà lu quelques livres d'AnnieErnaux et je n'ai jamais été déçue. J'aime sa manière à la fois crue et pudique de raconter ses souvenirs. J'imagine que ses propos parlent à une certaine génération. Je ne suis pas de celle-ci mais je crois comprendre. J'aime aussi entendre AnnieErnaux. Elle a une voix douce, posée. Elle est apaisante.
Je viens donc de terminer La place. Un beau récit sur les relations père/fille face à la réussite sociale. Le titre est parfait et pose le problème. Quelle est la place de chacun dans la famille ? Elle parle d'amour, de non-dits, de culpabilité, de vie. C'est beau et touchant.
Allumette Main aguerrie
Messages : 558 Inscription le : 31/12/2007 Age : 49
Sujet: Re: Annie Ernaux Jeu 7 Juil 2016 - 21:32
La place
Il s'agit d'un court roman à caractère autobiographique qui fut publié en 1983 chez Gallimard et récompensé par le prix Renaudot.
AnnieErnaux raconte des souvenirs de son enfance de façon fragmentaire. C'est suite à la douleur d'avoir perdu son père qu'AnnieErnaux propose un récit poignant sur la personnalité de celui-ci, leur vie et donc son enfance à elle, le tout avec ses yeux d'adulte et de femme ayant pu accéder à une situation sociale plus élevée.
Hommage poétique et profond d'AnnieErnaux à son père.
Livre qui m'a plus qu'émue.
Coup de cœur.
kenavo Zen Littéraire
Messages : 63288 Inscription le : 08/11/2007
Sujet: Re: Annie Ernaux Ven 8 Juil 2016 - 6:13
tiens, cela fait un bout de temps que je n'ai rien lu d'elle, en plus le sujet m'interpelle... merci pour ton commentaire, je note
J' attends de lire Mémoire de fille. Sachant que certains critiques du Figaro n' ont pas apprécié. Figaro çi, Figaro là...
Je suis au dessus du Figaro et j'ai aimé. Fonce !
Sans problème ! Merci pour ton impression.
Invité Invité
Sujet: Re: Annie Ernaux Sam 29 Oct 2016 - 9:58
Je viens de finir Mémoire de fille.
C'est assez dérangeant ce que l'auteure aborde. Avec mes mots je dirais l'espèce de transe qui nous habite adolescents.
Malgré le titre cela me semble être valable pour les hommes aussi ? Les hommes doivent certainement avoir un processus mémoriel très barré, au sortir de leurs premiers galops d'essai dans la vie. Comme celui qui est décrit ici.
Si ce livre est aussi perturbant, c'est je crois parce qu'il veut ausculter l'Action qui nous déborde, dans la première jeunesse autonome. J'ai vu défiler tellement de séquences de ma propre jeunesse, tellement d'acteurs, au statut de simples figurants, mes decodages, mes jugements, etc
Je n'ai pas tellement envie de charcuter ce qu'elle fait bouger en moi, à vrai dire. Parce qu'il y est dit aussi des choses très importantes, essentielles, mais décodées, énoncées... c'est compliqué à faire. ça renvoie trop à la construction identitaire en soi. Chaud chaud.
Bien évidemment ça me ramène, aussi, à Bourdieu, parce que cette auteure dépeint très bien ce que c'est que de ne pas avoir les codes.
Elle a vraiment un champ d'attaque très spécifique cette femme.
Quelques extraits, non représentatifs mais inspirants, ça suffira bien. je conseille, bien sûr.
Citation :
Peu d'images des deux dernières semaines à la colonie. Sans doute à cause de la fixité et de la pauvreté de mon rêve qui n'a pas permis à la réalité de s'incruster dans la mémoire
Citation :
Au fond il n'y a que deux sortes de littérature, celle qui représente et celle qui cherche, aucune ne vaut plus que l'autre, sauf pour celui qui choisit de s'adonner à l'une plutôt qu'à l'autre
Dernière édition par Nadine le Sam 29 Oct 2016 - 18:38, édité 1 fois
shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
Sujet: Re: Annie Ernaux Sam 29 Oct 2016 - 14:55
Tu avais lu d'autres Ernaux auparavant, Nadine ?? Je ne sais pas très bien par quel bout l'entamer cette dame...