Andreï Tarkovski

Igor a écrit:

J'ai toujours ressenti le cinéma de Tarkovski comme une expérience hypnotique, un rêve que l'on a du mal à expliciter une fois que l'on en est sorti.

C'est le propre de tous les films que j'aime un peu plus que les autres. Des films qui proposent des expériences mentales qui conduisent à un certain niveau de perception sensorielle proche de la transe. Et ça me rappelle cette phrase d'Atom Egoyan que j'avais notée un jour et qui résume assez bien le pouvoir du cinéma comme espace mental:

Nos rêves sont des images en mouvement. Chaque nuit, des images mentales sont évoquées, appelées par des besoins mystérieux, une nécessité primale d'expression de l'inconscient. Depuis toujours, je suis fasciné par le fait que la tentative sérieuse d'explorer nos rêves, de les exprimer clairement, de les interpréter, ait suivi une trajectoire semblable à celle de l'histoire du cinéma.

C'est aussi l'idée de Deleuze considérant l'évolution du cinéma d'une "image-mouvement" et d'une "image-temps" à une "image-pensée".

2 DVD pour retrouver Tarkovski: Le documentaire Voyage in time qu'il a écrit, interprété et co-dirigé avec Tonino Guerra au moment de son exil en Italie (exil qui a donné naissance à Nostalghia). Et le film documentaire de Sokourov, Moscow Elegy, Andrei Tarkovsky qui évoque à la fois la vie du réalisateur et évoque quelques uns de ses films (Le miroir, Nostalghia, Voyage in time, Le Sacrifice).



Et pour lire des poèmes d'Arseny Tarkovski: Arseny Tarkovski-Poemes

Citation :

Le solitaire.

L’herbe a envahi la cour,

Folle, sauvage, festonnée,
L’herbe des fossés,
Cela sent la menthe et la morelle,
Elle étend ses bras
Tissés de soie verte.

Dans la cour l’herbe n’est pas fauchée
Depuis l’enterrement on ne reçoit personne
Et le solitaire est seul dans l’isba
Sous le croisillon de la fenêtre,
Couvert de toiles d’araignée,
Il dort, un cigare aux lèvres,

Il voit en rêve l’oiseau de paradis,
La faute qu’il a commise,
Devant Dieu et devant sa femme,
L’oreiller qu’on n’a pas secoué,
La bouteille intacte
Et ce foulard coloré.

J'ai enfin revu Stalker!

Chef d'œuvre de dépouillement et de densité. 7 acteurs, deux groupes de 3 avec le stalker comme dénominateur commun plus deux personnages et une petite poignée de militaires, silhouettes sans visages.
Et en point d'orgue un chien noir!

L’histoire en est simple: une zone devenue étrangère à notre entendement et interdite aux hommes où il est dit qu’un endroit particulier à le pouvoir d’exhausser les vœux des visiteurs. Des Stalkers (passeurs) enfants du pays y guident les candidats. Dans le cas présent, un scientifique et un littéraire.
Après avoir déjoué les mesures de sécurité en interdisant l’accès, ils pénètrent dans cet espace désolé et désert mais en fait plus accueillant que là d’où ils viennent.
Commence alors un voyage initiatique dans lequel chacun est confronté à ses doutes, son imaginaire, ses peurs.

Le génie de Tarkovski s’exprime totalement dans ce huis clos. Le langage cinématographique est totalement dépouillé, le peu d’effets spéciaux sont semblables à des mirages pour lesquels on doute plutôt de notre propre vision que de ce que l’on voit vraiment.
Le rythme de ce qui ailleurs serait traité comme un road movie est ici lent et hypnotique. L’angoisse est palpable et il ne se passe rien, que la lente progression du doute et du questionnement existentiel.
C’est magnifiquement réalisé et on est cloué les 2h43 que dure le film à son siège…

A mettre tout en haut de la lettre au père Noël... Il sort début novembre avec l'intégrale des 7 films et des 3 courts métrages pour 100 euros environ et il est plus beau que celui de MK2

animal a écrit:

cette après-midi j'ai donc eu droit à L'Enfance d'Ivan et au Miroir... je tâcherai de revenir plus en détail dessus ultérieurement, mais je dois le dire, si j'ai pu être un sceptique ou... méfiant... maintenant je signe tout de suite pour faire partie de la secte des adorateurs. c'est gigantesque.

Nous allons demain voir Le miroir sur grand écran. Beaucoup d’appréhension mais aussi d'attente et d'envie, j'ai hâte d'y être en tout cas. Et j'espère quitter la salle en partageant ton enthousiasme Animal

Hé ! les veinards !!! en tout cas ça veut dire que vous serez pile poil dans la bonne condition, aux aguets, sur le qui vive.... profitez en à bloc !

Mon premier Tarkovski au cinéma, je compte bien en profiter comme il se doit (pas certaine que Stef y trouve son compte mais bon, il n'avait pas trop le choix sur ce coup là ).

faut voir, c'est puissant comme cinéma et une puissance tant maitrisée qu'assumée, ça impressionne quoi.

Alors en vrac, mes sensations après la vision du film Le miroir :

Le film repose beaucoup sur les épaules de l’actrice principale Margarita Terekhova, qui n’a joué en tout et pour tout que dans trois films, malgré un talent d’actrice évident tant elle capte merveilleusement bien la lumière.



Le miroir où les souvenirs épars d’un homme agonisant. Curieusement, les souvenirs d’un homme se transforment en un hymne à la femme tant elle joue un rôle prépondérant (la mère, l’épouse) dans le film. Pas question d’idolâtrie mais une présence constante, même si empreinte de questionnements et d’incompréhensions. Sans oublier l’importance de l’enfance.

Beaucoup de mises en miroir, au propre comme au figuré, avec cette nostalgie mélancolique très russe, cette impression de reproduire ce qu’on a vécu, une sorte de prédéterminisme, une insatisfaction chronique, une angoisse sourde mais omniprésente.


Un film à voir au cinéma tant il ne m’aurait pas charmé sur petit écran.

Vie intime où se mêlent des faits historiques sous forme d’extraits documentaires très forts : mémoire intime et mémoire collective se fondent et ne forment qu’un. Un cri d’amour aussi pour la Russie lorsque le fils lit je ne sais plus quel texte trouvé dans la bibliothèque.

Qu’est ce que la pensée ? Le souvenir ? L’identité ? Le mental ? La mémoire ? Une vie ? Subjectivités, reconstructions, mensonges, associations, déplacements, souvenirs d’enfance et souvenirs-écrans, sans oublier le rêve.



Beaucoup aimé les poèmes d’Arseni Tarkovski, le père d’Andreï Tarkovski, père absent physiquement dans le film mais tellement présent à travers ses poèmes.

J’ai trouvé étrange de réaliser ce qu’on pourrait appeler un film testament alors qu’Andreï Tarkovski n’avait à l’époque que 42 ans ?!?

Anecdotes toutes personnelles :

J’ai discuté de ce film avec une collègue russe (dont la mère est une célèbre astronaute russe, cela ne s'invente pas) qui me dit que les russes trouvaient Tarkovski trop avant-gardiste et trop intellectuel, avec l’impression de n’y rien comprendre. Lui qui traduit à mon sens si bien l’âme russe, quelle ironie.

Avant la projection, j’ai vu un très vieux monsieur tout cabossé de la tête (chutes multiples ?) s’avancer péniblement vers la salle de cinéma. Quelle volonté, quel courage, quelle envie de vouloir se trouver là malgré ses difficultés de déplacement. Je me suis imaginé ce vieil homme regardant ce film dans lequel se déploient les souvenirs flottants d’un homme en fin de parcours. Quelle mise en miroir émouvante, vraiment.

Résonance avec mes lectures actuelles :

Citation :

Comme tout le monde, Bill récrivait sa vie. Les souvenirs d’un homme mûr sont différents de ceux d’un jeune homme. Ce que l’on trouvait vital à quarante ans, on peut le trouver moins significatif à soixante-dix. Nous fabriquons des histoires, après tout, à partir des matériaux sensoriels fugaces qui nous bombardent à chaque instant, suite fragmentée d’images, de conversations, d’odeurs, et le contact des objets et des gens. Nous en effaçons la plus grande partie afin de vivre dans un semblant d’ordre et ce remaniement de la mémoire se poursuit jusqu’à la mort.

Pourquoi on se sent bête et stupide lorsqu'on veut parler d'un film de Tarkovski ? On se sent si petit face à l'ambition du réalisateur...

sentinelle a écrit:

J’ai discuté de ce film avec une collègue russe (dont la mère est une célèbre astronaute russe, cela ne s'invente pas) qui me dit que les russes trouvaient Tarkovski trop avant-gardiste et trop intellectuel, avec l’impression de n’y rien comprendre. Lui qui traduit à mon sens si bien l’âme russe, quelle ironie.

Je crois que c'est valable pour la plupart des films d'auteurs considérés comme "difficiles" un peu partout sur la planète. Si je parle à un thaïlandais d'Apichatpong Weerasethakul, au mieux il saura qu'il a eu la palme d'or mais son cinéma reste plus que confidentiel y compris (surtout) là-bas où pourtant ils perçoivent davantage son humour si particulier. on y voit de l'exotisme et l'âme d'un pays alors que ce sont des visions poétiques très personnelles d'expérimentateurs marginaux et exigeants. Idem pour Bergman et la Suède ou Antonioni et l'Italie... Le public préfère un cinéma moins abstrait en général.

J'aimerais revoir "Le Miroir" en salle. Il n'y a que là qu'on peut en profiter pleinement.

Marko a écrit:

A mettre tout en haut de la lettre au père Noël... Il sort début novembre avec l'intégrale des 7 films et des 3 courts métrages pour 100 euros environ et il est plus beau que celui de MK2

C'est mon cadeau de Noël

sentinelle a écrit:

C'est mon cadeau de Noël

Beau cadeau! Dommage qu'ils ne le sortent pas en Bluray.

Marko a écrit:

sentinelle a écrit:

C'est mon cadeau de Noël

Beau cadeau! Dommage qu'ils ne le sortent pas en Bluray.

La réponse sur Amazon :

Citation :

Voici les réponses de l'éditeur face aux remarques qu'il s'agit d'un coffret DvD et non B-D

"Je commence par la différence entre les précédentes éditions : Mk2 / Arte / FSF et ce nouveau coffret

Masters :
- films en une seule partie et non plus découpés
- master de Ivan : légèrement meilleur, Roublev : bien meilleur que le précédent, c'est sur ce titre que la plus grande différence se fait par rapport à celui de Mk2, Solaris : légèrement meilleur, Le Miroir : légèrement meilleur, Stalker : identique à celui de Mk2, Nostalghia : même master que celui de FSF, Le Sacrifice : même contenu que le disque 1 de l'édition Arte, malheureusement interdiction de commercialiser le disque 2 de Arte avec le beau film de Marker, coup dur. Les Tueurs : identique au master Carlotta (du Siodmak)

Traduction :
- les cinq premiers films ont été sous-titrés à nouveau intégralement, la traduction précédente étant catastrophique (fautes de syntaxe, d'orthographe...)

Graphisme :
- nous vous laissons juger

Contenu inédit :
- Deux courts : Le Rouleau compresseur et le violon, Il n'y aura pas de départ aujourd'hui
- Le documentaire : Tempo di Viaggio
- Présentation de chacun des films par Pierre Murat
- le documentaire de Dmitry Trakovsky : Meeting Andrei Tarkovski

Suppléments identiques aux éditions MK2 :
- une partie des entretiens et bonus des éditions MK2 ont été récupérés, uniquement ceux qui nous paraissaient les plus intéressants

POURQUOI PAS DE BLURAY :
1/ nous n'avons pas l'autorisation de sortir les films en Bluray, notre contrat nous l'interdit
2/ le jour où les ayant-droits accepteront de les céder ce sera très très cher. Ils nous l'avaient promis, mais vu la piètre qualité du matériel existant (fausse HD =>suffisant pour un DVD de bonne facture mais insuffisant pour un bluray) c'est impensable
3/ pour faire des bluray il faut avoir des masters HD de très bonne facture, on ne fait pas un bluray pour dire de
4/ pour ce faire, il faut repartir des éléments positifs qui sont chez Mosfilm (LE studio russe). Hors Mosfilms ne donne pas accès à son matériel comme cela. Donc le seul moyen est d'attendre qu'ils fassent une restauration digne de ce nom
5/ ou autre solution, de récupérer une copie 35 de bonne qualité (chez un distributeur ou une Cinémathèque)
6/ ensuite à partir de ces éléments faire des télécinémas HD, c'est très coûteux
7/ faire un bluray coute 3000$ de couts fixes pour Sony (à peu de choses près) + couts de télécinéma + couts de fabrication beaucoup plus élevés + couts d'authoring plus élévés
8/ le master peut aussi être récupéré auprès d'autres éditeurs (comme Criterion), mais : ils ne sont pas très friands de ce genre de partage, ils veulent garder l'"exclu" de leur master (même si bien sûr il est possible parfois de trouver des arrangements), et c'est souvent couteux

Vous comprenez donc que nous avons, comme vous, pensé à beaucoup de choses, tenté de ne rien oublié et souhaité faire au mieux pour ce coffret mais les barrières sont nombreuses. Nous avons beaucoup de frustrations, mais nous sommes tout de même contents du travail accompli et des nouveaux apports de ce coffret."

Potemkine

Ce sera aussi mon cadeau (déjà hâte de découvrir L'enfance d'Ivan et de revoir les suivants, qui m'ont tous marqué à diverses périodes de ma vie) !