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Parfum de livres… parfum d’ailleurs
Littérature, forum littéraire : passion, imaginaire, partage et liberté. Ce forum livre l’émotion littéraire. Parlez d’écrivains, du plaisir livres, de littérature : romans, poèmes…ou d’arts…
Sujet: Les poètes portugais Mer 12 Mai 2010 - 8:39
Citation :
Eugenio de Andrade
(1923-2005)
Il est né en 1923, sous le nom de José Fontinhas, à Povoa da Atalaia un petit village du Beira Baixa situé entre Fundão et Castelo Branco dans le nord du Portugal. Issu d'une famille de paysan, il a fait une carrière de fonctionnaire au ministère de la Santé et surtout d'écrivain. Eugénio de Andrade (José Fontinhas de son vrai nom) a écrit des romans, des poèmes, organisé des anthologie, traduit… Il est l'un des poètes les plus importants et les plus originaux de l'après-guerre au Portugal. Son œuvre est traduite en une douzaine de langues. Elle est publiée en France aux éditions de La différence. Eugénio de Andrade a reçu le prix Camões en 2001.
Tu peux me confier sans crainte Les menues besognes matinales. Laisse faire les nuages, La poussière ardente par-dessus les toits, Les marteaux de la tristesse sur la table. Mon pays s’étend de juin à septembre Avant la première neige appelle-moi.
(In Poids de l’ombre)
Toile "Can't sleep" de Tina Palmer
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: Les poètes portugais Jeu 13 Mai 2010 - 8:39
Il n'y a pas d'autre manière d'approcher de ta bouche : tant de soleils et de mers brûlent pour que tu ne sois pas de neige : corps ancré dans l'été : les oiseaux de mer couronnent ton visage de leur vol : musique inachevée que les doigts délivrent : lumière répandue sur le dos et les hanches, encore plus douce au creux des reins : pour te porter à ma bouche, tant de mers ont brûlé, tant de navires.
Eugénio de Andrade
(Blanc sur blanc)
"La femme à la vague", de Gustave Courbet
Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
Sujet: Re: Les poètes portugais Jeu 13 Mai 2010 - 9:01
merci pour les poëmes et pour le choix des toiles qui les illustrent si bien !
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: Les poètes portugais Jeu 13 Mai 2010 - 9:09
Bédoulène a écrit:
merci pour les poëmes et pour le choix des toiles qui les illustrent si bien !
Bédoulène ...
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: Les poètes portugais Ven 14 Mai 2010 - 8:52
Temps où l'on meurt
Maintenant c'est l'été, je le sais. Temps des canifs, temps où privés d'eau les serpents perdent leurs anneaux. Temps où l'on meurt à tant regarder les navires. C'est l'été, je le répète. Tu es assise à la terrasse et tous les fleuves courent vers toi. Tu es entrée par les miroirs : tu respires à peine. On voit bien que tu ne sais plus respirer, qu'il te faudra apprendre avec les abeilles. Sur les géraniums tu te penches lentement. Avec la rumeur d'une eau somnanbule ou d'un arbuste abattu tu me donnes à boire ce temps qui brûle autant. Tu poses tes mains sur mon visage, et tu vas partir sans rien me dire, car tu n'as voulu réveiller en moi que la vocation du feu ou de la rosée.
Et lentement, sans te retouner, par les miroirs tu entres dans la nuit.
Eugenio de Andrade
(Toile "Eleanor" de Franck Weston Benson)
odrey Sage de la littérature
Messages : 1958 Inscription le : 27/01/2009 Age : 46
Sujet: Re: Les poètes portugais Ven 14 Mai 2010 - 10:42
Pinaise Constance, tu es une perle. Grâce à toi, je découvre pleins de poêtes (je suis une truffe en poésie).Tu me donne furieusement envie de me (re)plonger dedans.
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: Les poètes portugais Dim 16 Mai 2010 - 10:29
... Odrey
Le silence
Quand la tendresse paraît déjà fatiguée de son office,
et que le sommeil, la plus précaire des barques, tarde encore,
quand tes yeux jaillissent bleus
et recherchent dans les miens une navigation sûre,
c'est que je te parle des mots désemparés et déserts,
par le silence fascinés.
Eugenio de Andrade
Illustration : Etude d'un couple, par Bruno Lemoine
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: Les poètes portugais Mar 18 Mai 2010 - 10:02
Nocturne de Lisbonne
Tard dans la nuit, la mort au fond de sa poche, chaque homme cherche un fleuve où dormir et les pieds sur la lune ou sur un grain de sable il s’enroule dans le sommeil qui voulait le fuir.
Chaque rêve meurt entre les mains d’un autre rêve. Dix sous d’amour furent dépensés à attendre. Le ciel qui nous promet un ange saoul est un matelas crasseux au cinquième étage.
Eugenio de Andrade
Toile "La nuit étoilée sur le Rhone" de Van Gogh
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: Les poètes portugais Jeu 20 Mai 2010 - 8:12
Miguel Torga (1907-1995)
Citation :
Miguel Torga, de son vrai nom Adolfo Correia Rocha, est né au village de São Martinho de Anta, où il a été mis en terre, “ au milieu du paysage qui a emmailloté ma naissance et ensevelira ma fin ”, comme il l’avait écrit dès 1952 : celui de son “ royaume merveilleux ”, la pauvre et secrète province de Trás-os-Montes, au nord-est du Portugal. Se revendiquant ibérique, il avait choisi, en littérature, de se prénommer Miguel par admiration pour deux grands espagnols (Cervantès et Unamuno) et d’être Torga du nom d’une bruyère de sa montagne transmontana, austère et résistante. Sous l’identité d’Adolfo Correia Rocha, il était médecin ORL à Coimbra. En décembre 1978, par décision du Conseil des Ministres et de l'Assemblée de la République, le Portugal rendait un hommage national à Miguel Torga, pour le cinquantenaire de sa vie littéraire. Elle avait commencé en 1928 à l'âge de 21 ans, par la publication d'un recueil de poèmes, Ansiedade, et s’est poursuivie jusqu’aux derniers mois de la longue vie de l’auteur : le Diário XVI s’achève en décembre 1993. “ Un véritable créateur, fut-il Dieu, ne se repose pas le septième jour ”, avait écrit Miguel Torga en 1962, en conclusion à des soupçons sur la sincérité de l’auteur de La Genèse…”.
La suite dans le spoiler :
Spoiler:
Si vous vous promenez aujourd’hui dans les librairies de Lisbonne, de Coimbra, de Porto, vous remarquerez, alignés sur les étagères, une cinquantaine de volumes, tous semblables, “ édités dans le même papier terne, le même format, le même caractère et jusqu’à la même maquette de couverture, chaque volume revêtu de la même pauvre bure du précédent ” : l’œuvre auto-éditée de Miguel Torga. Une collection devenue déjà un objet bibliophilique, l’œuvre ayant été confiée, depuis la mort de l’écrivain, aux Publicações Dom Quixote à Lisbonne. Miguel Torga est devenu classique de son vivant, en raison de la portée, de la diversité et de l’originalité de son œuvre, à l’image de l’un de ses aphorismes : “ L’universel, c’est le local moins les murs ”. Ce sont 94 nouvelles, 2 romans et le grand récit romanesque de sa “ création du monde ”, les 16 volumes du Journal, 3 pièces de théâtre, 2 volumes d’essais et conférences, 15 recueils poétiques et les 700 poèmes inclus dans l’édition originale du Journal. Depuis longtemps, des “ fadistes ” chantent Miguel Torga, plusieurs de ses ouvrages ont été mis en onde, en scène et en images, et chacun a été régulièrement attendu et commenté, voire guetté, sous le régime de Salazar que cette œuvre subversive indisposait particulièrement. Aussi a-t-elle valu à Miguel Torga de connaître l’arsenal complet des exactions politico-policières : arrestation, emprisonnement, saisies, privation de passeport, mise sous surveillance. Mais écrivait-il plaisamment après une saisie : “ La police, avec sa méfiance professionnelle à l’égard de la vérité, me dit si je suis sur la bonne voie ou non ” Et de récidiver, en apostrophant ainsi le dictateur : “ Le vainqueur sera celui qui a le meilleur souffle ” – ce fut lui. De son premier ouvrage, aujourd’hui retiré du commerce, Miguel Torga, n'a conservé qu'un seul vers, dans une anthologie de son œuvre poétique : “J'ai peur de l'avers ”. Les dernières lignes de son Journal constatent : “ A quelque chose devraient me servir mes cicatrices d’inlassable défenseur de l’amour, de la vérité et de la liberté, triade bénie justifiant le passage en ce monde de n’importe quel être humain ”. La critique a réservé un accueil constamment attentif à son édition française : “ Miguel Torga est un écrivain dont la prose, nourrie par les âges et burinée par les expériences, brûle sur son passage tout ce que la littérature contient de sophismes, de fourberies, de couardises et d’artifices ”, a notamment écrit Jérôme Garcin.(source José Corti, bio par Claire Cayron, sa traductrice.)
Rizière
Il y a bien deux cents femmes. Elles chantent je ne sais Quel chagrin qui se penche et ne montre plus son visage. Elles chantent, plantées dans l'eau, Au soleil et au sarclage de ce mois d'août.
Elles chantent le Nord et le Sud tout ensemble. Elles chantent à voix basse, et il semble Que dans la racine humaine de leurs pieds Quelque chose pourrit.
Toile "Femmes dans les rizières", de Noëlle Huin
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: Les poètes portugais Jeu 10 Juin 2010 - 22:41
Guerre civile
C'est contre moi que je lutte Je n'ai pas d'autre ennemi. Ce que je pense, Ce que je sens, Ce que je dis, Ce que je fais, Réclame le châtiment Et désespère la lance de mon bras.
Alliance absurde D'enfant Et d'adulte, Ce que je suis est une insulte A ce que je ne suis pas; Et je combats cette silhouette Qui m'a investi par traîtrise.
Malheureux avec ou sans folie, Je demande à la vie une autre vie, une autre aventure, Un autre incertain destin. Je ne me donne pas pour vaincu, Ni convaincu. Et j'agresse en moi l'homme et l'enfant.
Miguel Torga
Toile "La reproduction interdite (portrait d'Edward James)", de René Magritte
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: Les poètes portugais Jeu 3 Mar 2011 - 17:29
Requiem pour moi
La fin approche. Et je suis triste de finir ainsi, Ruine humaine, Et non nature consumée. Invalide de corps Et l'âme percluse. Mort en tous mes organes et mes sens. Long fut le chemin et demesurés Les songes que j'y ai faits. Mais nul ne vit Contre les lois du destin. Et le destin n'a pas voulu Que je m'accomplisse comme j'ai lutté, Que je tombe debout, dans un défi. Heureux fleuve qui part dans la mer Se jeter, Et, en un large océan, éterniser Sa splendeur torrentielle de fleuve.
Miguel Torga
(Anthologie de la poésie portugaise contemporaine, 1935-2000/ NRF Poésie/Gallimard)
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: Les poètes portugais Sam 26 Mar 2011 - 12:00
Portugal
J'avive sur ton visage le visage que tu m'as donné Et rends plus réel le visage que je t'ai donné. Je montre à tes yeux que ne te défigure pas Celui qui t'a défiguré Créature de ta créature. Tu seras toujours ce que je suis.
Et je suis la liberté d'un profil Dessiné sur la mer. J'ondule et demeure, Je creuse, rame, imagine. Et découvre mon destin dans la brume Que par avance je connais :
Aventurier obstiné de l'illusion, Sourd aux raisons du temps et de la fortune, Trouver sans jamais trouver ce que je cherche, Exilé Dans la hune du futur, Plus haute encore que dans le passé.
Miguel Torga
(Anthologie de la poésie portugaise contemporaine, 1935-2000 / NRF Poésie Gallimard)
Illustration : portrait de Miguel Torga
Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
Sujet: Re: Les poètes portugais Sam 26 Mar 2011 - 15:30
Né à Lisbonne le 19 décembre 1924 et décédé à Lisbonne le 21 août 1986, d'ascendance irlandaise, Alexandre Manuel Vahia de Castro O'Neill est le cofondateur du groupe surréaliste de Lisbonne en 1947. Son premier livre, 'Tempo de Fantasmas' (1951), marque une rupture avec le groupe qu'il a créé. A la fois poète lyrique et satirique, il a publié des anthologies, des oeuvres en prose, des chroniques et a même prêté sa plume au cinéma. Sur grand écran, il collabore à plusieurs scénarios et participe, entre autres, aux dialogues d''Oiseaux aux ailes coupées' d'Artur Ramos (1963). (Evene)
Mouette (fado)
Si une mouette venait m'apporter le ciel de Lisbonne dans le dessin qu'elle ferait sur ce ciel-ci où le regard est une aile privée de vol, qui s'affaiblit, tombe à la mer,
Quelle aubaine de cœur parfait dans ma poitrine alors battrait mon amour, au creux de ta main, dans cette main où se nichait quelle aubaine ! mon cœur parfait.
Si un marin de portugais arpenteur des sept mers était,
car sait-on jamais, le premier
à me conter ses découvertes, si un regard à l'éclat neuf à mon regard s'entrelaçait,
Quelle aubaine de cœur parfait dans ma poitrine alors battrait mon amour, au creux de ta main, dans cette main où se nichait quelle aubaine ! mon cœur parfait.
Si pour mon adieu à la vie rassemblés, les oiseaux du ciel m'offraient au moment du départ ton regard, mais le tout dernier, ce regard qui n'était qu'à toi, mon amour qui fut le premier,
Quelle peine, quel cœur parfait mourrait alors dans ma poitrine, mon amour, au creux de ta main dans cette main en qui, parfait, a tant et tant battu mon coeur.
Gaivota
Se uma gaivota viesse Trazer-me o céu de lisboa No desenho que fizesse, Nesse céu onde o olhar É uma asa que não voa, Esmorece e cai no mar.
Que perfeito coração No meu peito bateria, Meu amor na tua mão, Nessa mão onde cabia Perfeito o meu coração.
Se um português marinheiro, Dos sete mares andarilho, Fosse quem sabe o primeiro A contar-me o que inventasse, Se um olhar de novo brilho No meu olhar se enlaçasse.
Que perfeito coração No meu peito bateria, Meu amor na tua mão, Nessa mão onde cabia Perfeito o meu coração.
Se ao dizer adeus à vida As aves todas do céu, Me dessem na despedida O teu olhar derradeiro, Esse olhar que era só teu, Amor que foste o primeiro.
Que perfeito coração Morreria no meu peito, Meu amor na tua mão, Nessa mão onde perfeito Bateu o meu coração.
Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence