Hubert Selby Junior

Maryvonne j'aime ta critique parce qu'elle est hyper ressentie. Y'a rien en trop, juste ce qui parle.Comme ça par exemple

Citation :

Là, il a touché la corde sensible. Et pour le coup, j'ai été prise en traitre,

Hé oui. Tu me parlais au début du coté drôle et il y est bien sûr. Mais c'est cela qui touche encore plus, c'est que sans s'y attendre, d'un revers de phrase, il nous plante une flêche en plein coeur.

Trop contente que tu aies aimé en tout cas

-Le saule-

Marko a écrit:

Une sorte de parcours initiatique où Selby montre à nouveau combien la haine et la soif de vengeance peuvent nourrir la souffrance et nous détruire en nous transformant en monstres potentiels. Il y a donc urgence pour sauver ce gamin. Ce vieil homme, qui en connait un rayon côté douleur et rancoeur, va tenter de transformer ce sentiment de haine en amour. Et ce qui est magique dans le roman c'est qu'il ne le fait jamais comme un vieux sage ou un donneur de leçon, il se contente de lui tendre la main et de devenir une sorte de grand-père de substitution. Et tout cela conduit à un final qui est un des plus extraordinaires que j'aie jamais lu

Marko en a très bien parlé, je vais essayer de ne pas trop revenir sur ses mots, mais ce qui m'a encore frappée c'est qu'on est de suite happé. Un récit fait d'urgences où les deux personnages principaux, symbolisant peut-être chacun le corps et ses pulsions et l'esprit et sa foi, se retrouvent quasi coupés du monde dans cette sorte de bunker construit par Moishe qui lui a atteint un état de grâce.

Revenu des camps et passé par toutes les étapes de la désespérance, du désir de vengeance puis de la rédemption, celui ci lutte intérieurement pour amener son petit protégé à cet état d'acceptation par tout l'amour qu'il peut lui transmettre. Il ne cherche pas à le contrecarrer, il est dans l'attente, c'est vraiment une figure presque christique. Bobby lui n'est mû au début que par la haine, une totale incompréhension qui le pousse à encore plus de violence, car pour lui point de salut.

Chacun d'eux cherche un sens qu'ils peinent à trouver. D'autant qu'ils évoluent dans un monde où la justice n'existe pas. Maria se persuadera qu'elle mérite son châtiment et se sacrifiera, sa famille se résignera et leur sort a tout de la détresse la plus terrible car elle se heurte au néant. Moïshe est le seul à avoir dépassé tout ça en transcendant la souffrance par le pardon.

J'ai retrouvé avec bonheur le style âpre et souvent brutal de Selby Jr, clairsemé de sa poésie si particulière et qui touche doublement parcequ' elle se cache où on ne l'attend pas. On rentre avec une incroyable facilité dans le psychisme de ces hommes malgré leurs univers aux antipodes, car l'humanité est toujours là. Mais l'écriture très orale m'a parfois génée, et si la montée en puissance existe bien et nous prend dans ses filets, je l'ai trouvée moins remarquable que dans Le démon qui reste pour moi supérieur en intensité.

On ressent ici un Selby plus apaisé, qui a survécu à ses démons et à sa maladie lorsqu'il écrit ce livre et cela ne peut que toucher lorsque l'on connait son parcours. Mais pour moi il n'est jamais aussi bon que dans ses révoltes. Ceci dit c'est un superbe roman, ne me faites pas dire l'inverse!

aériale a écrit:

-Mais l'écriture très orale m'a parfois génée, et si la montée en puissance existe bien et nous prend dans ses filets, je l'ai trouvée moins remarquable que dans Le démon qui reste pour moi supérieur en intensité.

L'escalade finale est très intense et pour une fois au moins elle fait du bien! ça m'a reposé à côté de La Geôle qui était un cauchemar absolu. Et je sens que Le démon sera pour mes prochaines vacances!!

Marko a écrit:

L'escalade finale est très intense et pour une fois au moins elle fait du bien! ça m'a reposé à côté de La Geôle qui était un cauchemar absolu. Et je sens que Le démon sera pour mes prochaines vacances!!

Tu as bien fait de me réinciter à le lire Marko! Même si j'ai une préférence pour l'autre, je reconnais que les retombées une fois le livre fermé sont plus intenses ici. Un livre qui force à réfléchir!
(Mais je pense que tu vas être surpris par Le démon)

Mon prochain sera sans doute Waiting period.

aériale a écrit:

-Le saule-

On ressent ici un Selby plus apaisé, qui a survécu à ses démons et à sa maladie lorsqu'il écrit ce livre et cela ne peut que toucher lorsque l'on connait son parcours. Mais pour moi il n'est jamais aussi bon que dans ses révoltes. Ceci dit c'est un superbe roman, ne me faites pas dire l'inverse!

C'est donc par Le saule que je commencerai à lire Selby.

J' ai apprécié Last exit to Brooklyn, mais les autres tournaient trop au cauchemar...

Je lirai quand meme Le Saule...

bix229 a écrit:

les autres tournaient trop au cauchemar...

Je m'en doutais...C'est ce qui me freinait...

J' oubliais aussi Chanson de la neige silencieuse...

Et puis la compassion de Selby pour la souffrance humaine, sans concessions ni mièvrerie,
m' a toujours surpris.
Quand on regarde des photos de Selby à la fin de sa vie, on a l' impression que cet homme
a traversé l' enfer les yeux ouverts...

J'ai à peu près tout lu de lui, et pour ceux qui voudraient s'y mettre, je recommande le recueil Chanson de la neige silencieuse, pas le plus représentatif mais avec deux ou trois petits bijoux. On le compare souvent à Céline, à tort selon moi, mais ici on est plus proche d'auteurs russes tel Gogol.

willself a écrit:

J'ai à peu près tout lu de lui, et pour ceux qui voudraient s'y mettre, je recommande le recueil Chanson de la neige silencieuse, pas le plus représentatif mais avec deux ou trois petits bijoux. On le compare souvent à Céline, à tort selon moi, mais ici on est plus proche d'auteurs russes tel Gogol.

Je l'ai commandé... Et j'embarque Le démon en vacances...

16 h. - France Culture - Monsieur est Selby, sur le site de franceculture.com

Le démon (1976)

(je ne suis pas fan de la couverture 10/18)

Lecture proposée par Aériale dans le cadre de la chaine de lecture.

Je fais des allers-retours avec les lectures us avec le plus souvent un blanc dans cette période beat et post-beat. Il y avait donc en plus de l'enthousiasme général pas mal de curiosité. Ce que j'ai remarqué rapidement c'est que ça se lit très bien, très facilement, c'est très fluide. On est comme dans la tête de Harry White, un jeune homme qui vit chez ses parents et s'y sent bien, sort modérément si ce n'est pour séduire des femmes mariées auxquelles il fait prodigieusement bien l'amour. La tentation d'une vie tranquille et plutôt heureuse. Une vie qui rencontre malgré tout une certaine normalité et stabilité imposée. Plaire au boulot implique de dompter ses pulsions, et de fonder une famille. Famille fondée avec la parfaire Linda. Mais les succès personnels et professionnels sur le papier ne peuvent résoudre tous les problèmes et spirale infernale d'insatisfaction, d'excès, de culpabilité, de peur et de jouissance...

Le tout dans un style oral (et légèrement dans l'ostentation) et un décollage de la réalité de plus en plus sauvage. Le rythme est en dérapage et accalmies qui s'accélèrent au fur et à mesure que l'amplitude de la transgression augmente et passe par un certain avilissement. Les histoires de fesse tiennent entre la moitié et les deux-tiers du bouquin. ça se lit bien tout du long mais j'avoue que je n'ai pas trépidé et encore moins décollé au fil des pages. Le rythme de croisière de l'écriture est assez invariable et la répétition se fait autant sentir que les silences démonstratifs ou changements de focus vers plus de grandiloquence. Pour faire un très très mauvais jeu de mots pour cet auteur je dirai que ça manque de souffle. Vitesse de croisière. D'autant que le livre est raconté dès l'exergue (plus fort que le quatrième de couverture !). Je rejoins donc Bertrand pour l'élagage. Ensuite le gros suspens du bouquin c'est la morale, quelque part il n'y a pas vraiment de doute mais on se demande comment ça va se terminer : rédemption or not rédemption. Ce n'est pas que le récit n'interroge pas le modèle (caricatural) du succès, de sa société et de son époque, puisque rien n'y fait mais que malgré tout et toujours, quelque part la morale est sauve, très américain (... pas gentil de dire ça ?), très linéaire, très simple, très défini. Et c'est là aussi que la rébellion et le choc sont très amoindris, pourtant je n'ai rien contre les auteurs qui jouent de l'engagement moral (au contraire ?). ça donne à la fois un déphasage et une conformité assez puissante, renforcée par l'uniformité de la langue et du propos, de la construction (à part une accélération il n'y a pas grand chose).

Restent le récit de la pression, du doute, d'une espèce de paranoïa et quelques autres phases qui sont loin d'être mal racontés (ptet du aux consommations diverses de l'auteur et ce qui va avec). Une lecture en demie teinte et qui me laisse sur ma faim car trop linéaire, trop d'un effet unique, un peu perdue entre sa finalité et son absence de construction (ses facilités), assez nombriliste aussi et pas seulement dans son personnage. Je comprends mal le statut d'on jouit ou jouirait la chose ?

Pour le rapprochement avec Shame, rendez-vous sur un autre fil.

je ne suis pas absolument contre cette manière de voir d'animal, juste qu'à un moment donné dans Last exit to Brooklyn, apparait une forme de compassion, quelque chose de pur, de simple, juste le sentiment que ce que l'on fait vivre à certaines personnes est inhumain. Il ne s'agit pas, pour autant, de littérature et c'est bien là où se pose la question du journalisme et de la transmutation dans quelque chose d'autre qui serait de la littérature. De la même manière je me posais la question à propos de Malaparte (La Peau), où est la création, dans quels recoins se cache-t-elle pour ne pas être simplement du reportage, de l'effectif, du concret, de l'absurde, de l'horrible... ?

C'est là où je n'ai pas raccroché tous les wagons, il y a quelque chose d'indéniablement sincère dans le rapport au mal infligé (et subit d'ailleurs... Et choisi) mais ça se retrouve englué dans un semblant de lecture religieuse linéaire (et renforcée par la linéarité démonstrative du récit). Il y a je trouve une part d'esbroufe (ou de nombrilisme) non négligeable dans la cuisine qui peut passer dans beaucoup de cas mais m'est apparue comme du pilotage automatique. ça ressemble à l'image que je me fais d'une écriture d'époque (entre sur la route et le peu de poésie lue), finalement le plus intéressant (pour moi) serait dans le rapport à la moral mais comme si la question n'était pas complètement posée puisque la réponse est imposée d'emblée. Il y a une forme de duplicité pas un peu en contradiction avec l'apparence franche d'écriture vérité. Comme s'il n'arrivait pas à aller poser son point d'interrogation et que du coup il se repliait sur des choses plus facile (la part de provocation/crudité et la part d'examination du modèle de contentement).

Le propos n'aurait pas été moins intéressant sans l'excès (meurtres, cardinal, charabia un peu gratuit) et la mise à l'écart des contrepoints oubliés, je pense surtout aux parents, leur disparition brusque du récit... pourquoi ? pourtant des parents avec lesquels il y a entente et proximité en plus... comme s'il y avait esquive de l'origine de la tension, quelque chose de trop accessoire ?

J'ai reconnu des choses qui m'ont parlé, des ombres, des ressemblances dans ce qui est vain et conscient et des réactions plus tout à fait sûre ou appropriées mais malgré tout c'était une lecture en sécurité complètement, détachée.

Il y aurait une tentation de la transmutation mais pas l'ébranlement pour y croire assez ?

Aie, Animal qui me saque Selby! Bon, je veux bien plus ou moins comprendre tes réserves, mais je ne les partage pas, tu t’en doutes;) Tu reconnais avoir été d'emblée dans la tête de Harry, avoir ressenti cette spirale d'insatisfaction doublée de culpabilité lorsqu'il cherche à rentrer dans une normalité. Pour moi c'est bien le plus important. Selby excelle à dépeindre la dualité entre les deux (la jouissance et la peur qu'elle engendre) A partir de là effectivement le rythme s'accélère ou décroit suivant les crises du héros. Chez moi ça a totalement fonctionné.

animal a écrit:

Le rythme de croisière de l'écriture est assez invariable et la répétition se fait autant sentir que les silences démonstratifs ou changements de focus vers plus de grandiloquence. Pour faire un très très mauvais jeu de mots pour cet auteur je dirai que ça manque de souffle. Vitesse de croisière.

Ces répétitions qui t'ont gêné sont indispensables je crois, si on veut rentrer dans son psychisme. Tu regrettes un manque de souffle, c'est sans doute que l'effet est réussi car on est comme Harry, enfermé dans son addiction. Je ne vois pas comment on aurait pu mieux s'y prendre pour démontrer tout le mécanisme psychique d'un homme en lutte avec lui même et peu à peu rattrapé par sa folie destructrice.

A l'époque où le roman a été écrit, le rêve américain et les obligations de réussite qui s'y rattachent battaient toujours leur plein, et on sent bien que son héros étouffe dans cette perspective de bien être absolu auquel il doit se conformer (les passages de plénitude sont quasi dégoulinants de bonheur jusqu’à la caricature mais bien explicites aussi) Comme le personnage de Shame auquel tu fais référence son addiction sexuelle n'est qu'un exutoire, révélateur d’une tension profonde, ils cherchent confusément une libération, quelque chose qui les transcende (je pense au Septentrion de Calaferte aussi) et peu à peu ils finissent par s'y perdre. Pour moi tout cela est magistralement bien rendu, l’origine de cette tension assez finement suggérée, je n'ai pas vu d'effets grandiloquents ou de manque de construction, mais bien sûr chacun son ressenti…

animal a écrit:

Ensuite le gros suspens du bouquin c'est la morale, quelque part il n'y a pas vraiment de doute mais on se demande comment ça va se terminer : rédemption or not rédemption. Ce n'est pas que le récit n'interroge pas le modèle (caricatural) du succès, de sa société et de son époque, puisque rien n'y fait mais que malgré tout et toujours, quelque part la morale est sauve, très américain (... pas gentil de dire ça ?), très linéaire, très simple, très défini. Et c'est là aussi que la rébellion et le choc sont très amoindris, pourtant je n'ai rien contre les auteurs qui jouent de l'engagement moral (au contraire ?). ça donne à la fois un déphasage et une conformité assez puissante, renforcée par l'uniformité de la langue et du propos, de la construction (à part une accélération il n'y a pas grand chose).

Je trouve que pour cette époque engoncée dans un puritanisme encore profond, Selby a plutôt fait preuve d'anti-conformisme et s'est plus caractérisé par son aspect bête noire que bon citoyen américain soucieux de la norme. Son roman a fait scandale, ce n'est pas le seul de lui d'ailleurs, mais je suis surprise par le fait que tu lui trouves un côté linéaire, une conformité. Quant au côté nombriliste, oui en quelque sorte vu qu'il parle d'une aliénation mentale. On est plus ou moins obligé d'y passer. (Est-ce pour cela que les parents sont absents de la deuxième partie?) J'aimerais bien que Marko le lise pour nous éclairer un peu sur ce mécanisme d'ailleurs...

NB. En cherchant l’accueil fait au Démon lors de sa parution, je suis tombée sur un exposé de Wikipédia, très bien rendu, et il semble que tu ne sois pas le seul à émettre des critiques sur son style en fait.

Citation :

Le Démon traite des sujets de prédilection de Selby, mais par contre, sa structure tranche avec ses précédents ouvrages parce que nettement plus conventionnelle et plus fluide par rapport à ce que Selby a pu écrire auparavant. C’est ce changement de forme qui est pointé du doigt par les critiques littéraires lors de la sortie du livre, en 1976, car cela est vu comme une faiblesse. En effet, il est dit que le résultat est bancal d’une certaine manière, que le style brut et mitraillé de Selby ne correspond pas à la structure classique du roman. De plus, la fin est considérée comme trop elliptique pour être convaincante.