Paula Fox

La légende d'une servante

Comme il est doux et cruel à la fois le monde de Paula Fox
!  
Luisa de la Cueva nait dans une petite île des Caraibes : Enfant de la honte, car fruit d'un amour illégitime entre une servante et le fils des "maîtres" , dans un pays où la couleur , l'histoire de ses origines et la place qu'occupe chaque membre de cette communauté, détermine le regard de la conscience collective , elle traversera toutes les étapes de sa vie dans une apparente soumission .

De sa jeunesse libre , échappant encore à la rigidité des lois sociales par la puissance de l'imaginaire , elle s'appuiera pour traverser le temps avec une volonté farouche d'échapper à quelques formes d'emprisonnement , cette volonté pugnace qui ,  paradoxalement,l'amènera  à suivre les traces de sa mère en se mettant au services des autres .



Aucune révolte ne la propulsera à vouloir s'émanciper et sortir de sa "triste condition sociale" au sein de la société américaine où elle vivra comme une immigrée toute sa vie,  après que son père décide de quitter l'île en pleine révolution .
Sans s'adapter , refusant toutes formes de libération , elle passera sa vie à prendre soin des autres , employée de maison modèle , effacée , dans l'ombre de ses maîtres ,fidèle et droite , silencieuse,  avec comme unique projet , celui de retourner sur sa terre natale .Mais à aucun moment douleur , plainte ou colère ne viendra entraver ce choix de vie , pleinement assumé et donc vécu avec une forme d'insolence et de liberté personnelle .Luisa la transparente , Luisa petite servante qu'on prend et qu'on jette , Luisa Sanchez du nom de sa mère : humble et miséreuse , ignorante petite bâtarde mais aussi Luiza de la Cueva du nom de son père , orgueilleuse et libre ....A moins que ce ne soit l'inverse , la liberté n'est pas toujours où l'on pense !
Le roman est écrit à la première personne , cela ressemblerait presque à une forme de journal intime ; les détails d'un quotidien sans surprise sont décrits avec minutie et application , avec une volonté de traduire la justesse du moment , du ressenti .

Les personnages de Paula Fox sont ce qu'ils sont , et ne comptez-pas sur elle pour décrire une psychologie quelconque , elle excelle justement dans l'art de la "non-psychologie" , elle crée des personnages impressionnants de complexité , ou de simplicité ....Car cela ne revient-il pas à la même chose semble-t-elle nous dire !
Inutile de chercher des méchants et des gentils , des soumis et des oppresseurs , même s'ils existent ; Paula Fox pratique une forme de détachement exprimant avec justesse et grande rigueur ( de ceux qui aiment les "choses bien faites"à l'image de Luisa justement !), les manifestations de souffrance , d'espoir mais plus souvent d'acceptation des choses , les échappées fugaces qui entraînent vers un peu d'envie d'autre chose, pour retomber sur les rails qui sont finalement plus confortables .
Un roman d'une richesse inouie , décrivant avec mordant et causticité quelquefois, une société New-yorkaise en pleine mutation , soulignant les paradoxes de l'être humain , les non-sens de l'existence , la fugacité du temps , l'empreinte  légère et douloureuse de chaque parcelle de vie sur cette terre quel que soit le chemin emprunté , tout cela sans jugement , pathos et larmoiement sous une plume hors-du commun malgré un classicisme apparent .
A découvrir absolument  !

églantine a écrit:

.Mais à aucun moment douleur , plainte ou colère ne viendra entraver ce choix de vie , pleinement assumé et donc vécu avec une forme d'insolence et de liberté personnelle . la liberté n'est pas toujours où l'on pense !

Inutile de chercher des méchants et des gentils , des soumis et des oppresseurs , même s'ils existent ; Paula Fox pratique une forme de détachement exprimant avec justesse et grande rigueur

Oh mais j'aime bien lire tes commentaires!!

Je n'avais pas du tout été convaincue par Personnages désespérés mais ton commentaire Eglantine me donne envie de lire La légende d'une servante. Je vais sans doute lui donner une nouvelle chance.

Epi a écrit:

Je n'avais pas du tout été convaincue par Personnages désespérés mais ton commentaire Eglantine me donne envie de lire La légende d'une servante. Je vais sans doute lui donner une nouvelle chance.

Et tu fais bien Epi , les deux livres sont très différents dans leur structure et je ne serais pas étonnée du tout si La légende d'une servante te plaisait !

Le dieu des cauchemars

A la mort de son père, qui avait quitté le foyer conjugal, Helen se voit plus ou moins imposer par sa mère de quitter leur maison, pour aller à la Nouvelle Orléans, où vit sa tante, Lulu. Ancienne actrice, alcoolique, cette dernière se détruit en toute connaissance de cause. Helen se trouve un emploi de vendeuse, rencontre des gens dans un monde assez libre d'artistes, et tombe amoureuse. Se construit une vie.

Le livre semble peut être moins noir que d'autres romans de l'auteur, il y a une sorte d'élan et d'espoir dans le personnage d'Helen, à qui tout semble possible. Mais Paula Fox reste fidèle à elle-même, et au final, on n'échappe pas à soi-même. Et l'ensemble des personnages qui composent cette société chaleureuse de la Nouvelle Orléans a au final des destins tristes.

L'écriture de Paula Fox fait de cette lecture une merveilleuse expérience de lecture, touchante et qui reste. Malgré toute cette tristesse, pas de sentimentalité facile, mais une sorte de lucidité qui fait mouche.

C' est l' un de mes préférés. Avec Cote Ouest, Personnages désespérés, Pauvre Georges.
Mais je pense qu' ils ont tous à lire.

C'est donc noté !

Faut que je la re-tente! les trois dernières lignes de ton commentaire font envie, alors que le résumé ne fait que raconter une histoire nunuche. Comme souvent je repense à Yves Duteil:
"Ça n'est pas ce qu'on fait qui compte,
C'est l'histoire, c'est l'histoire,la façon dont on l'raconte".

C'en est au point que de plus en plus je n'ai même pas envie de savoir de quoi parle un livre ou un film avant de voir par moi-même.

Dans celui-ci, qui est un récit fait à la première personne par une toute jeune femme, il y a un côté naïf dans la façon de voir les choses, mais ce qu'elle raconte est assez terrible. On voit progressivement la personne qu'elle devient sans même s'en rendre compte. Et une fois le livre refermé, on réalise réellement à quel point le récit est au final noir.

L' œuvre de Paula Fox baigne dans un océan de noirceur. Une noirceur qu' elle a connu dès l' enfance et dans les années de formation
qui suivirent. Que ce soit en Europe, ou dans le milieu du cinéma, dans les relations humaines. Ce qu' elle vit et ce qu' elle vécut lui
otèrent ses illusions.  Renforcèrent son pessimisme.
Le present était douloureux et le futur ne promettait rien d' agréable ou si peu.

" Il n'y a pas grand-chose à faire dans la vie à partir du moment où vous ne pouvez plus vous raccrocher à la surface des choses ".

L' écriture fut peut etre pour elle une sorte de catharsis. Un moyen aussi de réaliser que le malheur et les souffrances ne venaient pas forcément à bout de ce qu' il subsistait d' intelligence et de bonté dans la nature humaine.
En tout cas dans la sienne.

topocl a écrit:

"Ça n'est pas ce qu'on fait qui compte,
C'est l'histoire, c'est l'histoire,la façon dont on l'raconte".

Arabella a écrit:

C'en est au point que de plus en plus je n'ai même pas envie de savoir de quoi parle un livre ou un film avant de voir par moi-même.

Je vous rejoins entièrement !  
Je ne lis d'ailleurs jamais les quatrième de couverture ,je survole les quelques dernières lignes pour avoir quelques adjectifs d'appréciations ...Mais l'histoire je m'en "balance" complètement tant que je ne l'appréhende pas dans l'oeuvre .
Je reviens de la médiathèque , aucun ouvrage de Paula Fox .  

Paula Fox : L' Hiver le plus froid. - J. Losfeld


A 23 ans, Paula Fox quitte les Etats Unis pour l' Europe. On est en 1946, et elle est correspondante d' une petite agence de presse britannique.

"Mes frais ne sont couverts que dans certains cas d' urgence... De toute façon, mes articles tendaient plus  vers le pittoresque que
 l' actualité."

Un demi siècle plus tard, elle se remémore.
L' Europe est exsangue, meurtrie, en partie détruite. La mort et la destruction sont présentes partout. Et des etres bléssés, mutilés,
affamés, traumatisés, errent dans les villes comme des fantômes. Et puis il y a les juifs, le souvenir des juifs  et leur absence.
Mais il y a encore des privilégiés qui n' ont qu' à dépenser leur argent pour jouir de ce qui manque partout.
Ce qui est inégalement réparti, c' est aussi le froid. Un hiver glacial que Paula ressentira tout au long de son voyage.


A Prague, Paula est accueillie par un couple de survivants.

"Avec son éternel sourire, Jan suivait chaque mouvement de Rose, son épouse. petit à petit, je décelai en lui un désespoir sous-jacent.
Plus tard, quand , dans le tram qui nous emmennait à la gare, il a évoqué le terrible destin de sa famille sous l' occupation nazie,
j' ai eu l' impression que le sens de ses mots ne parvenait pas jusqu' à  mon cerveau, ou seulement par instants.
Et lorsque cela se produisait, c' était comme si j' avais refermé la main sur du verre brisé."

Varsovie est une ville anéantie. A la gare provisoire attendent deux voitures attelées.

"L' un des conducteurs m' a emmenée dans la ville silencieuse. ça et là, comme venant d' un feu contenu, une lumière brillait parmi des montagnes de décombres, éclairant les ruines noires que la neige n' avait pas recouvertes."

L' hotel où elle est hébergée a été construit  "à une vitessee miraculeuse afin de recevoir les membres du futur gouvernement polonais." 
Aucun serveur n' apparait et elle se retrouve seule avec un officier polonais, tandis que des hauts parleurs diffusent de la musique de
Chopin. 

"Nous sommes resté seuls, l' officier, la musique et moi. Je me sentais dans le reve de quelqu' un d' autre."

Abasourdie par la taille, le volume des pièces quasiment vides, elle emménage dans un hotel plus modeste.  La nuit, elle se promène
dans les rues nocturnes plongées dans le noir, à l' exception de quelques rares lampes à pétrole.

"Quand la lune apparaissait, elle éclairait les trous béants des immeubles sans fenetres qui entouraient le centre ville comme une frise.
On ne pouvait marcher dans Varsovie tard le soir... sans sentir le froid, la désolation et le silence des morts.
Car, nous disait-on, les corps de ceux qui étaient tombés durant le soulèvement réapparaitraient quand le dégel viendrait."

Dans l' hotel elle s' interesse à une femme de chambre humble et aux abois. La prenant en pitié, elle lui demande son nom, avec l' intention de lui donner un peu d' argent.
Mais la femme prend un air terrifié, persuadée qu' elle est d' etre dénoncée à la police politique.
C' est à ce moment que Paula perd ses illusions sur le communisme à venir.

"Les liens que j' avais noués avec le socialisme et  son féroce cousin communiste, me semblèrent douteux, frivoles, irréfléchis et
totalement irresponsables."

Après un séjour express en Espagne, le temps de prendre conscience de la misère et de la peur engendrée par le franquisme, elle
regagne la France et retourne aux Etats-Unis.

"En voyant l' Europe s' éloigner, la cote s' effacer puis disparaitre totalement derrière la mer, j' ai pleuré. Appuyée au bastingage, 
j' essayais de me retenir à ce monde.
Que voulais-je donc ? Réduire à zéro tout ce que j' avais vécu avant en Amérique ?
J' avais peur du passé, j' avais peur de l' avenir."

Arrivée à New York, elle resssent une impression de rejet.

"Lorsque le bateau fut à quoi, il a fallu qu' un officier de marine m' aide à descendre la passerelle. Je n' arrivais pas à faire un pas toute
seule.
L' Europe avait été pour moi une libération. Je ne voulais pas quitter le navire."

Ceux qui ont lu  d' autres livres de Paula comprendront son appréhension et les mauvais souvenirs qu' elle a laissés au pays.
Il reconnaitront aussi l' interet humain qu' elle a pour les autres, meme si elle égratigne quelques milieux et pas mal d' individus
avec le génie qu' on lui connait.

Je voudrais bien savoir pourquoi certains livres comme celui-ci, qui devraient être dans ma LAL, en ont bizarrement disparu.

topocl a écrit:

Je voudrais bien savoir pourquoi certains livres comme celui-ci, qui devraient être dans ma LAL, en ont bizarrement disparu.

Monsieur Topocl ?
C' est un petit livre, facile à cacher ou à s' auto dissoudre. Il faut veiller et le garder dans la poche !

bix229 a écrit:

topocl a écrit:

Je voudrais bien savoir pourquoi certains livres comme celui-ci, qui devraient être dans ma LAL, en ont bizarrement disparu.

Monsieur Topocl ?
C' est un petit livre, facile à cacher ou à s' auto dissoudre. Il faut veiller et le garder dans la poche !

Même pas, pour une fois je suis sûre qu'il n'y est pour rien. C'est une histoire de liste, pas de pile. J' étais sûre de l'avoir noté depuis pas mal de temps, et après ton comm, j'ai constaté qu'il n'en était rien. je suis obligée d'assumer!