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| André Malraux | |
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shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: André Malraux Mer 5 Sep 2012 - 10:30 | |
| Puisque nous sommes dans les références, liens et autres évocations, il est impossible à la lecture de La Voie Royale de ne pas penser à Coeur des ténèbres de Conrad, les deux romans sont assez semblables par la forme (longue nouvelle), par la narration (deux hommes partent à la recherche d'un troisième et doivent traverser des pays hostiles) mais ce qui a évolué de l'un à l'autre se trouve sans doute dans le traitement des personnages au regard de leur environnement. Là où il faut souligner la grande humanité de Conrad, son interrogation constante vis-à-vis des autochtones, Malraux serait plutôt représentatif de l'individualisme de l'aventurier, avide, peu scrupuleux, pas du tout intéressé par les sauvages qui l'entoure et qu'il considère pratiquement comme des animaux, au mieux comme des bêtes de somme au pire comme de dangereux tortionnaires. Là où Conrad interroge le colonisateur et donne un corps au colonisé, Malraux apporte essentiellement l'image d'un homme replié en lui-même, cherchant sa justification en lui et pas en l'autre.
je ne sais pas si cette vision correspond à l'image que l'on pourrait se faire des explorateurs des années 20 ; peut-être ne s'agit-il tout simplement que de la description d'un type d'hommes.
et pour finir, il est impossible de ne pas penser à Georges Bataille en lisant le roman de Malraux, avec cette fascination pour la mort et ce rapprochement incessant entre érotisme et pulsion d'anéantissement... ce qui rejoint aussi les grandes thématiques d'un siècle de sang et de sexe... Je me demande ce qu'il en sera du XXIème siècle, quelles seront les lignes de démarcation qui feront sens dans mille ans ?... | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: André Malraux Mer 5 Sep 2012 - 22:42 | |
| argl. lecture trop lointaine. peut-être influencé mais bien que le personnage soit assez naturellement distant ou réécrit ? mais je ne le sentirai pas exactement comme ça, bien qu'intéressé financièrement et en termes d'image par cette aventure... et individualiste est un mot qui colle sans doute.
ça mérite réflexion ce parallèle, je ne sais plus comment c'est agencé dans la Voie royale mais on pourrait trouver ailleurs des ressemblances dans la relation, l'observation (et un peu de distance encore) à un homme plus en position d'agir.
à y revenir après des lectures... | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: André Malraux Jeu 6 Sep 2012 - 10:56 | |
| mmmm après avoir parcouru rapidement quelques pages de Conrad, je crois vraiment que la différence est dans la position narrative. Malraux donne à réfléchir là où Conrad fait sentir, l'aventure de Vannec est toute intellectualisée alors que celle de Marlow est plus sensible, intuitive, tournée vers ce qui l'entoure et ceux qui l'entourent. Mais dans les deux cas, il s'agit d'une expérience extrême d'hommes conduit par leur honneur, leur courage, leur fraternité.
peut-être souligner aussi que Coeur des ténèbres est un long discours rapporté, une voix qui dit 'je', ce qui rend le récit plus organique. | |
| | | topocl Abeille bibliophile
Messages : 11706 Inscription le : 12/02/2011
| Sujet: Re: André Malraux Lun 10 Sep 2012 - 18:43 | |
| La voie royale
J'ai sans doute un ressenti un peu différent de Shanidar des personnages de Malraux. il n'ont déclenché en moi aucune empathie.
Ce sont deux hommes de l'agir et du prendre. Agir pour se masquer l'issue fatale insupportable, et prendre pour combler le vide d'une vie menée par un désespoir existentiel. Savoir que tout cela est dérisoire, mais renoncer à lâcher pour autant. Prendre aux femmes leur corps, aux colonisés leur travail et leurs trésors dans le seul but d'apaiser son angoisse, de satisfaire sa propre urgence. Malraux nous raconte deux baroudeurs tourmentés, sans scrupules, sans affect que pour eux-mêmes, convaincus de la vanité de toute chose, dans le seul triomphe de l'instant. On se croirait dans un film noir et blanc d’avant-guerre avec ce que cela implique de richesse, de qualité dans la forme, mais aussi d’outrance, de pathétique et de machisme.
Malraux use d'une langue brillante, d'une rare densité, et ses descriptions de l'attente, de la dérisoire peur des fourmis quand la mort vous cerne, de l'épuisement qui gagne, sont particulièrement envoûtantes. Le mal-être suinte dans ces paysages fantasmagoriques où se perdent deux hommes en quête, fascinés par l’hostilité de la nature et des indigènes qu’ils s’efforcent de dominer.
Malgré cet aspect assez envoûtant, j'ai eu beaucoup de mal avec ce livre, et je dois dire que, sans le commentaire de Shanidar, qui a d'abord attiré mon attention, puis m’a offert un étayage, j'aurais sans doute eu du mal à poursuivre. Car Malraux est un auteur aussi exigeant pour lui-même que pour ses lecteurs, qui ne cède à aucune facilité, notamment pas à celle des explications, et laisse son lecteur avancer au jugé. On se perd parfois dans des dialogues allusifs, dans des situations de complexes rivalités ethniques. A nous de nous débrouiller. Malraux est ici un auteur pour les initiés, où l'on peut très vite perdre pied malgré la beauté de la langue. J’avais eu le même sentiment lorsque j’avais abandonné La Condition Humaine. Peut-être devrais–je retourner voir du côté de l’Espoir où je connais mieux le contexte historique ?
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| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: André Malraux Lun 10 Sep 2012 - 20:36 | |
| bizarrement, je n'ai pas l'impression que nous ayons un ressenti très différent, topocl. J'ai peu d'empathie pour les personnages de Malraux, qui manquent d'humanité et ne sont que des individualistes purs et durs. Nous sommes d'accord pour souligner la beauté de la langue de Malraux, d'accord pour évoquer la force de cette prose et aussi sa complexité. D'accord également pour dire que le propos est dense, ardu, parfois abscons. Mais il y a quelque chose dans cette prose, dans ces hommes (ces sales hommes) qui fait acte, qui donne la mesure d'une démesure, donne les contours d'un engagement (qu'il soit juste ou pas, qu'il soit égoïste ou seulement dans une fraternité de blancs, cet engagement questionne, impose une lecture, une position, exige du lecteur une réaction, en cela la lecture de Malraux est loin d'être anodine, elle demande de l'attention mais aussi de la réflexion). On dit souvent que Malraux a travesti la réalité pour se donner un (beau) rôle, mais c'est justement le propre de la littérature de donner l'occasion au lecteur de se confronter à des moments qu'il ne connaitra jamais et qui peuvent lui permettre de se sonder un peu, de réagir, de se demander : et moi ? comment je me positionne par rapport à tel ou tel évènement, tel ou tel personnage ? qu'est-ce que je trouve en eux, de si terrible ou de si fascinant pour qu'à travers leur vie je trouve des mots pour explorer la mienne ?
Malraux me questionne, me force à réfléchir sur ma position (tranquille avec mon chat qui dort pendant que le monde change...), en cela il est à mon sens intéressant de le lire.
Quant à L'espoir, ce livre en forme de témoignages est à mon avis beaucoup plus accessible que La Voix Royale, même s'il impose également une distance avec ses personnages en les préservant de tout investissement 'sentimental'. Je le disais, la force de Malraux est de proposer un système narratif qui ne tombe pas dans l'apitoiement ou le 'bon sentiment', il cherche à dire au plus juste une humanité qui est à la fois saine et sale, au lecteur d'en faire usage. | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: André Malraux Lun 10 Sep 2012 - 22:08 | |
| Arf, je vais être obligé de relire la Voie royale aussi. Je ne sais pas trop jusqu'où pour le sans scrupules ou le prendre ?
Le beau rôle fait partie des grandes bizarreries de cet univers, et je m'en rends encore compte avec le début de ma relecture de L'Espoir, c'est du même ordre que le rapport empêché à l'action qui est très présent chez lui et toujours doublé quand l'acte se réalise par une forme qui approche du mythe. construit donc parfois, par omission ou plus. Sans non plus dans son oeuvre romanesque qu'il soit forcément le centre ou le point d'orgue de ce qui se passe. Il est très second couteau. Et tous les personnages sont ailleurs de leur action. C'est très bizarre.
Et pour revenir sur les impressions, j'ai (eu) plus de mal sur la reprise de L'Espoir que de La Condition humaine. ça tient essentiellement à un léger ravissement morbide au combien dramatique et esthétique... qui heureusement n'apparait pas comme une fin en soi. (mais je prends des petites notes dans cette relecture, on reverra à la fin).
C'est surprenant ces relectures et je suis très content de voir du monde tenter le coup (lecture ou relecture) et aussi refuser ce qui peut se trouver. | |
| | | topocl Abeille bibliophile
Messages : 11706 Inscription le : 12/02/2011
| Sujet: Re: André Malraux Mar 11 Sep 2012 - 7:33 | |
| Shanidar, j'avais senti plus de sympathie en toi pour les personnages sur ton premier post. Une des questions est: est ce que le désespoir des personnages autorise le pardon vis à vis de leurs actes? Bon, après tout ça, je vais être obligée de re-essayer l'Espoir... | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: André Malraux Mar 11 Sep 2012 - 10:26 | |
| je crois que les personnages de Malraux (de La Voie Royale comme ceux de L'Espoir) sont au-delà de la frontière commune liée au principe d'autorité. Ils se sont extraits de cette autorité, principe qui régit en partie la violence de l'homme dans la société. Ils se placent au-dessus de certaines contingences morales. Ils le font parce qu'ils sont en guerre, parce qu'ils sont des insoumis, des rebelles, ils se mettent au-dessus des lois par concupiscence, par individualisme, par égoïsme. Du coup, j'ai l'impression qu'ils n'entrent plus dans les grilles classiques d'une morale sociale qui impose le respect, le dialogue, la solidarité. Ils sont au-delà de ces principes, ils évoluent dans un monde sans amarres, sans morale, où seules les convictions de l'intime et de l'agir font sens, c'est pourquoi ils échappent en partie au principe du Bien et du Mal, c'est pourquoi aussi il est difficile de les comprendre.
je vais commencer dès aujourd'hui La Condition humaine à la recherche d'autres salauds sublimes ou de petits héros. | |
| | | topocl Abeille bibliophile
Messages : 11706 Inscription le : 12/02/2011
| | | | Igor Zen littéraire
Messages : 3524 Inscription le : 24/07/2010 Age : 71
| Sujet: Re: André Malraux Mar 11 Sep 2012 - 10:44 | |
| Tentative première Malraux. Pour un type comme moi, il faudra plusieurs essais avant d'être à l'aise dans ses bouquins. Pour "La condition humaine", je retiens les mots d'Animal en début de page 5: frénésie - dormante - agitation - doute - duplicité - actions - apparences. Pour les réflexions plus intérieures, je reprendrais ma lecture une autre fois. Dans ce petit tiers, un tableau qui m'a frappé: - Citation :
- Le jazz était à bout de nerfs. Depuis cinq heures, il maintenait, non la gaité, mais une ivresse sauvage à quoi chaque couple s'accrochait anxieusement. D'un coup il s'arrêta, et la foule se décomposa: au fond les clients, sur les côtés les danseuses professionnelles: Chinoises dans leur fourreau de soie brochée, Russes et métisses; un ticket par danse, ou par conversation.
Un vieillard à l'aspect de clergymen ahuri restait au milieu de la piste, esquissant du coude des gestes de canard. A cinquante-deux ans il avait pour la première fois découché et, terrorisé par sa femme, n'avait plus osé rentrer chez lui. Depuis des mois il passait ses nuits dans les boîtes, ignorant le blanchissage et changeait de linge chez les chemisiers chinois, entre deux paravents. Aux mots d'Animal, je rajoute contraste. Je reviendrais certainement dans le livre, une semaine, un mois, quelques années, allez savoir ? | |
| | | topocl Abeille bibliophile
Messages : 11706 Inscription le : 12/02/2011
| Sujet: Re: André Malraux Mar 11 Sep 2012 - 11:04 | |
| - Igor a écrit:
- Tentative première Malraux.
Pour un type comme moi, il faudra plusieurs essais avant d'être à l'aise dans ses bouquins.
je ne suis pas sûre que le désir premier de Malraux soit qu'on soit à l'aise dans ses bouquins. j'ai l'impression quand même qu'il écrit d'abord pour lui, et le lecteur est le bienvenu, à condition qu'il fasse l'effort. | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: André Malraux Mar 11 Sep 2012 - 21:31 | |
| mmmh... difficile à dire, on sent les efforts de mise en forme et les phases de réflexion par le dialogue sont espacées. par contre c'est vrai que les contextes parfois touffus et méconnus demandent un effort. et il y a aussi le fait que Malraux aime bien les présentations fragmentaires avec lesquelles il n'y a que x pages ou dizaines de pages qu'une construction différente apparait.
pour les motivations diverses des personnages, si on le considère de fait individualiste, il y a quand même un rapport à la communauté très mis en avant, avec des mots clés (dans l'Espoir du moins) comme fraternité. Et les deux vont ensemble de façon pas contradictoire mais distante, interrogative, d'où le fait probablement que les dialogues significatifs se fassent entre deux personnages seulement (différents mais par deux). c'est un peu comme si la camaraderie était son remède à la communauté plus indéfinie et potentiellement trompeuse. la pensée qui motive le reste se fait en retrait, à contretemps de la communauté et de l'action. | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: André Malraux Mer 12 Sep 2012 - 10:28 | |
| il faut ajouter que les personnages de La Voie Royale sont sans doute un peu à part en comparaison de ceux de L'Espoir ou de La Condititon humaine, pour les deux derniers romans, les hommes sont des engagés, des soldats d'armée révolutionnaire, ils font en effet partie d'un groupe, d'une communauté, comme le souligne animal. En revanche Vannec et Perken sont des solitaires, qui mettent à l'épreuve leur fraternité de l'un à l'autre mais sans sortir de leur minuscule cercle. La question pour chacun est de savoir jusqu'où leur engagement peut, doit les conduire : la mort, la trahison, la solitude, le renoncement, le meurtre... Ils sont tous confrontés à ce choix (avec toujours l'idée sous-jacente que choisir sa mort revient à donner un sens à sa vie).
Gide écrivait en 1945 à propos des livres de Malraux :
Je les rouvre souvent et c'est toujours pour y puiser belles raisons d'aimer la vie ; et raisons de préférer à la vie le renoncement à la vie : l'anoblissement de la vie dans l'offre et le sacrifice. Tandis que tant d'autres aujourd'hui s'ingénient à déprécier l'humanité, Malraux spontanément la magnifie et je pense que les jeunes lui en gardent, comme je fais, reconnaissance.
Difficile de comprendre cette humanité après la lecture de la Voie Royale, en revanche l'idée du sacrifice et du renoncement à la vie pour la vie est sans doute une formule très juste pour commencer à comprendre Malraux, commencer à pénétrer son univers, à en saisir la complexité.
En d'autres termes, parler d'individualisme à propos des personnages de L'Espoir ou de La Condition humaine est à mon avis parfaitement absurde, ils sont représentatifs de leur communauté (communiste, anarchiste, bourgeois, anarcho-syndicaliste, terroriste), ils représentent des archétypes, ils sont à peine nommés, très peu décrits, car en chacun il faut pouvoir mettre tout un courant de pensée, une révolte, des convictions...
ce qui a au moins le mérite de démontrer que Malraux n'écrit pas toujours le même livre... | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: André Malraux Jeu 13 Sep 2012 - 9:04 | |
| Attrapé en cours de lecture un effet qui intervient souvent dans les dialogues, la petite plage de mystère (il y a une part d'inaccessible) de contexte et d'orientation :
Les pierres lui semblaient retourner à quelque vie minérale dont les eût tirées la lumière. Chaque fois que les formes des rochers tiraient le colonel vers son enfance, il pensait à sa jeunesse. | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: André Malraux Jeu 13 Sep 2012 - 12:05 | |
| La condition humaine
est semble-t-il le roman le plus connu (lu ?) de Malraux. Et bien chapeau les copains ! je suis très heureuse d'avoir commencé ma découverte de Malraux par L'Espoir puis La Voie Royale, sans eux je ne serais certainement pas allée au bout de La condition... car La condition humaine est vraiment un roman difficile, compliqué par l'écart générationnel (historique) qui fait que j'ai un peu oublié mes cours sur la Chine communiste. Mais encore une fois, il faut bien avoué que passée les premiers chapitres, après avoir plus ou moins repéré les lignes de force, le livre happe.
je ne vais pas répéter ici toutes les qualités que je trouve à Malraux mais peut-être insister sur quelques réflexions qui ont alimenté ma lecture. D'abord l'extraordinaire modernité du rapport entre les hommes et les femmes décrit par Malraux. Tout y est, des garants d'une morale passéiste où la femme doit rester soumise à l'homme, au personnage libéré sexuellement de May, jusqu'à Valérie, cette femme maitresse non seulement de son corps mais de sa vie entière. Au regard de ces femmes, des hommes dont les attitudes, très bien décrites, donnent une image saisissante de ce sentiment de propriété que les hommes peuvent prétendre avoir sur les femmes, avec pour chacun (de Kyo l'humble, jusqu'à Ferral, le prédateur, en passant par Hemmelrich le blessé mais aussi Gisors qui a épousé une japonaise pour la douceur de cet amour), avec pour chacun, donc, une position différente, ultime, qui va évoluer au cours du récit (voir la scène époustouflante de la non-confrontation entre Valérie et Ferral). D'ailleurs, c'est sans doute ça le véritable tour de force de Malraux dans la Condition humaine : parvenir à montrer les étapes dans l'évolution de chaque personnage (de Tchen meurtrier à Tchen martyr)(de Kyo séparé à Kyo unifié)(de Hemmelrich emprisonné à Hemmelrich libéré)...
L'autre grande affaire du roman (et il faut revenir à l'interrogation de topocl, ici pleinement justifiée) : le désespoir de ces hommes autorise-t-il le pardon de leurs actes (terroristes, guerriers, de préhension sur les femmes...) ? L'idée centrale du roman est que seule la douleur est le moteur des actes. Seule la douleur impose l'idée d'une dignité humaine, force la voie de l'action, de l'engagement. Les personnages existent en temps de crise, à un moment de leur vie où leurs idées peuvent rejoindre leur action, leur sacrifice, le don de leur vie. Cette douleur est sans cesse mise en avant pour justifier les comportements, signer une attitude et on peut se demander ce que seraient ces personnages hors de la crise, privés de la tension de la guerre, vivants dans un monde libre, quel serait leur combat ? quelle serait leur douleur pour parvenir à l'engagement ? et cette douleur efface-t-elle le sang sur leur main (voir la main d'Hemmelrich couverte du sang de sa femme et de son fils et qui 'justifie' ainsi le meurtre d'un soldat).
Encore une fois, Malraux nous donne à lire une oeuvre d'une grande modernité, parfois confuse, mais qui draine un pannel impressionnant de questionnements nécessaires.
Pour finir, juste un mot sur le personnage de Clappique (que j'ai adoré), un type un peu fou, qui est pour moi l'archétype de l'idée de dépense chère à Bataille. Clappique a deux cents dollars en poche qui doivent lui servir à quitter Shangaï afin d'échapper à la mort. Que fait-il ? Il joue son argent à la roulette, oubli un rendez-vous qui peut sauver une vie, perd son argent, file se rasséréner chez les prostituées et dépense ses derniers centimes en se faisant raser chez un barbier. Ce type (sorte de soupape bien venue dans le roman) est absolument exquis et branque, touchant et salaud, imprévisible et follement drôle. Le genre d'être que l'on rêve de rencontrer de temps en temps... | |
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