Brian De Palma

Passion


Au bout d'une demi-heure de film je m'apprêtais à dire ici que ce film était très mauvais tellement je trouvais l'ensemble extrêmement artificiel, trop lisse, trop banal et dans le cliché ou la caricature des thrillers hitchcockiens habituels. Sauf que....

La deuxième moitié du film et surtout la dernière demi-heure orchestrent une escalade en spirale extrêmement jouissive dont l'accumulation de faux-semblants culmine en un point d'abstraction étonnant. Comme si De Palma cherchait à faire une oeuvre conceptuelle en désarticulant la logique déductive propre à ce genre de cinéma et en la poussant jusqu'à l'absurde. On se retrouve entre Hitchcock et David Lynch à contempler un film de pur artifice dont chaque scène est manipulation tant du récit que du jeu des acteurs. Tout s'inverse en permanence et il faut même attendre la dernière seconde du film pour tenter d'apporter une résolution définitive plus ou moins satisfaisante. La bande annonce étant elle-même un leurre qui pourrait faire partie intégrante du film.

A l'arrivée j'aime beaucoup Passion pour le vertige purement ludique qu'il propose en montrant au passage comment tous nos moyens de communication modernes (ordinateurs, téléphones portables, caméras de surveillance...) peuvent se révéler autant d' objets d'intrusion dans l'intimité que d'armes de chantage et d'emprise sur l'autre. La caméra de De Palma nous induisant elle-même en erreur dans la formidable scène de split screen au moment du ballet d'après le Prélude à l'après midi d'un faune de Debussy.

Plaisir enfin de voir cette démultiplication des emprises perverses à travers des actrices dont chaque expression authentique ou factice affichée peut se révéler un piège. Elles sont géniales alors même qu'elles semblent complètement lisses et prévisibles au départ.

Passion a quelque chose d'une oeuvre cubiste qui utilise tous les pouvoirs du cinéma comme moyen de pure illusion et de mensonge. Jouissif.

Je comprends ton enthousiasme sans parvenir à le partager. Le film trouve en effet son rythme de croisière après un début laborieux mais les dimensions ludiques et abstraites créent une distanciation qui ne me semble pas convaincante. De Palma construit son récit à partir de références, d'auto-citations : les personnages restent cependant sans vie malgré l'implication des actrices (notamment Noomi Rapace, très convaincante dans un double-jeu miroir du regard du spectateur).
Passion offre quelques fulgurances esthétiques (très belle scène du split-screen) qui ne tiennent pas la durée. L'ensemble n'est pas assez épuré (des rôles masculins inexistants qui semblent presque parasites) et n'offre pas pour moi les conditions d'une fascination.

C'est très désincarné effectivement mais étonnant dans son ambiguïté permanente qui contamine jusqu'au désir sexuel des personnages qui hésitent constamment entre hetero et homosexualite. Tout est réversible jusqu'au vertige et ça m'a diverti. Ça n'est pas non plus génial...

Marko a écrit:

Passion

Sur le coup, je me sens plus avadorien que markien.


A sa sortie, on a beaucoup critiqué le Crime d'amour de Corneau, trop artificiel et sans chair véritable. Le remake de Brian de Palma est-il meilleur ? Pas si sûr ! Certes, on gagne en glamour ce qu'on perd en analyse sociale et ce combat de femmes pour la domination n'est pas désagréable à regarder avec ses images excessivement bien léchées. Tellement d'ailleurs qu'elles en font oublier le fin mot de l'histoire, qui vaut ce qu'elle vaut, et qui ne prétexte pour de Palma à recycler ses éternelles obsessions. La brune contre la blonde, avec la rousse tapie dans l'ombre, les gladiatrices de Passion ont beau jouer des hanches et faire admirer leur plastique, cet érotisme sur papier glacé ne vaut pas tripette sur l'échelle de Richter de l'excitation. Le style fait l'homme mais pas toujours le cinéaste.

L'excitation n'y est que conceptuelle. Ces femmes sont glaciales et manipulatrices à un degré qui exclut toute réalité concrète et véritablement érotique. On ne les voit d'ailleurs pratiquement jamais nues. La passion est dans la folie de ces attractions/répulsions réciproques et dans la perversité qui n'a pas de limite. Je ne vois le film que comme un jeu avec le genre et une façon d'utiliser toutes les possibilités du regard. Si on cherche du réalisme ou de la sociologie c'est raté. Mais je m'étonne presque de défendre le film parce que tout ce que vous dites m'a agacé pendant la moitié du film.

Plutôt du côté d'Avadoro et Traversay également.
Déjà, j'avais vu Crime d'amour. Moyennement aimé. Et là... savoir la trame et l'aboutissement dès le départ, ça n'aide pas. Car l'essentiel de ce film repose sur le démêlement des fils.

C'est vraiment bien filmé, y'a pas à dire. Froid, précis, structuré, on sent que c'est maîtrisé jusque dans les coins. Et cette maîtrise met parfaitement en image le côté grande entreprise moderne, aseptisée, où grouillent les serpents. Mais, malheureusement, à aucun moment on ne sort de cet état distancé, même lorsque le trouble est amené dans le scénario (la scène de la voiture qu'on entraperçoit dans la bande annonce tombe à plat, par exemple).
De Palma n'a pas su insufflé de l'énergie à ce film. Et assez peu de tensions alors que cette histoire devrait reposer sur ça. Ces effets de mise en scène et son montage laisse trop durer certaines scènes qui auraient pu être prenantes, fortes. Du coup, leur effet s'estompe alors que la scène n'est même pas terminée...
C'est mou.

Ce qui n'aide pas non plus est le jeu des actrices principales. Elles jouent bien l'une l'autre, mais pas ensemble. J'ai trouvé que leur couple ne fonctionnait pas du tout. Difficile de voir l'attirance/admiration l'une pour l'autre. La manipulation et l'acceptation. Leur interprétation ne manque pas de force, mais j'ai eu la sensation de voir deux personnages enfermés dans des bocaux séparés, se regardant, s'imitant, puis faisant des plocploc de bulles inutiles et solitaires.

Je trouve que l'on nous démontre les méandres d'une folie destructrice sans la jouer. Peut-être n'ont-elles pas su trouver la nuance complexe de leurs personnages. Le carcan dur et froid remporte trop la main sur les fissures, la colère, le mépris. Dommage.


Reste qu'il y a de très belles images, des moments très forts esthétiquement, des couleurs, des costumes, une architecture, vraiment bien exploitées. C'est un spectacle visuel, caricatural, un symbole.

Allez un petit jeu en SPOILER... À l'arrivée du film qui balance un dernier rebondissement en dernière seconde (vraiment le dernier plan) comment comprenez vous la fin?

Spoiler:

Pour moi, oui.

traversay a écrit:

Pour moi, oui.

Idem

Comme certains, j'avais vu crime d'amour, pas trop aimé (mais je ne m'en suis rappelé qu'en salle, sinon, je ne pense pas que je serais allée voir celui-ci)
donc là je me suis fait un peu chier, sauf les 10 dernières minutes.
L'affiche est trompeuse, il n'y aura pas d'érotisme, juste du jeu et des faux semblants.

colimasson a écrit:

Sinon, je voulais aussi parler de Pulsions, sorti en 1980, et que j'ai achevé de voir ce matin.

Résumé :

Citation :

Une jeune femme à la vie sexuelle perturbée consulte un psychiatre. A la suite de cette entrevue, elle passe la nuit avec un inconnu rencontré dans un musée. Le lendemain, elle se fait assassiner par une mystérieuse blonde. Une call-girl qui a assisté au drame est traquée par la meurtrière...

Tout de suite, ça fait un peu plus série Z Mais les décors, les costumes et les ambiances sont toujours aussi peaufinés, même s'il est impossible d'échapper au cliché de la blonde fatale A part ça, je ne suis pas plus enthousiaste que ça... L'histoire suit une enquête comme des milliers d'autres (au dénouement peut-être un peu plus psychologiquement torturé que la moyenne ?) ; ça se regarde avec plaisir mais je ne reviendrais certainement pas là-dessus.

je ne sais pas où tu as trouvé ce résumé Coli mais parler d'une jeune femme (c'est charmant) est un manque d'objectivité flagrant. La femme qui a quelques difficultés sexuelles avec son époux a largement dépassé la quarantaine, elle n'est donc plus tout à fait 'jeune'. Un détail, me direz-vous ? je ne crois pas. Au contraire même, c'est peut-être parce qu'elle a justement cet âge-là qu'elle n'a plus envie de s'ennuyer dans les bras de son époux et qu'elle tente la bagatelle avec un autre...

Ceci éclaircit, revenons au film. Kitsch ? Incontestablement. Perturbé ? Oui. Perturbant ? Dans un sens. Certaines scènes (en particulier le jeu de cache-cache dans le musée) sont vraiment très agréables à regarder, on se prête au jeu, on se laisse embarquer par l'atmosphère un brin sulfureuse et énigmatique de ce film. La première scène de masturbation sous la douche est assez scotchante et la suite ne démentit pas ce départ très enlevé.

Je voudrais également parler de la manière de filmer de De Palma, de cette manie qu'il a de superposer deux plans (premier plan/arrière plan) en leur gardant toute leur netteté. Il s'amuse également quand deux actions se passent à des endroits différents à couper l'écran en deux et à montrer les deux plans en même temps. Cette manière de faire donne pas mal de rythme au film et lui confère une certaine originalité.

Cependant, deux ou trois choses ont terni mon plaisir. La bande originale en premier lieu, d'un kitsch bien guimauve, plein de frou frou rose et de violons qui bavent. Bon. Et puis (et c'est plus ennuyeux), l'idée de présenter le transexualisme comme une lutte entre mâle et femelle me semble dénoter une incompréhension totale de cette problématique. Lisez plutôt Le Rêve de Cartarescu (commentaire : Ici) qui est bien plus inspiré.

Bon je reviens pour vous parler de Blow out...

Je pense avoir pris ce résumé sur Allociné, pas été chercher bien loin je le reconnais... mais lorsque tu évoques à nouveau ce film, je me rends compte que je ne m'en souviens pratiquement plus...

Soeurs de sang (Sisters, 1973)
Un exercice appliqué d'imitateur hitchcockien comme de Palma sait le faire avec une efficacité toute relative. Cette histoire de soeur siamoise meurtrière, coupée de sa moitié, n'est pas loin de sombrer dans le ridicule, avec une Margot Kidder mauvaise comme un pou. De Palma ne fait pas dans la finesse, utilise quelques artifices (split screen) et verse l'hémoglobine à dose homéopathique. L'oeuvre d'un faiseur plus que d'un auteur mais ce n'est pas une surprise.

Vu Passion

Queenie a écrit:

Mais, malheureusement, à aucun moment on ne sort de cet état distancé, même lorsque le trouble est amené dans le scénario

Idem.. et vraiment très à distance. Moi, quand à certains moments, je me mets à étudier la déco de l'appartement, c'est foutu.. Enfin, pour l'histoire, l'appart est magnifique. 

De beaucoup préféré le film de Corneau, finalement.