Todd Haynes

Marie a écrit:

Un film de 95 . Une californienne fortunée  typique ( excellente Julianne Moore) , belle maison à la décoration glaciale, aérobic, cure de fruits etc. Qui un jour déclenche une crise d'asthme après l'arrivée d'un canapé dont la couleur n'était pas celle qu'elle avait demandé. Progressivement, d'autres signes de type allergique grave.Prise dans le système médical, rien n'est retrouvé à l'origine de son problème donc étiqueté psychosomatique.La couleur du canapé , quel stress! Et hop, on passe au psy.. et autres et rien n'y fait , et son état s'aggrave de jour en jour.
Un jour, elle tombe sur une affichette parlant des maladies liées à l'environnement ..
Je ne vais bien sûr pas raconter la deuxième partie, mais c'est un film qui  fait se poser de plus en plus de questions au fur et à mesure de son déroulement. Surtout en 2013. Bien sûr, en 95, Todd Haynes parlait surtout du SIDA, mais.. force est de constater, ce n'est qu'un exemple,  qu'au fil des années ,le nombre de cancers a augmenté d'une façon telle sur le plan statistique ( en tenant compte bien sûr des diagnostics plus précoces, du vieillissement de la population, etc) qu'il va bien falloir un jour se poser des questions..De santé publique bien sûr, mais là n'est pas le sujet du film ,qui est plus d'ordre.. philosophique ?

C'est drôle je n'ai pas du tout vu le film sous cet angle là. Pour moi cette femme fait des attaques de panique (des crises de dépersonnalisation) parce qu'elle devient plus métaphoriquement "allergique" à la réalité. Une réalité urbaine et contemporaine dont Todd Haynes nous montre l'architecture et les espaces aseptisés. J'ai pensé au Désert Rouge d'Antonioni qui montrait une femme très borderline s'enliser dans des paysages industriels. Antonioni ne suggérait pas que cette femme (Monica Vitti) était rendue malade par cette modernisation du monde mais cet espace nouveau entraînait des difficultés d'adaptation sur un terrain déjà névrosé et fragilisé. Le constat étant que le monde moderne n'est pas un mal en soi mais qu'il impose à la nature humaine de s'adapter progressivement à ses changements. Dans le film de Todd Haynes Julianne Moore bascule presque vers la psychose à la fin. Ceci dit la piste d'une parabole sur la menace environnementale est aussi intéressante. Tout dépend si on envisage le film d'un point de vue rationnel ou abstrait. Il est en tout cas très impressionnant.

eXPie a écrit:

ou bien c'est toi qui va l'ouvrir

Oui, je l'ouvre.. Tu t'inscris?
Attention, il y aura des régles strictes!! Ca me fait penser à une très ancienne carte postale d'un dessinateur local, c'est dommage, on ne la trouve plus. représentant le monde, ça se bat partout, ça explose, etc, et il y a un tout petit point , Tahiti, où il y a un Polynésien qui chante sur la plage  avec sa guitare.. Ce n'est plus tout à fait cela, mais c'est toujours un peu vrai..

Marko a écrit:

C'est drôle je n'ai pas du tout vu le film sous cet angle là

Citation :

Tout dépend si on envisage le film d'un point de vue rationnel ou abstrait.

Oui.. j'aurais envie de te dire que si je l'avais vu il y a mettons 10 ans, j'aurais eu la même vision que toi ( même si influent aussi, bien sûr, la différence liée à notre vécu professionnel).
Et que finalement, tout l'intérêt du film sur le plan de la réflexion réside dans cette ambiguité-maintenue volontairement par le réalisateur en choisissant un élément déclenchant ridicule, et le refuge dans ce que nous considérons comme une secte comme en rajoutant au tableau psychiatrique-   comment interpréter ce personnage?
Tu parles d'attaques de panique.. Oui, mais liées à des symptômes bien réels. Que l'on peut bien sûr interpréter, du moins au début comme des symptômes de conversion hystérique , enfin, ça a sans doute évolué comme dénomination. 
Alors, peut être est- ce réellement ce que veut dire le réalisateur en 95, je le rappelle?
Mais aujourd'hui.. j'ai parlé des cancers , mais puisque le thème est l'allergie , bien sûr que ce peut être une métaphore de l'allergie à la réalité.. Sauf que la progression énormes des asthmes d'origine allergique est réelle, et que quand tu vois un enfant de 10 ans mourir d'un état de mal asthmatique ( on meurt encore d'asthme) , cela n'a plus rien d'abstrait. Et ce n'est qu'un tout petit exemple des maladies que l'on peut relier à l'environnement sur des terrains bien sûr plus fragiles sur le plan immunitaire sans aucun doute. Mais quand bien même.. je crois vraiment que les maladies liées à l'environnement vont encore se multiplier et que c'est peut être un film visionnaire! L'explosion du chiffre des cancers est une réalité..
Tu dis que  Julianne Moore, ou plutôt son personnage, bascule presque vers la psychose? Peut être, l'évolution dans le film est d'ailleurs assez extraordinaire, mais pourquoi ne pas envisager que ce soit le seul endroit où elle se sente " safe" justement?Et où elle le soit réellement ?  Physiquement..

Je n'ai pas trouvé grand chose sur ce film, mais au dos du DVD , je lis les propos de Todd Haynes ( je ne sais pas d'où c'est extrait, ni en quelle année il les a prononcés):


Pour moi, vivre à New York dans les années 1990 , c'est être le témoin quotidien de la désintégration de l'Amérique du XXème siècle. La pauvreté, le problème des sans-abris et la crise du SIDA ont créé un climat dans lequel les notions de sécurité, d'immunité et de survie ont pris un tout autre sens. Plus je m'informais sur les "maladies environnementales", plus j'étais frappé par leurs points communs avec le SIDA. La différence est que les maladies environnementales ont une origine connue, les produits chimiques. Ce sont des maladies qui sont tissées dans l'étoffe même de nos vies concrètes.

Marie a écrit:

Il y avait un fil Todd Haynes? oups, merci pour le rangement, Queenie.

Je t'en prie !




Ça m'intrigue ce que vous dites sur ce film. Que ce soit le point de vue de Marko ou celui de Marie. Ça donne envie. Et ce sont deux thèmes qui me plaisent beaucoup de toute manière. (Pfffrte, il n'est pas à ma mediathèque...)

Marie a écrit:

Et que finalement, tout l'intérêt du film sur le plan de la réflexion réside dans cette ambiguité-maintenue volontairement par le réalisateur en choisissant un élément déclenchant ridicule, et le refuge dans ce que nous considérons comme une secte comme en rajoutant au tableau psychiatrique-   comment interpréter ce personnage?
(...)
Tu dis que  Julianne Moore, ou plutôt son personnage, bascule presque vers la psychose? Peut être, l'évolution dans le film est d'ailleurs assez extraordinaire, mais pourquoi ne pas envisager que ce soit le seul endroit où elle se sente " safe" justement?Et où elle le soit réellement ?  Physiquement..

Je n'ai pas trouvé grand chose sur ce film, mais au dos du DVD , je lis les propos de Todd Haynes ( je ne sais pas d'où c'est extrait, ni en quelle année il les a prononcés):


Pour moi, vivre à New York dans les années 1990 , c'est être le témoin quotidien de la désintégration de l'Amérique du XXème siècle. La pauvreté, le problème des sans-abris et la crise du SIDA ont créé un climat dans lequel les notions de sécurité, d'immunité et de survie ont pris un tout autre sens. Plus je m'informais sur les "maladies environnementales", plus j'étais frappé par leurs points communs avec le SIDA. La différence est que les maladies environnementales ont une origine connue, les produits chimiques. Ce sont des maladies qui sont tissées dans l'étoffe même de nos vies concrètes.

Le propos est peut-être aussi de montrer la psychose qu'alimentent les médias concernant toutes ces menaces environnementales. Parfois à raison, parfois avec un certain soucis de sensationnalisme. Les gens assimilent se sentiment d'être en danger et les plus fragiles décompensent.

Mais ce qui fait la réussite du film c'est justement d'être au point de rencontre du cas clinique, du film fantastique, de la parabole sociale. Plus récemment Take Shelter est un peu dans le même registre en jouant encore davantage la carte de la folie.

A l'époque où j'ai vu le film (à sa sortie) j'avais vraiment ressenti la déréalisation que provoquait cet environnement urbain géométrique et aseptisé. Pour moi Julianne Moore n'arrivait plus à supporter l'absurdité d'un quotidien ritualisé et répétitif, d'un monde de plus en plus détaché de la nature. Elle me semblait envahie par l'espace qui l'entourait avec une perte de la relation harmonieuse entre soi et le monde extérieur comme cela se produit parfois dans les psychoses émergeantes. Sa première attaque de panique au moment de la réunion avec les autres mères de famille m'avait terrifié. Comme si elle se retrouvait contaminée non pas par des substances chimiques environnantes mais véritablement par une réalité devenue complètement absurde et suffocante. Elle devient une étrangère au sens du roman de Camus. Mais au lieu d'accepter son destin comme Meursault, elle se révolte jusqu'à en devenir folle. On pourrait parler de dépression délirante, de schizophrénie, de paranoïa, d'état limite ou d'hystérie grave mais peu importe. Elle pousse un cri de terreur face à un univers qui perd son sens.

Si tu ne l'as pas vu Marie je te conseille vraiment de voir Le Désert Rouge d'Antonioni. Le travail plastique est très fort pour suggérer cette désadaptation au monde environnant.









Du coup je vais en mettre un extrait sur mon fil ciné...

Je me souviens d'une discussion un peu semblable au sujet de Black Swan!

J'ai vu Le désert rouge, oui. Mais il y a très longtemps.

Citation :

Mais ce qui fait la réussite du film c'est justement d'être au point de rencontre du cas clinique, du film fantastique, de la parabole sociale. Plus récemment Take Shelter est un peu dans le même registre en jouant encore davantage la carte de la folie.

Tout à fait! 
Mais je ne me souviens pas dans Take Shelter de symptômes cliniques comme dans ce film? Peut être que j'ai oublié.
C'est ça qui m'a perturbée, mais si tu as vu le film à sa sortie, tu ne t'en souviens sans doute pas non plus, de ces signes , notamment chez l'allergologue!
Sans doute aussi que je ne vois que le clinique  

Quant aux menaces environnementales.. je ne vais pas insister, on parle d'un film, mais tu serais surpris.

Marie a écrit:

Je me souviens d'une discussion un peu semblable au sujet de Black Swan!

Très juste. Chez Polanski aussi et quelques autres...

Marie a écrit:

Mais je ne me souviens pas dans Take Shelter de symptômes cliniques comme dans ce film? Peut être que j'ai oublié.

Pour le coup il est carrément schizophrène. On nous dit même que sa propre mère était psychotique. Mais là aussi il reste cette idée que la menace pourrait être réelle... Chacun choisit.

Citation :

Mais là aussi il reste cette idée que la menace pourrait être réelle... Chacun choisit.

Là, tu vois, dans Take Shelter, le tableau me semblait suffisamment explicite pour évoquer la schizophrénie.  Mais je ne suis pas météorologue

Marie a écrit:

Citation :

Mais là aussi il reste cette idée que la menace pourrait être réelle... Chacun choisit.

Là, tu vois, dans Take Shelter, le tableau me semblait suffisamment explicite pour évoquer la schizophrénie.  Mais je ne suis pas météorologue

Oui, mais y'a la fin de Take Shelter.
Quand ils sont tous les trois, peinards, dans un pavillon de bord de mer. Et là, au loin, la tempête, l'ouragan, la tornade, se profile. Reste la question : est-ce que sa peur n'a pas fini par "contaminer" sa femme ? (Rappel du film Bug où il y a de ça, de la "contamination" de la peur de l'autre).
Mais il est possible que la menace soit bien réelle (et alors, le personnage est Cassandre)

Tout juste ! J'aime les fins ouvertes à plusieurs interprétations possibles. C'est aussi un acte d'amour d'être solidaire dans son délire. De l'aider à affronter le danger réel ou délirant ensemble.

Carol

Enchaîner le roman de Patricia Highsmith puis son adaptation permet de particulièrement d'apprécier la qualité du scénario de Phyllis Nagy, qui s'approprie la richesse thématique d'une trame et d'une ambiance tout en recherchant une forme d'épure. La situation de Carol est connue ici dès le départ, et l'entourage de Thérèse est beaucoup moins présent. Todd Haynes se concentre sur le lien fragile qui unit les deux femmes, et qui semble menacer de s'effondrer à chaque instant.

Le film marque par la minutie de sa réalisation, son attention aux détails et sa fluidité esthétique. Mais loin de s'enfermer dans une rigueur étouffante, la mise en scène compose un ballet intimiste où chaque geste, chaque regard devient potentiellement décisif. La portée d'une main posée sur l'épaule, l'intensité des visages aux traits cachés par une vitre ou un miroir sont autant de signes d'un bouleversement affectif qui envahit chaque scène. Cate Blanchett et Rooney Mara s'approprient leur rôle avec beaucoup de sensibilité et de justesse, tant les contrastes de leurs personnalités renforcent une complémentarité et la perception d'un équilibre indicible. J'ai aussi été touché par l'interprétation de Sarah Paulson et Kyle Chandler, car leurs interventions sont essentielles pour ressentir l'impact d'un passé, de non-dits et de souffrances accumulées.

Carol est pour moi le plus abouti de Todd Haynes, à l'image d'une magnifique dernière séquence en forme de nouveau départ.

je suis les conseils de kenavo et j'en remets une couche. saviez-vous que le directeur de la photographie Edward Lachman a aussi travaillé avec Dennis Hopper sur Catchfire ?

J'ai vu Carol. Et ça a fait du bien : ça faisait longtemps que je n'avais pas été transportée au cinéma.
(et pourtant, j'y allais pas hyper motivée, pas convaincue par loin du paradis). A (re)voir.

J'hésitais, mais vos avis font que je ne vais pas le manquer.