Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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Parfum de livres… parfum d’ailleurs

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 Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]

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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 7 EmptySam 5 Sep 2009 - 21:28

merci pour les extraits et précisions rivela bonjour

pour la langue c'est compliqué parce qu'il y a aussi l'époque, la volonté de "faire paysan" qui se mêlent mais n'empêche...
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 7 EmptyDim 6 Sep 2009 - 20:31

les parents sont assez emblématiques de ce rapport à la religion, ou rapport différent.

extrait (qui n'a rien à voir avec les parents) :

Citation :
Ils avaient fini leur journée ; leurs comptes étaient bouclés. C'est un temps de répit dont on aime à profiter pour se renseigner un peu sur ce qui se passe. Ils se mettaient chacun à son poste d'observation. Et, quand ils regardaient, ils voyaient que, dans les maisons voisines, tout le monde faisait comme eux, d'où ils tiraient plus d'assurance encore et un contentement nouveau.
Nous nous sentons les coudes, comme on dit ; l'ordre règne. Nous savons exactement à quoi il faut croire, ce qu'il faut penser. Nous avons notre vérité à nous. On est renseigné, n'est-ce pas ? jusqu'à connaître à un franc près ce que chaque contribuable paie annuellement d'impôts. Rien ne passe inaperçu, on se surveille les uns les autres. Tiens ! voilà Mme Barrelet qui a une robe neuve ; il faut croire que le commerce de son mari va bien.
Le soleil n'était pas couché encore, mais il était bas à l'horizon. Au bout de la grande branche flexible du ciel, pend ce fruit qui s'est alourdi en mûrissant. Sur la croûte des toits, comme celle d'un pain trop cuit, la lumière vient de côté. un petit air de beau temps souffle, qui fait se balancer, sur la place du Port, les filets des pêcheurs tendus entre leurs perches. Et là sont aussi des petites filles qui jouent avec leurs poupées, s'étant assises en rond sur le gazon pelé.
C'est l'autre côté de la vie, c'est-à-dire le joli côté. Un bateau à vapeur paraît. On voit très bien du bateau les vignes, posées l'une sur l'autre, comme des marches d'escaliers, monter ainsi jusqu'en plein ciel. Il y a, dans le bateau, des dames qui ne sont pas du pays ; elles se disent : "C'est donc un pays de vignoble" ; elles s'en étonnent. Et elles admirent longuement, dans cet abandon heureux où on est, quand on a plus qu'à se laisser aller au cours tranquille d'un beau voyage, le mont, la petite ville, son port, toutes ces belles choses qui passent ; avec les grands ormes du quai penchés étrangement vers l'eau, comme un qui aurait soif et qui sepencherait pour boire.
Cependant les petites filles, ayant arraché des touffes de pissenlit, les hachaient à l'aide cailloux tranchants : "C'est de la salade pour nos filles, qui ont besoin d'être purgées... Madeleine, voulez-vous un peu de salade... Vous n'en voulez point ? vous serez fouettée !..."
Madeleine fut fouettée. Une cloche sonna.
Il vous faut rentrer mes petites. On a vu le ciel devenir rose, là où le soleil s'est couché. Plus haut que ce rose, il y a du vert ; les hirondelles, qui tournent encore au-dessus des ormes, sont au moment de regagner leurs nids.
Ces messieurs n'avaient pas quitté leurs places. M. Guicherat, le banquier, tenait compagnie à M. Bolle, le notaire. Tous deux fumaient des cigares à bout tourné (comme on dit chez nous), qui sont des cigares qui coûtent cher. Un petit filet de fumée bleue montait tout droit ; la cendre s'allongeait indéfiniment sans tomber.
- Et les Suez ?
- Elles ne vont pas fort.
Cette plaque de rose là-bas, entre les deux girouettes sur le toit de M. Glardon, a fondu peu à peu, sur ses bords, comme une gelée.
- Dites donc.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 7 EmptyMer 6 Jan 2010 - 11:50

Cela fait une année aujourd'hui que je prenais la parole sur ce forum.
A cause de cet écrivain à moustache.
Pour marquer le cap je reprends la parole sur ce fil
Alors je viens d'acquérir cet ouvrage : Œuvres complètes t.4 ; articles et chroniques 1932-1947
Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 7 97820510

Ce volume consacré aux années 1932 à 1947 contient trente-neuf articles ou discours publiés dans des journaux et des revues, six textes inédits (ou parus de façon posthume), treize préfaces ou avant-propos, ainsi que deux entretiens.
Comme d'habitude je mets des extraits

Citation :
ARTHUR RIMBAUD EST MORT IL Y A CINQUANTE ANS

Les poètes «maudits». L’épithète n’est qu’à moitié juste, car. Comme Vigny le fait remarquer :
Le poète a une malédiction sur sa vie et une bénédiction sur son nom.

Le cas de Rimbaud me semble illustrer remarquablement cette pensée, mais il est vrai de dire que cette bénédiction coûte cher. Rimbaud l’a payée de sa vie. L’aura-t-il seulement prévue, à l’heure de sa mort, dans cet hôpital de Marseille, près de vingt ans après la publication des Illuminations et d’Une saison en enfer restées en stock chez l’éditeur et qu’il a peut-être oubliées lui-même. Plus rien, le silence, la solitude, l’obscurité (l’admiration de quelques amis, dont Verlaine, mise à part, mais qu’il ignore), et le voilà qui meurt, mais il faut mourir pour ressusciter. Et, lui, ce n’est pas d’un coup, c’est lentement, c’est progressivement qu’il ressuscite, en marge des célébrités, des gros tirages et des Académies, - dans un esprit, puis dans un autre, mais enfin aujourd’hui il est debout Lui aussi, sera né dans l’étable entre l’âne et le bœuf, lui aussi, aura été crucifié ; lui aussi, sera venu pour apporter, non la paix, mais la guerre : une espèce de sourd ferment qu’il répand dans les consciences des jeunes hommes qui le lisent, et c’est toujours un adolescent qui parle à des adolescents. Il me semble que son heure est enfin venue, à cause de cette ferveur religieuse qui l’anime (le mot, bien entendu pris dans son sens le plus large). Est-ce qu’il n’y a pas, en ce moment, quelqu’un, quelque part, qui s’est déjà levé et dans l’obscurité se prépare à le suivre ? car il ne s’agit pas de le copier, mais de le vivre ou de le revivre : d’où naîtra, de proche en proche, enfin, quelque grand mouvement de libération.
L’hommage a paru dans la revue Poésie 41, en octobre - novembre 1941. Cette jeune revue, éditée dans la zone libre (Villeneuve-lès-Avignon), est dirigée par Pierre Seghers, qui y publie notamment les poèmes de guerre d’Aragon, d’Eluard et d’autres résistants. Le parallèle que Ramuz esquisse à demi-mot entre la renaissance de Rimbaud, due à sa ferveur, et la situation de la France occupée, luttant pour sa libération, est ainsi tout à fait dans le ton de la revue.
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 7 EmptyMer 6 Jan 2010 - 11:59

Suite.

A l’heure où l’Europe relève à grand-peine d’une maladie qui faillit lui être mortelle, où tant de Français s’interrogent sur le destin de leur pays et son rayonnement dans le monde, à l’heure, enfin, où tant de principes, tant d’idées sont remis en discussion, il nous a paru intéressant d’aller nous entretenir de ces problèmes avec un sage et un poète – l’admirable écrivain de Terre du ciel et du Grand Printemps. Nous avons retrouvé Ramuz dans sa paisible retraite de Pully, sur les bords du Léman. Et, à cet homme qui partagea notre angoisse durant ces années atroces où tout semblait nous abandonner, nous avons posé certaines questions.

- Cependant que l’Europe subissait l’oppression nazie et fasciste, des voix d’outre-Atlantique annonçaient le déclin de ce continent, l’abandon des privilèges. Ce pessimisme vous paraît-il justifié, demandons-nous à Ramuz ?

Citation :
Peut-on déjà parler du déclin de l’Europe ? L’Europe, telle que nous l’avons connue a subi une saignée et des dommages matériels infiniment plus grands qu’en 1914-1918. Mais, même sur le plan de la technique, celui qui semble devoir primer maintenant, je ne vois rien de définitivement compromis, car l’Europe n’a nullement perdu son génie créateur. N’a-t-elle pas été, en partie, conçue et réalisée par des savants européens, cette terrifiante bombe atomique dont l’apparition doit bouleverser toutes les conceptions stratégiques ? Cette invention n’ajoutera rien d’essentiel à notre prestige, mais le fait est là, indéniable. Il va de soi que cette Europe si malade a d’abord pour tâche principale de relever ses ruines matérielles. Et cette tâche sera longue et difficile. Si j’ai au sujet de cette reconstruction européenne quelque espoir à formuler, c’est que les techniciens qui l’entreprendront n’abusent pas de leur technique et qu’ils n’oublient pas un instant que ces villages, ces villes et ces maisons à rebâtir sont destinés non à des robots, mais à des hommes.
«Quant au fonds spirituel, intellectuel, artistique de notre vieille Europe il est tout à fait déraisonnable de le croire épuisé. Que le spectacle lamentable de nos ruines matérielles ait impressionné les Américains, cela se conçoit sans peine, mais ces visions ne sont pas toute la réalité européenne. La guerre a endommagé, détruit nos bibliothèques, nos musées, nos laboratoires, nos imprimeries, mais il nous reste l’élite incomparable de nos savants, de nos artistes, de nos écrivains.
La victoire de 1918 fil naître de beaux espoirs, celui notamment d’une Sociétés des Nations. Dans l’Europe d’aujourd’hui, peut-on encore parler d’une fédération basée sur le droit et la justice ?

Citation :
~ Nous ne pouvons pas prévoir comment évoluera l’idée européenne. J’ai longtemps pensé qu’une fédération ne pourrait se faire qu’en présence d’un danger commun. Or nous avons vu comment cette Europe, menacée par l’hitlérisme, s’est disloquée. Avec l’entrée en scène de la Russie intervient un élément nouveau. A vrai dire, nous ne savons pas très nettement ce que ces Russes pensent de notre Europe occidentale. Il me semble toutefois qu’avec la formation de ces « blocs » et de ces sphères d’influence soviétique et anglo-saxonne dont on ne cesse de nous parler nous nous écartons toujours davantage de la conception d’une Europe fédéraliste. Ce n’est, remarquez-le, qu’une impression personnelle. Mais je crains bien aussi que la question européenne ne soit résolue ailleurs qu’en Europe et indépendamment des intéressés.

_ Pensez-vous que l’Europe subira profondément la double influence anglo-saxonne et soviétique ?

Citation :
- J’ignore laquelle de ces deux influences, de l’américaine ou de la ‘emportera en Occident. Politiquement cela a peut-être importance, mais moralement le résultat risque fort de devoir être le même. Il y a, en effet, de grandes analogies entre le marxisme russe et le capitalisme américain.
«L’un et l’autre font reposer leur force, leur rayonnement mondial exclusivement sur leur potentiel économique, industriel. Ils inaugurent. L’un et l’autre, le règne des « industriels » qu’annonçaient, au siècle dernier, les saint-simoniens. On peut donc dire que la vieille Europe, dont fait partie l’Angleterre elle-même, voit se dresser à l’est comme à l’ouest la menace d’un machinisme à outrance. Dépendante économiquement et politiquement de ces grandes puissances orientales et occidentales, comment pourrait-elle se soustraire à cette emprise, à cette forme véritable du « totalitarisme » ?

- La guerre, idéologique et sociale, qui vient de se terminer, au moins sur le champ de bataille, n’implique-t-elle pas une nécessaire révision de nos valeurs, et ne va-t-on pas assister à la naissance d’un humanisme nouveau ?

Citation :
-• Voila bien des années qu’on nous parle d’un nouvel humanisme. D’ailleurs, il y a bien des façons d’entendre ce mot ! Il y a, d’abord, cet humanisme chrétien qui proclame la prééminence de l’homme, sa dignité, ses droits. C’est pour moi le seul humanisme possible. Il y a aussi un autre humanisme, terriblement entaché de matérialisme, qui subordonne l’homme aux nécessités d’un ordre politique ou social déterminé. Nous savons trop bien, par des exemples si proches de nous, ce que valent de tels systèmes. Parler d’humanisme dans ce cas, c’est employer abusivement un mot vide de sens ; il n’y a pas, il ne saurait y avoir d’humanisme en dehors de l’homme.
« Ce principe admis, je ne vois pas pourquoi cet humanisme chrétien s’enfermerait dans une sorte de « conservatisme » politique et social qui ne conserve rien, puisqu’il maintient une masse d’abus et d’injustices préjudiciables à l’ordre qu’on prétend justement conserver. Et, puisqu’on parle tant du problème social, il n’est pas indifférent de rappeler dans quel sens se sont prononcées à cet égard, au plus fort de l’hitlérisme, de grandes voix catholiques et protestantes. Je trouve dans ces paroles la réaffirmation la plus solennelle des droits imprescriptibles de l’individu et de l’idéal de justice chrétienne.
« Oui sans doute, une révision des valeurs s’impose-t-elle au sortir d’une si tragique aventure. Mais gardons-nous d’improviser au hasard. Et, avant tout, procédons à un minutieux examen, attentif et prudent. A première vue il me semble qu’il importe surtout de restituer à des mots » à’ des formules dom on a tant abusé leur sens véritable. Des faussaires ont introduit dans le jeu des cartes truquées, et ce tut la cause de très grands maux. Je me méfie un peu de ces valeurs qu’on nous dit nouvelles et qui, dans bien des cas, sont fort anciennes, permanentes, éternelles. Cette révision, si tant est qu’elle s’impose, je voudrais d’abord savoir dans quel esprit elle sera entreprise. Là est l’essentiel ! »
« On proclame que la liberté a été sauvée. Est-ce bien sûr ? J’ai été très impressionné par les récits de voyageurs qui nous rapportent que, dans les pays qu’ils asservirent, les inquisiteurs nazis ont suscité des imitateurs. Des disciples. Je veux croire que le mal n’est pas aussi grand qu’on veut le dire et qu’il n’a pas de racines profondes. Mais j’éprouve de plus sérieuses inquiétudes. Des forces morales et matérielles puissantes ne cessent de saper l’idée de la liberté, d’en restreindre le sens. Or, devant cette menace, je constate que les réactions individuelles paraissent faibles, timides. Est-ce à croire que l’homme d’aujourd’hui n’a plus un si grand besoin de liberté ? Et ce peu de liberté que lui concède parcimonieusement un Etat de plus en plus tentaculaire, n’est-il pas prêt à le troquer contre un perchoir collectif, quinze jours de vacances payées, un poste de radio et d’illusoires garanties pour l’avenir ? L’homme d’aujourd’hui aspire avant tout à la sécurité, fût-elle médiocre ; et par là il renonce à la lutte, car la liberté doit être constamment défendue. Bien paradoxale me paraît être cette acceptation d’une féodalité étatiste, mesquine et implacable, après des siècles de lutte si âpres pour les libertés communales, la liberté de conscience et la liberté politique ! Qui sait, je me le demande, si la liberté ne meurt pas des excès mêmes du libéralisme, tel qu’on le conçut au siècle dernier ? Trop souvent il faut le dire, ce libéralisme mal entendu masquait des attentats contre la liberté, justifiait des abus intolérables. Qu’on répudie ce libéralisme-là, si l’on veut, mais que l’on place au-dessus de toute contestation, de toute discussion l’idée, généreuse et féconde, de liberté.

_ L’effacement momentané de la France, consécutif à une défaite militaire sans précédent et à un régime d’occupation et de tyrannie, a été douloureusement ressenti à l’étranger et spécialement dans un pays voisin et ami comme la Suisse. Dans l’Europe d’aujourd’hui, quelle est, selon vous, la valeur du facteur «France» ?

Citation :
- Je ne crois pas exprimer une tendance personnelle, mais un sentiment mondial en disant que notre civilisation a plus besoin que jamais des forces spirituelles, du génie littéraire et artistique de la France Si ces incomparables sources devaient tarir, c’en serait fait de notre Occident. A ceux qui en pourraient douter, je demanderai simplement : par quoi remplacerez-vous la France ?
« Que ce grand pays soit sorti amoindri politiquement et militairement de cette guerre, nul ne songerait à le contester. A la cause de la liberté, à la cause des libertés démocratiques la France a payé un terrible tribut. Et, ce disant, je songe aussi aux irréparables désastres de 1914-1918. Deux tragédies de cette ampleur en moins d’un demi-siècle laissent des cicatrices profondes. Toutefois, je n’aperçois pas ces signes d’épuisement que des observateurs superficiels croient découvrir. Sur le plan culturel, elle dispose d’inépuisables réserves. Souvenons-nous que, sous le joug hitlérien, alors qu’elle était privée de liberté dans tous sens du mot, renaissance poétique. Et je suis bien sûr, d’autre pari, que dans les tiroirs des éditeurs parisiens démunis de papier dorment de riches talents.
- Avez-vous déjà pris contact avec cette jeune littérature née sous l’occupation et depuis la libération. A ce propos, on a parlé d’une rupture inévitable.
Brutale même, avec les aînés, j’entends ceux d’avant 1940. Qu’en pensez-vous ?
Citation :


- Que de nouveaux courants apparaissent aujourd’hui, rien de plus naturel. Nous assistons au passage normal d’une génération à une autre, et chaque génération, vous le savez, à ses entrepreneurs de démolition. Mais parler de rupture au sens absolu du mot ? Ni Eluard, ni Jouve, par exemple, ne vous font oublier Valéry et Fargue. Que le roman français se renouvelle,’ c’est un fait dont chacun se réjouira. Il est dans l’ordre des choses que la jeune génération littéraire ait ses propres préoccupations, ses propres ambitions. Témoins, parfois acteurs, d’un drame affreux où s’est joué le destin de leur pays et de la civilisation, ces romanciers, ces poètes, ces essayistes traduisent, expriment leurs angoisses, leurs espérances, leurs révoltes, chacun selon son tempérament, son optique personnelle. Toutefois, ils sont tous d’un temps où le dilettantisme pur ne se conçoit plus, où le fait social, politique s’impose dans toute sa force. Leurs œuvres nous en apporteront sans doute le témoignage. Dans les années qui suivirent 1918, nous assistâmes à un phénomène identique. Telle est la loi ! Quant à savoir laquelle ou lesquelles de ces tendances l’emporteront, je vous répondrai que je crois moins aux systèmes, aux partis pris d’école qu’aux œuvres elles-mêmes et qu’au verdict implacable du temps.

- Si, comme on l’annonce, les influences anglo-saxonnes et russes vont prévaloir dans l’Europe occidentale, ne seront-elles pas une source de renouvellement pour les lettres françaises ?

Citation :
- Ces influences n’ont jamais cessé au cours des siècles de se manifester. Elles expliquent d’ailleurs l’extrême richesse de la littérature française. Mais mon éloignement de Paris m’empêche de dire si ces influences anglo-saxonnes et russes se feront sentir plus ou moins intensément que par le passé. On m’a rapporté que certains romanciers américains étaient très goûtés du public français. Est-ce un indice ? Quant aux Russes, leur contact avec la littérature française n’a jamais été brisé et il est très ancien. Deviendra-t-il toujours plus intime ? C’est aux Français eux-mêmes que je le demanderai.

- Que peut-on dire, aujourd’hui, de la littérature allemande ?

-
Citation :
Le régime national-socialiste laisse un bilan littéraire pitoyable. Si l’on excepte certaine littérature à usage exclusif des fanatiques du parti nazi, que reste-t-il à son actif ? Que pouvait-il opposer à un Thomas Mann par exemple ? Des propagandistes besogneux ! Je veux bien admettre que le totalitarisme politique, militaire, policier, culturel réduisait au silence ceux qui avaient quelque chose à dire. Mais les poètes, qui ne devaient pas connaître de telles contraintes, que faisaient-ils, que font-ils ? Voyez-vous dans l’Allemagne hitlérienne une renaissance poétique comparable a celle, si puissante, si diverse, qui s est manifestée plus mauvais jours de l’occupation ? Mais ce régime qui ne sut susciter ni une Pléiade ni un Romantisme s’acharna, par contre, avec la plus incroyable ténacité à persécuter, à chasser les écrivains d’avant 1933, un Thomas Mann, un Stephan Zweig, etc. Là comme ailleurs, il ne sut que détruire.
«A l’heure actuelle, autant que nous le sachions, l’Allemagne est morte, littérairement parlant. Tout a disparu. Peut-on devant tant de ruines s’abandonner à l’illusion d’une possible renaissance intellectuelle ? Elle se produira bien tôt ou tard, inévitablement, mais quand ? «D’ailleurs on peut supposer que ce relèvement est étroitement subordonné au relèvement de l’Allemagne tout court, lequel est encore inconcevable. Et nous sommes ici en pleine politique.
- Soumise à l’occupation russe, française, anglo-saxonne, l’Allemagne ne va-t-elle pas subir des influences morales, littéraires étranges ? Lui seront-elles profitables

Citation :
- Là encore, le facteur politique peut être déterminant. Une Allemagne gagnée au communisme subirait, avec une intensité variable mais certainement forte, l’emprise de la littérature soviétique. Comment se manifesterait cette influence ? Quant aux influences anglo-saxonnes, elles seront, elles aussi, pour une part, fonction des relations politiques qui s’établiront entre les puissances occidentales et l’Allemagne. Mais ce qu’il faut retenir surtout, dans cet ordre d’idées, c’est que l’Allemagne d’aujourd’hui, à la différence de ce qui s’est passé en 1918, a vu disparaître ses élites intellectuelles. C’est un désert.
«Je ne pense pas, par ailleurs, qu’il faille exagérer par avance l’importance de ces influences étrangères. D’abord l’Allemagne vit et vivra longtemps encore sous le régime de l’occupation. Et qu’il soit russe, français, américain, anglais, ce régime sera toléré, mais il ne sera pas aimé. Il provoquera à plus ou moins longue échéance des résistances d’ordre politique et d’ordre intellectuel. D’autre part, je ne pense pas qu’on puisse si aisément changer la mentalité, les caractéristiques profondes, les constantes historiques d’un peuple. L’histoire de l’hitiérisme illustre admirablement cette thèse. Ni en Pologne, ni en France, ni en Hollande, ni en Norvège – pour nous en tenir à ces seuls pays -, l’Allemagne victorieuse, en dépit d’une organisation extraordinaire et d’une propagande qui croyait avoir tout prévu, n’a fait de tels miracles. Elle a pu persécuter des peuples, voire les exterminer : a-t-elle changé leur âme ? Si, ici et là, quelques personnalités se sont abandonnées, la masse profonde, je veux dire la paysannerie, restait fidèle à elle-même ; en dépit de toutes les contraintes, de toutes les violences, elle est demeurée profondément française, polonaise, hollandaise…
«On nous dit que les pédagogues américains ont l’ambition de ‘éduquer le peuple allemand. Je doute un peu du résultat, car, qu’on le veuille ou non, pédagogues, manuels scolaires porteront tout de même une marque étrangère. Par là ils paraîtront suspects. Ne soyons pas trop Optimistes ! De toute façon, il faudra bien essayer de résoudre, et définitivement si possible, ce difficile problème allemand. Espérons au moins qu’on ne recommencera plus les erreurs impardonnables d’hier. »
Et, comme cet entretien touche à son terme, Ramuz revient une dernière fois sur la France, ses malheurs présents, son avenir :

Citation :
» Que la France sache bien que, nous autres Suisses romands, nous n’avons jamais douté d’elle, que nous lui sommes fidèles dans l’infortune et que nous attendons toujours d’elle cet incomparable aliment spirituel où nous avons puisé le meilleur de nous-mêmes. »

Cet entretien conduit par André Chastain a paru dans Les Nouvelles littéraires, le 23 août 1945.


Dernière édition par rivela le Mer 6 Jan 2010 - 14:19, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 7 EmptyMer 6 Jan 2010 - 12:01

Suite et fin

UN MOT SUR MOI
Préface à Bernard Voyenne, C. E Ramuz et la sainteté de la terre.
Citation :

A force de partir, je suis resté chez moi. J’ai en commun avec M. Mauriac (dont, par ailleurs, tout nous sépare) d’avoir situé tous mes livres et fait vivre (ou essayé de faire vivre) tous mes personnages dans un petit pays, le mien, qui n’a pas dans un sens, de l’est à l’ouest, plus de 200 kilomètres, et même pas 40 dans l’autre. M. Mauriac, non plus, n’a jamais déserté une région guère plus grande et beaucoup moins variée, qui est celle de l’embouchure de la Gironde. M. Mauriac a fait mieux : M. Mauriac ne s’intéresse qu’à une classe et une classe privilégiée : la bourgeoisie. Et c’est ici que nous nous séparons déjà. Mes personnages à moi sont en marge de la société. Ils ne sont pas propriétaires, ou ils le sont si peu qu’il m’aurait été permis de ne pas les « situer». Si je leur suis fidèle, c’est uniquement par sympathie (au sens plein du mot) et par sympathie humaine. Il m’arrive, en effet, de m’évader. Je suis dans le Yucatan, en Chine, dans une grande usine de la plaine Saint-Denis, et si je ne me suis jamais hasardé à les dire, ces divers lieux et ceux qui les hantent, ce n’est pas faute d’intérêt, c’est par scrupule, c’est parce qu’il m’est impossible de parler des gens et des choses que je n’aie pas d’abord vécus par le dedans. C’est qu’il m’est impossible de dire ce que je n’ai pas été moi-même et les circonstances que je n’ai pas habitées moi-même tout d’abord. Avec cette réserve que j’aurais voulu pourtant que les Chinois, les Indiens et les ouvriers métallurgistes se reconnaissent sous un ciel autre que le leur et participent a quelque grande ressemblance essentielle sous ce déguisement trompeur.
Mais c’est assez dire quand même queje ne suis pas un romancier. Un romancier est avant tout un inventeur ; il a le monde entier à sa disposition. Il s’intéresse aux faits ; il s’entend à les disposer de telle façon qu’ils piquent la curiosité du lecteur, qu’ils lui réservent des surprises, qu’ils mettent en lumière les particularités de ses personnages, qu’ils soient enfin susceptibles d’effets, c’est-à-dire d’un apport inattendu qui fasse « rebondir » l’action. Il a à trouver une intrigue assez compliquée pour permettre aux divers caractère de s'exprimer non en paroles, mais en actes. Il est actif ; c’est, en quelque manière, un homme d’action.
D’autres écrivains, au contraire, sont des contemplatifs. Ils n’ont pour eux que leur imagination, c’est-à-dire la faculté de revivre par des images, et intérieures, mais plus réelles que la réalité, les objets dont ils s’occupent, dont, plus précisément, ils sont occupés, si bien qu’écrire. Pour eux, c’est se débarrasser d’une obsession.
Le véritable romancier devrait être à la fois un inventeur et, à parties égales, un inventeur et un Imaginatif : l’espèce en est rare. Chez le premier, les péripéties surabondent jusqu’à l’invraisemblance même, mais n’étant pas vécues restent à l’état de faits. Et il a à sa disposition le monde entier, mais l’autre, enchaîné à un sol, le restitue en profondeur ; il est condamné à une certaine monotonie, mais frappante : c’est un voyant. Il est tellement ses personnages et tellement enclin à leur emprunter leurs idées, leurs goûts, leurs sentiments qu’il en vient à douter de sa propre existence.
Il croit sans croire, il se passionne sans passion personnelle ; est tour à tour, pour finir, les personnages les plus contradictoires, se perdant de vue lui-même ce que l’inventeur ne fait pas (quelque Dumas père ou quelque Dickens, heureux hommes !). .
Tandis que, nous autres, ne pouvons que jeter un regard entre les barreaux de nos cages et tenter des incursions dans un univers dont il serait très injuste de croire que nous nous désintéressons parce que nous n’en parlons pas.

Cet avant-propos a paru dans un livre de Bernard Voyenne, C. F Ramuz et la sainteté de la terre, édité à Paris par Julliard (coll. « Les Témoins de l’esprit »), en 1948.
Ce texte-préface a été écrit par C. F. Ramuz un mois avant sa mort
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 7 EmptyMer 6 Jan 2010 - 18:14

rivela a écrit:
Cela fait une année aujourd'hui que je prenais la parole sur ce forum.
pour cette occasion un tout petit flood devra être accepté tchintchin contente que tu pris la parole bonjour
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 7 EmptyMer 6 Jan 2010 - 18:49

kenavo a écrit:
rivela a écrit:
Cela fait une année aujourd'hui que je prenais la parole sur ce forum.
pour cette occasion un tout petit flood devra être accepté tchintchin contente que tu pris la parole bonjour
Merci
Une raclette pour tout le monde c'est ma tournée.
Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 7 Raclette-2
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 7 EmptyDim 14 Fév 2010 - 17:54

encore une image de bouffe à rendre cinglé...

Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 7 23699810
Présence de la mort
quatrième de couverture a écrit:

Alors les grandes paroles vinrent; le grand message fut envoyé d'un continent à l'autre par-dessus l'océan.
La
grande nouvelle chemina toute cette nuit-là au-dessus des eaux par des
questions et des réponses. Pourtant, rien ne fut entendu. Les grandes
paroles passèrent inaperçues, ne troublant rien dans l'air au-dessus
des vaisseaux chargés de marchandises et des transatlantiques blancs,
dans un ciel seulement remarqué à cause de ses étoiles plus grandes -,
et, au-dessus de la houle du large, elles passèrent dans un complet
silence.
chef-d'oeuvre méconnu, Présence de la mort n'est pas un
Ramuz parmi d'autres : c'est le grand rassemblement de ses oeuvres
antérieures ; son univers, comme la Terre au premier chapitre, revient
à son origine " pour s'y fondre ", et de ce creuset émergent les
figures de livres à venir. Ce texte unique pour-rait s'intituler
Toute-présence de Ramuz.

je commence par les râleries : il y a des fautes dans le bouquin, surtout vers la fin. pas que des bizarreries linguistiques, quand c'est récurrent ça doit être voulu.

Le début m'a rappelé La guérison des maladies, manque d'originalité du coup mais pas d'intérêt, surtout que dès le début on ne peut pas se sentir dans un "récit conventionnel". On part pour une lancinante avancée à petit pas irréversibles vers une certaine fin du monde. Une histoire par chapitres vignettes mais tressée de fils conducteurs qui se recoupent plus sûrement que certains personnages ne reviennent.

C'est encore un peu la même chose, alors qu'on commence à se demander si il ne les rendraient pas trop simples ses gens simples de ces villes et villages, on s'aperçoit qu'il les aime aussi et que c'est une histoire un peu plus profonde, préoccupante, émouvante qu'il nous (ra)conte. Comme pour ces gens frappés par la vie, et le ciel, et la terre, sous la force lentement aveuglante de l'écriture de Ramuz nos pensées s'écrasent et se diffusent, inquiètent, mais sont belles aussi. Et c'est implacable, effrayant, sous des dehors rustiques ou en ayant l'air, face à la mort tout se meut. Toute la vie embrassée dans son quotidien multiple. De l'enfance à la vieillesse et l'entre deux, l'amour, la sensation de vie...

Moins récit et plus surréaliste ce livre projette plus certainement l'auteur là où malgré nous on a pu ne pas vouloir le voir. C'est un livre d'écriture, cette écriture particulière est un sens, une volonté, un exercice transformé en art, faillible comme les autres mais pas moins que les autres et pas moins que pour d'autres auteurs. Et si je crois qu'on peut apprécier différemment l'ouvrage sur sa totalité il y a des monuments nombreux et magnifiques dans son dedans. C'est puissant et beau, et vrai. Là où certains ont préféré l'esbroufe et un semblant de hargne, lui a choisi un attachement à la simplicité (pas si simple) et à la matière de la vie. Le lecteur libéré et heureux a beau s'inquiéter du contenu, va voir la langue particulière et travaillée onduler, changer de forme, s'articuler et l'articuler lui. (j'ai un peu pensé à Blanchot pour un certain jeu dans les fausses répétitions).

Il se passe de grandes choses dans la lecture et il se peut qu'en prenant l'écriture avant le récit, on puisse le lire différemment. En plus massif on peut penser aussi à Buzzati pour sa grande inquiétude et son attention. Oui on peut, pourquoi se priver.

Très très puissant mais fin aussi, même quand il fait semblant de mettre des sabots. Un petit livre très dense peuplé de choses incroyables mais tellement vraies, de bouleversements insensibles.

Pas si simple à lire, à plus petites doses que je ne l'ai fait, c'est possible... un effet de trop mais dont on ne peut séparer les effets de l'efficacité de l'écriture et se sont des effets comme le titre le laisse imaginer qui sont pénétrants. C'est un gros exercice de style avec des choses à dire, un gros exercice à l'agilité surprenante... et dans tout cet hallucinant cauchemar éveillé il y a ce quelque chose qui semble dépasser d'un rien la compassion... et la force de la présence du monde dans sa terre, son ciel,... dramatique mais constitutivement et primitivement rassurante.

Un bouquin à lire, aussi pour les sceptiques qui là verront peut-être ce qui se passe dans le pourquoi des apparences. A lire aussi pour ceux en recherche d'inventions, les adeptes de Céline par exemple qui trouveront peut-être, eux, une autre voie à l'invention, comme si l'invention pouvait se nourrir d'autres destructions, ou les voir différemment.

extraits plus tard !
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 7 EmptyDim 14 Fév 2010 - 20:09

hop :

Citation :
Moi, pendant ce temps et pendant que je peux, j'écoute : et, voilà, je n'entends plus rien.
Autrefois, dans le milieu de la nuit, une locomotive sifflait. On entendait le cornet de l'homme d'équipe. On entendait le bruit des wagons venant se heurter l'un contre l'autre par une succession de chocs le long d'un train en formation, dans une nuit pleine de vie. Vers minuit, minuit et demi, la locomotive allait boire ; elle sifflait, elle crachotait, elle toussait. J'écoute.
Il n'y a plus rien, où que je me tourne, cherchant jusque dans les recoins de l'air, comme quand on va avec le balai.
En haut de leur espèce de guérite de briques, avec tous ces leviers alignés derrière eux, portant chacun sur une plaque d'émail une inscription en lettres noires, les aiguilleurs du poste d'aiguillage attendent, eux aussi, quelque chose qui ne vient pas.
Le 775 n'est pas arrivé, le 33 qui devait suivre n'est pas arrivé.
A présent, c'est le rapide du Simplon qui aurait dû être signalé ; il ne l'a pas été encore...
J'ai trop aimé le monde ; je vois bien que je l'ai trop aimé. A présent qu'il va s'en aller. Je me suis trop attaché à lui, comme je vois, à présent qu'il se détache de moi. Je l'ai aimé tout entier, malgré lui. Je l'ai aimé malgré ses imperfections, tout entier, - à cause de ses imperfections, ayant vu que c'était par elles seulement que la perfection existait ; et il était bon parce que mauvais.
Et toutes les choses sont venues, tous les hommes sont venus. Je n'ai plus pu choisir entre elles ; je n'ai plus pu choisir entre eux. Les ayant pourtant bien connues ; - les ayant pourtant, eux aussi, bien connus, les ayant vus tels qu'ils étaient, c'est-à-dire petits, laids, méchants, - pas même laids, ni méchants : médiocres, informes, à demi nés seulement, pas venus à leur forme, pas exprimés. Et j'ai cherché à les écarter de moi au commencement, mais il en venait toujours, il en venait tellement !...
Sur une tablette de bois près de la porte, et surmontées d'un poids de laiton d'un kilo, sont des feuilles de plusieurs couleurs : horaires, diagrammes, ordres de service : ils les ont lues, ils vont les relire, et puis rien.
Devant eux, il y a le renflement des rails, comme un muscle gonflé qui laisserait voir ses fibres. Ca brille à cause des fanaux. Ca a longtemps servi, c'est fait pour que ça serve encore, c'est tout prêt, ça attend, - et plus rien ne vient...
J'ai trop aimé le monde. Quand j'ai cherché à imaginer plus loin que lui, c'est encore lui que j'ai imaginé. Quand j'ai cherché à aller au delà d'où il est, je l'y ai retrouvé encore. j'ai tâché de fermer les yeux pour voir le ciel : c'était la terre ; et le ciel n'a été le ciel que quand il est redevenu la terre. Quand on a recommencé à y souffrir, à s'y plaindre, à s'y interroger ; - sous des arbres comme sont nos arbres, sous des saisons d'arbres et de plantes comme les nôtres, parce que l'été n'est l'été que quand il y a eu l'hiver.

Je n'ai aimé que l'existence. Seulement qu'une chose existe, n'importe laquelle, n'importe comment. Tout. Les quatres éléments, les trois règnes ; les minéraux, les végétaux, les bêtes ; l'air, le feu, la terre, l'eau. Le bombé, le plat, le rond, le pointu : ce qui est beau c'est d'être. Toutes les choses : celles à trois dimensions, celles à deux, les réelles, les figurées, les corps réels à trois dimensions et leurs imitations qui en ont deux seulement ; - les imitations que nous en avons faites, ne nous étant pas contentés d'eux, tels qu'ils étaient hors de nous, et on a voulu les avoir à double, on a voulu les avoir encore plus à soi, on les a dédoublés, on s'y est mêlé, on ne sait plus où on finit, où ils commencent. Et alors est venu en moi un goût de tout, sans choix, je ne sais pas comment, je ne peux pas bien l'expliquer (même à cette heure, et tout tendu à ça et à dire encore une fois, me dire une dernière fois)...
Il y a cet immense hall de fer qu'éclairent d'en dessous des lunes électriques : grand ouvert pour laisser entrer, tout le temps entrer et entrer, et où plus rien n'entre. En haut d'une passerelle, sont des lampes de couleur, dont les couleurs n'ont pas changé, alors que d'ordinaire elles changent continuellement : une verte, une violette, une rouge, une blanche. Quelque chose a fini de battre dans les artères du monde ; le monde s'en va : je l'ai trop aimé.
(...)
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 7 EmptyLun 15 Fév 2010 - 11:54

Bravo Animal super commentaire.
Quand à son style ses bizarreries d'écritures et ses fautes qui sautent aux yeux, c'est bien entendu vers ce quoi ou il voulait allé pour rendre plus vrai ses personnages.
un extrait de son journal .
Citation :
“je voudrais un style, qui fût à la fois simple, pur, coloré, précis dans le détail et
continu dans son ensemble. Je ne crains rien autant que ces enluminures violentes et ces
épithètes cruellement voyantes dont certains se plaisent à surcharger les mots. Il y a dans le
style neutre, relevé par place d’une belle image, quelque chose qui me charme
particulièrement. Mais si mon esprit se complait aux architectures classiques, ma nervosité
ne s’y satisfait pas ; elle veut autre chose, prompte à creuser le mot, à fouiller le détail. Et
je m’obstine ainsi, jeté sans cesse d’un extrême à l’autre, à accorder des contrastes.

“Au nom de sa grammaire,l’école déteste l’informulé; au nom de sa
syntaxe le balbutiement… Et moi, j’aurais voulu faire sentir à ma façon ce balbutiement de
l’homme devant l’être, j’aurais voulu exprimer ce qui ne peut pas s’exprimer (…) non par
des mots tout faits et des formules, mais par une allure, par une exclamation, un geste; (…)
de pauvres hommes bien peu sûrs d’eux-mêmes, plein de peur, et des primitifs si on veut.
(…) Cherchant à faire entrer dans une matière verbale, à ma façon et à mon tour, la
substance même de leur vie, en quoi j’ai bien été forcé d’aller contre une certaine
grammaire et une certaine syntaxe.
Tu dis aussi qu'il y a une ressemblance avec la guérison des maladies c'est vrai.
Ramuz autour des années 20 explore l'homme face à des influences cosmique ou métaphysiques, et détail à sa façon
comment une communauté réagit face à une nouveauté qui bouleverse ses habitudes.
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 7 EmptyLun 15 Fév 2010 - 13:01

les réactions communautaires sont assez effrayantes.
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 7 EmptyLun 15 Fév 2010 - 15:14

animal a écrit:
les réactions communautaires sont assez effrayantes.
je dois dire que ça me plait bien quand les gens, comme réponse à un évènement qui les troubles, font usages de la violence envers eux même ou envers les autres. C'est la folie qui entre dans leur tête.
Sur le même principe je peux te conseiller de Ramuz - Le règne de l'esprit malin-
Je l'ai beaucoup aimé et il y a quelques scènes plutôt rock'n'roll si je peux utiliser cette expression. Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 7 Icon_twisted
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 7 EmptyVen 26 Mar 2010 - 22:50

j'ai l'impression que ce n'est pas simple de trouver ses poèmes... ?
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 7 EmptySam 27 Mar 2010 - 10:49

animal a écrit:
j'ai l'impression que ce n'est pas simple de trouver ses poèmes... ?
Tout est rassemblé dans un livre, un des seuls que je n'ai pas.
J'avoue que pour la poésie je voue un désintérêt tout particulier et que malgré avoir quelques fois feuilletés ce livre je ne l'ai pas acquit, je pense que ce sera le dernier que j'achèterais juste pour avoir l'oeuvre complète.
Citation :
Le dixième volume est intitulé Poésie et théâtre (672 pages au total) ; il contient Le Petit Village, Les Pénates d’argile, La Grande Guerre du Sondrebond, Chansons et Chant de notre Rhône,
ainsi que l’ensemble des poèmes publiés dans les journaux ou revues et
un choix de poèmes inédits. Une « Liste chronologique des poèmes selon
les ensembles manuscrits liés à la genèse du Petit Village et des Pénates d’argile, 1902-1903 » clôt la partie Poésie (pp. 7 à 436). La partie Théâtre (pp. 437-672) fait bien sûr la part belle à l’Histoire du soldat ; elle contient également Hommage au major [Davel] et Noces et autres histoires.
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 7 EmptySam 27 Mar 2010 - 12:50

merci pour l'info bonjour
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MessageSujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse]   Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] - Page 7 Empty

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