Après 1h30 de lecture de toute votre discussion, voici mon avis (avec plein de révélations sur le film, ceux qui ne l'ont pas vu devront faire attention, ou pas... parce qu'en même temps... je pense qu'on peut s'éviter 2h30 dans une salle de ciné avec cet Haneke là)
C'est dit. Je ne suis pas du tout convaincue.
Après 1h30 de lecture de toute votre discussion, voici mon avis (avec plein de révélations sur le film, ceux qui ne l'ont pas vu devront faire attention, ou pas... parce qu'en même temps... je pense qu'on peut s'éviter 2h30 dans une salle de ciné avec cet Haneke là).
C'est dit. Je ne suis pas du tout convaincue.
- Li a écrit:
- Impressionnant cette capacité qu'a Haneke à créer une atmosphère si oppressante dans ses plans.
Oh oui... c'est impressionnant d'utiliser le bon vieux processus de poser une caméra rigide, dans un plan serré, avec des murs qui ferme toute ouverture sur les côtés, un fond sombre (vive le noir et blanc, rien pour ça, c'est facile l'oppressant), et des gens qui semblent tout serrés dans 1m2 d'espace...
- Li a écrit:
- Haneke fait dans le non-dit, l'implicite, ne résout rien de manière claire, garde un mystère... On n'ose pas imaginer que les enfants sont coupables, que les victimes sont devenues les bourreaux. Au final, la violence revient comme un boomerang à la figure des adultes maltraitants. Les enfants, symboles de la pureté, font le mal, conséquence d'une éducation trop rigide, trop dure, qui génère le mal. La scène de l'oiseau transpercé semble nous donner la clef.
Ouais, ben je trouve que c'est un peu faire sa mijorée moi, ce "non-dit", ça évite surtout de faire peur aux grand-mères qui viennent kiffer leur petit moment de morale glauque au cinéma, mais qui peuvent continuer à fermer les yeux si elles veulent. (C'est bien, dans la salle aussi, c'est noir et blanc les spectateurs)
Le Village des damnés, ou
les révoltés de l'an 2000, au moins, ça va jusqu'au bout.
- traversay a écrit:
- son goût de la provocation frontale (voir le premier Funny Games), qui le faisait rejeter par bon nombre de spectateurs, n'est pas présent dans ce dernier opus
C'est clair, que là, il a trouvé l'idéal compromis pour se refaire une bonne clientèle de spectateurs. Il a tout compris finalement, hein.
Y'a rien de frontal, il louvoie exprès dans les bonnes consciences pour leur murmurer des petits trucs doucement, histoire de pas les brusquer. Si t'es sourd comme un pot, ben t'entendras keud, et c'est tant mieux. Faut pas pousser trop fort les conventions.
- traversay a écrit:
- La mise en scène, elle, est digne d'un Dreyer ou d'un Bergman
Aaaaah, je meurs!!
Non mais, sérieux.
Haneke ne fait que pomper, copier, tranquillement posé les choses, c'est beau, c'est propre, c'est lisse, c'est étouffant, tout comme il faut. Y'a pas un pet de risque. Rien. Pas de bouleversement visuel. ça se pose comme une expo photo qu'on mâte à sa pause déjeuner en grignotant un sandwich. "Wa! T'as vu cette photo, c'est fort" - dix minutes plus tard : "C'était génial hein ?! Mais je ne me souviens plus, c'était quoi déjà cette photo là..."
- Marko a écrit:
- sans jamais tomber dans l'esthétisme facile ou la complaisance dans la violence
ça, c'est vrai : il est pas facile son esthétisme, il est juste trouvé, et usé jusqu'à la corde.
Ah, c'est clair qu'il n'y a pas de complaisance dans la violence... et pourtant c'était limite le propos du film, parce que quand même ils s'éclatent à faire du mal tous ces gens. Sauf qu'il faut pas le montrer/dire comme ça. Alors on rajoute des larmes, des silences, des cris derrière des portes. Parce que ça fait mal de faire mal.
Aurait-il eu peur de montrer de vrais enfants barbares ? De briser réellement le mythe de l'enfant meugnon et innocent ?
- Marko a écrit:
- il n'y a pas de contrastes très tranchés (l'image n'est pas lisse ou asceptisée) mais une sorte de zone floue qui tente un compromis entre la blancheur éclatante et le noir le plus crépusculaire
- Marko a écrit:
- Une chose qu'on ne peut pas retirer à Haneke c'est sa puissante maîtrise formelle qui non seulement ne cherche pas seulement à faire beau ou à "épater" le cinéphile mais fait sens en elle-même. Et c'est là où on est devant l'évidence d'un grand cinéaste. Tout ce qu'il y a à comprendre et à ressentir passe par ce langage plastique
Ah. C'est justement là que je trouve que c'est lisse : parce qu'il n'y a pas de parti pris du noir et blanc. Sauf quelques plans, surtout ceux qui s'ouvrent sur l'extérieur, qui coupent le souffle d'ailleurs. Le reste du temps, il se contente d'un noir et blanc "normal".
Moi le côté "maitrise formelle" ça m'ennuie prodigieusement. Surtout sur 2h30. L'impression de voir quasiment les même plans, lumières, situations en boucle.
Je vais juste dire que je suis d'accord avec ce qu'en a dit Animal :
- Animal a écrit:
- c'est surtout l'image qui fait documentaire avec des costumes, des lieux, des intérieurs "pleins", intérieurs qui peuvent rappeler Dreyer oui, qui a bien mis en image l'austérité, mais là j'ai eu une impression de froid. Il y a une très grande maîtrise plastique mais comme manquant d'âme. un peu ambiance tour de force réussi et exercice terminé. N'empêche si je n'ai pas écarquiller tout grand mes yeux mêmê sur les extérieurs très clairs et pas fondamentalement moches ou quand un personnage se dissout dans l'ombre d'un intérieur bien sombre... c'est l'image qui porte le film de A à Z. Et les bruits de parquets, de feuilles...
Très froid, qui fait creux.
- Marko a écrit:
- Il y a surtout des visages d'enfants inoubliables. La direction d'acteur est exceptionnelle. Il y a un petit côté "Village des damnés" et ces regards d'enfants et d'adolescents nous questionnent en permanence. Je ne les oublierai jamais.
ça c'est clair, que les acteurs sont super bien dirigés, extrêmement troublant. Il ne s'y arrête pas assez je trouve, peut-être aussi parce qu'il a voulu faire dans la globalité. Montrer tout un village... du coup forcement, pas vraiment le temps de s'attarder sur des émotions pendant trop longtemps. Mais pourquoi pas.
Juste que des fois, j'étais un peu paumée au milieu de tous ces gens, du mal à les identifier, les différencier : fait exprès ? ça marche ainsi, si c'est le but, c'est réussi.
Les scènes les plus fortes, sont les scènes avec des acteurs dedans, et des répliques autour. C'est bête dit comme ça, mais c'est évident lorsqu'on voit ce film. Et vous en avez déjà parlé de ces scènes :
Celle où le médecin dit à sa maîtresse qu'il ne veut plus d'elle, qu'elle pue, qu'elle a mauvaise haleine, qu'elle est vieille...etc... et qu'elle finit par lui répondre qu'il se cache derrière de fausses excuses pour se taper sa fille en douce.
Celle où le gamin demande à son père de garder l'oiseau malade, et où ensuite il lui offre, alors que le père disait qu'il fallait lui rendre sa liberté.
La scène entre baronne et baron, quand elle lui annonce qu'elle se casse avec son italien.
La scène du pasteur qui dit à son fils qu'il va finir cinglé, puis mourir, s'il continue à se masturber (parce qu'il pense que c'est de là que vient le mal... alors qu'on sait bien qu'il vient d'ailleurs).
Scène de l'interrogatoire à la fin, de l'institeur qui sait tout et essaye de faire cracher la vérité aux deux enfants du pasteur.
Dommage de ne pas avoir donné plus de place à la fille aîné du pasteur d'ailleurs.
- Marko a écrit:
- Il y a en effet un aspect théorique mais la démonstration est tellement magistrale qu'on ne peut que s'incliner et reconnaître la pertinence et la force du propos.
Ben non... Je vois pas pourquoi une démonstration magistrale réussirait à convaincre jusqu'à s'incliner, alors que l'aspect théorique, et systématique, est si pénible. Creuse.
- Marko a écrit:
- Car la vision effrayante des pères pourrait paraître à certains proche de la caricature
C'est pas moi, c'est Marko qui dit que c'est caricatural ! (et jplussoie, ouais!)
Ce qui rejoins ce que dit Chinaski :
- Chinaski a écrit:
- il est obligé de le délaisser pour des raisons de durée du film (immersion plus profonde dans la psychologie des personnages), et ce malgré les 2h30 que durent la projection.
Oui on frôle bien souvent la caricature, le superficiel, alors que ça se veut être un film psychologique fin et pensé. ça tombe dans les clichés, alors que ça essaye de se la jouer "fin".
- Chinaski a écrit:
- inspiré par les films de Bergman ou par La Nuit du chasseur de Laughton (le personnage du pasteur)
Pitié... Comparé l'excellentissime film de Laughton avec ce film de Haneke. Non mais non ! Laughton a su vraiment exploiter le noir et blanc, y'avait un vrai travail sur le regard de l'enfant sur le monde qui l'entoure. Haneke pose un regard de vieil homme sur un univers enfantin. ça a son intérêt mais ça n'a absolument RIEN A VOIR avec
La nuit des chasseurs (et le prêtre encore moins !!!!!)
- Marko a écrit:
- La scène dans l'escalier où le petit garçon cherche sa sœur est impressionnante
Oui, ok. Mais on sait ce qu'il va découvrir, on sait comment il va le découvrir, on sait comment ça va être étouffé. On sait déjà tout. Haneke ne nous apprend rien de rien. La déambulation est extra. ça aurait du continuer sur cette qualité jusqu'au bout, et tout le long du film. Il a préféré aller au plus compréhensible pour tous, au plus clair. Personne ne peut se voir ce film sans sortir et se dire : j'ai compris ce qu'il voulait dire, j'ai compris ce que j'ai vu, c'est bouleversant, mais ce qui est rassurant c'est qu'on pense tous que c'est horrible. Ouf.
Super... Un film pour se rassurer.
Je trouve que ça montre l'émotion, mais ne l'a fait pas "partager".
ça montre une reflexion mais ne questionne pas.
ça n'arrive même pas à raconter une histoire correctement (la narration est menée assez... anarchiquement... ) : impossible de dire : il était une fois un village isolé, où d'étranges crimes monstrueux ont eu lieu.
Je vous jure que même dans l'aspect microcosme village avec sadisme, perversité et innocence mélangés, je trouve Le village de Shyamalan mieux réussi... Parce qu'il prend le parti pris du conte, certainement... alors que Haneke, empesé dans sa forme, n'a pas réussi à me raconter, ni à me questionner. Il impose. Et là où il est fort, c'est qu'il impose de fausses ouvertures (faut être vraiment proche de l'aveuglement pour oser dire : ce ne sont peut-être pas les enfants les coupables ? ce n'est peut-être pas leur éducation ? ce n'est peut-être pas ce cloisonnement ?
Et pour l'histoire de punir les crimes, c'était assez simple, puisqu'on pouvait punir sur plusieurs générations :
le médecin est puni (accident du début) parce qu'il baise avec sa fille (hé, ça se sait forcement, faut pas déconner) ou parce qu'il se fait sa sage femme, ayant eu un fils handicapé par la suite, dont ils auraient tenté un avortement, ce qui l'aurait rendu handicapé.
le champ de choux et le sigi : c'est la culpabilité du méchant baron qui a "assassiné" une de ses paysannes en l'envoyant travailler là où il faut pas.
le Karli (enfant handicapé donc), puni à cause de la culpabilité de son père (le médecin violeur), de sa mère (qui a tenté l'avortement).
...
(Remarquez il est possible que je fasse juste des raccourcis barbares et simplistes...)