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| Romeo Castellucci | |
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Auteur | Message |
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Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Romeo Castellucci Lun 29 Juil 2013 - 7:34 | |
| La citation est célèbre et Castellucci l'a reprise sur le programme du spectacle.
Je ne sais pas s'il veut montrer ça essentiellement mais c'est ce que j'ai ressenti. L'idée que souvent on cherche l'émotion dans un spectacle mais qu'on la consomme comme on consommerait n'importe quel autre produit sans prendre vraiment le temps d'en percevoir la vraie nature. Ici il s 'agit de musique comme dans Four Seasons il était question de l'image (avec comme point de départ ce geste de Rothko de renoncer à donner ses toiles au restaurant chic qui devait les accueillir). La musique de Schubert contient une grande souffrance liée à sa vie et à sa personnalité. Au début du spectacle les gens applaudissent entre chaque lied avec probablement un vague fond d'ennui et de détachement. Castellucci fait jouer très subtilement la soprano de telle sorte qu'on a très progressivement le sentiment qu'elle est affectée par ce qu'elle chante et qu'elle n'est plus seulement une interprète mais qu'elle s'approprie viscéralement la douleur exprimée. Les spectateurs n'applaudissent plus. On ressent un malaise comme si notre regard devrait impudique. Et l'intervention de la comédienne pousse le bouchon plus loin en interrogeant la nature même de cette interaction entre théâtre et public. La comédienne est un peu comme chacun de nous ressentant l'indifférence silencieuse d'un Dieu quelconque qui serait témoin de notre souffrance existentielle. La scène devient presque cosmique. Il nous fait vivre une expérience qui interroge notre rapport au spectacle. C'est une expérience simple et modeste (Castelluccu dit lui-meme qu'il a realise une "petite chose" en forme d'epiphanie pour le spectateur) mais très efficace. Je mettrai l'interview qu'il a donnée à un magazine de théâtre pour illustrer. J'aime en tout cas l'idée que Castellucci qui nous a habitués à des expériences très spectaculaires nous propose cette "petite chose" qui arrive à créer plein de questionnements. | |
| | | Marie Zen littéraire
Messages : 9564 Inscription le : 26/02/2007 Localisation : Moorea
| Sujet: Re: Romeo Castellucci Mar 30 Juil 2013 - 5:17 | |
| Relu tout le fil..en tout cas, j'aurais vraiment envie de voir une de ses pièces. Quelqu'un qui reprend cette phrase de Schubert que je trouve tellement juste ne peut que m'intéresser. - Citation :
- Elle demande s'il y a quelqu'un. Elle s'approche de nous qui sommes plongés dans l'obscurité, observateurs muets. Elle prend conscience de cette présence étrange pleine d'effroi. Mais que faites vous? Que regardez vous? Dit-elle indignée, effarée. Ce choc l'anime d'une crise d'hystérie où elle se met à nous insulter, à nous enjoidre de quitter la salle. Puis elle s'effondre en larme et arrache tout le revêtement noir qui recouvre le plancher de la scène. Cette scène dure, met mal à l'aise, provoque quelques rires d'ironie ou de gêne.
C'est cela, en fait, qu'il représente? Le spectateur voyeur de cette douleur ? Mais, dans un but culpabilisateur à la Haneke? | |
| | | coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
| Sujet: Re: Romeo Castellucci Mar 30 Juil 2013 - 13:02 | |
| - Marie a écrit:
- C'est cela, en fait, qu'il représente? Le spectateur voyeur de cette douleur ? Mais, dans un but culpabilisateur à la Haneke?
J'arrive bientôt pour m'exprimer aussi sur ce spectacle...Je manque un peu de temps. Puisque Marko en a déjà beaucoup parlé, j'ai donné la priorité à Voyage à travers la nuit de Katie Mitchell (mon grand coup de coeur de ce Festival 2013). Pour te répondre rapidement Marie, je n'ai pas vu une volonté de culpabilisation du public. Mais je sais que cela a pu être ressenti ainsi. Une spectatrice furieuse m'a dit: "Alors, vous avez apprécié de vous faire insulter?" Je lui ai répondu que je ne l'avais pas vécu comme cela. Elle en était très étonnée...et moi aussi de sa réaction...Nous ne nous sommes pas comprises. C'est ce qui explique les bravos et les huées à la fin du spectacle que Marko évoque plus haut. Pour ma part je n'y ai vu que la représentation bouleversante de la crise momentanée d'une comédienne à laquelle il est demandé d'interpréter sous les yeux du public, et avec justesse , tant de douleur intime. Elle craque! Comme on claque une porte ou parle plus fort et plus durement qu'à l'ordinaire quand on ne va pas bien, avec des mots qui cinglent. Elle pète les plombs et insulte apparemment le public, oui, mais c'est sa détresse qui s'exprime. Ce qui lui est demandé est difficile, douloureux: "Je ne suis qu'une comédienne!" dit-elle plusieurs fois. Le public, lui, attend (il est là pour cela) que les artistes, la chanteuse, la comédienne, interprètent à l'excellence la tristesse infinie de ce chant du cygne. C'est ce qui lui est donné puisqu'elles sont parfaites. Mais soudain la crise révèle que jouer ou chanter en faisant passer tant d'émotion ce n'est pas seulement une représentation. Pour tant de justesse, ici tant de souffrance, l'artiste doit aller forcément chercher au plus profond de lui-même. C'est ce théâtre-là qui m'intéresse personnellement. Le théâtre de l'émotion, et des mots qui portent, bien différent et supérieur (à mon avis) au théâtre (de boulevard par exemple) qui ne me semble que parade distrayante sans grande importance. J'ai pensé que ce que ce spectacle voulait dire c'est la profondeur du travail de la chanteuse et de la comédienne, la dimension profondément psychologique et intime (en plus d'être technique) de leur métier pour atteindre une telle excellence. Sur une musique et des mots les plus beaux et tristes qui soient. J'espère que cela se sent à travers mes mots...j'ai adoré! | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Romeo Castellucci Mar 30 Juil 2013 - 14:29 | |
| Je partage intégralement le commentaire de Coline. J'avais effectivement omis de citer cette phrase essentielle prononcée plusieurs fois: '"Je ne suis qu'une actrice". C'est ce qui m'a fait évoquer Laura Dern dans Inland Empire (et d'ailleurs tout le générique final du film qui rendait hommage aux actrices comme vaillants petits soldats chargés d'incarner nos peurs, nos espoirs, nos joies à l'écran ou sur scène). Laura Dern y découvrait sa nature d'artifice avec un peu d'effroi et beaucoup d'émotion au moment où elle se retrouvait applaudie par des spectateurs invisibles. J'ai ressenti ça en voyant Valérie Dréville face à nous chez Castellucci. Ce dernier connaît-il David Lynch? J'en suis certain tellement on y retrouve d'échos de ces films (notamment dans Purgatorio qui était totalement lynchien). | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Romeo Castellucci Mar 30 Juil 2013 - 17:45 | |
| Le spectacle est finalement une fois de plus l'illustration, la quintessence plutôt, du théâtre de la cruauté tel que l'a défini Artaud: - Wikipedia a écrit:
- Le théâtre de la cruauté est une expression introduite par Antonin Artaud pour désigner la forme dramatique à laquelle il travailla dans son essai Le théâtre et son double. Derrière « cruauté » il faut entendre « souffrance d'exister ». L'acteur doit brûler les planches comme un supplicié sur son bûcher. Selon Artaud, le théâtre doit recouvrer sa dimension sacrée, métaphysique et porter le spectateur jusqu'à la transe.
Selon Artaud, pour que le théâtre redevienne grave et que les événements ne le dépassent pas, le théâtre doit abandonner le primât de l'auteur pour celui du metteur en scène.Les mots ne doivent pas être utilisés pour ce qu'ils sont, mais plutôt « dans un sens incantatoire, vraiment magique - pour leur forme, leurs émanations sensibles et non plus seulement pour leur sens». « il ne s'agit pas de supprimer la parole articulée, mais de donner aux mots à peu près l'importance qu'ils ont dans les rêves » | |
| | | Marie Zen littéraire
Messages : 9564 Inscription le : 26/02/2007 Localisation : Moorea
| Sujet: Re: Romeo Castellucci Mer 31 Juil 2013 - 2:44 | |
| - Citation :
- J'espère que cela se sent à travers mes mots...j'ai adoré
Oui! Et merci à vous deux. | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Romeo Castellucci Lun 19 Mai 2014 - 11:28 | |
| Romeo Castellucci est de retour actuellement à Vienne et très bientôt à Bruxelles pour sa mise en scène d' Orphée et Eurydice de Gluck (en version d'origine italienne à Vienne et dans la version française revue par Berlioz en Belgique avec des chanteurs différents). La presse autrichienne parle d'un spectacle bouleversant malgré une approche qui aurait pu déranger a priori. - Citation :
- Am Ende gab es – nach einigen Momenten gespenstischer Stille – frenetischen Jubel für alle Beteiligten. Als Dank für einen Abend, den man nicht vergisst.
Ce qui donne en gros en m'aidant de google traduction (Kenavo, Maline ou Tom Léo pourront rectifier s'ils me lisent ici): "Au final, il y avait - après un certain moment de silence fantômatique - un enthousiasme frénétique de tous les spectateurs. En remerciement d'une soirée qui ne s'oublie pas". J'irai le voir la semaine prochaine et j'aurais presque préféré ne rien lire et ne voir aucune image mais peu importe. Je sens bien que ce spectacle sera une fois de plus très intense. Romeo Castellucci a eu l'idée de contacter une équipe médicale, une patiente et sa famille dans chacune des 2 villes. Ces 2 femmes étant dans un état de "coma éveillé" ou plutôt de locked-in syndrome mais capables de communiquer et de donner leur accord pour le projet. Il a donc trouvé son Eurydice qui vit dans cet espace dans et hors la vie, dans une strate de conscience différente et proche en même temps, n'ayant pas pu évidemment filmer une patiente en véritable coma pour toutes les raisons éthiques qu'on suppose. Le spectacle intégrant des images de ces femmes en direct pendant qu'elles pourront entendre la musique. Le metteur en scène souhaite toujours une implication non passive du spectateur. Provoquer des émotions intenses, à la fois pures et troublantes, sans voyeurisme, et l'amener à s'interroger sur le sens de ce qu'il regarde et entend. Dans ce cas présent de faire se rencontrer l'art, la beauté, la musique et la maladie, la souffrance ou ce qui s'approche un peu de la mort. Avec cependant la possibilité d'un échange, de quelque chose de lumineux qui peut surgir. J'ai lu que ces 2 femmes étaient heureuses qu'on fasse connaître leur situation et de vivre cette expérience avec nous. Je vous en dirai plus après l'avoir vu... | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Romeo Castellucci Lun 23 Juin 2014 - 14:28 | |
| Orphée ce sera pour demain soir. Je trépigne. L'année Castellucci continue avec la reprise, après Avignon et dans le cadre du festival d'automne à Paris (Grande Halle de la Villette), de Schwanengesang D.744 du 28 au 30 novembre et de 2 créations: - Citation :
- Romeo Castellucci n’a de cesse, depuis ses premiers rapports avec la scène il y a plus de trente ans, d’interroger la matière théâtrale dans ses fondements même. Chaque pièce est ainsi passée au crible d’une réflexion sur des origines autant que sur des fins qui justifieraient la pratique du théâtre ici et maintenant, par la grâce de cet archaïsme envers et contre tout résistant : l’humain dans ses représentations.
L’œuvre est l’une de celles qui ont fait passer notre commerce avec le personnage, sa psychologie, ses intrigues dans un monde d’allégories, de sentences, d’odeurs, de couleurs et de sons, qui n’engagent plus à suivre la narration d’une fable, mais un cheminement mental à travers des blocs où s’ouvrent des connexions insoupçonnées entre objets de nature différente. Chaque scène porte sa part de parabole, jamais totalement révélée, qui joue des éléments les plus triviaux comme des plus éthérés. En interrogeant ce qui s’est infiltré et disséminé au théâtre depuis d’autres champs artistiques, philosophiques ou théologiques, scientifiques ou technologiques, chaque pièce de Romeo Castellucci met les sens en alerte, suscite un profond ébranlement physique autant que spirituel. « Théâtre d’images » a-t-on dit grossièrement, alors que « l’image » n’est qu’une composante d’une interrogation complexe de la figure et de la figuration englobant le corps, l’objet, le verbe, l’espace, la lumière et le temps. Chaque fois il s’agit pour lui de remettre le théâtre sur le métier, en tournant autour de l’irréductible irreprésentable. Comme il le fera dans les trois pièces représentées cette année au Festival d’Automne. En dévoilant dans Schwanengesang D744, couche après couche, le corps palimpseste de son interprète ; en activant, dans Le Sacre du Printemps, les traces dansantes laissées dans l’air par la terre des ancêtres ; en auscultant enfin, dans Go Down, Moses, le buisson ardent, ce « dialogue avec le feu qui conduit à brûler toutes les images ». Go down Moses du 4 au 11 novembre - Citation :
- Romeo Castellucci a toujours été habité par Moïse, par l’itinéraire, le rôle et les visions de ce « pilier de notre culture ». Porté par les tables de la Loi, le prophète fut une des figures récurrentes de la Tragedia Endogonidia. Dans Go down, Moses, son personnage passe en quelque sorte derrière les épisodes de sa propre vie. Ceux qui, projetés dans l’actualité présente, permettent au metteur en scène de travailler sur l’archéologie des formes, leur permanence. Ceux de son abandon, bébé, sur le Nil, du mystère du buisson ardent, de ses quarante jours sur le Sinaï ou de sa descente avec les tables de la Loi. Il ne les a pas traités selon la chronologie, mais dans une série d’allers et retours dans le temps, non sans bifurcations imprévisibles, via des scènes qu’il a voulues « non décodables ».
Romeo Castellucci poursuit sa réflexion sur l’image à travers l’antagonisme de deux d’entre elles : celle du veau d’or et celle du buisson ardent, « ce feu qui brûle sans rien brûler, sans objet ». Deux faces d’une même pièce, où un culte, une culture, est au revers de l’autre. À l’une son poids d’or et la consommation, à l’autre sa spiritualité et la consumation. Go down, Moses renvoie bien sûr aussi au fameux spiritual. Lorsque les esclaves afro-américains rêvaient leur propre émancipation comme une autre sortie d’Egypte. L’injonction divine à Moïse s’adresse enfin à nous-mêmes, pour peu que nous soyons, dit le metteur en scène, « exilés de notre être ». Le Sacre du Printemps du 10 au 14 décembre - Citation :
- Cent un ans après sa création houleuse au Théâtre des Champs-Élysées, Le Sacre du Printemps, le manifeste musical de Stravinsky – et chorégraphique de Nijinsky –, n’a rien perdu de son énergie fulgurante. « C’est une pièce pour les nerfs, pas pour la conscience. Cela va tellement vite, qu’au niveau épidermique, c’est presque une électrocution. », dit Romeo Castellucci, qui a voulu « réveiller cet effet de choc ». Sans altérer la moindre mesure des trente-quatre minutes et quelques secondes de l’œuvre, mais en revisitant la notion même de chorégraphie. Point de « tableaux de la Russie païenne », mais un ballet de poussière, dont les déplacements, les jeux de formes et les rythmes sont commandés par le metteur en scène depuis une machinerie sophistiquée. Il utilise à cet effet une poudre d’os d’animaux fabriquée industriellement et servant de fertilisant. Dans sa dimension spectrale, ce ballet, tourné vers le sacrifice de « l’Élue », résonne comme une évocation de la Genèse : « Oui, tu es poussière, et à la poussière tu retourneras. » Ce Sacre est précédé par une pièce de Scott Gibbons, le musicien qui accompagne le travail de Romeo Castellucci depuis quinze ans. À l’aide d’instruments scientifiques de haute technologie, le compositeur américain effectue une plongée dans l’infiniment petit, à l’écoute du bruissement des atomes. Et c’est comme s’il pénétrait sous terre, au cœur de germinations obscures, avant qu’elles n’explosent au printemps.
ça promet! | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Romeo Castellucci Jeu 26 Juin 2014 - 13:19 | |
| Orphée et Eurydice de Gluck/Berlioz (La Monnaie de Bruxelles, mise en scène de Romeo Castellucci) Orphée a perdu son Eurydice, mordue par un serpent, et chante son malheur. L'amour intervient pour l'inviter à se rendre aux Enfers à sa recherche. Orphée ne devra jamais se retourner vers elle au risque de lui paraître indifférent mais si l'injonction n'est pas respectée elle disparaîtra à jamais. La rencontre a bien lieu après une longue attente difficile puis la tentation est trop grande et Orphée se retourne. Gluck a opté pour la version heureuse qui permet à l'amour d'intervenir une nouvelle fois devant la détresse absolue d'Orphée. Les amants seront à jamais réunis. Romeo Castellucci a eu cette idée terrible et belle, à la fois dérangeante et tellement lumineuse, de faire de son Eurydice une jeune femme bien réelle, Els, isolée du monde extérieur depuis bientôt 2 ans suite à une thrombose du tronc cérébral qui a provoqué un locked in syndrome. Elle n'est pas dans le coma mais dans cet état de perception et de conscience modifiés qu'Orphée tentera de pénétrer pour établir un lien dans un geste magnifique de compassion et d'amour. Ce projet de rencontrer Els, sa famille et l'équipe soignante n'allait pas de soi. C'est d'abord une intuition sensible et artistique (une vision) puis une réflexion que Castellucci a élaborée avec ses assistants et le monde médical. La réflexion éthique et l'adhésion volontaire d'Els étant évidemment au coeur de la démarche. Un débat étant proposé à la fin de chaque représentation pour échanger nos réticences, nos questionnements, libérer aussi l'émotion très grande que cette expérience génère. Ainsi Els écoute en direct l'opéra auquel nous assistons avec un casque et dans le même temps une caméra pudique viendra progressivement à sa rencontre à travers les jardins et les couloirs de cet hôpital à la fois Enfer et havre de paix. J'ai été frappé par l'incroyable adéquation entre le livret de l'opéra et ce qui nous est d'abord raconté par écrit autour de la vie de Els jusqu'au drame puis ce qui nous est montré par une caméra aérienne et pudique qui part à sa rencontre. Les jardins et les couloirs de l'hôpital devenant ce lieu mystérieux des limbes et de la conscience qu'il faut traverser pour rencontrer l'aimée. Els nous sera d'abord montrée à distance puis par le détail de sa main sur le drap. Son visage est révélé sur les photos fixées aux murs parmi les dessins de ses enfants. Puis la caméra s'autorise à nous mener vers son regard au moment où Orphée entre en contact avec elle. Après l'erreur d'Orphée, Els/Eurydice sera perdue (effacée) une seconde fois (quelle image!). La douleur d'Orphée s'exprimant alors dans le noir complet. Puis c'est le temps de l'apaisement et des retrouvailles dans un dernier plan d'une simplicité et d'une beauté totales. Avec néanmoins une ambiguité que suggère le tableau élégiaque qui précède ce dernier plan et qui offre une vision idyllique, à l'Antique, d'Eurydice en sorte de naïade sortant des eaux (tableau animé et fantasmagorique étonnant). Orphée la contemple mais ne la rejoint jamais. A l'inverse la superposition de l'image de Els, qui envahit à nouveau tout l'écran pour une dernière fois, propose la véritable union d'Orphée et Eurydice. Une main (celle du mari de Els) surgit dans le champ de la caméra , enlève doucement le casque de ses oreilles puis lui caresse tendrement les cheveux. Contact sensible qui est pratiquement la seule façon possible aujourd'hui pour Els et son mari de se manifester leur amour. C'est peut-être le seul geste "mélodramatique" et potentiellement voyeur pour susciter l'émotion. Mais c'est surtout un geste vrai qui est en même temps le prolongement de celui du spectateur qui à travers les yeux d'Orphée a traversé ces contrées mystérieuses de la conscience pour aller à la rencontre de cette femme. Le mot compassion n'ayant jamais eu autant de sens dans un "spectacle". J'en suis sorti très ému comme je pense la plupart des spectateurs. Castellucci ne s'est jamais fait aussi pudique et sobre dans la forme même si son choix de représentation pourra heurter et susciter des réactions contradictoires. Je suis en tout cas heureux d'avoir participé à cette rencontre d'autant plus qu'elle m'a fait entendre cette magnifique musique comme jamais (Stéphanie d'Oustrac était merveilleuse en Orphée). Mon prochain rendez-vous avec Castellucci sera cet Automne à Paris. Vivement!
Dernière édition par Marko le Jeu 26 Juin 2014 - 14:45, édité 2 fois | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: Romeo Castellucci Jeu 26 Juin 2014 - 13:28 | |
| merci de nous faire partager ton émotion Marko. Juste une petite précision parce que je n'ai pas bien compris une chose concernant la caméra qui filme Els : s'agit-il d'images filmées en temps réel, en même temps que le spectacle se joue sur scène ou s'agit-il d'un enregistrement ? Je suppose qu'il s'agit plutôt de la deuxième proposition, la première paraissant très compliquée à mettre en place... En tout cas, tout ce que tu as raconté de ce spectacle me rend curieuse... | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Romeo Castellucci Jeu 26 Juin 2014 - 13:43 | |
| - shanidar a écrit:
- merci de nous faire partager ton émotion Marko. Juste une petite précision parce que je n'ai pas bien compris une chose concernant la caméra qui filme Els : s'agit-il d'images filmées en temps réel, en même temps que le spectacle se joue sur scène ou s'agit-il d'un enregistrement ? Je suppose qu'il s'agit plutôt de la deuxième proposition, la première paraissant très compliquée à mettre en place... En tout cas, tout ce que tu as raconté de ce spectacle me rend curieuse...
Non c'était bien filmé en temps réel avec un procédé assez élaboré. il y avait parfois des artefacts (pixels). Lorsqu'on entre dans sa chambre l'heure sur la pendule était la même que dans la salle de spectacle. Castellucci a précisé qu'il était prévu la diffusion d'un enregistrement si Els s'était sentie trop fatiguée ce soir là. Je pense qu'il a du y avoir quelques "raccords" enregistrés au moment des artefacts? Ils auraient perdu trop longtemps l'image sinon. Mais le résultat est très beau parce que l'image est floue, en couleur (mais semblant souvent être en noir et blanc) et que cela crée un voyage étrange vers l'au-delà pourtant concret de cet hôpital. Cela permet aussi une approche plus pudique de Els. C'est vraiment réalisé avec beaucoup de respect et de douceur. J'ai du employer le mot pudique au moins 3 ou 4 fois mais c'est vraiment ce qui s'en dégage. Et c'était nécessaire. Pour en voir des images en vidéo: ORPHEE ET EURYDICE | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: Romeo Castellucci Jeu 26 Juin 2014 - 15:27 | |
| Doublement impressionnant. D'abord en ce qui concerne la prouesse technique (dans tous les sens, y compris celui de filmer dans un hôpital) et ensuite par le fait de pénétrer en direct une intimité (même floue, même en quelque sorte absente non pas à elle-même mais bien à nous) en temps réel ; avec ce que cela comporte comme idée de pacte échangé malgré tout, de frémissement silencieux et de retenue, tout cela lié à une immédiateté du regard... Intéressant ! | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Romeo Castellucci Jeu 26 Juin 2014 - 15:55 | |
| Ce qui était troublant, en dehors de cette intrusion (acceptée) dans cette intimité pour mieux se rencontrer, c'était l'interaction entre récit mythologique, musique, drame personnel et regard du spectateur. Une osmose qui nous transporte bien au-delà d'une imagerie classique et nous implique corps et âme pratiquement. C'est d'ailleurs intéressant de voir cet avant-dernier plan final étonnant qui renvoie à l'imagerie traditionnelle avec cette naïade, ces colonnes grecques, cette forêt animée d'un souffle, ce soleil qui se lève puis se couche... presque incongru et kitsch bien que très beau. Et puis Els qui ressurgit. Cette image sur-réelle devient plus puissante et universelle que le mythe lui-même et sa représentation littérale. Els est bien Eurydice et le spectateur un Orphée par procuration. L'effet est sublime et surtout bouleversant car il y a cet achoppement terrible entre la beauté et la tristesse avec l'amour de l'autre (l'art aussi peut-être comme la lyre d'Orphée?) pour établir un pont entre les deux. Comme dans Schawengesang D744 où Castellucci s'interrogeait sur l'impudeur du regard face à la tristesse absolue du chant de Schubert et la limite entre réalité et incarnation par la comédienne. Ici il y a ce vertige de la réalité qui s'inscrit dans l'universalité du mythe et le dépasse pour nous toucher au plus profond. | |
| | | coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
| Sujet: Re: Romeo Castellucci Ven 27 Juin 2014 - 0:27 | |
| Super ce commentaire...et les photos!...C'est maintenant comme si j'y étais un peu, un tout petit peu, allée... Castellucci est un génie!
Dernière édition par coline le Ven 27 Juin 2014 - 12:35, édité 1 fois | |
| | | coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
| Sujet: Re: Romeo Castellucci Lun 7 Juil 2014 - 12:41 | |
| Vivement le 9 juillet! Streaming OrfeoLa Monnaie vous propose de découvrir toutes ses productions d'opéra gratuitement sur Internet. Dans les jours qui suivent la dernière représentation de chaque spectacle, vous pouvez voir ou revoir nos opéras, gratuitement et pendant trois semaines sur ce site. Orphée et Eurydice est à voir intégralement à partir du mercredi 9 (20h) jusqu'au mardi 29 juillet 2014. | |
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| | | | Romeo Castellucci | |
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