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Sujet: Re: E-M Cioran [Philosophie] Dim 28 Juin 2015 - 15:32
Personnage très intéressant que ce Cioran ! J'ai terminé Sur les Cimes du Désespoir il y a quelques jours et malgré ces réflexions sombres je m'y suis sentie à l'aise. Comme je l'ai lu sur un des commentaires plus haut, on aime ou on aime pas. Il s'avère que les Cimes m'ont beaucoup plu. Je n'hésiterai pas à me plonger dans d'autres de ses écrits.
Sujet: Re: E-M Cioran [Philosophie] Dim 28 Juin 2015 - 16:14
Eulalie_Manea a écrit:
Personnage très intéressant que ce Cioran ! J'ai terminé Sur les Cimes du Désespoir il y a quelques jours et malgré ces réflexions sombres je m'y suis sentie à l'aise. Comme je l'ai lu sur un des commentaires plus haut, on aime ou on aime pas. Il s'avère que les Cimes m'ont beaucoup plu. Je n'hésiterai pas à me plonger dans d'autres de ses écrits.
Pas de probème, il a pas mal d' admirateurs ici, Cioran ! Tu fais bien de citer Cimes du désespoir, je ne l' ai pas lu...
Eulalie_Manea Posteur en quête
Messages : 62 Inscription le : 07/06/2015
Sujet: Re: E-M Cioran [Philosophie] Dim 28 Juin 2015 - 16:17
bix229 a écrit:
Pas de probème, il a pas mal d' admirateurs ici, Cioran ! Tu fais bien de citer Cimes du désespoir, je ne l' ai pas lu...
C'est vrai qu'il a l'air d'avoir du succès. Je te conseille les Cimes si tu as apprécié le reste.
Sujet: Re: E-M Cioran [Philosophie] Dim 28 Juin 2015 - 16:32
... Moi je te conseille un petit livre, Philosophie sentimentale : Frédéric Schiffter. - J' ai lu
"Un philosophe peut m' instruire ou l' éclairer, mais son œuvre n' exerce sur moi aucun charme si, en filigrane de ses concepts, je ne perçois pas le récit d' un chagrin personnel. Sous le masque du cérébral, j' aime deviner l' orphelin, l' amoureux, l' abandonné, le déclassé -l'"animal malade." Quatrième de couverture.
Et cette citation de Cioran en préface :
"Le malheur veut qu' une fois lucide, on le devienne toujours davantage : nul moyen de tricher ou de reculer."
Et Schiffter de démontrer qu' on peut etre un pessimiste heureux.
Eulalie_Manea Posteur en quête
Messages : 62 Inscription le : 07/06/2015
Sujet: Re: E-M Cioran [Philosophie] Dim 28 Juin 2015 - 16:43
Merci beaucoup, tu as piqué ma curiosité. Je l'ajoute à ma liste de lectures.
colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Avec le temps, ce que Cioran m’a appris d’essentiel c’est que la concision est plus efficace que les développements infinis. On peut essayer de convaincre quelqu’un en lui balançant à la face un long pavé de mots ; s’il n’est pas prêt à comprendre, dix phrases seront aussi peu efficaces qu’une seule, si elles ne le sont pas moins.
Je pourrais m’en tenir là dans mon commentaire de ce Crépuscule des pensées mais si je ne le fais pas, c’est parce que tout ce qui déborde le sens relève du jeu et du plaisir. Chez Cioran, on trouve aussi le rythme (pas aussi relevé cependant que dans ses textes les plus fulgurants : Syllogismes de l’amertume ou De l’inconvénient d’être né) et un malaise né de l’union entre Eros le vénéneux et Thanatos l’enrôleur.
Ainsi Cioran se définit-il comme un nouveau Job, et on l’entend se plaindre et lever le poing vers Dieu non parce que celui-ci a détruit ses possessions et lui a infligé la lèpre, mais parce qu’il a forcé la chair de l’homme à se montrer lucide alors qu’il aurait préféré conserver son insipide insouciance.
Le ballon de Pierre Puvis de Chavanne
« Notre manière de concevoir les choses dépend de tant de conditions extérieures qu’on pourrait écrire la géographie de chaque pensée. »
Détruit la philo - vénère la fièvre :
« La médiocrité de la philosophie s’explique par le fait qu’on ne peut réfléchir qu’à basse température. Lorsqu’on maîtrise sa fièvre, on range les pensées comme des marionnettes, on tire les idées par le fil et le public ne se refuse pas à l’illusion. Mais quand le regard sur soi-même est incendie ou naufrage, quand le paysage intérieur montre la somptueuse destruction des flammes dansant sur l’horizon des mers –alors s’échappent des pensées qui sont comme des colonnes tourmentées par « l’épilepsie » u feu intérieur. »
Détruit la cohérence - vénère l'inconstance :
« Combien de temps « dure » pour un homme une vérité ? Pas plus qu’une paire de bottes. Il n’y a que les mendiants qui n’en changent jamais. »
Détruit l'aveuglement - vénère le détail :
« Chaque fois qu’on sourit, n’est-ce pas comme une dernière rencontre, le sourire n’est-il pas le testament parfumé de l’individu ? »
Détruit la subordination - vénère la mégalomanie :
« Si tu en sens le besoin, crache vers les astres, tu seras plus proche de leur grandeur qu’en les contemplant avec bienséance et dignité. »
Détruit la réalité - vénère l'imaginaire :
« Certains êtres vivent si intensément en nous, que leur existence extérieure devient superflue, et qu’une nouvelle rencontre avec eux serait une surprise pénible. Vivre est indécent de la part de celui qu’on a adoré. Il doit expier irrévocablement le poids que l’autre avait pris en charge, en le vivant. »
Détruit le mépris - vénère l'insolite :
« Qu’il est étrange de se promener parmi des femmes et des passants, en se demandant si cela vaut la peine, ou non, d’être Dieu ! Ruminant l’illusion de son éternité, l’on se dit : « Au-delà de mes limites, serais-je encore maître de moi-même ? » -Et des passantes susurrent : « Moi je préfère Crêpe de Chine ». »
Détruit tout - vénère le reste :
« Il est des gens si bêtes que si une idée apparaissait à la surface de leur cerveau, elle se suiciderait, terrifiée de solitude. »
« Une pensée doit être étrange comme la ruine d’un sourire. »
pia Zen littéraire
Messages : 6473 Inscription le : 04/08/2013 Age : 56 Localisation : Entre Paris et Utrecht
Avec le temps, ce que Cioran m’a appris d’essentiel c’est que la concision est plus efficace que les développements infinis. On peut essayer de convaincre quelqu’un en lui balançant à la face un long pavé de mots ; s’il n’est pas prêt à comprendre, dix phrases seront aussi peu efficaces qu’une seule, si elles ne le sont pas moins.
Détruit la cohérence - vénère l'inconstance :
Détruit la réalité - vénère l'imaginaire :
« Certains êtres vivent si intensément en nous, que leur existence extérieure devient superflue, et qu’une nouvelle rencontre avec eux serait une surprise pénible. Vivre est indécent de la part de celui qu’on a adoré. Il doit expier irrévocablement le poids que l’autre avait pris en charge, en le vivant. »
Tu as l'impression d'avoir le syndrome de Cassandre?
C'est toi qui a trouvé ces petites entrées en matière pour annoncer les citations? Ou le livre est divisé en plusieurs chapitres qui ont ces titres?
Je me sens très proche de ce qu'il a écrit dans la citation que tu nous as fait partager.
colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Il n'y a pas de titre aux chapitres, ce sont mes annonces-interprétations personnelles, qui peuvent susciter n'importe quelles autres interprétations également.
Contente que cette citation en particulier ait trouvé retentissement en toi
pia Zen littéraire
Messages : 6473 Inscription le : 04/08/2013 Age : 56 Localisation : Entre Paris et Utrecht
Il n'y a pas de titre aux chapitres, ce sont mes annonces-interprétations personnelles, qui peuvent susciter n'importe quelles autres interprétations également.
Sympa.
Je suis tombée dessus dans un livre. Cassandre consentit à épouser Apollon s'il lui apprenait l'art de la divination. Il lui apprend et elle se refuse à lui. Apollon lui laisse l'art de la divination mais lui ôte le pouvoir de persuader.
colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Avec le temps, ce que Cioran m’a appris d’essentiel c’est que la concision est plus efficace que les développements infinis. On peut essayer de convaincre quelqu’un en lui balançant à la face un long pavé de mots ; s’il n’est pas prêt à comprendre, dix phrases seront aussi peu efficaces qu’une seule, si elles ne le sont pas moins.
Comment savoir... je ne l'ai jamais lu. Je ne le connais que via tes commentaires (Oublié d'acheter. Comme Sacks). C'était beaucoup plus superficiel que ça, je réagissais à une phrase de ton commentaire.
colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Sujet: Re: E-M Cioran [Philosophie] Jeu 29 Oct 2015 - 15:36
Bréviaire des vaincus(1944)
Tout quitter en Roumanie par épuisement pour ces « Valaques, et leur ricanement mielleux de maquignons mal dégrossis dans les salons », « Mille ans de défaites ont engendré des crapules infatuées, à la roublardise stérile et, chez le paysan épuisé par la peine de tous les jours, une vue du monde bornée à la glèbe et au tord-boyaux- et aux croix de bois tordues qui veillent sur des morts sans fierté ». De quoi faire naître une insatisfaction assez puissante pour réclamer la réanimation des tyrans antiques. On tuait, certes, on souffrait, certainement, mais rien de pire pour Cioran que l’atermoiement qui fige « doucetement » ses compatriotes. On peut faire une lecture politique de ce Bréviaire des vaincus si ça nous chante, et continuer à vilipender Cioran pour ses flirts fascistes. Facile. On peut aussi se demander quelle est la nature de la défaillance qu’il a goûtée tout au long de sa jeunesse au point de croire qu’un carnage vaut bien mieux que l’assoupissement des âmes.
Reste cependant qu’arrivé à Paris, Cioran rédige ce Bréviaire des vaincus en langue roumaine. Il ne se sent pas chez lui non plus en France. Il crache sur le christianisme et dorlote l’idée de la mort pour ne pas désespérer totalement. Tiraillé entre un désir d’absolu et les fulgurances vitales qui lui donnent plus de forces qu’une simple vie de parisien n’en nécessite, il se lamente sur son âme trop pleine. A défaut de trouver une pitance suffisante dans ce monde trop modeste, Cioran est obligé de se dévorer lui-même, petit estomac digérant ses propres cellules : « Rien de ce qui appartient au monde ne m’a laissé indifférent et je n’en ai rien dénigré. Aussi ai-je glissé, fébrile et appliqué, dans son vide. L’appel et le chant de la terre perçaient jusque dans les pensées qu’elle désertait. J’étais, tel l’apôtre, enseveli avec Jésus en Dieu, mais la moindre œillade d’une passante suffisait pour m’arrimer aussitôt dans le temps ».
On connaît Cioran, léger et percutant lorsqu’il écrit en français. Défaut de traduction ou inclusion dans la série des premiers écrits, ce Bréviaire des vaincus se montre plus plombant que de coutume mais plus dense aussi, riche d’une poésie qu’Antonin Artaud n’aurait pas reniée.
[A propos du largo du Concerto pour deux violons de Bach]
Citation :
« Dans la gravité douloureusement vaste qui me berçait hors du monde, du ciel, des sens et des pensées, toutes les consolations descendaient sur moi, et, sous l’effet d’un charme, je recommençais à être, ivre de gratitude. »
Citation :
« Qui que nous soyons, nous ne pouvons rien de plus que prendre le large. Sans désir d’ancrage. Le but de l’instabilité n’est-il pas d’épuiser la mer ? »
Citation :
« Seul l’instant est divin, infini, irrémédiable. L’instant que l’on vit. Comment aurais-je pitié des victimes de Caligula ? L’histoire est une leçon d’inhumanité. Pas une goutte de sang du passé ne peut troubler le présent où je suis. »
Citation :
« Qui pourrait être dénué de fierté au point de tolérer quoi que ce soit en dehors de lui ? Avant toi retentirent des chants, après toi continuera la poésie des nuits –cela, as-tu la force de le supporter ? »
Citation :
« Entouré de joyeux crétins, souriant avec indulgence de leurs lacunes, on étouffe sa nostalgie des lointains et, chacun méprisant sa chacune, on besogne les illusions. Une vaine agitation dans des continents stériles. »
Citation :
« Puisse le ciel s’embraser et ses flammes venir pourlécher le crâne des hommes ! Pas la quiétude des voûtes, pas d’ensorcellements sereins, pas de sourires fadasses au clair de lune ! Mais la tempête des astres en folie greffée sur les figures tragiques de la pensée ! »
Citation :
« J’ai aimé et je me suis aimé. Mais mes amours étaient mort-nées, des éclairs moisis, des extases dans des tripes purulentes, des sensations de serpent tiède. »
Citation :
« Toutes les envies te taraudent. Dans le rien absolu, l’œil créerait des prairies, l’oreille des arpèges, le nez des senteurs, la main des velours, car les désirs ourdissent un univers sans cesse démenti par la pensée. »
Citation :
« J’ai dépensé mon âme inutilement. Sa flamme, lequel, ou laquelle, de mes semblables l’aura méritée ? Désormais, je répandrai des cendres sur les printemps des autres. »
Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
Sujet: Re: E-M Cioran [Philosophie] Jeu 29 Oct 2015 - 16:43
tu trouves qu'il se dévore lui-même toi ? parce qu'il s' apprécie trop ?
ArturoBandini Sage de la littérature
Messages : 2748 Inscription le : 05/03/2015 Age : 38 Localisation : Aix-en-Provence
Sujet: Re: E-M Cioran [Philosophie] Sam 31 Oct 2015 - 13:54
J'ai commencé avec Histoire et utopies, que j'ai abandonné en cours de route. C'était plutôt intéressant comme vision, mais ce sont des sujets qui aujourd'hui me laissent indifférents, j'en ai trop goûté pendant mes études.
J'ai fait un second essai, avec son Précis de décomposition... Encore avorté. Cette fois-ci, c'était parce que je me suis senti pris d'un malaise à la lecture. Je crois que c'est le truc le plus noir que je n'ai jamais ouvert. C'était vraiment pesant. Trop dur ? Trop vrai ?
Suite à l'insistance d'une certaine personne, je viens de lire les Syllogismes de l'amertume . C'est bien plus digeste, presque léger. 150 pages d'aphorismes pour suivre le fil d'une pensée déconstruite. Je n'ai pas tellement l'impression qu'il m'en restera grand-chose dans quelques temps cependant, peut-être le concept de l'aphorisme en lui-même qui ne me convient guère.
Je ne l'ai pas trouvé très inspiré sur le thème de l'amour, en revanche implacable sur la solitude, l'histoire, l'Occident, la religion.
Petite sélection non-exhaustive de ceux que j'ai appréciés :
Cioran a écrit:
Pour punir les autres d'être plus heureux que nous, nous leur inoculons – faute de mieux – nos angoisses. Car nos douleurs, hélas ! ne sont pas contagieuses.
Le sceptique voudrait bien souffrir, comme le reste des hommes, pour les chimères qui font vivre. Il n'y parvient pas : c'est un martyr du bon sens.
Grâce à la mélancolie – cet alpinisme des paresseux – nous escaladons de notre lit tous les sommets et rêvons au-dessus de tous les précipices.
Je vadrouille à travers les jours comme une putain dans un monde sans trottoirs.
On ne découvre une saveur aux jours que lorsqu'on se dérobe à l'obligation d'avoir un destin.
Qui n'a pas contredit ses instincts, qui ne s'est pas imposé une longue période d'ascèse sexuelle, ou n'a point connu les dépravations de l'abstinence, sera fermé au langage du crime comme à celui de l'extase : il ne comprendra jamais les obsessions du marquis de Sade ni celles de saint Jean de la Croix.
Nous avons beau être versés dans la satiété, nous resterons les caricatures de notre précurseur, de Xerxès. N'est-ce pas lui qui promit par édit une récompense à celui qui inventerait une volupté nouvelle ? C'est là le geste le plus moderne de l'antiquité.
Chacun sa folie : la mienne fut de me croire normal, dangereusement normal. Et comme les autres me paraissaient fous, j'ai fini par avoir peur, peur d'eux et, plus encore, peur de moi-même.
Plus nous fréquentons les hommes, plus nos pensées noircissent ; et lorsque, pour les éclaircir, nous retournons à notre solitude, nous y trouvons l'ombre qu'elles y ont répandue.