Terrence Malick

Les critiques sont mitigées, mais étant également une inconditionnelle de Terrence Malick, ton commentaire éclairé m'a confortée dans l'idée que certains critiques devraient changer de métier, Marko ... en dépit de leurs avis parfois assez négatifs (selon eux, première partie trop longue et ennuyeuse ), je serais de toute façon allée voir ce film ...

J'ai hâte de le voir également !

Constance a écrit:

Les critiques sont mitigées, mais étant également une inconditionnelle de Terrence Malick, ton commentaire éclairé m'a confortée dans l'idée que certains critiques devraient changer de métier, Marko ... en dépit de leurs avis parfois assez négatifs (selon eux, première partie trop longue et ennuyeuse ), je serais de toute façon allée voir ce film ...

En même temps je comprends que pas mal de critiques (et de spectateurs qui sont tout aussi divisés aux extrêmes) soient agacés ou déroutés par la mystique du film qui peut apparaître naïve et potentiellement grossière (ce que je ne trouve pas). Mais c'est oublier que le film s'appelle "L'arbre de vie". Il s'agit donc bien de raconter le processus de la création dans une perspective mystique où le souffle créateur s'exprime autant à travers l'univers qu'à l'échelle de l'humain. Macrocosme et microcosme ne faisant plus qu'un dans un mouvement continu. Et là où la Kabbale et l'ésotérisme enferment cette approche mystique dans la lourdeur symbolique et l'hermétisme, Malick ouvre l'espace des sensations et le film est une expérience très exaltante d'ascension vers une forme de beauté pure qu'on ressent en regardant ces images. C'est magique et ma seule réserve va surtout au final qui est une sorte de vision paradisiaque un peu trop littérale. J'aurais préféré qu'il s'arrête à la séquence précédente. C'est un détail, l'ensemble est superbe.

Et j'ai vu que c'est Douglas Trumbull qui a conçu la séquence cosmique. Je me disais bien que 2001 n'était pas loin! Les images sont incroyablement belles. Sauf peut-être la courte séquence avec les dinosaures qui respire un peu trop l'image de synthèse.

L'arbre de vie selon Klimt:

A la fois le film le plus radical et le plus évident de Malick....radical dans la forme tant la mise en scène se refuse à suivre une narration et à construire des séquences dans la durée. Au contraire, ce sont des vagues qui naissent puis se retirent, blocs instantanés de sensations et de perceptions. Malick peut alors créer un vertige admirable et tient jusqu'au bout son ambition.
Evident, car The Tree of Life dévoile la richesse, la pureté et la simplicité d'un poème. Les images se gravent dans la mémoire par un tourbillon incessant, et révèlent une force expressive souvent bouleversante. Comme Marko, j'ai été extrêmement touché par ce long passage central qui transcende un apprentissage, la confrontation de l'enfance à l'univers des hommes. Sans regrets ni amertume, mais avec la fragilité de l'appropriation d'une conscience de soi.
L'évocation de Tarkovski me semble aussi très juste : l'attention aux visages est une obsession ici chez Malick, bien plus que pour ses précédents films. C'est une perpétuelle interrogation, la puissance sensible du doute permettant à chaque personnage de saisir une grâce éphémère. Le final cherche prolonger cette émotion, la rencontre à travers l'espace et le temps scellant la beauté fugitive d'une transmission.

Ah! ça fait plaisir de te lire. Il y a dans ce film quelque chose de la littérature du flux de conscience façon Virginia Woolf et de la musique de Wagner. Ce sont des vagues de pensées et d'émotions qui se soulèvent, retombent, s'élèvent à nouveau pour exploser avant de retomber paisiblement... Il ne filme pas une histoire classique mais des bribes de mémoire, d'affects universels, un flottement entre matériel et immatériel. Il y a même de curieuses séquences oniriques presque lynchiennes comme cette scène avec ce géant dans le grenier pendant que l'enfant tourne en rond à vélo. Je trouve qu'il a réussi à restituer une sorte de quintessence de roman familial en forme de poème et en y intégrant manifestement des éléments autobiographiques. Et cela passe aussi par les superstitions et les croyances, les doutes et la confrontation à une imagerie à la fois sublime et parfois naïve. Plus j'y pense plus je le trouve magnifique. Je ne vais pas tarder à le revoir.

Hommage à John Tavener dont on entend plusieurs extraits dans le film dont ce très beau Funeral Canticle: (notamment le thème qui démarre à 2'22)

ça ferait une sacrément belle palme d'or après Oncle Boonmee. Deux expériences sensorielles poétiques d'abolition de l'espace et du temps.

En effet, Malick prend beaucoup de risques, et plusieurs moments m'ont d'abord laissé perplexe...mais la cohérence de ce mouvement perpétuel maintient un équilibre, une transcendance particulièrement vulnérable.
L'évocation de la famille, de ses liens, de ses conflits et angoisses, est vraiment poignante. Avec une intensité que j'ai rarement pu voir au cinéma..Jessica Chastain incarne l'amour maternel par la simple expression d'un regard, alors que Brad Pitt représente un bloc de fureur contenue, pétri d'ambiguités. Chaque souvenir, chaque geste, révèle ainsi une plénitude et un émerveillement, dans la tendresse ou la brutalité.

Avadoro a écrit:

L'évocation de la famille, de ses liens, de ses conflits et angoisses, est vraiment poignante. Avec une intensité que j'ai rarement pu voir au cinéma..Jessica Chastain incarne l'amour maternel par la simple expression d'un regard, alors que Brad Pitt représente un bloc de fureur contenue, pétri d'ambiguités. Chaque souvenir, chaque geste, révèle ainsi une plénitude et un émerveillement, dans la tendresse ou la brutalité.

Et tout semble émerger de la pensée et des souvenirs du fils devenu adulte (Sean Penn un peu sacrifié) comme autant de souvenirs inquiets et douloureux, marqués par la culpabilité et la perte. C'est aussi une très belle histoire de deuil. Je crois que Terrence Malick a perdu son frère qui s'est suicidé d'après ce que j'ai lu.

Citation :

Son frère Larry, parti en Espagne apprendre la guitare avec le mythique Andrés Segovia, se suicide en 1968 après s'être brisé les doigts de dépit. Pas de talent, pas la peine de vivre. Malick, fou de douleur, se claquemure dans ses songes. Un an plus tard, il s'inscrit à l'American Film Institute.

Je partage ton avis sur le Funeral Canticle de Tavener, qui offre beaucoup d'intensité aux toutes premières minutes du film. Le thème évoque d'ailleurs cette perception d'une vague....thème que l'on retrouve brièvement bien plus tard, lors d'une réminiscence apaisante qui fait suite à l'explosion d'une violence.

Avadoro a écrit:

Jessica Chastain incarne l'amour maternel par la simple expression d'un regard

Cet aprem', cinoche, je vais voir "L'arbre de vie" ...

Je ne vais pas tarder non plus à le voir, tous vos commentaires m'y incitent beaucoup. Et ce sera mon premier Malick au cinéma en plus, à ne pas rater donc

Plein de commentaires et d'échanges à venir En redoutant les "contre" inévitables...

Une interview d'Alexandre Desplat qui évoque sa participation à la bande son du film. Il décrit Malick comme "un mystique total" et sa collaboration rappelle la manière de procéder de Kubrick.

Citation :

Alexandre Desplat: "Je ne sais pas ce que Malick a gardé de ma musique"

Par Emmanuel Cirodde (Studio Ciné Live), publié le 16/05/2011 à 10:00
Auteur de la musique originale de The Tree of Life, Alexandre Desplat nous a reçus à Londres pour évoquer sa collaboration avec Terrence Malick.

Quand avez-vous commencé à travailler avec Terrence Malick?

Alexandre Desplat : Je l'ai rencontré en 2007, quand je faisais la musique de La boussole d'or. Il est venu me voir à Abbey Road et on a discuté. Notre collaboration s'est étendue sur plusieurs années. On s'est parlé pendant presque trois ans non-stop. Je suis allé à Austin, on s'est vus à Los Angeles, j'ai enregistré des choses à Paris et à Londres... J'ai construit avec lui des rêveries musicales qu'il a utilisées dans le film. Depuis le début, il y avait ce "cahier des charges" précisant qu'il y aurait aussi des pans déjà existants de musique : du Berlioz, peut-être du Ligeti - mais je ne sais pas ce qui a été gardé car je n'ai pas encore vu le film terminé. Je savais que ma partition serait un élément parmi tant d'autres de ce puzzle de musique. On a parlé de choses, diverses et nombreuses, pour trouver des fils, liés aux thèmes du film, mais aussi au cinéma de Terrence Malick en général, à son amour de la nature, de la poésie, de la philosophie, à sa spiritualité. Terrence est un mystique total. On a beaucoup évoqué ça, de près ou de loin, parfois en l'effleurant pour ne pas tomber dans un discours trop théologique. C'était incroyable de travailler avec lui, extrêmement enrichissant.

On a l'impression que ces conversations étaient très loin des considérations sur la partition, mais portées à un très haut degré de généralité.

Oui, à un haut degré d'abstraction. On n'a jamais parlé de ce personnage qui fait ci, qui va aller là, attention à ce moment-là il est tendu... Cela n'a jamais été des conversations sur les actions physiques des personnages, ni même sur leur vécu psychologique. C'était plutôt la confrontation, évoquée avec la musique, d'un personnage avec des éléments comme le bien ou le mal, la vérité, le savoir, l'amour, la transmission de l'amour. Ce sont des choses un petit peu plus philosophiques que cinématographiquement techniques. D'ailleurs, je n'ai jamais vu le film. J'ai vu des images, mais il n'y a rien que j'ai travaillé sur des images.

Vous deviez être un compositeur parmi d'autres?

Exactement. Sauf que les autres étaient morts ou très vieux (rires). En tout cas pour les Français, c'est sûr, puisqu'il n'y avait que Berlioz. Je savais tout de même un peu comment le film était construit. À Austin, par exemple, j'ai vu des extraits, qu'il s'agisse de la partie sur l'histoire naturelle - l'apparition du système solaire, de la vie sur la Terre - ou de l'apparition de l'amour d'un père ou d'une mère pour un nouveau-né... L'histoire de l'humanité et l'histoire de l'univers y sont mises en abyme. Vous imaginez bien que je suis un tout petit élément dans tout cela (rires).

Comment avez-vous alors procédé?

J'ai d'abord fait des tonnes de maquettes, dans tous les sens. Ça allait d'hymnes comme ceux plus anciens du répertoire ecclésiastique - qui soient du rite catholique ou protestant, lesquels puisaient dans un archaïsme qui les avait précédés -, à la recherche d'une grande simplicité. Et quand il y avait la recherche d'une tension, il fallait qu'elle soit toujours dans l'abstraction, et jamais quelque chose qui appuie de manière romantique ce que peut être l'idée du drame ou du danger. Un élément très important pour Terrence Malick était qu'il voulait que la musique cascade comme une rivière tout au long du film. D'ailleurs, il a utilisé Smetana [compositeur de La Moldau, du nom de la rivière qui passe à Prague, NDLR]. Il voulait que je me réfère non pas à la musique, mais à cette sensation-là. Il y a un album qui va sortir, et vous verrez que tout est comme ça, dans un bruissement, comme les bulles qui sont à la surface d'une rivière et qui en suivent le mouvement.

Ce que vous décrivez semble très proche des images de Malick.

Évidemment. Que ce soit le reflet du soleil dans l'oeil d'un enfant, le vent qui fait bouger un arbre au lointain, des oiseaux migrateurs qui passent en formation entre les immeubles à Dallas, surpris par hasard par son chef opérateur... C'est aussi cette poésie de la fugacité, présente chez Malick, que j'ai essayé de capturer.

Et le 16 mai, à Cannes, vous saurez ce que le réalisateur a gardé de votre musique.

Oui, je verrai ce qu'il a gardé. Ce seront peut-être des choses très courtes, fugaces, des moments... Je ne sais pas.

Il ne vous a rien dit de plus pour l'instant?

Surtout, je ne lui ai pas demandé. J'attends de voir le film.