Honoré de Balzac

Le contrat de mariage


A Bordeaux, deux jeunes gens étaient promis l’un à l’autre. Mademoiselle Evangelista, d’origine espagnole et riche à millions (son père, décédé, était un habile commerçant) et le comte Paul de Manerville, riche châtelain local.

Tombé amoureux, le comte se déclara et fit sa demande. Entra alors en scène deux hommes de lois : le bon père Mathias, vieux, expérimenté et notaire de Monsieur le comte et maître Solonet, jeune arriviste et notaire ambitieux des Evangelista.

Ces deux hommes doivent rédiger l’épineux contrat de mariage. Contrat qui est souvent responsable des premières brouilles entre les deux familles avant même que la noce ne soit célébrée. Car cette rédaction est vécue comme un combat d’où sortiront un vainqueur et un vaincu.

Solonet est persuadé d’embobiner son collègue âgé. Il aura le dessus, il en est certain. Mais Mathias connait son affaire. Il n’a pas accumulé quarante années d’expérience pour rien : il flaire rapidement un coup tordu et la ruine de la famille Evangelista. Ruine qui est encore maquillée sous les plus beaux atours de la fortune. La somptueuse façade est encore intacte et fera illusion le temps de marier les deux jeunes gens. C’est du moins ce qu’espère la mère de la fiancée. Pour éviter que la future comtesse de Manerville n’entraine dans la ruine son époux avec elle, Mathias crée un majorat qui doit permettre au couple de vivre à l’aise sans grever le capital et de garantir celui-ci. Car ce capital se trouve être l’héritage du premier né (mâle, bien évidemment) que ne manqueront pas de fabriquer nos deux tourtereaux ci-tôt mariés.

Madame Evangelista, qui espérait faire de son gendre son pantin et de profiter ainsi de la fortune de ce dernier pour poursuivre son existence dispendieuse, se trouva fort marri quand elle réalisa que son jeu avait été percé par le vieil homme. Telle fut prise celle qui croyait prendre.

La vengeance étant un plat qui se déguste froid, la veuve prévint sa fille contre son futur époux, et avec l’aide de maître Solonet, organisa sa riposte !

Encore un grand cru que ce roman. Un livre qui pose certains personnages récurrents de la Comédie Humaine. On assiste à la naissance de Madame de Manerville, une femme dure, implacable et sans scrupule qu’on retrouve dans « Une fille d’Eve ». On voit apparaître Monsieur de Marsay, qui n’est pas encore ministre : un homme loyal, riche, ambitieux, rusé et calculateur. D’autres noms célèbres trouent ici et là les pages du livres : le duc de Langeais, Les Nucungen, Charles et Félix de Vandenese, Gobsek, la marquise de Listomère, Rastignac… Toute la Comédie Humaine est là, prouvant une fois encore que le Grand-Œuvre de Balzac est un prodige maitrisé de la première à la dernière ligne.

Superbe une fois de plus !

Celui-ci est de toute beauté.

L’illustre Gaudissart



Félix Gaudissart est un vendeur hors pair. Il vendrait un réfrigérateur à un ours blanc. Et ce don qui lui valut son surnom d’ « illustre » est connu de tous : chaque entrepreneur, chaque industriel, chaque individu ayant quelque-chose à vendre aimerait s’attacher ses services.

Cet homme qui s’est battu en juillet (comprendre « qui a participé activement aux Trois Glorieuses de 1830 ») part ainsi en province avec un certain nombre de produits dont il se fait le représentant passionné. Gaudissart, qui a une mémoire prodigieuse, connait tout sur tout. L’homme est incollable et une fois ferré, son poisson ne parvient plus à lui échapper. Bien entendu, il ne s’embarrasse pas de scrupule. Ce qui l’intéresse, c’est de placer son produit : il n’est pas une assistance sociale.

Fort de ses succès, Gaudissart arrive en Touraine. Une région âpre : le tourangeau ne s’en laisse pas conter aisément. Dans le village de Vouvray, le premier autochtone qu’il aborde le voit venir de fort loin et décide de s’amuser à ses dépend en l’envoyant exercer son art chez le fou du village. L’homme en rit d’avance et convie quelques voisins à venir observer discrètement la scène. Bonne poilade en perspective !

Avec cette nouvelle, Balzac se moque de la Monarchie de Juillet réputée matérialiste. Sous les traits d’un bonimenteur hyperactif et franchement caricatural, c’est la société sous Louis-Philippe qui est sur la sellette. Un texte savoureux, drôle grâce auquel le lecteur a le sourire sur les lèvres.

La fille aux yeux d’or



Après une assez longue introduction (un petit tiers du livre) consacrée à une étude du monde parisien, l’histoire s’ouvre sur la rencontre au Jardin des Tuileries de Henri de Marsay – fils naturel de Lord Dudley et alors âgé de 22 ans -  et de Paquita Valdès, la fille aux yeux d’or. La jeune fille est d’une extraordinaire beauté. Tombé immédiatement amoureux – lui, devenu indifférent aux femmes comme aux hommes, lui, convaincu que l’argent et le pouvoir sont tout, que tout peut s’acheter et que ses contemporains ne sont que des marchandises parmi d’autres – de Marsay retrouve un intérêt à sa vie, une raison de se lever le matin et de se battre pour quelqu’un. Car c’est une bataille qu’il devra mener tant la jeune fille est tenue sous bonne garde.

Aux côtés de Paul de Mannerville, il multiplie les promenades pour croiser le regard de son aimée. Ce roman m’apparaît ainsi comme le pendant du « Contrat de mariage » dans lequel Paul de Mannerville tentait de conquérir Mademoiselle Evangelista malgré les avertissements de de Marsay.

Malgré les difficultés, la conquête eut lieu : la fille aux yeux d’or se livra corps et âme à son amant tout en se montrant terrorisée par les conséquences de son abandon. En compagnie de deux amis, Monsieur le marquis organisa l’enlèvement de Paquita. Mais l’amoureux arriva trop tard : la marquise de San-Réal, fille de Lord Dudley et donc demi-sœur de Henri de Marsay, venait d’assassiner la jeune fille dont elle était l’amante.

Un nouveau roman balzacien ayant pour thème la cruauté de l’amour, les différends qui peuvent opposer deux amants au sein de leur couple – sauf qu’ici, originalité et audace de l’auteur pour l’époque, le couple au cœur de cette tragédie réunit deux femmes.

Est également abordé dans ce roman, le thème récurrent de la condition féminine dans cette première moitié du XIXe siècle : une femme s’achète et appartient à son époux (son maître) tout comme peut l’être n’importe quel meuble de sa maison.

Un roman intéressant, original qui a pourtant eu du mal à se mettre en place : la première partie est en effet bien longue. Un roman qui renseigne le lecteur sur le fameux « amour déçu » dont Henri de Marsay s’ouvre lors d’une soirée chez Félicité des Touches (« Autre étude de femme ») et qui l’a conduit à entrer en politique.

Un drame au bord de la mer


Au Croisic, avant que ce charmant petit village du sud Bretagne ne devienne une villégiature bourgeoise, sise tout au bout d’une presqu’île encerclant les marais salants de Guérande.

Le narrateur – Louis – s’y promène en agréable compagnie. Avec Pauline qu’il tient par la main, il se prend de pitié pour un pêcheur côtier enguenillé auquel il achète la pêche – un homard et une araignée – à un prix volontairement exorbitant. L’autochtone n’est évidemment point dupe de cette aumône princière à peine déguisée et loin de s’en offusquer, saisit cette manne providentielle qui lui permettra de souffler un peu.

Puis, à leur demande, l’homme accepte de servir du guide au couple qui souhaite se rendre à pied jusqu’au village de Batz (à travers le marais littoral ; j’imagine que le beau sentier qui longe aujourd’hui la côte ne devait pas exister en 1835). C’est l’occasion pour le groupe de croiser la route de Cambremer, un homme qui vit reclus dans une anfractuosité de rocher. Tel un anachorète, il n’a plus prononcé un mot depuis des lustres et lors de leurs déplacements, les gens du coin ont soin d’éviter la retraire du bonhomme en contournant l’endroit.

Le pêcheur, reconnaissant, accepte de raconter le drame qui a jeté ainsi l’homme à la côte, tel un naufragé de la terre enfermé au-dehors !

Une courte nouvelle grâce à laquelle j’ai échappé l’espace d’un instant à la froide grisaille hivernale : l’action se déroule en été, il fait chaud, le sel et la vase emplissent l’air d’iode, les salicornes sont partout. Et la mer omniprésente.

Un bon bol d’air !

Melmoth réconcilié



Ruiné par une maîtresse coquette, Castanier doit prendre des mesures radicales s’il veut éviter la faillite personnelle. Caissier du baron de Nucingen – banquier de son état –, il profite de la confiance de son patron pour faire une fausse écriture (la première de sa vie) et détourner cinq cent mille francs.

A cet instant précis, John Melmoth se présente à lui et lui propose un pacte avec le diable : s’il lui vend son âme, il lui transmettra son omnipotence et son omniscience. Acculé, Castanier accepte. Il est désormais tout puissant et entend bien profiter de ses nouveaux pouvoirs.

Une nouvelle atypique qui laisse une bonne part au surnaturel. Le diable habite le corps humain et permet à l’homme de réaliser ses envies les plus inavouables. Plus rien d’impossible. Plus de limite. Il suffit de souhaiter pour obtenir. Mais attention au revers de médaille !

Atypique, mais intéressante. Balzac a vraiment excellé dans la veine fantastique, même si c'est une partie relativement limitée de son oeuvre. Enfin, c'est mon opinion.
En tous les cas, merci Harelde de continuer à nous poster tes impressions.

Ah, oui, très sympathique, ce Melmoth réconcilié ! De toute façon, les histoires de pacte avec le Diable, ça donne souvent des histoires intéressantes : il y a tout de suite la menace du couperet...
Ça me rappelle qu'il faudrait peut-être que je lise Maturin, tiens (le pauvre n'a même pas de fil pour que je puisse me décider... pourtant, plusieurs l'ont lu - Sentinelle ! - et Nathria...)

Moi aussi je l'ai lu.   

Arabella a écrit:

Moi aussi je l'ai lu.   

Aaaah. C'était bien ?

J'ai vraiment aimé, il y a une ambiance originale, même si c'est très baroque, et chargé. Il ne faut pas que côté te rebute.

Arabella a écrit:

J'ai vraiment aimé, il y a une ambiance originale, même si c'est très baroque, et chargé. Il ne faut pas que côté te rebute.

Merci, j'ai bien noté !

L'interdiction


La marquise d’Espard accuse son époux de folie : l’homme dont elle vit séparée depuis de longues années ne lui permettrait de voir ses enfants que deux fois l’an. Et plus grave encore, il dilapiderait sa fortune, futur héritage de ses bambins. Le marquis d’Espard aurait versé plus d’un million – somme colossale – à monsieur Jeanrenaud et à sa vieille mère, personnages modestes s’il en est : des indigents qui auraient séduit ou ensorcelé le marquis tombé en leur pouvoir.

Le juge Jean-Jules Popinot est chargé de l’affaire. Par l’intermédiaire d’Eugène de Rastignac (qui aimerait faire de la marquise sa maîtresse en remplacement de madame de Nucingen dont il se lasse) et d’Horace Bianchon (le neveu du juge Popinot), la marquise tente d’influer sur le verdict, d’assurer sa victoire et ainsi d’obtenir l’interdiction du marquis.

Mais le juge est une personne intègre. Il n’est pas né de la dernière pluie et face à la marquise, il devine immédiatement la femme calculatrice et prête à tout pour s’enrichir davantage. Aussi est-il résolu à creuser, à ne pas prendre pour argent comptant les allégations de l’influente marquise et à interroger le mari pour avoir la version de la partie adverse. Le « fou » s’explique. Il n’a évidemment rien de fou et la donation faite aux Jeanrenaud était destinée à réparer un préjudice subi par cette famille : en 1685, quand Louis XIV par l’édit de Fontainebleau révoque l’édit de Nantes, les protestants quittent massivement la France, vendant, bradant leurs bien. Nombreux domaines, nombreuses fortunes sont même extorqués, confisqués, tout comme l’ont été les biens des juifs sous la domination nazie deux siècles et demi plus tard (l’histoire se répétant à l’infini). Une grande partie de la fortune de la famille d’Espard repose sur une telle spoliation que le marquis choisit maintenant de restituer.

L’opinion du juge Popinot est faite et il s’apprête à rendre son rapport au tribunal quand il apprend qu’il est dessaisi de l’affaire au profit d’un autre magistrat : l’ambitieux juge Camusot.

Un court roman très dense, extrêmement narratif et descriptif qui fouille dans le détail les personnages et leur situation respective. Un texte assez lent et émaillé de quelques longueurs.

Après avoir lu il y a quelques années quelques titres phares dans le désordre (Le père Goriot, Illusions perdues, Splendeurs et misères des courtisanes, Les Chouans, Eugénie Grandet, Une ténébreuse affaire...), je me suis offert l’intégrale dans cette très belle collection :

et j’ai donc décidé de lire l’ordre proposé ici, ce qui m’a permis de découvrir de monumentales pépites (Une passion dans le désert, L’interdiction, La messe de l’athée, Le contrat de mariage).

Et puis, finalement, depuis avant-hier je me suis enfin décidé à me tenir à un ordre de lecture sérieux : le Furne corrigé. Je suis débile de ne pas y avoir pensé plus tôt. Le pauvre Balzac s’est cassé la tête toute sa vie pour agencer le tout au mieux, et moi j’atterris seulement.

Retour à la case départ donc, avec La maison du Chat-qui-pelote et Le bal de Sceaux.
Ce n’est pas encore du très grand Balzac, mais ça se dévore à vous y tromper. C’est passionnant, déjà très riche et foisonnant, on sent encore un peu de retenue, de convention même dans l’agilité et les zigzags de sa plume et du récit, mais je me suis RE-GA-LE.
Les deux histoires vont de pair : des filles prêtes à marier qui sont confrontées à un dilemme social et à des ambitions de famille d'un côté ; à une passion soudaine et dévorante de l'autre.
- La maison du Chat-qui-pelote : la fille d’un drapier honnête, sans histoire, accumulant une fortune confortable mais dû à son seul labeur et à son flair, tombe amoureuse d’un peintre extravagant.
- Le bal de Sceaux : une incorrigible demoiselle issue d’une branche aristocratique des plus anciennes et vénérables, rejette toutes les "offres", jusqu’aux plus estimables, aux plus convoitées, par frivolité, bouderies et lubies de jeunesse, par caractère détestable, et finit par s’éprendre d’un mystérieux personnage, fort élégant et attirant, mais dont les origines sont flous.

Je constate que le Contrat de mariage, qui clôt les scènes de la vie privée, s’emboîte merveilleusement bien, est le parfait pendant de ces deux premières histoires. Je regrette de l’avoir lu avant. P’tit goût amer. Tant pis.


Au passage.
J’aime bien dans l’avant-propos brillant de Balzac comment il résume certains segments de la Comédie Humaine :
"Les SCENES DE LA VIE PRIVEE représentent l’enfance, l’adolescence et leurs fautes, comme les SCENES DE LA VIE DE PROVINCE représentent l’âge des passions, des calculs, des intérêts et de l’ambition.
Les SCENES DE LA VIE PARISIENNE offrent le tableau des goûts, des vices et de toutes les choses effrénées qu’excitent les mœurs particulières aux capitales où se rencontrent à la fois l’extrême bien et l’extrême mal.
Les SCENES DE LA VIE DE CAMPAGNE sont, en quelque sorte, le soir de cette longue journée, s’il m’est permis de nommer ainsi le drame social [...] dans lequel on trouve les plus purs caractères et l’application des grands principes d’ordre, de politique, de moralité."

Max a écrit:

Après avoir lu il y a quelques années quelques titres phares dans le désordre (Le père Goriot, Illusions perdues, Splendeurs et misères des courtisanes, Les Chouans, Eugénie Grandet, Une ténébreuse affaire...), je me suis offert l’intégrale dans cette très belle collection :

et j’ai donc décidé de lire l’ordre proposé ici, ce qui m’a permis de découvrir de monumentales pépites (Une passion dans le désert, L’interdiction, La messe de l’athée, Le contrat de mariage).

Ah oui, déjà ça présente pas mal dans une bibliothèque... c'est plus beau que les titres dépareillés que j'ai... Mais y a-t-il des notes dans cette collection ? Parfois, ça peut être très utile... (mais l'abus peut aussi gâcher la lecture...)