Daniel Mendelsohn

Babelle a écrit:

Sophie a écrit:

Juste une question, en attendant ma note sur ce livre, incessamment sous peu. Il n'était, pas auparavant, dans la rubrique "livres non romanesques"? Ca me semblerait plus approprié.

Et bien oui, je le pensais aussi Sophie, mais cela ne me gêne pas non plus de voir Daniel Mendelsohn chez les auteurs américains.
Il me semble que c'est à cause des Prix littéraires : Chagrin d'école, qui n'est pas du tout un roman, s'est retrouvé par la fantaisie et le manque de discipline des jurés Renaudot roman, tandis que Les Disparus se voyait attribué le Prix Médicis Roman étranger...
C'est à Joan Didion (L'année de la pensée magique) que revint le Prix Médicis de l'essai.

Oui bien sûr, dans l'absolu, ça ne me gêne pas non plus qu'il soit dans "auteurs américians", puisque c'en est un; mais comme c'est une "oeuvre non romanesque", cette rubrique est bien adaptée à ce livre.
Quant aux prix décernés dans telles catégories, c'est à se demander si les jurés ont lu les livres ou s'ils y ont compris quelque chose.

"J'aimerais tellement que vous puissiez voir son visage, à quel point il est expressif, l'esprit, l'humour sombre qui le traverse de temps en temps, comment une ironie au fait du monde peut soudain et entièrement laisser place à une tristesse que je ne peux même pas commencer à comprendre, comme cela s'est passé lorsque Matt lui a demandé de tenir une photo de sa vieille amie Frydka pendant qu'il faisait son portrait, et au moment où l'obturateur s'est ouvert, un souvenir l'a envahie et, comme le montre clairement la photo que vous ne verrez jamais, elle a fermé les yeux sous la pression du chagrin, de sorte que cette photo fixe le visage sillonné de rides d'une femme toute petite mais élégante, tenant dans sa main impeccablement manucurée la photo d'une jeune fille mi-rêveuse mi- sérieuse, dont les yeux sont grands ouverts, même si ce sont naturellement les yeux de la vieille dame qui sont ouverts aujourd'hui tandis que ceux de la jeune fille sont fermés à jamais depuis soixante ans."
(Les disparus. Daniel Mendelsohn)

"De ce vaste terrain qui avait été acheté par les Juifs de Vienne dans les années 1920 pour la nouvelle section du cimetière, seule une petite portion était occupée par des tombes. A côté de ces tombes se déployait une vaste prairie vide.
[...] Quand nous pensons aux terribles ravages produits par un certain type de destruction pendant les temps de guerre, nous pensons normalement aux endroits qui étaient autrefois pleins de vie: les maisons, les boutiques, les cafés, les parcs, les musées, etc... J'avais passé pas mal de temps dans les cimetières, mais il ne m'était pourtant jamais venu à l'esprit, avant cet après-midi dans le Zentralfriedhof, que les cimetières, eux aussi, pouvaient être vidés de leur vie."

(Les Disparus. Daniel Mendelsohn)

Coline, tu as choisis deux très beaux passages...très forts et émouvants au plus haut point!
Merci

Je crois que nous sommes tous unanimes à propos de cet essai
Emotionnellement parlant, il n'y a pas de comparaison possible entre Les disparus et Les bienveillantes.
J'ai préféré, et de loin, le premier au deuxième

Chatperlipopette a écrit:

Coline, tu as choisis deux très beaux passages...très forts et émouvants au plus haut point!
Merci

A la suite de tout ce que vous aviez écrit sur ce livre et en attendant que je l'ai terminé, j'ai imaginé cette façon d'en parler différement...
J'en ai éprouvé le besoin ce matin...

" Pendant quelques minutes, nous avons parlé de la progression de la guerre en Irak, ce qui était un sujet sensible à ce moment-là si vous étiez un Américain voyageant en Europe- où la guerre n'était pas populaire- même si, bien sûr, le sujet n'était pas aussi sensible qu'il le deviendrait huit semaines plus tard, après les révélations concernant les sévices sur des prisonniers par des soldats américains.[...] Parmi les sévices qui étaient censés avoir eu lieu, il y a une humiliation bizarre qui a consisté à forcer les prisonniers nus à s'empiler les uns sur les autres pour former une pyramide vivante. Quand j'ai lu ça dans le journaux, j'ai été fortement frappé par ce détail dans la mesure où je me souvenais du détail, l'un des premiers que nous ayons appris à propos des tortures perpétrées par les nazis sur les Juifs de Bolechow [...] comment ils avaient obligé des Juifs dénudés dans le Dom Katolicki à s'empiler les uns sur les autres pour former une pyramide humaine avec le rabbin au sommet. Qu'est-ce que c'était, me suis-je demandé, quand j'ai appris ce qui s'était passé à Abou Ghraïb, qu'est-ce que c'était que cette pulsion de dégradation qui avait pris la forme spécifique de construire des pyramides de chair humaine? Mais au bout d'un moment, il m'est venu à l'esprit que ce type particulier d'humiliation était un symbole parfait, et parfaitement perverti, de l'abandon des valeurs civilisées; puisque, après tout, le désir d'empiler une chose sur une autre, le désir de construire- que ce soit en Egypte ou au Pérou- des pyramides, tout ça peut être considéré comme l'expression la plus précoce du mystérieux instinct de création chez l'homme, de faire quelque chose à partir de rien, d'être civilisé. Moi qui avais passé tant de temps à lire sur les Egyptiens, je me suis assis pour regarder un matin d'avril 2004 la photo floue de la pyramide bancale de corps nus, qui ressemblait, pour autant que nous le savons, à celle de certains Juifs dans le Dom Katolicki, le 28 octobre 1941, et je me suis dit: Voilà, tout était là, contenu dans ce petit triangle: le meilleur des instincts humains et le pire, le sommet de la civilisation et ses profondeurs, la capacité de faire quelque chose à partir de rien et celle de faire le rien, à partir de quelque chose. Pyramides de pierre, pyramides de chair.

[...]Demandez à votre père, ai-je dit en me tournant vers Alena, s'il souhaitait que quelqu'un apprenne une chose en particulier sur Bolechow en lisant mon livre, une chose à garder en mémoire, qu'est-ce que ce serait?
Elle a transmis la question à son père, et dès qu'elle a cessé de parler, un fin sourire est apparu sur ses lèvres à lui.

[...]Elle a dit, Il dit, Il y a eu les Egyptiens et leurs pyramides. Il y a eu les Incas du Pérou. Et il y a eu les Juifs de Bolechow.3

(Daniel Mendelsohn, Les Disparus.)

Ma façon de vous parler de ce livre dense et bouleversant (je n'en trouve pas d'autre) est de vous livrer quelques passages...
Il continuera de m'habiter longtemps, je le sais...

"Presque tout sera perdu à la fin, aussi sûrement que ce qui faisait l'essentiel de la vie des Egyptiens, des Incas, des Hittites a été perdu. Mais pendant un certain temps, une partie peut être sauvée, si seulement, face à l'immensité de tout ce qu'il y a et de tout ce qu'il y a eu, quelqu'un prend la décision de regarder en arrière, de jeter un dernier coup d'oeil, de chercher un moment parmi les débris du passé pour voir non seulement ce qui a été perdu, mais aussi ce qui peut encore y être trouvé."

(Danel Mendelsohn. Les Disparus)

Je progresse lentement dans ce livre, à tâtons, comme l'auteur dans ses recherches. J'aime sa façon de nous faire vivre sa quête, de nous préparer à l'inéluctable.

Citation :

Le frère aîné, qui était aussi le plus beau des sept frères et soeurs, le plus adoré et adulé, le prince de la famille, était venu jeune homme à New York, en 1913. Mais, après une année maigre passée là-bas chez une tante et un oncle, il avait décidé qu'il préférait Bolechow. Et donc, après une année aux Etats-Unis, il était rentré - un choix qu'il savait, puisqu'il avait fini par trouver le bonheur et la prospérité, être le bon. Il n'a pas de tombe du tout."

Steven a écrit:

Je progresse lentement dans ce livre, à tâtons, comme l'auteur dans ses recherches. J'aime sa façon de nous faire vivre sa quête, de nous préparer à l'inéluctable.

Prends le temps Steven...jusqu'à la dernière page...

J'ai eu un frisson en revoyant la couverture avec les photos des Disparus...J'ai bien fait de la mettre en grand cette image...Hommage...

On a beau être préparé, connaître l'histoire, savoir l'atrocité... Je suis saisi au fil des pages d'une émotion grandissante. Les témoignages me mettent les larmes aux yeux et je ne peux m'empêcher de penser à notre pauvre humanité... Des siècles d'innovations, de progressions humanistes et sociales pour ça... pour une foule rieuse et fière de commettre ces crimes...
C'est ce rabbin à qui l'on a crevé les yeux qu'on oblige à danser avec une femme nue ! C'est cette femme en train d'accoucher à qui on arrache son nouveau né qui sera piétiné par ces criminels en liesse devant elle... Ce sont ces survivants qui humanisent des chiffres, rendent palpable cette atrocité et qui n'ont pas disparus. Et ce sont ces disparus, qu'un sourire sur une photo, une attitude racontée 60 ans après par une vieille femme, un nom lâché au hasard font ressurgir du néant et de l'histoire. Et il ne s'agit pas d'un roman (derrière le moindre passage des Bienveillantes - aussi bien documenté soit-il- on sent la fiction), de témoignage, de la réalité et donc d'une part indicible et bien réelle de la nature humaine.

Je crois que ce livre fait, avec raison, l'unanimité sur Parfum !

J'ai terminé avec beaucoup d'émotions "Les Disparus" hier soir. Vous avez beaucoup écrit dessus, et il est difficile de rajouter autres choses. Je garde :

Citation :

Il continuera de m'habiter longtemps, je le sais...

Oui, il continuera de m'habiter longtemps et a déjà changé une certaine perception des choses.
Ce matin, à la radio, ils traitaient des cinq ans de la guerre en Irak. Ils ont annoncé comme 4000 victimes militaires chez les Américains... Et derrière ce chiffre brut, je ne peux désormais que penser aux "détails" qui rendent vie à chacune de ces victimes... A percevoir chaque victime comme une, avec son histoire et sa vie... Ce qui rend plus palpable l'ampleur du désastre que sont les guerres...

L’étreinte fugitive est la première partie d’un triptyque, dont Les Disparus est la deuxième partie…


Daniel Mendelsohn, L'étreinte fugitive

Citation :

Editeur
L'Étreinte fugitive, placé sous le signe de l'homosexualité, mêle des genres très différents : une trame autobiographique : enfance, adolescence et découverte de sa sexualité par l'auteur, en même temps que le récit de son attachement à une femme dont il va adopter les deux enfants ; une réflexion sur la question gay ; une enquête autour d'un secret de famille, un événement survenu dans les années 1920... ; l'évocation, en pointillés, de textes relevant non plus du judaïsme mais de la culture gréco-latine (Mendelsohn est helléniste).

Je n’ai jamais conçu Les disparus comme un livre sur la Shoah. Pour moi, c’est unlivre qui parle de la relation angoissée, mais enrichissante, que le prséent noue avec le passél, que le moi noue avec la famille et ses traditions, une relation que le moi a, en réalité, avec une tradition culturelle beaucoup plus vaste […] Cet examen est, précisément le fil rouge de L’Etreinte fugitive.
(Daniel Mendelsohn, cité dans LIRE)





je vais me faire le plaisir de lire ce livre en anglais - ne serait-ce pour la couverture et ce beau titre.. The elusive embrace....

Armor-Argoat a écrit:

Les disparus vont sortir en poche en février. Je sais déjà que je vais l'acheter.

merci pour cette information, je vais le mettre sur le fil des poches - et surtout penser à me l'acheter aussi à ce moment.. c'est vraiment un livre que je veux lire

Les Disparus est en effet un livre fort qui mêle l'autobiographie, des entretiens sur la déportation ou la vie pendant la guerre. C'est long complexe mais toujours passionnant.