Barbara Kingsolver

Agnès a écrit:

Je n'ai pas lu de Kingsolver depuis 2009, mais j'ai retrouvé deux passages d'Un été prodigue assez représentatifs du style de l'auteure :

Citation :

"[...] Est-ce que nous serions, nous autres, les vieux, les seuls à réfléchir à deux fois à l'avenir ?"
Il se sentit discrètement flatté d'être inclus dans le compliment. Mais, à étudier son visage, il ne put véritablement savoir si elle pensait à lui en particulier ou aux personnes âgées en général. Et à présent voilà qu'elle repartait sur sa lancée.
"On aurait pu croire que les jeunes seraient plus avisés. Parce que eux, ils seront encore là dans cinquante ans. Pas nous."
- Non, pas nous", approuva lugubrement Garnett. Il s'efforçait de ne pas trop penser à ses plantations de châtaigniers envahies de mauvaises herbes, à l'abandon, et agitant leurs feuilles - résultat d'un croisement soigneux - tels de petits drapeaux de reddition dans un monde qui n'aurait même aucun souvenir de ce qui était en jeu. Qui s'intéresserait à son projet une fois qu'il serait mort ? Personne. Absolument personne. Il avait si longtemps tenu cette vérité à distance qu'il faillit pleurer de soulagement de pouvoir en appréhender le chagrin simple et honnête. Il posa les mains sur ses genoux, inspira, souffla. Allons ! Que ce cerisier lui tombe dessus maintenant, qu'on en finisse. Quelle importance cela avait-il ?

Citation :

Excusez-moi, monsieur, est-ce que je suis bien sur la H6 ?
- Normalement, oui, répondit Garnett, si les imbéciles qui dirigent le service d'ambulances 911 n'avaient pas décidé de mettre un panneau indiquant "Passage du Pré-au-Ruisseau"."
Le jeune homme le regarda, un peu saisi. [...] "Se pointer un beau jour dans le coin et foutre une pancarte en métal peint en vert ne transforme pas une route de campagne à travers champs en quelque chose qu'elle n'est pas. J'ai toujours pensé que les gens du service d'ambulances 911 devaient être de Roanoke."
Le jeune eut l'air encore plus surpris. "Je suis de Roanoke.
- Tiens donc, lui dit Garnett, alors voilà, vous êtes servi.
- Mais, dit le jeune homme, balançant entre perplexité et agacement, est-ce qu'on est sur la H6 ou pas ?
- Qui ça regarde et pour chercher qui ?" demanda Garnett. [...]"
Le jeune homme, la tête penchée et la bouche entrouverte, semblait à court de questions et de réponses. Quelle que soit sa mission auprès de Nannie, il n'allait pas s'en ouvrir à Garnett.
"C'est bon, allez-y donc, dit Garnett pour finir. C'est tout là-haut. La boîte aux lettres de traviole qui dépasse du talus, avec les fleurs à papillons autour.
- C'est Nannie Rawley ? demanda le garçon, pratiquement hors de lui.
- Mais non, dit patiemment Garnett en secouant la tête tandis qu'il tournait la clef de contact. C'est sa boîte aux lettres.

Doux-amer...

Oui roman léger mais sympathique avec de très beaux portraits de femmes !
Je n'ai pourtant jamais eu envie de continuer à la lire .....Peut-être parce-que le style n'avait rien d'exceptionnel .......

Il a l'exceptionnel de ne sembler pas l'être.

Pour ajouter des petites graines.

Extrait Les yeux dans les arbres.

Personnage Adah. La jumelle au corps de travers, à l'esprit de biais. Muette observatrice.

Citation :

Pendant la longue agonie des enfants frappés de kakakaka, j'ai vu l'air changer de couleur : il était du bleu des biläla, des lamentations pour les morts. Il entrait dans notre maison, où notre mère se bouchait les oreilles, la bouche. Bí la ye bandu ! Bí la ye bandu ! Pourquoi, pourquoi, pourquoi, chantaient-elles, ces mères qui chancelaient le long de notre route à la suite de petits cadavres étroitement empaquetés, ces mères qui se traînaient erratiques sur les genoux, la bouche béante comme une déchirure dans une moustiquaire. Cette béance ! Ce trou déchiqueté dans leurs esprits qui laissait entrer et sortir ces envols de petits supplices. Mères aux yeux serrés fort, sombres muscles des joues noués, têtes battant d'un côté sur l'autre tandis qu'elles passaient. Tout cela, nous l'avions regardé de nos fenêtres. Deux fois, j'avais vu d'avantage. Le Révérend nous interdisait d'assister à tout rituel qu'il n'avait pas été prié de célébrer, mais par deux fois, la nuit, je m'étais glissée au-dehors pour espionner les funérailles. Dans une futaie, les mères se jetaient sur les monticules de terre qui recouvraient leurs enfants. Rampaient sur les mains et les genoux, essayant de manger la terre des tombes. D'autres femmes venaient les en arracher. Les chouettes ululaient, et l'air devait être dense des âmes d'enfants morts.

Autre extrait.

Rachel, la pimbêche, superficielle, qui décortique tout ce qu'elle voit sous le prisme de ce qu'elle a toujours connu.
(On dirait pas un petit peu la Troll aux mariages de Pleurotte-les-Pataquès ?)

Citation :

[...]Il faut voir comment les Congolais se trimballent. Les enfants sont attifés de défroques tirées de sacs de dons baptistes, sinon, ils n'ont rien du tout. Le mariage de couleurs n'est pas leur fort. Les adultes s'imaginent qu'un écossais rouge et une impression rose à fleurs sont des couleurs complémentaires. Les femmes portent des paréos faits d'une sorte de tissu, et un autre grand carré de tissu différent drapé par-dessus. Jamais de jeans ou de pantalons - hors de question. Les poitrines peuvent ballotter au gré du vent, mais en revanche, il faut absolument cacher ses jambes, top secret. Quand Mère met le pied dehors avec son pantalon corsaire noir, eh ben, ils restent là à la regarder d'un air ahuri. En fait, un bonhomme s'est cogné contre un arbre devant chez nous et s'est cassé une dent, tout ça à cause du pantalon en matière extensible de Mère. Les femmes sont supposées porter un seul type de vêtement et rien d'autre. Pour les hommes, c'est une autre affaire. Ils s'habillent n'importe comment : il y en a qui mettent des chemises longues dans les mêmes tissus à fleurs que ceux dont s'affublent les femmes. Ou bien ils en disposent en pan en écharpe sur une épaule, à la Hercule. D'autres ont des chemises boutonnées à l'américaine et des shorts décolorés, couverts de taches. Quelques-uns des plus petits se baguenaudent en maillots de corps avec des dessins enfantins et personne ne semble trouver ça drôle. Celui qui s'est fichu la dent en l'air s'est dégoté un habit violet avec des boutons métalliques qui ressemble à un vieil uniforme de portier. Quant aux accessoires, je ne sais même pas par où commencer. Les sandales en vieux pneus font fureur. Tout comme les vieux derbys avec le bout qui rebique, les caoutchoucs noirs portés non attachés et qui bâillent, ou les tongs en plastique rose vifs, ou pieds nus - tout ça allant indifféremment avec les tenues citées plus haut. Lunettes de soleil, lunettes normales, avec chapeaux, sans chapeaux, idem. Quelquefois même une casquette tricotée surmontée d'un pompon, ou un béret de femme jaune vif - je suis témoin de toutes ces splendeurs et même plus.