Bill Douglas

Excellente découverte ce Comrades !

Le choix du sujet et de la démonstration socialement engagés ne peuvent être anodins : une révolte pacifique de travailleurs pauvres exploités de façon cynique et parfaitement consciente. Jusque là ça pourrait être habituel, ça l'est moins quand on ajoute le sourire confiant et émerveillé (parfois triste) de George Loveless (le mal nommé) à l'origine de cette confrérie.

C'est un des signes évidents du positionnement plus subtil qu'il n'y parait du film. A ce sourire et aux épisodes hauts en couleurs (déjà la sortie de l'église, ou la paye ou tout simplement la séquence d'ouverture) du film, il faut tout de suite associé le lanterniste, un personnage qui apparait sous de multiples formes tout au long du film, qui distancie qu'on le veuille ou non le rapport au cinéma que l'on est en train de voir. C'est par l'itinérance et les images rapportées (comme celles du voyage de la déportation en Australie) que vont et se construisent les nouvelles. Une part de magie et d'imaginaire, une part d'isolement et une part d'action avec une belle mise en valeur dans la trame d'un tissus socio-culturel dont le temps pourrait bien avoir l'air révolu.

Sur ce principe repose le film. Partant de là, l'irréel pas tout à fait naïf de la narration fait beaucoup de sens avec gravité et fraicheur. Cet irréel ou imaginaire n'est pas déconnecté de la réalité, il n'est pas une fuite poétique en avant ou ailleurs, il tient de la projection, du décalage et de l'appropriation du fait.

Et pour faire bonne mesure et en parfaite cohérence avec cette texture particulière il y a le grand drame de cette (presque petite) épopée historique, avec ses décors. Le village boueux, la campagne immense, l'Australie incroyable en contre-coup du monde d'après, actuel, du film et du spectateur et en même temps les mains, les visages, le labeur. Simple. Évident.

Tellement que la précision et l'esthétique, merveilleusement limpide sans jamais de sentiment du "trop", car pour ça les images sont très vraies, concrètes, un reflet du monde, n'ont pas le temps de choqué. Je ne sais pas si les belles images n'apparaissent pas d'abord comme des preuves de belles images avant de vouloir avoir un sens. Un sens supplémentaire ou différent qui n'apparait que dans (ou par) la totalité du film.

Et ça fait un rudement beau film, puissant, émouvant très loin à l'intérieur. C'est un film dur aussi mais qui parle en sachant mettre de côté trop d'habitudes et de réflexions.

Et il y aurait tellement à dire pour ces personnages/personnes...


(Merci d'en avoir parlé et bien !)

Il sera dans mon cinéma la semaine du 3 septembre.

J'ai fini par voir Comrades. C'est une oeuvre forte, d'une grande originalité, surtout sur le plan formel. C'est d'une grand inventivité et maîtrise en ce qui concerne l'image, peu de metteurs en scène sont capables de faire quelque chose de tel. La façon de créer des personnages est aussi très convaincante, en particulier dans le village. Et les acteurs excellents.

Malgré tout, j'ai trouvé quand même par moments le propos un peu trop démonstratif (tous les riches et puissants, qui détiennent un peu de pouvoir sont quand même caricaturaux). Mais c'est un film magnifique, qui mériterait d'être mieux connu et diffusé auprès du public, et montré aux étudiants de cinéma.

Ce propos très démonstratif, qui a de faux airs de faiblesse mais ça serait trop gros vue la teneur et la tenue de l'ensemble, a une parenté avec la façon, montrée dans le film, de raconter les histoires et le geste, l'engagement. Une espèce de légère exagération d'ensemble qui donne d'autant plus d'étrangeté que cette étrangeté s'applique au propos politique. Mais légère exagération d'ensemble c'est mal dit, parce que si on y pense, en dehors du film et dans son contexte ça devait être bien présent aussi dans l'autre sens. Et puis ça ne fait que ressortir un peu plus l'élan presque naïf, primordial et si bien montré, qui est aussi un élan simple et potentiellement maladroit, renouvelé ?, de partage et de transmission.

ce mélange très particulier m'a particulièrement marqué, la façon dont c'est imbriqué m'a l'air assez rare.

Je comprends ce que tu veux dire, et je penser que le film tend vers cela. Mais je dois dire que je n'ai pas été emportée par la geste naïve, je suis restée à l'extérieur. Peut être à cause de ce que j'ai senti comme une opposition entre le côté maîtrisé, pensé, de la forme et cette naïveté optimiste du fond. Cela manquait de spontanéité pour le coup, compte tenu du propos défendu. Mais je conçois que l'on puisse être emporté. Moi j'ai plutôt admiré.

Il ne faut pas oublier que le film est conçu comme une manière de revisiter la magie du cinéma, la lanterne magique, à travers une histoire. Il y a à la fois un regard social sur la naissance des premiers syndicats (en quelque sorte) et une dimension davantage proche du conte qui donne à certains personnages des comportements en apparence plus caricaturaux. Je trouve que ce mélange donne un décalage et une étrangeté tout à fait singuliers. Quelque chose à la fois adulte et enfantin. Il nous met presque dans la position de ces aborigènes qui découvrent les colons avec étonnement. On ressentait ça déjà dans sa trilogie autobiographique. ll évoque des évènements réels et concrets en même temps qu'il nous fait rêver avec les sortilèges du cinéma. Manière de conjurer la cruauté et la violence du monde.

Oui, bien sûr la magie des premières images, une façon d'accéder à un univers de l'imaginaire, un peu naïf, forcément simplificateur, visant à transmettre un message simple et accessible à tous. Avec un côté engagé et militant aussi, avec le personnage du montreur d'ombres. Mais cela revient quand même beaucoup, et même si ce sont de belles scènes, j'y trouve une certaine insistance, et donc ce côté démonstratif.
Et surtout toujours ce décalage entre ces techniques simples, provoquant une adhésion émerveillée d'un public peu habitué à des images animées, et la sophistication et l'élaboration du film. Film encore une fois remarquable, mais sa perfection même fait que cette adhésion entière dans une histoire exemplaire m'a paru impossible. Tout au moins pour moi. Alors que j'ai eu la sensation que Bill Douglas cherchait justement ce genre de réaction.

Comrades

Le film m'a beaucoup ému et Bill Douglas figure définitivement parmi mes cinéastes favoris. Les nombreux plans de visage, notamment ceux des enfants, sont sidérants dans leur puissance d'évocation et leur recherche expressive. Les paysages sont aussi superbes, valorisés par des jeux d'ombre et de lumière qui transcendent l'immensité d'une perspective.

Les enjeux sociaux et politiques sont une toile de fond omniprésente mais Bill Douglas tente presque de les contourner en laissant vivre des regards, en cherchant avant tout à représenter l'individu dans une tentative d'affirmation, d'ouverture à l'autre. L'image est l'instrument d'une singularité et permet brièvement de dépasser l'angoisse d'un échec.

L'opposition des classes est très marquée dans le Dorset mais je trouve que le passage australien apporte beaucoup de nuances par le renversement historique qu'il provoque, avec la présence des Aborigènes et l'aveuglement d'une colonisation récente (où des propriétaires terriens peuvent être d'anciens bagnards). L'engagement de Loveless au service d'une "fraternité" traduit ainsi une vision englobante plutôt que fondée sur des oppositions, dévoilée avec une lucidité désespérée qui conserve la conscience d'une violence et d'une fragilité humaine.