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| André Malraux | |
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animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: André Malraux Lun 14 Fév 2011 - 21:43 | |
| comme on en a un peu parlé dans les lectures du mois, qu'il y a des impatients... et que ça m'évitera d'aller repêcher un avis partiel sur un autre fil, petit retour sur un début de lecture de La condition humaine. Le livre s'ouvre sur un assassinat, c'est le genre de scène qui arrive à me déranger maintenant, alors qu'est ce qui fait, mis à part une certaine confiance, qu'hier j'ai vraiment apprécié ma lecture après ce début sanglant mais réservé ? L'atmosphère arrive vite... et les thématiques qui y sont liées de façon constitutive. Il y a une frénésie plus ou moins dormante, une agitation qui accompagne le doute, la duplicité de la portée des actions et des apparences. Surtout que les apparences sont celles de personnages hauts en couleurs et aux contextes incertains. En opposition avec des réflexions plus intérieures plus précautionneuses. - Citation :
Des nuages très bas lourdement massés, arrachés par places ne laissaient plus paraitre les dernières étoiles que dans la profondeur de leurs déchirures. Cette vie des nuages animait l'obscurité, tantôt plus légère et tantôt intense, comme si d'immenses ombres fussent venues parfois approfondir la nuit. Katow et Kyo portaient des chaussures de sport à semelle de crêpe, et n'entendaient leurs pas que lorsqu'ils glissaient sur la boue; du côté des concessions - l'ennemi - une lueur bordait les toits. Lentement empli du long cri d'une sirène, le vent, qui apportait la rumeur presque éteinte de la ville en état de siège et de le sifflet des vedettes qui rejoignaient les bateaux de guerre, passa sur les ampoules misérables allumées au fond des impasses et des ruelles; autour d'elles, des murs en décomposition sortaient de l'ombre déserte, révélés avec toutes leurs taches par cette lumière que rien ne faisait vaciller et d'où semblait émaner une sordide éternité. Cachés par ces murs, un demi-million d'hommes : ceux des filatures, ceux qui travaillent seize heures par jour depuis l'enfance, le peuple de l'ulcère, de la scoliose, de la famine. Les verres qui protégeaient les ampoules se brouillèrent et, en quelques minutes, la grande pluie de Chine, furieuse, précipitée, prit possession de la ville. Finalement ce début résume bien (je retrouve d'une certaine manière ce à quoi je m'attendais, mais avec une plus grande évidence) son style. L'observation, le goût du thème et d'une certaine image mais potentiellement vaine et toujours les présences, les dialogues entre des personnages. C'est un très bon début, qui suscite la curiosité, joue d'un certain suspens et installe un rythme de l'écriture et de l'atmosphère. | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: André Malraux Mer 16 Fév 2011 - 22:17 | |
| il y a aussi des surprises avec ce genre de relectures. je ne me souvenais pas du tout de ce qui a suivi. On part sur un constat très individuels (et personnel ?) sur les relations humaines amoureuses en demi déconvenues avant de tourner à moitié sur le même thème par d'autres personnages sur un point de vue historico-politique opposant une tradition, ici chinoise et reléguant la femme à un rôle très secondaires, à la rupture d'un communisme révolutionnaire plus égalitaire... avant de creuser la boucle du lien affectif du maitre-père en guise d'intermédiaire entre un engagement raisonné et une dérive morbide de l'action comme tentative de fuite malgré soi d'une malaise de sa condition (humaine).
je me souvenais donc qu'il était doué mais le mouvement et les liens dans ce développement si ils peuvent être brefs sont assez impressionnants, et intéressants.
(Le panda qui bricole sa LS comme un sagouin directement sur le fil... ) | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: André Malraux Sam 26 Fév 2011 - 21:08 | |
| La condition humaine - Citation :
- En mars 1927, l'Armée révolutionnaire du Kuomintang sous le commandement de Tchang Kaï-Chek est en marche vers Shanghai. Afin de faciliter la prise de la ville, dont le port représente un important point stratégique, les cellules communistes de la ville préparent le soulèvement des ouvriers locaux. Mais inquiet de la puissance de ces derniers et gêné dans sa quête de pouvoir personnelle, Tchang Kaï-Chek se retourne contre les communistes. Aidé en cela par les Occidentaux occupant les concessions, qui espèrent l'éclatement du Kuomintang, et les milieux d'affaires chinois, il fait assassiner le 12 avril 1927 des milliers d'ouvriers et dirigeants communistes par la Bande Verte, une société criminelle secrète.
ce contexte peut-il suffire à résumer le livre ? oui et non. Oui parce que tous les événements et déclencheurs sont liés à l'instant historique (dans sa continuité) et non parce qu'il n'y a pas dans ce résumé les hommes qui agissent, vivent et regardent cet ensemble. Et le roman est riches en personnages hauts en couleurs. De plus leur individualité est très importante, elle permet de multiplier les points de vues humains - de caractères - et politiques, de construire ainsi une réflexion qui s'articulent en même temps que le récit mais aussi de brouiller ou troubler une partie du discours. Les opinions tranchées, les exposés, les actes se ressemblent parfois mais se perdent dans la pluralité et dans une nécessité d'oubli, d'abandon. Le tour de passe passe, presque, présent dans la manière littéraire et porter à l'expérience par ce biais autant que par le discours sous-jacent du vieux Gisors, accentué sur la fin pour évanouir le livre. Mais présent toujours dans l'incertitude et l'atmosphère de nuit et d'Asie chères à l'auteur... un courant sourdement contemplatif qui baigne et nourrit l'action, le besoin d'échappement et de résolution. Bougé par une solide capacité romanesque le livre développe un important volume d'idées et de sensibilités qui se retrouvent mises en concurrence et en interaction de manière souvent intéressante et ses interactions sont un pied de lecteur, ce genre de surprise ne faisant jamais de mal. Le démarrage est rapide avec le meurtre et la prise de Shangai puis est contraint de s'installer dans la durée ou les tensions qui font tenir les personnages s'effritent alors qu'ils doivent plus que jamais se chercher et se trouver pour poursuivre leur action. Le mouvement repose par une succession de duos, ou d'entretiens. Un miroir est toujours présent, l'apparence et la duplicité des actions sont vives et l'observation incessante dans quelque chose qui pousse à rompre une solitude révélée ainsi sous bien des aspects. L'unité devient obsession. L'unité avec le peuple pour Kyo (le fils de l'universitaire Gisors) dont il est séparé et par sa condition sociale et par son métissage. L'unité avec le partenaire sexuel (et/ou soi même) pour Ferral, un français jouant de puissance et d'intérêts commerciaux menacés par la révolution. Un dérapage vers la mort pour Tchen, qui tue au début du livre et s'en retrouve égaré... La solitude et l'autre, devant la mort, un besoin de la dépasser dans une croyance complète mais imprégnée d'une direction, un communisme comme une religion, un capitalisme commerçant comme une apparence et derrière encore, et avec, des différences culturelles qui s'affrontent dans cet révolution : une pensée occidentale et une pensée orientale, un peu de la même manière que dans La tentation de l'occident. Différentes, éloignées mais se rejoignant sans se mêler tout à fait dans les personnages. Une pulsion individualiste qui se tourne vers une relative exaltation du martyr et de la souffrance ? Il y a donc rapprochements, interactions et parallèles entre causes politique et religion ou croyance. A part un prêtre la religion est peu présente, et encore il s'agit d'abord d'une certaine mystique culturelle. Le vieux Gisors fume l'opium pour adoucir ses pensées, s'échappe-t-il pour autant ? Les rapprochements se concrétisent au fil des pages dans l'orgueil, présenté finalement, au moins partiellement comme une espèce de réflexe devant la mort. Un orgueil qui doit devenir quelque chose dans une action (terroriste/politique par exemple) mais pas moins et pas nettement séparée d'une transmission du maitre à l'élève (Tchen est élève de Gisors), plus confusément de l'individu à l'autre (Tchen encore, autre petite surprise), ou par une création artistique ou devenue telle (antiquités). Si on met de côté Clappique, français fantasque et magouilleur, mais attachant, un brin séducteur et Tchen qui se coupe des femmes pour s'enfermer dans un mélange de terrorisme et de ... meurtre. Deux personnages ont des relations importantes avec les femmes. Kyo vit avec May (étrange, elle décrite comme pas forcément belle et allemande) qu'il aime dans une sorte d'union libre qui se révèlera blessante. Les deux ont la tête sur les épaules et malgré un côté conflictuel recherchent un apaisement. L'autre personnage est Ferral qui donne lieu à des observations plus violentes et un peu plus tordues, décrivant encore plus de frustration dans un besoin impératif de soumettre et de sentir à travers l'autre, en s'imaginant à travers l'autre... un orgueil tourmenté et un peu fou assez surprenant. Mais les ressemblances et les contrastes sont intéressants derrière ces quelques pages (pas toutes groupées) ou un zeste de misogynie pourrait bien côtoyer le trouble, quelques blessures, quelques idées ne vivant que par elles-mêmes. En tout cas on retrouve les pistes brouillées, un effet et l'ombre de la solitude. Aux deux-tiers du bouquin il y a comme une petite synthèse autour des protagonistes, à travers un dialogue, signe évident que ce ne sont pas des égarements ou des épisodes isolés mais une construction. Par la suite une esthétique plus morbide prend de la place, un peu à l'image du meurtre du début. Il y a là comme une fascination presque dérangeante, moins magnifié que dans d'autres pages de Malraux, plus brusque... sans que ça incommode assez pour vraiment gêner la lecture; juste de quoi rappeler que les idées sont aussi vraies qu'elles sont des idées que comme dans d'autres passages l'esthétique et le talent côtoient la vanité, l'erreur peut-être. Un roman très dense, très intéressant, pas mal écrit avec même de vrais beaux passages. Un peu noir à plaisir, pour la posture, un roman politique aussi mais jamais trop, les quelques exposés économiques ne sont pas neutres mais le dernier est un bel ensemble... pas sans contradictions. Bonne lecture, représentative du bonhomme (mais sans ses meilleures pages je crois), complexe, légèrement farfelu avec une excentricité feutré et un peu grinçante. On peut le chercher dans les héros de son histoire à tort et à raison, on peut profiter de son sens de l'observation et de la pensée. ça vaut le coup comme lecture, et peut-être plus comme relecture en étant plus familier de ses mobiles. C'est puissant, bien fait, si toutes les idées ou hypothèses ne sont pas titanesquement originale leur jeu est plus personnel et leur ordonnancement littéraire quelque chose de diablement cohérent. | |
| | | Onuphrius Main aguerrie
Messages : 551 Inscription le : 29/10/2010 Age : 35 Localisation : Seine-Maritime
| Sujet: Re: André Malraux Lun 14 Nov 2011 - 21:48 | |
| La Voie royale, 1930 Je viens de découvrir Malraux avec ce livre. Ce qui m'a poussé vers lui ? Comme je l'ai dit, son discours sur Jean Moulin, que je tiens pour le plus beau que j'ai entendu. Mais passons au livre. Claude Vannec arrive au Cambodge en compagnie de Perken, vieil aventurier fatigué en quête de mitrailleuses pour défendre des terres laotiennes, ses terres. Le but de Claude est de parcourir la route des anciens temples, la Voie royale, pour récupérer des objets d'art, quitte à démontrer pierre par pierre l'enceinte d'un temple en ruines. La route se complique car Perken doit récupérer Grabot dans le cadre d'un mission gouvernementale - or Grabot est en territoire sauvage, chez les Stiengs. Ce qui ressort tout d'abord, c'est le poids de la mort et son influence sur les actes des hommes. - Citation :
- La soumission à l'ordre de l'homme sans enfants et sans dieu est la plus profonde des soumissions à la mort; donc chercher ses armes là où ne les cherchent pas les autres : ce que doit exiger d'abord de lui-même celui qui se sait séparé, c'est le courage. que faire du cadavre des idées qui dominaient la conduite des hommes lorsqu'ils croyaient leur existence utile à quelque salut, que faire des paroles de ceux qui veulent soumettre leur vie à un modèle, ces autres cadavres? L'absence de finalité donnée à la vie était devenue une condition de l'action. A d'autres de confondre l'abandon au hasard et cette harcelante préméditation de l'inconnu. Arracher ses propres images au monde stagnant qui les possède... "Ce qu'ils appellent l'aventure, pensait-il, n'est pas une fuite , c'est une chasse : l'ordre du monde ne se détruit pas au bénéfice du hasard, mais de la volonté d'en profiter." Ceux pour qui l'aventure n'est que la nourriture des rêves, il les connaissait; (joue : tu pourras rêver); l'élément suscitateur de tous les moyens de posséder l'espoir, il le connaissait aussi. Pauvretés. L'austère domination dont il venait de parler à Perken, celle de la mort, se répercutait en lui avec le battement du sang à ses tempes, aussi impérieuse que le besoin sexuel. Être tué, disparaître, peu lui importait : il ne tenait guère à lui-même, et il aurait ainsi trouvé son combat, à défaut de victoire. Mais accepter vivant la vanité de son existence, comme un cancer, vivre avec cette tiédeur de mort dans la main... (D'où montait sinon d'elle, cette exigence de choses éternelles, si lourdement imprégnées de son odeur de chair ?) Qu'était-ce ce besoin d'inconnu, cette destruction provisoire des rapports de prisonnier à maître, que ceux qui ne la connaissent pas nomment aventure, sinon sa défense contre elle ? Défense d'aveugle, qui voulait la conquérir pour en faire un enjeu...
Posséder plus que lui-même, échapper à la vie de poussière des hommes qu'il voyait chaque jour... Il y a quelque chose d'existentialiste dans ce rapport à la mort et à l'action. Le "moi, j'écris pour agir" de Voltaire pourrait devenir chez Malraux un "moi, je meurs pour agir". Cette idée est répétée plusieurs fois dans le roman, notamment lors d'une discussion entre Claude et Perken sur le suicide : - Citation :
- Toute ma vie dépend de ce que je pense du geste d'appuyer sur cette gâchette au moment où je suce ce canon. Il s'agit de savoir si je pense : je me détruis, ou : j'agis. La vie est une matière, il s'agit de savoir ce qu'on en fait - bien qu'on n'en fasse jamais rien, mais il y a plusieurs manières de n'en rien faire... Pour vivre d'une certaine façon, il faut en finir avec ses menaces, la déchéance et les autres : le révolver est alors une bonne garantie, car il est facile de se tuer lorsque la mort est un moyen...
[...] - On ne choisit pas sa mort... - Mais d'accepter même de perdre ma mort m'a fait choisir ma vie. C'est d'ailleurs ce qui donne autant de force à la scène du village stieng, quand Perken s'avance en tombant sur les pointes guerrières fichées dans le sol. Au-delà de cette question centrale de la mort, l'autre point qui m'a marqué est la description de la forêt, qui m'a rappelé ce qu'a écrit Céline deux ans plus tard. Cette forêt écrasante, chaude, grouillante d'insectes, de formes irréelles, cette forêt qui se transforme en labyrinthe sans issue, confrontant l'homme à sa mort et à sa condition : - Citation :
- Depuis quatre jours, la forêt.
Depuis quatre jours, campements près des villages nés d’elle comme leurs bouddhas de bois, comme le chaume de palmes de leurs huttes sorties du sol mou en monstrueux insectes ; décomposition de l’esprit dans cette lumière d’aquarium, d’une épaisseur d’eau. Ils avaient rencontré déjà des petits monument écrasés, aux pierres si serrées par les racines qui les fixaient au sol comme des pattes qu’ils ne semblaient plus avoir été élevés par des hommes mais par des êtres disparus habitués à cette vie sans horizon, à ces ténèbres marines. Décomposée par les siècles, la Voie ne montrait sa présence que par ces masses minérales pourries, avec les deux yeux de quelque crapaud immobile dans un angles des pierres. Promesses ou refus, ces monuments abandonnés par la forêt comme des squelettes ? La caravane allait-elle enfin atteindre le temple sculpté vers quoi la guidait l’adolescent qui fumait sans discontinuer les cigarettes de Perken ? Ils auraient dû être arrivés depuis trois heures… La forêt et la chaleur étaient pourtant plus fortes que l’inquiétude : Claude sombrait comme dans une maladie dans cette fermentation où les formes se gonflaient, s’allongeaient, pourrissaient hors du monde dans lequel l’homme compte, qui le séparait de lui-même avec la force de l’obscurité. Et partout, les insectes. [...] L'unité de la forêt, maintenant, s'imposait ; depuis six jours Claude avait renoncé à séparer les êtres des formes, la vie qui bouge de la vie qui suinte ; une puissance inconnue liait aux arbres les fongosités, faisait grouiller toutes ces choses provisoires sur un sol semblable à l'écume des marais, dans ces bois fumants de commencement du monde. Quel acte humain, ici, avait un sens ? Quelle volonté conservait sa force ? Tout se ramifiait, s'amollissait, s'efforçait de s'accorder à ce monde ignoble et attirant à la fois comme le regard des idiots, et qui attaquait les nerfs avec la même puissance abjecte que ces araignées suspendues entre les branches, dont il avait eu d'abord tant de peine à détourner les yeux. Au final, on sent un livre maîtrisé et dont la langue est un délice, non pas grandiloquente mais grande. C'est sans doute ce style qui lui confère une certaine religiosité, comme l'a très bien dit animal. C'était mon premier Malraux, et sûrement pas le dernier ! | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: André Malraux Lun 14 Nov 2011 - 21:59 | |
| voilà qui fait plaisir. et vus les points que tu relèves tu trouveras d'autres bons moments de lecture et d'autres interrogations ainsi que certaines nuances. Pour les descriptions fiévreuses en tout cas tu auras ton compte. | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: André Malraux Mar 10 Jan 2012 - 21:47 | |
| il s'agit de l'affiche du film mais la couv' de mon exemplaire est vraiment trop laide pour vous l'imposer... J'avoue que je partais avec un petit a priori, une légère réticence, un scepticisme même et que tout cela a été balayé très vite. Je suis complètement conquise, très étonnée par ce que je viens de lire et très émue, aussi. L'Espoir commence en 1936, lorsque après les élections et la victoire du Frente popular (alliance des gauches), la bourgeoisie et l'armée espagnoles se soulèvent contre le peuple et décident de reprendre le pouvoir. Le gouvernement, privé de son armée, décide d'armer la population. La guerre civile espagnole commence en 1936, elle s'achève en 1939 avec la victoire de Franco et des fascistes. L'Espoir n'est pas un roman. L'Espoir est le récit d'une aventure humaine, d'aventures humaines, récit qui s'inspire plus du reportage journalistique que de la verve littéraire. Nous sommes loin d'une dramatisation de la guerre, loin d'un passage en force d'une idéologie unique, au contraire, le texte est d'un pragmatisme sidérant, il ne tombe jamais dans l'emphase ou l'invective (comme on pourrait l'attendre d'un récit de guerre fait par un de ces participants). Bien sur, nous sommes du côté des républicains, bien sur les fascistes ne sont pas mis sur un pied d'estale, mais ce dont nous parle Malraux, c'est des hommes, de chaque homme, pas des héros, mais des soldats, des miliciens, des volontaires qui firent cette guerre au nom de la liberté. Pour que son propos n'aille pas à l'encontre du rêve qu'il véhicule, le rêve d'une humanité solidaire, fraternelle, égalitaire, Malraux choisit de ne pas ériger de personnage principal. Tous sont traités à la même enseigne, on ne saura rien de leur passé, peu de leur famille, beaucoup de leurs actes. Sans cesse la raison pour laquelle chacun entre en combat comme on entre en religion est questionnée : pourquoi le chef d'industrie, le prof, l'artiste viennent combattre, pourquoi le communiste s'allie-t-il avec l'anarchiste, pourquoi l'Arabe se bat-il pour l'Espagne ? pourquoi ? ils ont tous une raison plus ou moins obscure, simple, éclairante, plus ou moin viscérale, certains n'ont pas même de réponse, mais ils sont là, dans la fraternité de la peur, celle du combat, celle de l'espoir, celle de la volonté de repousser l'ennemi, le frère, l'insensé. Ce qui est fascinant dans ce récit, c'est qu'il ne laisse aucune place à la rage, à la vengeance, à la soif sanguinaire, tout est pesé, étudié, dégraissé pour laisser seule l'émotion naître, se répandre, emporter. Et quelle émotion ! Certaines scènes sont absolument sublimes d'épure. Loin de la magnificence, loin de l'outrance, ou du chevaleresque que le sujet aurait pu produire, Malraux raconte au plus près le destin de ces hommes, leur lutte, leur mort, leur blessure. Beaucoup meurent. Parfois la mort est héroïque ; le plus souvent elle est. Nous sommes loin de la hargne de Malaparte, loin de l'érudition et du romanesque d'Enard, loin des fioritures grandioses, pas de grand discours politique mais des actes qui soulignent à quel point les hommes qui combattirent furent chacun à sa mesure des êtres exceptionnels. Une lecture très enrichissante, extrêmement pudique et tendre, tout en étant sans concession. Une lecture qui pose aussi des questions lourdes sur la nécessité de sauver l'art en temps de guerre, sur la fraternité, sur la liberté, sur le commandement, la discipline. Une lecture qui vaut par son pragmatisme, sa mesure, son ouverture, sa tolérance, son incroyable distance et sa profonde empathie envers le genre humain. (merci au passage à animal pour sa légère insistance) | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: André Malraux Mar 10 Jan 2012 - 22:11 | |
| c'est un beau commentaire (qui vaut largement la légère insistance, huhu) ! depuis ma lecture du Partage des eaux, j'étais confiant, question d'assemblage et de densité. j'avoue quand même une certaine surprise, due à la distance qui me sépare de la lecture de L'Espoir et aux autres lectures plus fraiches entre temps, jusqu'à la relecture de la Condition humaine. Surprise quand à l'épure, je crois me souvenir de passages de nuit que j'associe dans mon souvenir aux pages enfiévrées dont Malraux est très capable mais dont l'objet il est vrai apparait rarement gratuit. C'est peut-être aussi cette surprise qui révèle (encore, lire aussi le commentaire d'onuphrius) que Malraux en tant qu'écrivain n'est pas que l'homme du grand discours, il a œuvré pour une cohérence très forte et une vraie densité dans une organisation assez classique mais soucieuse d'efficacité littéraire et donc du plaisir de lecture, de l'intensité de la lecture, en plus de reposer sur ces grandes questions. Et je ne suis pas sûr que dans le principe 'ça' puisse vraiment vieillir (être daté). j'ai très envie de le relire ! merci pour le commentaire | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: André Malraux Mar 10 Jan 2012 - 22:28 | |
| c'est justement cette absence de fébrilité qui est fantastique, une mise à distance qui révèle bien plus qu'elle n'ôte. Les aviateurs montent dans l'avion. Ils ont un objectif pas très clair. Ils survolent. Ils trouvent. Ils bombardent. Ils repartent. Les avions ennemis sont sur eux. Le combat commence. Un avion tombe. Un mort. Des blessés. On passe au chapitre suivant : un pompier combat les incendies de Madrid. Il voit ses copains se faire canarder par un avion. Il prend la place d'un autre. Au moment où l'avion repasse. Il tente de l'asperger avec sa lance à incendie en un geste ultime et dérisoire. Il meurt. On passe au chapitre suivant. Ultra efficace. Très peu de mots pour dire le vertige de l'engagement.
J'avais très peur des discussions politiques théoriques, des grandes déclarations sur La Liberté, La Fraternité, etc... mais non le texte de Malraux est écrit en minuscule, à hauteur d'hommes, ce qui en fait toute sa valeur, son humilité. Néanmoins (et plutôt mieux que moins) le texte est très bien écrit, une forme de poésie en creux, sans effet de manche (pour des aviateurs c'est un comble), sans palabre, mais très agréable à découvrir. | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: André Malraux Sam 1 Sep 2012 - 8:48 | |
| (reprise de la motivation du choix pour le portail de septembre : )
Pour faire plaisir aux pronostiqueurs, parce qu'il me semble qu'il est passé par le portail mais n'a pas d'étoile ? Et pour d'autres raisons plus consistantes que "j'ai remis la main sur mon poche de L'Espoir" (et le commentaire de Shanidar donne envie de le relire dans moins de quinze ans).
On lit parfois ici des regrets quant à des lectures peu stimulantes, une certaine lassitude ?
Alors pourquoi ne pas tenter un Malraux, petit ou un peu plus épais ? Si on peut reconnaitre qu'il en fait beaucoup par moments on est facilement surpris par son efficacité et l'intensité romanesque qu'il développe, on sent que les pages ont été affutées.
On pourra trouver aussi dans notre monde acculturé et pluriculturel un regard aigu et inquisiteur qui s'avère stimulant par les différences relevées autant que par l'intensité de la plongée, fantastique, dans un monde autre. Un vertige.
Et combien de méditations pourront inspirer ses écrits sur l'art ? et la condition humaine ?
Et la lassitude encore, je n'oublie pas que Malraux fait partie de ceux qui à la lecture prennent la place de presque tout et emmènent toute l'attention ailleurs.Un ailleurs qui n'est pas sans imaginaire même quand il s'agit d'Histoire. Cette écriture qui éponge les pensées au fil de ces tourbillons crépusculaire à la grandeur romantique (dont il détient lui aussi quelques secrets).
Et : « Chacun de nous ignore la couleur de l'iris de presque tous ses amis. L'œil est regard : il n'est œil que pour l'oculiste et pour le peintre. » | |
| | | kenavo Zen Littéraire
Messages : 63288 Inscription le : 08/11/2007
| Sujet: Re: André Malraux Sam 1 Sep 2012 - 8:58 | |
| - animal a écrit:
- parce qu'il me semble qu'il est passé par le portail mais n'a pas d'étoile ?
non, c'est une première, on peut revoir tous les élus du portail sur ce fil mais le choix est bon, il me faudrait revenir vers cet auteur.. j'ai quelques jours avec plus de temps en vue, pourquoi pas? | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: André Malraux Sam 1 Sep 2012 - 9:03 | |
| marf,oui j'avais jeté un œil aussi sur le fil je crois bien, un tour de l'imagination, une bonne raison de plus ? tu avais lu quoi de lui ? | |
| | | kenavo Zen Littéraire
Messages : 63288 Inscription le : 08/11/2007
| Sujet: Re: André Malraux Sam 1 Sep 2012 - 9:28 | |
| La condition humaine (dont je pourrais faire même une relecture, le moment que je l'ai fait, c'était au début de ma reprise de lire en français et je pense que plus d'un détail m'a échappé ) sinon, Le musée imaginaire me tente depuis que j'ai lu ton commentaire et après une petite recherche à l'instant concernant d'autres livres c'est La voie royale qui me dirait bien.. | |
| | | Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: André Malraux Sam 1 Sep 2012 - 9:44 | |
| J'ai vérifié sur tout le fil de Kenavo avec les élus du mois, il n'y figure pas, donc normal qu'il n'ait pas d'étoile. Cela dit, il me semble qu'à une époque, les auteurs du portail n'étaient pas soumis au vote, mais qu'il y avait un autre système. Et peut être qu'il a pu apparaître à ce moment-là, et il n'y a pas trace. Je ne peux pas trop le dire, parce que quand je suis arrivée sur le forum, le système du vote venait d'être instauré. | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: André Malraux Mar 4 Sep 2012 - 10:47 | |
| La Voie Royale
S'il fallait renommer La Voie Royale, j'opterais pour Les Insoumis, parce que j'ai l'impression que toute la thématique du livre tourne autour de cette notion d'insoumission et des dangers auxquels cette attitude soumet. Avec l'idée que les trois personnages principaux sont des rebelles, des héros noirs, des idéalistes barbares et cette antinomie en elle-même fait sens, donne quelque chose à entendre du texte qui se déploie.
Il y a Vannec, le jeune archéologue-pilleur, qui pour une raison obscure sans doute liée à l'argent compte bien passer par-dessus les lois de l'Institut français dont il dépend, pour s'emparer de statuettes de temples khmers. Je suppose qu'en dehors de la richesse, ce jeune homme estime que ses découvertes archéologiques lui appartiennent car elles sont le fruits de longues recherches et d'une traversée dangereuse de la jungle cambodgienne, puis siamoise. [à noter que le personnage de Vannec est un double de Malraux, lui-même ayant pillé des temples pour se refaire alors qu'à vingt ans il venait de ruiner sa femme… Arrêté à Bangkok puis emprisonné, il sera défendu par les grands intellos de France, Gide en tête.]
Il y a Perken, le Danois, qui cherche également à gagner de l'argent mais pour armer des villages et faire sédition. Un peu plus âgé que Vannec, l'homme déclare que choisir sa mort est choisir la vie, cet homme éminemment conscient de sa destinée, de la vieillesse qui le guette et de la déchéance qui lui est constitutive, se demande simplement si se tuer est se détruire ou bien agir. Vaste programme.
Et puis il y a Grabot, le roi des Insoumis, qui n'hésite pas à s'enfoncer dans la jungle, vers des villages dont il ne sait rien pour éprouver son courage.
Ces trois hommes renoncent à leur manière à supporter le joug des compromissions, le joug d'institutions ou des sociétés, le joug d'une destinée qui se contenterait de vouloir vivre. En se confrontant à la mort, ils questionnent la notion essentielle de l'espoir. Saisir sa vie n'est peut-être que choisir sa fin. Mais de l'un à l'autre demeurent l'espoir, le courage, l'action.
Ce roman est d'une rare puissance, une nouvelle fois je suis surprise par la perfection du style, par les images de la jungle comme de ses habitants (hommes et bêtes) d'une poésie et d'une prégnance troublante, conquise également par la manière de mener l'aventure, faisant monter l'angoisse jusqu'à atteindre le paroxysme . Il reste cependant des zones d'ombres, la lecture n'est pas aisée quand on connait mal l'histoire du Siam et de sa colonisation ; de la même manière il arrive à Malraux d'employer de grandes notions un peu à tort et à travers, de se lancer dans des dialogues obscurs, ou des phrases qu'il faut relire tant elles génèrent d'interprétations s'annulant les unes les autres ; mais qu'importe, le roman fonctionne comme un levier, révélant tant de richesse et donnant à voir tant d'énergie qu'il en est essoufflé. On pourrait le qualifié d'immature mais avec le bon côté de la jeunesse : violente, idéaliste, désordonnée mais tendue.
Je reste sidérée par la force de ce roman. Sidérée aussi par la violence qu'il véhicule et l'idée que ces trois hommes ne jouent pas, ils n'agissent que pour eux-mêmes, pour se prouver quelque chose, en vase clos, sans qu'aucune intervention extérieure ne les force à être grand, faible, lâche ou imprudent. Ils sont leur propre miroir. Ils n'existent que pour et par eux-mêmes. C'est assez fascinant. Je ne sais pas s'il existe encore beaucoup d'hommes aujourd'hui qui vivent ainsi, dans l'absolue incarnation de leurs actes. Sans attacher à leurs actions une part morale ou religieuse, une part de nécessité autre que celle intrinsèquement liée à leur essence.
Maline le soulignait, il existe peu d'écrivains qui à l'heure actuelle sont capables comme le fut Malraux d'évoquer, de questionner, de convoquer l'idée d'une condition humaine (le seul nom d'Enard me venant à l'esprit)… Je pense donc poursuivre très vite avec justement cette Condition humaine...
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| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: André Malraux Mar 4 Sep 2012 - 22:16 | |
| Je ne résiste pas à la tentation du recyclage de cette citation (maintenant que je l'ai retrouvée) et encore moins au plaisir de la citer : - Béatrix Beck a écrit:
- "Puis l'écrivain s'assit avec nous autour d'une grande table et parla d'abondance, disant que le mérite de la littérature de notre temps était d'écrire : Il entra et il tira..." et non plus, à la manière d'auparavant : "Il entra comme... et il tira comme... ", remarque qui s'applique particulièrement bien au style de Malraux lui-même.
Avec un peu de temps et d'autres lectures (dos Passos, Cendrars, Oppen par exemple) j'ai l'impression que Malraux poursuit un courant autour de cette condition humaine, quelque chose qui s'inscrit donc dans un moment, moment dans lequel il y a (encore) un champ d'action et de conquête. Avec la tendance plus particulière peut-être à chercher plus loin dans le passé et à travers l'art les moyens de l'appropriation de ce champ, des moyens qui se transforment et développent le champ d'ailleurs. Pour trouver le substitut ou l'image moderne je pense qu'il faut essayer d'imaginer le même espace mais avec une plus grande inertie, un monde presque fini (faudrait que je lise un Eric Vuillard d'avant Conquistadors des fois que). Et ajouter entre les deux une phase de chamboulement de la forme qui a potentiellement laissé la part belle à des formes plus légères (bien que Malraux est son côté affûté). Il n'est pas sûr que l'introspection (image présupposée de la littérature contemporaine) fasse toute l'affaire. Et puis pour revenir à la forme et garder le retour sur le passé qui avait l'air présent dans ces courants, je pense aussi à Ramuz qui s'est beaucoup investi, et avec soin, dans la forme et il a lui aussi une puissante universalité (et se situe avant Malraux lui aussi). Pas simple, je suis très curieux de ce qu'en pense ceux qui lisent beaucoup de littérature étrangère. (je passe vite fait le rappel de la lecture de sa compagne d'aventures de l'époque qui n'était pas moins motivée). | |
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