Martha Marcy May Marlene [Sean Durkin]

Aeriale a écrit:

Mais je ne le perçois pas du côté du cinéaste qui nous laisse une distance salutaire représentée par le couple. Tout comme Avadoro, je n'ai pas senti que Durkin cherchait à se positionner, il nous suggère simplement sa vision de ce monde qu'elle doit ré-appréhender. On est à la fois dans le mental de Martha mais raccordé à une norme par la soeur et son beau frère.

Difficile d'exprimer un ressenti mais je tente le coup...

Tu ne trouves pas qu'il renvoie quand même une image attendue et figée de cet univers bourgeois dont il ne cesse de montrer l'égocentrisme derrière la façade bienveillante (Mike Leigh faisait pareil dans Another Year mais avec plus de nuances). Ils sont accueillants en surface (surtout la soeur qui a une réelle inquiétude c'est vrai) mais sont plus soucieux du respect des codes sociaux que de s'adapter à son mode de fonctionnement. Certes Martha dérape dans ses comportements et ils le lui font comprendre mais surtout elle les dérange dans leur confort et leurs repères. Univers que Martha observe attentivement en espérant y trouver un refuge mais elle se rend compte que ces codes sont tout autant une prison (ce qui l'a d'ailleurs probablement incitée à quitter sa vie d'avant en allant dans la secte). Le film montre qu'elle a été conditionnée, programmée par la secte et que cela interfère dans sa vie présente mais la vie extérieure propose un espace où elle n'arrive pas non plus à trouver sa place. Les 2 espaces, secte et monde "réel", étant mis en parallèle tant sur le plan de l'effacement des repères mentaux que des similitudes qu'ils offrent en tant que refuges insatisfaisants pour s'adapter à la vie. Chez Martha bien sûr, mais à travers elle le cinéaste interroge le "conditionnement" par les codes sociaux. Et de ce point de vue je le trouve insatisfaisant, trop basique dans cette opposition. D'autant qu'ils sont montrés de manière trop laborieuse, systématique et signifiante par ces allers-retours passé/présent.

Je me rends compte que lorsqu'on accepte les conventions d'un récit et d'une mise en scène l'ensemble fonctionne mais si on perçoit trop certains artifices (je trouve vraiment que la représentation de sa folie latente est caricaturale) on a du mal à se laisser séduire complètement. Et la frontière entre les 2 est étroite. Difficile de faire un film! Plastiquement il est très bien en tout cas.

Je suis relativement d'accord avec cet article sur certains aspects tout en aimant le film davantage: Martha/Chronicart

Oui peut-être, tu n'as pas tort. Je ne l'ai pas vu ainsi mais en te lisant et en tenant compte de l'article aussi, il est possible que le cinéaste ait voulu faire une critique du système bourgeois, mais si peu assumée que beaucoup ne la verront pas, sauf comme le relève chronic'art dans cette scène du repas. Il y a un point important dont on n'a pas parlé et que tu évoques ici, qui m'aurait sans doute intéressée davantage, c'est comment et surtout pourquoi Martha est tombée dans cette secte. Les deux soeurs ont une discussion qui éclaire ce sujet sur les marches de l'escalier menant au jardin, Martha reproche à sa soeur d'avoir voulu l'enfermer dans une sorte de rigorisme aliénant, d'avoit trop voulu la cadrer dans le but d'en tirer la meilleure part, et celle ci s'est rebiffée, de là sa tentation à rejoindre un monde idéalisé et communautaire où les règles de réussite ne sont bien sûr pas les mêmes.

Donc effectivement on peut sentir un léger parti pris et l'ébauche d'une critique des codes sociaux, dommage dans ce cas qu'il n'ait pas été plus précis. Question de choix, l'effet voulu semble être le flou, la béance laissée par ce véritable lavage de cerveau, et la paranoia qui en découle. On est plus dans les perceptions que dans l'analyse, et cela nous laisse en tout cas un sentiment de frustration, en ce sens je te rejoins. Et c'est vrai que ces allers retours passé-présent sont un moyen un peu facile et systématique...

Reste que c'est un des bons films à voir actuellement malgré ces quelques réserves de fond

P.S. Ajouterais-je qu'il y a aussi un peu de complaisance morbide dans le récit sectaire? Stop j'arrête!

Je l'ai trouvé très bien fait ce film.
Touchant sans être dans une empathie extrême. C'est plaisant, surtout que les thèmes étaient vraiment très lourds à traiter. Fortiche de la part du réalisateur et des acteurs de parvenir à parler, montrer, toute cette violence, ce drame, tout en étant "légers".

Alors, oui, ça rentre un peu dans un systématisme les plans du passé qui se mêlent au présent, mais c'est aussi de manière crescendo, avec les traumas très forts, qui, repoussés quelques temps, reviennent hanter Martha, de plus en plus. Et de plus en plus dans une paranoïa épidermique.

J'ai beaucoup aimé le grain, les tons, les couleurs des images. Sorte d'évanescence, quelque chose d'éthéré, de pas tout à fait réel, et certainement pas réaliste. L'impression d'un récit d'ailleurs, qui est fragile. Doux.

Étrange, d'ailleurs, cette douceur.
Pour nous donner envie de bercer Martha jusqu'à ce que ses cauchemars s'effacent ? Pour lui laisser le temps de se dévoiler, et de raconter son histoire ? Cette douceur qui lui manque, finalement, auprès de sa sœur.

Je ne trouve pas que le film soit tellement dans une critique virulente contre le monde petit bourgeois. J'aime les confrontations entre les gens de la secte et "les autres". Une sorte d'incompréhension totale, qui débouche sur la peur. C'est très réaliste et très humain. Et à aucun moment je pouvais me dire que ce type qui se fait poignarder ou la sœur et son mari, méritent ce qui leur arrive, ou sont vraiment des matérialistes irrécupérables. Il y a une perte, ils s'accrochent à leurs propres repères, ne font pas tout exactement comme ils devraient, mais ils essayent. Ils ont vraiment un "bon fond". C'est important.

Et finalement, c'est Martha qui ne s'adapte à rien. On ne peut pas lui en vouloir, mais c'est son regard qui rend tout difficile. On sent qu'il lui faudrait du temps, de la chaleur. Mais en même temps, elle est toute pleine de méfiance.
Un personnage qui fait penser à celui de Kirsten Dunst dans Melancholia.

Ce que j'ai aimé dans ce film, c'est qu'ils n'accusent personne (à part Patrick, le gourou, et encore...). On est face à un film qui parle de la difficulté d'être soi, d'être avec les autres, de bien communiquer, de vivre ensemble sans s'écraser, se faire du mal.

L'ambiance, par contre, devient de plus en plus pesante et flippante au fur et à mesure que le temps passe et que Martha perd pied. Une présence plane tout le temps, Martha se sent traquée. On sent la noyade arriver. La fin ouverte laisse un peu sur sa frustration.

Un bon film. Un beau film. De la douceur dans l'horreur. Une actrice fabuleuse.

J'adhère bien à ton commentaire Queenie. Les défauts que je lui trouve sont subjectifs et il reste un film agréable à voir.

Je partage aussi ton avis...et ce film m'a sans doute particulièrement marqué car évoquant des préoccupations passées pas si enfouies ("la difficulté d'être soi" est en effet la source des oppositions, des incompréhensions qui construisent le récit).

Marko a écrit:

J'adhère bien à ton commentaire Queenie. Les défauts que je lui trouve sont subjectifs et il reste un film agréable à voir.

Tout est subjectif de toute façon.
Mais c'était vraiment intéressant de voir que tu avais vraiment "bloqué" sur la critique des nantis, alors que j'étais vraiment passée à côté de cet aspect.
Et que le montage du film, sa construction répétitive mais évolutive t'as gênée.
Comme tu le dis : un film où il faut se laisser embarquer.

Avadoro a écrit:

Je partage aussi ton avis...et ce film m'a sans doute particulièrement marqué car évoquant des préoccupations passées pas si enfouies ("la difficulté d'être soi" est en effet la source des oppositions, des incompréhensions qui construisent le récit).

Tu m'étonnes que ce n'est pas si enfouies. Jpense qu'on ne s'en débarrasse jamais complètement de ces préoccupations.

Une vieille ferme retapée dans la cambrousse… De jeunes gens sereins se relaient dans la salle à manger, le soir, pour prendre leur repas. D’abord les hommes, ensuite les femmes. On dort par terre, on fait tout soi-même… La cuisine, le jardinage, le bricolage… Le spectateur se sent rejetés dans un passé pas si lointain que ça, du temps où les écoles n’étaient pas encore mixtes et où les écrans des téléviseurs n’illuminaient pas les intérieurs en fin de soirée. Les visages souriants ont l’air d’indiquer que tout se passe bien… Mais Martha décide de s’enfuir…
Martha représente la faille dans le système, quel qu’il soit. Difficile d’imaginer que l’endroit qu’elle vient de fuir est une secte des monts Catskill dans l’Etat de New York. Les premières scènes nous donnent de ce lieu une image presque idyllique, bien éloignée en tout cas de qu’on peut imaginer d’une secte… On pense plutôt à un camp de vacances un peu baba, sans le confort matériel auquel nous a habitué la société moderne, mais tout de même pas désagréable.
S’étant fait la malle, Martha retrouve sa sœur, Lucy, et son beau-frère, Ted, et s’installe avec eux dans leur résidence quatre étoiles au bord d’un lac…

Lucy est ravie de retrouver sa petite sœur dont elle n’avait plus aucune nouvelle depuis deux ans. Martha, elle, semble moins enthousiaste. On dirait presque qu’elle regrette de s’être enfuie des monts Catskill… Entre deux scènes ordinaires de la nouvelle vie qu’elle mène chez sa sœur, des souvenirs lancinants des deux années qu’elle vient de passer viennent s’immiscer. Au début, on croirait presque que ces souvenirs viennent faire l’apologie d’une communauté parallèle qui aurait réussi à se fonder sur des principes utopiques : autosuffisance, répartition des tâches, amour du prochain, abandon de l’individuel au profit du commun… Ces scènes sont d’autant plus valorisées qu’elles répondent par contraste à l’égocentrisme et au matérialisme de Lucy et Ted qui vivent dans leur petite bulle de confort sans jamais sembler se préoccuper d’autrui. Cela est vrai, peut-être, quoique Lucy semble sincèrement touchée par le malaise croissant de Martha, mais le temps passe et les souvenirs de la secte sont de moins en moins enjolivés. Tout en restant dans un air de décontraction et de légèreté absolues, la manipulation est montrée sous ses aspects les plus tyranniques. De quoi bousiller toute une personnalité.
Est-ce pour cette raison que Martha n’arrive pas à retrouver ses repères, de retour dans un quotidien plus « normal » ? Le lavage de cerveau qu’elle a subi a-t-il été si efficace qu’elle ne peut définitivement plus s’en défaire ? A moins que ces deux années, sans qu’elle n’en ait tiré le moindre aspect positif, lui aient donné du recul et lui aient permis de poser un regard différent sur la vie que mènent Lucy et son beau-frère ?

Ce film révèle de nombreuses interrogations qui ne méritent pas d’être négligées. Il questionne sur la place que l’individu cherche à se donner au sein d’une société individualiste qui mesure la réussite à l’aune de critères essentiellement matérialistes. De là, peut-on s’étonner que certains se perdent dans des expériences sectaires traumatisantes ? D’ailleurs, de tous les membres de la secte, seule Martha semble s’être perdue, car les autres, malgré quelques contradictions internes qui transparaissent parfois à travers leurs actes ou leurs paroles, semblent vraiment trouver un intérêt à l’expérience qu’ils vivent. Si Sean Durkin a voulu porter une critique à travers son film, alors elle concerne aussi bien la secte des monts Catskill que la vie repliée de Lucy et Ted. Ce constat semble n’apporter aucune solution. La folie rattrape doucement Martha. Elle se rapproche à pas de velours, gentiment, et la happe presque comme pour la sauver. Cette conclusion désespérante était la meilleure. Constat glaçant pour un film brillamment réalisé.

Sorti en dvd et un des rares apprécié dans les derniers vus..

Citation :

Un personnage qui fait penser à celui de Kirsten Dunst dans Melancholia.

Oui, moi aussi j'y ai pensé!
J'aime bien vos discussions autour d'un film, même si j'arrive, comme d'hab, avec plus d'un train de retard..
Pas vu non plus de critique des nantis , mais autre chose, le choix difficile de la soeur entre sa propre vie et celle de sa soeur, c'est très bien rendu dans les scènes très sobres . entre les deux soeurs. Et ce qui est passionnant aussi , c'est comment ce très jeune réalisateur parvient à montrer, en peu de scènes , ce qui retient ces jeunes dans ces sectes.
A voir, vraiment!

L'avantage d'arriver "après la bataille", c'est que tu fais remonter un sujet qui le mérite.
Ce film était vraiment bon. Et tu as tout à fait raison sur la belle et touchante sobriété des scènes entre les deux sœurs. Un jeu d'actrice très sensible et une réalisation très douce. Alors que le sujet est tellement lourd.

De très bons souvenirs de ce film...
Il se fait entendre tranquillement, sans trop de remous, mais il reste bien en mémoire...

Et si je le revoyais pour voir si ma perception a évolué?

Je viens de le terminer à l'instant.. difficile de digérer aussi rapidement..
Je n'apporterai rien de plus important à ce qui a été dit..

J'ai été tout simplement scotché par ce film ! Ce silence est effrayant,
cette douceur apparente nous glace le sang, et cet arrière-monde
(qui n'est pas "mauvais", au sens où justement.. c'est pas un
manichéisme total) est d'une violence extrême.. annihilant tout
repère social, et moral...

J'aurai un léger reproche à faire tout de même. Le monde présent
me paraît trop vide, par rapport à l'omniprésence (évidente) du passé..
Je veux dire par là que je reste sur ma fin/faim.. avec ce début de thriller
(pardonnez l'expression) dont on sent le début et puis POUF ! Il reste peut-être
un peu trop silencieux..

Merci de reparler de ce film qui me laisse encore un souvenir marquant !

san.romain a écrit:

J'aurai un léger reproche à faire tout de même. Le monde présent
me paraît trop vide, par rapport à l'omniprésence (évidente) du passé..

Oui, mais n'est-ce pas justement une des causes responsables du mal-être du personnage ?

Je parle vide, au sens où, j'ai l'impression que le présent est presque
un simple prétexte à articuler le passé, de manière décousue.. et cette
poursuite de la "secte" devient un imaginaire (ce qui est bien), une peur
psychologique et paranoïaque.. et la fin diminue bêtement cela..

Par conséquent, y a-t-il vraiment une "poursuite" ?
Cette violence se justifie-t-elle complètement ?