Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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 Romeo Castellucci

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Marko
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Marko
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MessageSujet: Re: Romeo Castellucci   Rom�o Castellucci - Romeo Castellucci - Page 8 EmptyDim 7 Fév 2016 - 23:58

Orestie (une comédie organique?)
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La pensée de midi a écrit:

Le travail, l’univers, l’esthétique de Romeo Castellucci ne ressemblent à aucun autre; aucune filiation n’est revendiquée et visible; depuis vingt ans chacune de ses créations provoque sur le spectateur une série d’électrochocs comme ceux qu’a subis Antonin Artaud et qui le fascinent tant.

Le spectateur est souvent plongé dans l’effroi et le sublime, le monstrueux et le magnifique, dans le rarissime et fugitif moment où s’ouvre à lui une infime parcelle de vérité qui confine au divin.

Le corps dans les spectacles de Romeo Castellucci à chaque fois s’expose. Exposition de corps souffrants, déformés, mutilés, mal formés dont la réalité nous terrifie car elle nous renvoie violemment aux limites de notre enveloppe corporelle et pose la question de la sublimation.

Rien n’est jamais offert, tout est à capturer intensément et il faut se laisser emporter aux confins de soi-même, même si la peur de côtoyer la folie n’est jamais très loin.

Son travail est frontière : entre le théâtre et les autres arts, entre la parole et l’indicible, entre Dieu et Lucifer ; entre le beau et l’horreur ; les chemins qu’il emprunte et qu’il fait emprunter au spectateur longent des crêtes bordées d’abîmes.

Il y a 20 ans, Romeo Castellucci présentait sa vision de L'Orestie d'Eschyle en croisant le chemin du lapin d'Alice au pays des merveilles et le théâtre de la cruauté d'Antonin Artaud (des extraits de ces différents textes fusionnant durant la première partie notamment). Il reprend ce spectacle aujourd'hui comme s'il l'avait trouvé abandonné au bord d'une route par un autre (celui qu'il était à l'époque de ses premières expérimentations d'envergure) et en lui apportant quelques transformations. L'occasion probablement de montrer son caractère prophétique puisqu'on y retrouve d'étonnants échos à l'actualité terroriste récente et une sorte d'avertissement ou de morale pour les civilisations à venir. Il lui a donné en outre une force supplémentaire en y ajoutant la bande son affolante de son compère Scott Gibbons.

Le résultat est tétanisant de violence et d'images fantasmagoriques à la fois très dérangeantes, parfois franchement morbides et proches de l'univers satanique, mais aussi poétiques, stimulantes, cathartiques. C'est une expérience très intense qui a scotché les spectateurs sur leur fauteuil pendant 2h30 qu'on ne sent pas passer. Les jeunes étudiants venus en groupe comme un public plus traditionaliste et âgé ont d'abord été secoués et malmenés avant d'ovationner la performance. C'est l'effet Castellucci qui nous conduit toujours de nos pires cauchemars archaïques et organiques à une lumière irradiante d'intelligence et de portée métaphysique. Seuls quelques rares personnes se sont levés pour quitter la salle au moment d'une des scènes les plus violentes.

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On pourrait pourtant redouter au départ d'être devant une caricature de théâtre expérimental avec son lot de trivialité et de grotesque un peu pompier. Mais ce serait sous-estimer ce génie de Castellucci qui avait déjà à l'époque développé un langage scénique parmi les plus novateurs, puissants et inspirés. Il a depuis épuré ses spectacles sans renoncer pour autant à leur côté subversif et provocateur sans la moindre gratuité. Ici on est devant une oeuvre brutale et hallucinatoire à nul autre équivalent.

On retrouve la trame principale avec les 3 parties de l'Orestie d'Eschyle et Castellucci cherche à nous faire participer intimement (plutôt que de regarder passivement) à cette expérience de la violence primitive qui se joue dans les différents meurtres de la tragédie (Agamemnon a sacrifié Iphigénie aux dieux, Clytemnestre le tue à son tour, Oreste venge son père en tuant sa mère et son amant Egisthe...). Cet abîme de l'âme humaine est ici exploré de la façon la plus triviale possible en même temps que la plus symbolique. Ce sont de véritables visions d'effroi où les meurtres en eux-mêmes déclenchent des images et des sons d'une violence presque insoutenable même si le geste meurtrier est souvent caché ou hors-champ.

La première partie est narrative avec de nombreux extraits de la pièce ainsi que des échos à Lewis Carroll et aux délires d'Artaud (où le langage se déstructure). On y croise une Clytemnestre obèse et lubrique, une Cassandre en folle furieuse enfermée dans un cube transparent, un Agamemnon trisomique et un coryphée/lapin qui nous guide à travers un enfer sado-maso...

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La seconde partie est beaucoup plus abstraite dans une tonalité de blanc immaculé où Oreste et Pylade entament une chorégraphie extrêmement étrange en forme de rituel hermétique qui conduit à l'assassinat des amants meurtriers...

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La 3e partie évoque le jugement des dieux qui libèrent Oreste poursuivi par les Erinyes qui deviendront alors les Euménides. C'est le moment le plus apaisé et en même temps le plus abstrait du spectacle. On y voit Oreste assister à ce jugement en rejoignant des singes dans une sorte de cage circulaire où il se confond avec eux. Apollon et Athéna énoncent de nouvelles lois et évoquent la fascination désespérante de l'humanité pour la barbarie. La justice civile doit remplacer la justice familiale, la vendetta.

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A l'arrivée ce spectacle nous permet de toucher à l'essence même de la tragédie par cette immersion dans un monde infernal de pulsions, de fluides, de cauchemars, d'hallucinations, de folie. Une comédie organique en effet où le grotesque et le trivial de la condition humaine barbare finit par faire place à la civilisation et à un ordre supérieur.

Scott Gibbons a tissé une bande sonore qui se fait tantôt oppressante et mystérieuse pour suggérer les enfers mentaux de l'âme humaine tourmentée, tantôt intense et stridente comme des électrochocs dans les moments de montée de violence et de meurtre, mais aussi éthérée ou apaisante lorsque les tensions se relâchent. Le niveau sonore est très très élevé (et pourtant je suis blindé de ce côté) jusqu'à l'inconfort mais c'est prenant!

Un spectacle inouï qui a les défauts de la jeunesse (ce maelstrom d'images excessives) mais aussi l'audace de la passion et du génie. Un geste créatif d'une originalité et d'une intelligence hors normes.

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MessageSujet: Re: Romeo Castellucci   Rom�o Castellucci - Romeo Castellucci - Page 8 EmptyMar 9 Fév 2016 - 1:56

Une analyse incroyablement géniale de la pièce:

L'alchimie du verbe: Orestie de Castellucci
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MessageSujet: Re: Romeo Castellucci   Rom�o Castellucci - Romeo Castellucci - Page 8 EmptyMar 9 Fév 2016 - 8:27

je comprends qu'il y a des scènes très dures, d'ailleurs tu précises que certains sont sortis mais tu as apprécié toi Marko
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MessageSujet: Re: Romeo Castellucci   Rom�o Castellucci - Romeo Castellucci - Page 8 EmptyMar 9 Fév 2016 - 11:17

Bédoulène a écrit:
je comprends qu'il y a des scènes très dures, d'ailleurs tu précises que certains sont sortis mais  tu as apprécié  toi Marko
Seulement 4 ou 5 étudiants ensemble dont une qui a fait une crise d'angoisse manifestement. Ça peut heurter (le spectacle est déconseillé aux moins de 16 ans). C'est un peu une traversée de train fantôme qui terminerait dans un espace plus serein. Et il ne va jamais au-delà d'une certaine limite. Les meurtres sont plus suggérés que montrés. On en retient surtout la complexité, le mystère et une forme de beauté poétique derrière ce qui dérange.
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MessageSujet: Re: Romeo Castellucci   Rom�o Castellucci - Romeo Castellucci - Page 8 EmptyMar 9 Fév 2016 - 17:41

merci pour le complément d'information Marko ! (oui une crise d'angoisse oups, elle était peut-être trop jeune, trop protégée, trop sensible ?)
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MessageSujet: Re: Romeo Castellucci   Rom�o Castellucci - Romeo Castellucci - Page 8 EmptyMar 9 Fév 2016 - 18:02

Bédoulène a écrit:
merci pour le complément d'information Marko !   (oui une crise d'angoisse oups, elle était peut-être trop jeune, trop protégée, trop sensible ?)
Je ne sais pas. J'ai cru au départ que c'était un fou rire mais manifestement non. Ce sont des images qui peuvent entrer en résonance avec des peurs très primitives qui sont en nous. C'est un peu comme un enfant terrorisé quand le loup apparaît chez Guignol. Claudia Castellucci, la soeur de Romeo, a d'ailleurs consacré toute une partie de leur travail à l'imaginaire des contes de fées. Je me souviens qu'au spectacle Four Season Restaurant, dont on parle plus haut avec Coline, une jeune femme avait fait une crise de tétanie tout près de moi dans un moment qui pouvait un peu déranger. Et le plus troublant était que l'un des personnages de la pièce faisait lui-même une crise de tétanie quelques secondes après! Je crois que Castellucci arrive à toucher à des strates inconscientes très puissantes dans son théâtre. Mais il ne le fait jamais pour heurter ou faire mal, il nous libère surtout.
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MessageSujet: Re: Romeo Castellucci   Rom�o Castellucci - Romeo Castellucci - Page 8 EmptyMar 9 Fév 2016 - 18:09

Pour rebondir sur ce qu'on évoquait juste avant...

Romeo Castellucci a réalisé un court métrage qui s'inspire de la nouvelle Brentano (1926) de Robert Walser. Âmes sensibles s'abstenir... c'est du Castellucci des années 90 (donc encore visuellement potentiellement dérangeant). On y retrouve d'ailleurs des images assez proches de L'Orestie qui lui est contemporain. Epoque encore à laquelle il avait créé un spectacle intitulé MASOCH qui explorait un univers presque satanique.



Extrait des archives de la Societas Raffaello Sanzio (créées par Romeo Castellucci et sa soeur Claudia) qui ont été reconnues d'importance et d'intérêt majeurs par le ministre de la culture italien:  ARCH (lien)

Citation :
Romeo Castellucci's short film Brentano (35 mm, B/N, duration: 26 minutes, 1994-1995) is built around the bidirectional convention "to watch"/"to be watched". In a central scene, the main character inserts a coin in a "peep show" which represents human orgies, and watches, behind the glass, himself being subjected to a condition of voluntary and involuntary bodily abuse. The hero becomes addicted, and keeps inserting more coins, revelling in the spectacle from two different perspectives. The central role in the orgy scene is assumed by himself, as he becomes simultaneously the object and the subject of his perversion.
Brentano is a little known film, liberally based on a novel by Robert Walser, starring Paolo Tonti, who was sensational in his interpretation of Hamlet in the performance of the Socìetas Raffaello Sanzio bearing the same title.

Dans l’esquisse en prose qu’il a consacrée à Brentano, Walser se demande : “Comment un homme qui ressent autant de belles choses peut-il être en même temps aussi peu sentimental ?” La réponse aurait été qu’il existe dans la vie comme dans les contes des êtres que l’excès de pauvreté et d’angoisse empêche d’avoir des sentiments, et qui pour cette raison, comme Walser dans une de ses proses les plus tristes, sont contraints d’éprouver leur maigre aptitude à l’amour sur des substances ou des objets inanimés auxquels nul autre ne prête attention, la cendre, une plume, un crayon et une allumette. Mais la manière dont Walser leur insuffle une âme dans un acte de totales indentification et empathie révèle que finalement les sentiments les plus profonds se trouvent peut-être là où ils s’appliquent aux choses les plus insignifiantes.

“De fait, écrit Walser à propos de la cendre, on ne peut faire sur cet objet apparemment si peu intéressant des remarques pas inintéressantes du tout que si l’on s’y plonge, pour ainsi dire, intensément, en constatant par exemple que si on souffle dessus, il n’est pas anodin qu’elle refuse de se disperser tout de suite. La cendre est le parfait symbole de l’humilité, de l’insignifiance et de l’inutilité, et ce qu’il y a de plus beau : elle est elle-même persuadée qu’elle n’est bonne à rien. Peut-on être plus inconsistant, plus faible, plus misérable que la cendre ? C’est sans doute difficile. Y a-t-il chose plus patiente et plus accommodante qu’elle ? On cherchera longtemps. La cendre ne connaît pas de caractère et elle est bien plus éloignée de toute essence de bois que ne l’est l’abattement de l’exaltation. Où cendre il y a, il n’y a, à vrai dire, rien du tout. Mets ton pied sur de la cendre et c’est à peine si tu remarqueras que tu as marché sur quelque chose.”


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MessageSujet: Re: Romeo Castellucci   Rom�o Castellucci - Romeo Castellucci - Page 8 EmptyMer 10 Fév 2016 - 9:28

effectivement cela peut bouleverser Marko. je n'ai pas lu ce livre de Walser (et pas grand chose à part ses "nouvelles du jour") mais curieusement cette vidéo me fait penser à Jung ; quand le personnage au chapeau glisse la pièce ce qu'il voit pourrait être découvrir son inconscient. (ma lecture de Jung m'a été difficile d'ailleurs)

ta profession te fait appréhender ce théâtre plus facilement je pense !

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