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| Emile Zola | |
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colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Emile Zola Dim 3 Nov 2013 - 9:36 | |
| Le Ventre de Paris (1873) Dans le Ventre de Paris, il grouille plein d’homoncules mal digérés. Certains sont malingres, s’accrochent aux parois des Halles et en pompent les richesses pour tirer profit d’une énergie mal employée, qu’il s’agisse de fomenter des complots contre la bourgeoisie ou de révolutionner les rues, comme en 48. D’autres sont voraces et baignent dans un jus stomacal riche de charcuteries, de fromages, de fruits, de légumes et de confiseries nourrissantes. Ceux-ci attendent, brassent les flots et ouvrent la gueule pour alimenter une machinerie intérieure qui n’atteint jamais la satiété. Entre ces deux figures types s’animent d’autres profils intermédiaires plus nuancés –pour ne pas dire plus sournois- qui s’insèrent dans l’échelle des valeurs telle que définie par la théorie des Gras et des Maigres : « C'est tout un chapitre d'histoire naturelle... Gavard est un Gras, mais un Gras qui pose pour le Maigre. La variété est assez commune... Mlle Saget et Mme Lecoeur sont des Maigres ; d'ailleurs, variétés très à craindre, Maigres désespérés, capable de tout pour engraisser... Mon ami Marjolin, la petite Cadine, la Sariette, trois Gras, innocents encore, n'ayant que les faims aimables de la jeunesse. Il est à remarquer que le Gras, tant qu'il n'a pas vieilli, est un être charmant... M. Lebigre, un Gras, n'est-ce pas? Quant à vos amis politiques, ce sont généralement des Maigres, Charvet, Clémence, Logre, Lacaille. Je ne fais une exception que pour cette grosse bête et pour le prodigieux Robine. Celui-là m'a donné bien du mal."Mais se baser uniquement sur une telle classification serait aller un peu trop vite en besogne. Prenons le temps de découvrir le Ventre de Paris en compagnie de Florent. Arrêté par erreur lors du coup d’état du 2 décembre 1851, le bagnard malheureux s’évade et réussit à rentrer à Paris des années plus tard, en 1858. Le coup d’état a-t-il apporté des changements notables dans l’organisation des systèmes politique, économique et social ? C’est la question que se pose le maigre Florent –maigre, c’est-à-dire teigneux, bagarreur et dégénéré- et qu’il aura l’occasion de confronter à la réalité de ses observations voraces –donc immorales et cupides- dans les Halles de Paris. Si l’état d’un système digestif révèle la qualité du fonctionnement général d’un organisme, l’analogie est la même lorsqu’il s’agit d’une ville –fut-elle Paris ! Les Halles apparaissent comme un microcosme autosuffisant. Les marchandises transitent d’un banc à l’autre, essaimant au passage leurs colportages, leurs jeux relationnels et leurs histoires familiales. Emile Zola ne se contente pas d’une description psychologique globale qui aurait eu peu d’intérêt : les comportements des hommes les uns envers les autres semblent conditionnés par leur univers et, dans un monde constitué de nourriture de chair et d’or, les intérêts financiers et politiques se pourchassent dans la jouissance incarnée. Entre le luxe et la luxure, l’esprit n’a pas le temps de trouver ses aises. Les hommes décrits par Zola sont des bêtes, mais des bêtes imprévisibles, complexes et torturées, qu’il est fascinant d’observer. On se demande souvent si Emile Zola se situait lui-même parmi les Maigres ou parmi les Gras. Ses opinions politiques ne transparaissent jamais clairement. Toutes s’affrontent à armes égales pour aboutir à la conclusion d’une aporie politique. Si Emile Zola a des convictions, elles prennent la forme de valeurs morales qu’il s’agit de favoriser au profit de tendances provisoires portées sur des intérêts à court terme. Avant de s’incarner dans le système consommatoire, le développement durable doit se faire une place de choix dans le domaine de la moralité. Cela ne devra pas nous empêcher de bouder notre plaisir et d’apprécier la délicate balade que nous permet d’effectuer l’auteur, nous proposant de cheminer entre « les salades, les laitues, les scaroles, les chicorées, ouvertes et grasses encore de terreau », « les boudins, noirs, roulés comme des couleuvres bonnes filles ; les andouilles empilées deux à deux, crevant de santé, les saucissons, pareils à des échines de chantre, dans leurs chapes d’argent », « les melons […] d'une puissante vapeur de musc », « : les mont-d’or, jaune clair, puant une odeur douceâtre » ou encore « les troyes, très épais, meurtris sur les bords, d’âpreté déjà plus forte ».Si en politique, Emile Zola ne nous révèle jamais directement sa corpulence, son écriture nous l’annonce sans ambages : Gras est le Grand Zola, dont l’écriture majestueuse s’étoffe de digressions lénifiantes, de marivaudages insolites, de guerres aussi discrètes qu’effroyables et de métaphysique pessimiste. Le Ventre de Paris laisse repu, mais une pointe d’appétit demeure pour le volume suivant. Des descriptions synesthésiques : - Citation :
- « La Sarriette vivait là, comme dans un verger, avec des griseries d'odeurs. Les fruits à bas prix, les cerises, les prunes, les fraises, entassées devant sur des paniers plats, garnis de papier, se meurtrissaient, tachaient l'étalage de jus, d'un jus fort qui fumait dans la chaleur. Elle sentait aussi la tête lui tourner, en juillet, par les après-midi brûlantes, lorsque les melons l'entouraient d'une puissante vapeur de musc. Alors, ivre, montrant plus de chair sous son fichu, à peine mûre et toute fraîche de printemps, elle tentait la bouche, elle inspirait des envies de maraude. C'était elle, c'étaient ses bras, c'était son cou, qui donnaient à ses fruits cette vie amoureuse, cette tiédeur satinée de femme. [...] Elle faisait de son étalage une grande volupté nue. Ses lèvres avaient posé là une à une les cerises, des baisers rouges; elle laissait tomber de son corsage les pêches soyeuses; elle fournissait aux prunes sa peau la plus tendre, la peau de ses tempes, celle du menton, celle des coins de sa bouche; elle laissait un peu couler de son sang rouge dans les veines des groseilles. Ses ardeurs de belle fille mettaient en rut ces fruits de la terre, toutes ces semences, dont les amours s'achevaient sur un lit de feuilles, au fond des alcôves tendus de mousse des petits paniers. »
Illustration par la caricature de la théorie des Gras et des Maigres : - Citation :
- « Le soir, sous la lampe, tandis qu’elle approchait sa chaise, comme pour se pencher sur la page d’écriture de Muche, il sentait même son corps puissant et tiède à côté de lui avec un certain malaise. Elle lui semblait colossale, très lourde, presque inquiétante, avec sa gorge de géante ; il reculait ses coudes aigus, ses épaules sèches, pris de la peur vague d’enfoncer dans cette chair. Ses os de maigre avaient une angoisse, au contact des poitrines grasses. »
Et si ce n'est pas effrayant... seul Zola pouvait rendre des salades terrifiantes : - Citation :
- « La faim s’était réveillée, intolérable, atroce. Ses membres dormaient ; il ne sentait en lui que son estomac tordu, tenaillé comme par un fer rouge. L’odeur fraîche des légumes dans lesquels il était enfoncé, cette senteur pénétrante des carottes, le troublait jusqu’à l’évanouissement. Il appuyait de toutes ses forces sa poitrine contre ce lit profond de nourriture, pour se serrer l’estomac, pour l’empêcher de crier. Et, derrière, les neufs autres tombereaux, avec leurs montagnes de choux, leurs montagnes de pois, leurs entassements d’artichauts, de salades, de céleris, de poireaux, semblaient rouler lentement sur lui et vouloir l’ensevelir, dans l’agonie de sa faim, sous un éboulement de mangeaille. »
*peinture d'Abraham Mignon, Nature morte | |
| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Emile Zola Lun 25 Nov 2013 - 9:44 | |
| La conquête de Plassans (1874) Là où Zola passe, la sérénité trépasse. La vie à Plassans, petite ville tranquille inspirée sur le modèle d’Aix-en-Provence, se déroule dans une relative paisibilité. Une fêlure se présente toutefois depuis l’acquisition du bourg par les légitimistes, suite aux intrigues qui s’étaient déroulées dans l’épisode fondateur de la série. Avant que Plassans ne se recroqueville à nouveau sur elle-même pour s’endormir, Emile Zola lui envoie l’abbé Faujas. Derrière ses airs discrets, malgré son apparent refus de la mondanité et des éclats populaires, ce prêtre bonapartiste, envoyé par le pouvoir pour reconquérir la ville de Plassans, sèmera bientôt une douce zizanie entre les familles et les groupes politiques. La famille des Rougon intervient encore une fois directement puisque cet abbé de mauvais augure loue une chambre de la maison dans laquelle logent François Mouret, ses trois enfants et son épouse Marthe, fille de Pierre et de Félicité Rougon. Dans un premier temps, les sentiments qui animent l’intérêt de la famille tiennent essentiellement de la curiosité. L’écart temporel qui sépare notre époque de celle d’ Emile Zola devient particulièrement frappant dans ce volume de la série : alors que l’arrivée de l’abbé remuait hier les fantasmes, les craintes et la fascination des voisins, le lecteur d’aujourd’hui ne voit là qu’un banal personnage, ni meilleur ni pire que les autres, ne méritant sans doute pas tous les éclats que la suite du roman nous exposera. Avouons toutefois que l’époque ne change rien à cette observation : un nouveau voisin qui demeure reclus chez lui et qui semble vouloir éviter tout contact mondain attire forcément l’intérêt de ses congénères. L’abbé cache-t-il un secret ? Quelles sont ses pensées ? Quelles sont ses intentions ? Pourquoi a-t-il voulu s’installer à Plassans et quel mauvais secret cherche-t-il à fuir ? Toute la première partie du livre servira à résoudre cette intrigue et dans un duel qui finira par détruire leur famille, François et Marthe cherchent tantôt à intégrer l’abbé dans leur foyer, tantôt à l’en éloigner lorsque les dégâts commencent à devenir trop visibles. D’ailleurs, l’abbé n’est jamais directement coupable du moindre mauvais acte ; ce sont les personnes qui gravitent autour de lui qui, à cause de leurs intérêts personnels, finissent par détruire toutes les fondations de vies longuement construites. La répulsion et la fascination ne sont pas si étrangères que ça l’une à l’autre et lorsque l’abbé Faujas commence à cheminer parmi les foules mondaines, la liesse des habitants de Plassans devient incontrôlable. Peut-être suffisait-il seulement de suivre ce conseil pour dominer sans qu’il n’y paraisse toute une ville : « Retenez bien ceci, plaisez aux femmes, si vous voulez que Plassans soit à vous ». L’abbé Faujas s’échappe alors du contrôle de François et de Marthe. L’enthousiasme passe de leur foyer à Plassans toute entière et l’abbé, tout pleutre, maladroit et timide qu’il apparaissait au début du livre, démontre alors des prodiges de malversation et de manipulation pour mener à bien son intrigue politique. Pendant ce temps, le foyer de François et de Félicité finit complètement par s’étioler, la folie et la maladie s’abattant sur les têtes de la famille comme la condamnation éternelle de cette lignée maudite. La conquête de Plassans a sans doute perdu de son actualité immédiate. Cet épisode paraîtra sans doute plus éloigné au lecteur d’aujourd’hui que les autres épisodes de la série. Toutefois, Emile Zola réussit encore une fois à dégager une visée universelle de ses intrigues en se basant paradoxalement sur la prolifération des détails psychologiques qui caractérisent ses personnages. Si l’on oublie les intrigues cléricales et politiques, cette Conquête de Plassans devient un livre aiguisé dénonçant les manipulations de toutes formes, la dévotion aveugle et la cupidité sans morale. Rien que du très connu, certes, mais Emile Zola prend son temps pour décrire les ravages de ces mœurs et la tragédie n’en est que plus foudroyante et imprévisible. Si le leitmotiv de l’écrivain est le suivant : « La vie entière, c'est fait pour pleurer et pour se mettre en colère », il apparaîtra encore une fois de manière éloquente dans le cheminement fatal de la branche des Rougon. - Citation :
- [La chambre] sentait le prêtre, pensait-il ; elle sentait un homme autrement fait que les autres, qui souffle sa bougie pour changer de chemise, qui ne laisse traîner ni ses caleçons ni ses rasoirs. Ce qui le contrariait, c’était de ne rien trouver d’oublié sur les meubles ni dans les coins qui pût lui donner matière à hypothèses. La pièce était comme ce diable d’homme, muette, froide, polie, impénétrable. Sa vive surprise fut de ne pas y éprouver, ainsi qu’il s’y attendait, une impression de misère ; au contraire, elle lui produisait un effet qu’il avait ressenti autrefois, un jour qu’il était entré dans le salon très richement meublé d’un préfet de Marseille. Le grand christ semblait l’emplir de ses bras noirs.
- Citation :
- Eh bien ! vous avez tort de vous négliger. C’est à peine si votre barbe est faite, vous ne vous peignez plus, vos cheveux sont ébouriffés comme si vous veniez de vous battre à coups de poing. […] Vous compromettez votre succès.
Il se mit à rire d’un rire de défi, en branlant sa tête inculte et puissante.
- Maintenant, c’est fait, se contenta-t-il de répondre ; il faudra bien qu’elles me prennent mal peigné.
Plassans, en effet, dut le prendre mal peigné. Du prêtre souple se dégageait une figure sombre, despotique, pliant toutes les volontés. Sa face redevenue terreuse avait des regards d’aigle ; ses grosses mains se fut levaient, pleines de menaces et de châtiments. La ville fut positivement terrifiée, en voyant le maître qu’elle s’était donné grandir ainsi démesurément, avec la défroque immonde, l’odeur forte, le poil roussi d’un diable. La peur sourde des femmes affermit encore son pouvoir. Il fut cruel pour ses pénitentes, et pas une n’osa le quitter ; elles venaient à lui avec des frissons dont elles goûtaient la fièvre.
*photo de Jessica Craig Martin : quoi ? c'est un peu anachronique ? oh, si peu... | |
| | | GrandGousierGuerin Sage de la littérature
Messages : 2669 Inscription le : 02/03/2013
| Sujet: Re: Emile Zola Lun 25 Nov 2013 - 10:04 | |
| @Colimasson : Comptes-tu lire toute la saga ? Si oui, il t'en reste combien ... | |
| | | Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
| Sujet: Re: Emile Zola Lun 25 Nov 2013 - 13:12 | |
| - GrandGousierGuerin a écrit:
- @Colimasson : Comptes-tu lire toute la saga ? Si oui, il t'en reste combien ...
Je me rappelle avoir lu les 20 volumes de la dynastie des Rougon-Macquart en un mois (l'enthousiasme de la jeunesse ). J'espère que Colimasson lira tous les volumes, car je lis ses commentaires avec grand intérêt. | |
| | | GrandGousierGuerin Sage de la littérature
Messages : 2669 Inscription le : 02/03/2013
| Sujet: Re: Emile Zola Lun 25 Nov 2013 - 15:19 | |
| - Constance a écrit:
- GrandGousierGuerin a écrit:
- @Colimasson : Comptes-tu lire toute la saga ? Si oui, il t'en reste combien ...
Je me rappelle avoir lu les 20 volumes de la dynastie des Rougon-Macquart en un mois (l'enthousiasme de la jeunesse ). J'espère que Colimasson lira tous les volumes, car je lis ses commentaires avec grand intérêt. Constance, quelle sprinteuse ! | |
| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Emile Zola Mar 26 Nov 2013 - 13:14 | |
| Tous les Zola en un mois ? C'est pire que Nietzsche lisant Schopi en 28 jours ! Je n'ai pas cette fougue... J'ai lu les 4 premiers volumes + Germinal et La bête humaine. Me reste donc tous les autres, que je compte bien lire aussi (mais ça me prendra certainement plusieurs années parce que je n'ai pas envie de les lire d'un bloc). | |
| | | Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
| Sujet: Re: Emile Zola Ven 29 Nov 2013 - 9:47 | |
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| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Emile Zola Dim 1 Déc 2013 - 9:15 | |
| - Constance a écrit:
- colimasson a écrit:
- Tous les Zola en un mois ? C'est pire que Nietzsche lisant Schopi en 28 jours !
Je n'ai pas cette fougue...
J'ai lu les 4 premiers volumes + Germinal et La bête humaine. Me reste donc tous les autres, que je compte bien lire aussi (mais ça me prendra certainement plusieurs années parce que je n'ai pas envie de les lire d'un bloc). - Spoiler:
J'étais jeune et passionnée, mais, de jour comme de nuit, les activités étant plus que restreintes lorsqu'on est coincé sur un lit d'hôpital, on s'occupe comme on peut.
La bête humaine : j'ai vu que tu avais placé une vieille photo d'un membre de ta famille (ou d'un ami de ta grand-tante) dans sa cabine de mécanicien, à Chamonix. Effectivement, dans de telles conditions, Zola est salutaire... J'ai aussi pensé à La bête humaine en voyant cette photo et me suis demandée si j'avais devant mes yeux la photo d'un Jacques-bis | |
| | | Sullien Sage de la littérature
Messages : 1591 Inscription le : 23/10/2012
| Sujet: Re: Emile Zola Dim 1 Déc 2013 - 10:32 | |
| Ah, la Conquête de Plassans, quel bonheur ! Tout y est si subtilement orchestré, et avec une telle virtuosité qu'on en vient parfois à se demander s'il n'y aurait pas deux Zola : un théoricien mal inspiré, et un écrivain sublime. | |
| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Emile Zola Mer 5 Fév 2014 - 20:28 | |
| La faute de l’abbé Mouret (1875) Serge Mouret, fils de François Mouret et de Marthe Rougon, quitte sa bourgade natale de Plassans pour mener une vie de prêtre dans le petit village voisin des Artaud à l’âge de vingt-cinq ans. C’est un saint envoyé dans une débauche de lupanar. Bien qu’il soit reclus dans une vieille église, étroitement surveillé par une servante plus pieuse et austère que lui, les paysans autour de lui ne cessent de l’intriguer. Ils mènent une vie plus primaire que celle des habitants de Plassans. La nature elle-même exhale une force plus puissante qui commence par troubler l’abbé Mouret avant que celui-ci ne se réfugie cependant bien vite dans la foi, qu’il avait déjà profondément ancrée en lui. En effet, Serge Mouret est un garçon pieux qui ne connaît pas le vice. Connaît-il pour autant la sainteté ? Reste à voir. La réclusion n’est peut-être qu’introversion, la prière n’est peut-être que paresse, et la dilection n’est peut-être rien d’autre que l’amour chaste et abstrait de la figure mariale. On reconnaît ici les ombres d’une philosophie nietzschéenne de la vertu par méconnaissance : « […] Il n’a point vécu, il ne sait rien, il n’a pas la peine à être sage comme un chérubin, ce mignon-là ». Emile Zola ne nous le cache pas : l’abbé Mouret va faillir à ses principes et sa dilection insensée n’est qu’une première étape marquant la dégénérescence de ses conceptions. Entre sa servante et lui-même évolue la jeune Désirée, incarnation de l’âme pure et innocente, loin des conceptions religieuses, entièrement tournée vers les beautés et les mystères d’une nature considérée par-delà le bien et le mal. Si elle ne représente pas la version définitive du surhomme, elle en est toutefois une ébauche puissante. Le débordement vital de son énergie se mêle à une force qui semble sans limites, à une compréhension et à un respect de soi qui ne se cantonne pas au seul égotisme satisfait mais qui suit la logique des sentiments qu’elle éprouve vis-à-vis de la nature. Le docteur Pascal s’enthousiasme lui-même de cette force, comme il s’enthousiasmerait pour l’idéal de santé vers lequel tend tout son exercice : « Oui, des brutes, il ne faudrait que des brutes. On serait beau, on serait gai, on serait fort. Ah ! c'est le rêve !... Ca a bien tourné pour la fille, qui est aussi heureuse que sa vache. Ca a mal tourné pour le garçon, qui agonise dans sa soutane. Un peu plus de sang, un peu plus de nerfs, va te promener ! »C’est le même docteur Pascal qui s’occupe de l’abbé Mouret lorsque celui-ci tombe d’inanition. Il demande alors à le faire transférer au Parandou, une maison abandonnée tenue par l’athée Jeanbernat et sa nièce Albine. Lorsque l’abbé reprend conscience, il souffre d’une amnésie partielle et d’une impotence presque complète. Il s’ouvre surtout à une nouvelle existence. L’abbé Mouret a délaissé ses fonctions et redevient Serge, petit enfant craintif et renfrogné, qui refuse d’abord de voir toute lumière et de sortir à l’extérieur, avant de s’éveiller –voire de se réveiller- à la vie, aidé dans sa progression par la petite Albine, de dix ans sa cadette. Le contraste entre l’abbé Mouret et Serge, le village des Artaud et la vie dans le Parandou, est si frappant qu’on peine parfois à croire que la même histoire les relie. Surtout, on se demande si le clivage effectué, il sera possible à nouveau de faire se rejoindre les deux aspects de Serge Mouret. Emile Zola s’exalte autant que son personnage à virevolter dans la nature foisonnante du Paradou –on connaît ses exercices stylistiques et descriptifs, ils s’amusent ici à rendre l’âme des prairies vierges, de la flore désordonnée et de la faune sauvage qui entourent la demeure abandonnée. La nature se suffit à elle-même et devient souffle divin plus puissant que la croyance mariale –mais de même que la dilection poussée à son extrême est motif de faute, l’exaltation provoquée par la force brute de la nature peut endommager les caractères trop faibles. Dans cette histoire de déchéances et de renaissances successives, Emile Zola es intarissable de réflexions. Son histoire n’est pas seulement une allégorie de ces quelques étapes bibliques importantes que sont la Création et la Chute, c’est aussi une synthèse des idées pessimistes qui influencèrent beaucoup la fin du 19e s. Emile Zola reste toujours en retrait et s’essaie successivement à considérer l’influence que peuvent avoir ces idées sur différents caractères. Son verdict semble être le suivant, qui nous en rappelle un autre : le monde est représentation. Zola attribue moins la faute à la nature de Serge Mouret qu’aux fluctuations de ses représentations, symptômes d’une maladie de l’âme latente. « Des coins les plus reculés des nappes de soleil, des trous d’ombre, une odeur animale montait, chaude du rut universel. Toute cette vie pullulante avait un frisson d’enfantement. Sous chaque feuille, un insecte concevait ; dans chaque touffe d’herbe, une famille poussait ; des mouches volantes, collées l’une à l’autre, n’attendaient pas de s’être posées pour se féconder. Les parcelles de vie invisibles qui peuplent la matière, les atomes de la matière eux-mêmes, aimaient, s’accouplaient, donnaient au sol un branle voluptueux, faisaient du parc une grande fornication. »La faute de l’abbé Mouret n’éblouit pas tout de suite par la force de son propos. Au contraire, Emile Zola souhaite d’abord nous faire croire qu’il n’a rien à dire. Il prend ce risque pour mieux installer la logique rigoureuse de son développement théorique qui ne commence à prendre son élan qu’à partir de la seconde moitié du roman. Emile Zola se fait sans doute le vecteur –conscient ou inconscient- des nombreuses philosophies de son époque. Voici donc la manne qui s’ajoute aujourd’hui à l’intérêt dramatique : l’intérêt historique que suscite cette synthèse inspirée et originale des engouements d’une époque. Vraiment pieuse cette dilection ? - Citation :
- « La passion n’a qu’un mot. En disant à la file les cent cinquante Ave, Serge ne les avait pas répétés une seule fois. Ce murmure monotone, cette parole, sans cesse la même, qui revenait, pareille au « Je t’aime » des amants, prenait chaque fois une signification plus profonde ; il s’y attardait, causait sans fin à l’aide de l’unique phrase latine, connaissait Marie tout entière, jusqu’à ce que, le dernier grain du Rosaire s’échappant de ses mains, il se sentit défaillir à la pensée de la séparation. »
Le plaisir de l'ascèse : - Citation :
- « Au bout de dix minutes, ses genoux, meurtris sur la dalle, devenaient tellement douloureux qu’il éprouvait peu à peu un évanouissement de tout son être, une extase dans laquelle il se voyait grand conquérant, maître d’un empire immense, jetant sa couronne, brisant son sceptre, foulant aux pieds un luxe inouï, des cassettes d’or, des ruissellements de bijoux, des étoffes cousues de pierreries, pour aller s’ensevelir au fond d’une Thébaïde, vêtu d’une bure qui lui écorchait l’échine. Mais la messe le tirait de ces imaginations, dont il sortait comme d’une belle histoire réelle qui lui serait arrivée en des temps anciens. »
... qui n'est pas sans rappeler cette réflexion de Sainte Thérèse : - Citation :
- « Un jour que je me plaignais d’être obligée de manger de la viande et de ne pas faire pénitence, j’ai entendu qu’on disait qu’il y avait parfois plus d’amour du moi que de désir de pénitence dans un semblable chagrin. »
Une vision schopenhauerienne de la nature : - Citation :
- « Des coins les plus reculés des nappes de soleil, des trous d’ombre, une odeur animale montait, chaude du rut universel. Toute cette vie pullulante avait un frisson d’enfantement. Sous chaque feuille, un insecte concevait ; dans chaque touffe d’herbe, une famille poussait ; des mouches volantes, collées l’une à l’autre, n’attendaient pas de s’être posées pour se féconder. Les parcelles de vie invisibles qui peuplent la matière, les atomes de la matière eux-mêmes, aimaient, s’accouplaient, donnaient au sol un branle voluptueux, faisaient du parc une grande fornication. »
*peinture de Jean Léon Gérôme | |
| | | Harelde Zen littéraire
Messages : 6465 Inscription le : 28/04/2010 Age : 49 Localisation : Yvelines
| Sujet: Re: Emile Zola Jeu 6 Fév 2014 - 8:59 | |
| La faute de l'abbé Mouret sera mon prochain. Lecture prévue pour février ou mars. Ce sera mon 15e Rougon-Macquart : j'approche de la fin ! | |
| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Emile Zola Dim 9 Fév 2014 - 20:31 | |
| Anti-chronologique ! | |
| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Emile Zola Lun 10 Mar 2014 - 13:59 | |
| Son excellence Eugène Rougon (1876) Son Excellence Eugène Rougon acceptera-t-elle la comparaison ? son histoire nous rappelle, dans ses intentions, le plus moderne Quai d’Orsay de Christophe Blain –le style zolien plus littéraire et plus noble explosant toute autre tentative de comparaison. L’humour n’y est pas aussi caricatural non plus et pourtant, Emile Zola ne rate pas une occasion de souligner les caractéristiques risibles de ses personnages. Bouffonnerie des malheurs courtois d’Eugène Rougon, bouffonneries des petits jeux de passe-droit auxquels se livrent les petites et grandes gens de la clique politique, bouffonneries des projets législatifs proposés dans l’unique objectif de renouveler une réputation ou d’offrir des opportunités à ses connaissances... Emile Zola ne se montre jamais explicitement critique et pourtant, aucun de ses personnages ne peut susciter notre respect. Eugène aurait pu être l’un des membres les moins dégénérés de la branche des Rougon et il semble d’ailleurs convenable en tout point : respectueux des convenances et nourri d’ambitions respectables ainsi que le sont ses relations politiques, déclinées en une myriade de personnages tous plus insaisissables les uns que les autres à cause de leur goût du travestissement identitaire et politique. Dominant cette foule de petits parvenus se dresse l’empereur Napoléon III. Pas plus brillant que les autres personnages, Emile Zola n’hésite pas à le destituer de son piédestal pour le faire paraître aussi malléable et soumis aux aléas de sa vie intérieure que les autres personnages. Pour écrire ce roman, Emile Zola s’est activement documenté. Comme le fera plus tard le témoin mystérieux du Quai d’Orsay, il tire ses informations des sources les plus directes possibles, n’hésitant pas à faire appel à des connaissances mieux placées que lui –Gustave Flaubert en tête- pour connaître l’organisation des évènements les plus intimes de la vie politique du Second Empire. Aucune supercherie n’est négligée : élections truquées, propagande, poids des relations et des ambitions personnelles conditionnent cette vie politique si majestueuse d’apparence. L’homme littéraire s’étant infiltré dans la politique, au moment de l’écriture, Emile Zola donnera en retour une grande place à la littérature dans le monde politique, non pas en tant qu’objet d’émancipation intellectuelle mais en tant qu’objet de frayeur capable de remettre en cause tous les acquis individuels chèrement obtenus au prix de maintes dissimulations pseudo-politiques. « Les romans sont surtout un aliment empoisonné servi aux curiosités malsaines de la foule » -et Emile Zola, en tant que romancier, semble inscrire discrètement la position intellectuelle qui est la sienne dans cet univers longuement déchiffré. Contrairement aux précédents épisodes de la série, Son Excellence Eugène Rougon ne se distingue par aucune excentricité particulière d’un de ses personnages. Tous semblent atteints d’une même frénésie d’ambitions personnelles aussi médiocres qu’inavouées, parcelles contradictoires d’un cerveau qui serait le Second Empire en lui-même. Emile Zola écrivait : « Mon roman [sera] […] une large page sociale et humaine. J’éviterai un dénouement terrible. Le livre ne se dénouera pas par un drame. Il s’arrêtera quand j’aurais fini. Mais il pourrait continuer encore […]. Plus de souplesse encore que dans les autres. Je chercherai moins que jamais à raconter une histoire. J’étalerai une simple peinture de caractères et de faits. »Il sera effectivement difficile de trouver une intrigue à ce roman si ce ne sont le rappel d’évènements politiques frappants tels que la mise en place de la loi de Sureté ou l’attentat raté du 14 janvier 1858 : « Le lendemain soir, trois bombes éclataient sous la voiture de l’empereur, devant l’Opéra. Une épouvantable panique s’emparait de la foule entassée dans la rue Le Peletier. Plus de cinquante personnes étaient frappées. Une femme en robe de soie bleue, tuée roide, barrait le ruisseau. Deux soldats agonisaient sur le pavé. Un aide de camp, blessé à la nuque, laissait derrière lui des gouttes de sang. Et, sous la lueur crue du gaz, au milieu de la fumée, l’empereur descendu sain et sauf de la voiture criblée de projectiles, saluait. Son chapeau seul était troué d’un éclat de bombe. » Petite parenthèse dans la succession de romans ouvertement monstrueux et grandiloquents, Son Excellence Eugène Rougon semble surtout vouloir dresser le portrait d’une époque nourrie de rêves médiocres et égoïstes. Dans les basses comme dans les hautes sphères, rares sont les hommes que la plume d’ Emile Zola n’écorche pas. - Citation :
- « La capitale entière fêtait le baptême. Et il en vint à citer des chiffres, à calculer ce que coûteraient la cérémonie et les fêtes. Le Corps législatif avait voté quatre cent mille francs ; mais c’était une misère, car un palefrenier des Tuileries lui avait affirmé, la veille, que le cortège seul coûterait près de deux cent mille francs. Si l’empereur n’ajoutait qu’un million pris sur la liste civile, il devrait s’estimer heureux. La layette à elle seule était de cent mille francs. »
- Citation :
- « Mais la plus grande volupté de Rougon était encore de triompher devant sa bande. Il oubliait la France, les fonctionnaires à ses genoux, le peuple de solliciteurs assiégeant sa porte, pour vivre dans l’admiration continuelle des dix à quinze familiers de son entourage. Il leur ouvrait à toute heure son cabinet, les faisait régner là, sur les fauteuils, à son bureau même, se disait heureux d’en rencontrer sans cesse entre ses jambes, ainsi que des animaux fidèles. »
- Citation :
- « « Je voulais dire simplement ceci : les romans sont surtout un aliment empoisonné servi aux curiosités malsaines de la foule.
-Sans doute, reprit le ministre de l’Intérieur. Mais il est des ouvrages tout aussi dangereux : je parle de ces ouvrages de vulgarisation, où les auteurs s’efforcent de mettre à la portée des paysans et des ouvriers un fatras de science sociale et d’économique, dont le résultat le plus clair est de troubler les cerveaux faibles... Justement, un livre de ce genre, les Veillées du bonhomme Jacques, est en ce moment soumis à l’examen de la commission. »
Une référence voilée à Madame Bovary ? - Citation :
- « - Le feuilleton a beaucoup de succès, murmura le directeur, inquiet de nouveau. Je l'ai lu, je l'ai trouvé très intéressant.
- Ah ! vous l'avez lu... Eh bien ! cette malheureuse a-t-elle des remords à la fin ? Le directeur battit des paupières, ahuri, cherchant à se souvenir. - Des remords ? non, je ne crois pas. Rougon avait ouvert la porte. Il la referma sur lui, en criant : - Il faut absolument qu'elle ait des remords !... Exigez de l'auteur qu'il lui donne des remords ! »
*peinture de Thomas Couture, Le Baptême du Prince impérial, le 14 juin 1856 | |
| | | colimasson Abeille bibliophile
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| Sujet: Re: Emile Zola Lun 24 Mar 2014 - 14:09 | |
| L’Assommoir (1877) L’Assommoir représente la vie en abrégé : un troquet dont les étals copieusement garnis flattent d’abord l’œil et le palais du visiteur avant de couler en lui et de détruire toute volonté, toute santé et toute beauté. C’est la vie de Gervaise que Zola couvre de sa plume, la vie d’une ouvrière aussi misérable que les autres –boiteuse, battue par son père, enceinte à quatorze ans, abandonnée par son premier homme-, obligée de ne se fier qu’à elle-même pour aller de l’avant. Et Gervaise, pas encore assommée par la torpeur vénéneuse de la vie, se démène avec force et courage sans jamais se retourner sur ses erreurs passées. Elle peut bien être malade, livrée à elle-même sans le sou et sans protection et soumise aux quolibets de tous ceux qui l’entourent, s’il lui reste un horizon, Gervaise ne s’avouera pas vaincue. Ainsi parvient-elle à fonder son propre établissement et à reconstruire une cellule familiale sur les combles de son ancienne histoire. Au faîte de ses accomplissements, Gervaise parvient à réunir autour d’elle ses employées, sa famille, ses voisins et quelques personnes, prises au hasard de ses fréquentations, qu’elle nourrit et envahit de sa prodigalité pour voiler ses terreurs d’abandon et de manque. Comme les riches, on se livre alors à des banquets morbides ruisselant de viandes, de vins et de mesquineries. C’est l’extase mais un peu dégoûtante, le petit coup dans le nez qui fait du bien mais dont on se relève à chaque fois plus hagard, jusqu’à ce que l’équilibre de l’édifice soit définitivement ruiné et alors, les copains de beuverie se retranchent derrière leurs fortifications. La famille et l’emploi de Gervaise tombent en déliquescence et la force des habitudes, à la manière d’un cercle vicieux, condamne les pauvres à leurs jouissances délétères. Comme les riches, ils aimeraient pouvoir se payer un bon temps éternel, mais ils ne savent pas où le prendre, et n’ont pas les moyens de trouver une gratification à hauteur d’homme. « Ah ! vrai, dans cette vie, on a beau être modeste, on peut se fouiller ! Pas même la pâtée et la niche, voilà la sort commun. » L’Assommoir déambule dans les quartiers ouvriers de Paris et s’imbibe de son argot familier. La langue elle-même semble pouvoir expliquer la condamnation de Gervaise et des siens. Brutale et dégradante, plus apte à violenter qu’à flatter, elle est moins propice à la valorisation des individus qu’à leur condamnation. Et lorsqu’il ne reste plus rien à faire, on cherche encore à se griser. Gervaise et Coupeau, le couple triomphant, se retrouve au troquet, fascinés par un alambic qui promet d’être plein de réserves lorsque tout le reste s’est asséché. « Derrière elle, la machine à soûler fonctionnait toujours, avec son murmure de ruisseau souterrain ; et elle désespérait de l’arrêter, de l’épuiser, prise contre elle d’une colère sombre, ayant des envies de sauter sur le grand alambic comme sur une bête, pour le taper à coups de talon et lui crever le ventre. Tout se brouillait, elle voyait la machine remuer, elle se sentait prise par ses pattes de cuivre, pendant que le ruisseau coulait maintenant au travers de son corps. »La démonstration de Zola est fascinante et dépasse la critique sociale classique. La classe ouvrière n’est pas seulement lésée par sa misère, elle l’est aussi par ses propres désirs qui sont ceux de tout le monde, pauvres ou riches : luxe et plaisirs sans fin. Gervaise et les siens disposent d’une force exceptionnelle qui a failli les élever d’une piètre condition à une existence plus confortable mais leurs instincts, restés vils et bassement pragmatiques, sont la cause de leur déchéance. Toute une vie s’épanouit et se dégrade dans un souffle, à la fois grandiloquente et ridicule, aussi éphémère que l’existence de n’importe qui d’autre. - Citation :
- « Les Lorilleux passaient leur rage sur le rôti ; ils en prenaient pour trois ours, ils auraient englouti le plat, la table et la boutique, afin de ruiner la Banban du coup. Toutes les dames avaient voulu de la carcasse ; la carcasse, c’est le morceau des dames. Madame Lerat, madame Boche, madame Putois grattaient des os, tandis que maman Coupeau, qui adorait le cou, en arrachait la viande avec ses deux dernières dents ; virginie, elle, aimait la peau, quand elle était rissolée, et chaque convive lui passait sa peau, par galanterie ; si bien que Poisson jetait à sa femme des regards sévères, en lui ordonnant de s’arrêter parce qu’elle en avait assez comme ça ; une fois déjà, pour avoir trop mangé d’oie rôtie, elle était restée quinze jours au lit, le ventre enflé. »
Zola décrit l'installation d'un alcoolisme d'une manière presque pathologique. Le delirium tremens n'est pas loin... - Citation :
- « L’heure était passée où le cric lui donnait des couleurs. Il ne pouvait plus se taper sur le torse, et crâner, en disant que le sacré chien l’engraissait ; car sa vilaine graisse jaune des premières années avait fondu, et il tournait au sécot, il se plombait, avec des tons verts de macchabée pourrissant dans une mare. L’appétit, lui aussi, était rasé. Peu à peu, il n’avait plus eu de goût pour le pain, il en était même arrivé à cracher sur le fricot. On aurait pu lui servir la ratatouille la mieux accommodée, son estomac se barrait, ses dents molles refusaient de mâcher. Pour se soutenir, il lui fallait sa chopine d’eau-de-vie par jour ; c’était sa ration, son manger et son boire, la seule nourriture qu’il digérât. »
- Citation :
- « Il l'avait empoignée, il ne la lâchait pas. Elle s'abandonnait, étourdie par le léger vertige qui lui venait du tas de linge, sans dégoût pour l'haleine vineuse de Coupeau. Et le gros baiser qu'ils échangèrent à pleine bouche, au milieu des saletés du métier, était comme une première chute, dans le lent avachissement de leur vie. »
*peinture de Edmé Gustave Frédéric Brun , L'ivrogne | |
| | | dara Envolée postale
Messages : 112 Inscription le : 07/03/2014 Age : 82 Localisation : picardie
| Sujet: Re: Emile Zola Lun 24 Mar 2014 - 15:02 | |
| Bravo Colimasson ! j'ai toute la "famille" et tu as très bien résumé et expliqué merci à toi | |
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| Sujet: Re: Emile Zola | |
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| | | | Emile Zola | |
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