Anne Marie Garat

Allez, je le commande!

topocl a écrit:

Allez, je le commande!

j'avoue que j'ai été fortement impressionnée par la manière dont Garat parvient à mettre en mots le thème de l'immigration, sans aucun apitoiement, sans volonté didactique, mais avec une connaissance intuitive, organique de ce qui fait la dureté du lien, l'impossibilité du passage de l'adulte à l'enfant, la problématique de la langue et le sens de l'héritage... un livre vraiment très fort malgré ses défauts. (et merci pour la découverte).

Avalé le premier opus de la grande trilogie d'Anne-Marie Garat avec "Dans la main du diable".
Marie en fait un commentaire que je partage en page 1 de ce fil.
J'ai beaucoup aimé cette grande fresque romanesque dans la tradition des romans du 19° siècle.
Une belle écriture lyrique et précise pour une histoire située fin 1913 début 1914 qui a des allures de thriller dont le thème en est celui des armes de destruction massive...
Et je laisse à Anne-Marie Garat l'appréciation qu"elle en fait elle même p1190 (Babel):

Citation :

Ça ferait un roman du tonnerre de Dieu !
Des exils, des errements. Des amours, des passions, des trahisons.
C'est sale, c'est sublime.
Ça me donne des points de vue étonnants sur la nature humaine.
Certains soir, j'en ai la nausée. De quoi rendre l'âme avec mon dîner. D'autres fois j'en suis enthousiasmé, des transports, des vertiges.
Nous vivons des temps formidables.

Aden



Aden arpente les villes en solitaire. Enfant , déjà

Citation :

...au réveil, il s'imaginait que le sommeil avait le pouvoir de transporter les gens et de les oublier dans des plages étrangères inconnues, il s'inventait des histoires de renaissance dans des familles, avec des gens nouveaux, fictions de vies multiples qui consolent les enfants d'être nés quelque part.

De ses parents migrants fuyant la tyrannie de l'Est, de sa mère déchirée de chagrin, de la misère des sans-patrie il s’est très tôt protégé. Tournant le dos et s'immergeant dans ses études puis son travail d'informaticien, il

Citation :

...s’est réfugié dans le langage le plus abstrait, les algorithmes de la logique formelle, l'algèbre boolien, à l'abri des réseaux d'intelligence artificielle qui n'ont ni corps ni mémoire, qui ne détiennent aucune histoire. Une manière acrobatique et magistrale de se tenir à l'écart, de se pousser tout à fait dehors. (…) Quelle peur, Aden, quelle peur te garde immobile sur le seuil de la vie et t’en éloigne à chaque pas. Mais la pensée abstraite des machines à raisonner n'a pas résolu le problème des paysages intérieurs et leurs apparitions nuageuses, ni celui de l'amour, ni de la paternité.

Aden, jamais construit, toujours fuyant, est un homme perdu qui se croit fort, et qui, au cours de ces 3 jours d'errances urbaines part en recherche de l'enfance qui marqua son destin.

Beau roman, écrit dans un style qui envoûte souvent mais étouffe par moments, et laisse quand même l'impression d'une ambition inaboutie : la réflexion sur la condition d'immigré et sa et sa transmission, et particulièrement brillante tant intellectuellement qu'émotionnellement, mais sur le côté trop de pistes lancées et inabouties, nuisant à la cohérence de ce portrait d'un homme égaré mais en quête.

Citation :

Je suis seul, dit Aden, au point de ne plus savoir quelle langue me parler, comment m’entretenir. Au point de me devenir étranger comme on le devient seulement à soi-même, au point d'écrire en marchant une lettre lisible pour personne.

J'ai tellement aimé DANS LA MAIN DU DIABLE que bizarrement, j'hésite à poursuivre avec l'auteur car j'ai peur d'être déçue. Je me dis : elle ne peut pas faire mieux, impossible.
Il existe la suite de ce livre, mais les critiques ne sont pas géniales.

Difficile de faire une synthèse de ce livre sublime, à la langue ciselée, si juste, si choisie sans être pédante. Un maniement parfait de la langue française, c'est quelque chose qu'on a oublié depuis Proust !

Avec la problématique du mal en fond de toile, la volonté de destruction si inhérente à l'âme humaine. Des personnages inoubliables et très cohérents. Mme Mathilde m'a beaucoup impressionnée par exemple. Son mari aussi, l'esthète incompris. Ils sont chacun dans une bulle, se croisent et se voient à peine. Que dire de Sophie, l'amoureuse en quête de liberté ?

Tous très attachants dans leurs douleurs intimes, dans leurs quêtes, leurs désirs inassouvis, leurs affections contrariées.

Sans oublier la somme de connaissances historiques, politiques, sociales , scientifiques, etc...réunies dans ce livre. Je ne sais pas vous, mais j'ai appris beaucoup de choses.
L'affaire Calmette/Caillaux par exemple.

Interview !


http://www.actualite-litteraire.com/blog/index.php?2008/05/09/294-l-enfant-des-tenebres-d-anne-marie-garat

tina a écrit:

J
Il existe la suite de ce livre, mais les critiques ne sont pas géniales.

Je l'avais lu avec presque autant de plaisir et je pense qu'on a plutôt intérêt à enchainer pour avoir encore tout bien en tête.

topocl a écrit:

on a plutôt intérêt à enchainer pour avoir encore tout bien en tête.

Mince, j'ai opté pour un polar!
Mais à raconter "Dans la main du diable" autour de moi je n'en oubli rien et l'envie de retrouver Camille se fait plus forte...

Igor a écrit:

topocl a écrit:

on a plutôt intérêt à enchainer pour avoir encore tout bien en tête.

Mince, j'ai opté pour un polar!
Mais à raconter "Dans la main du diable" autour de moi je n'en oubli rien et l'envie de retrouver Camille se fait plus forte...

Disons que un an après c'est plus compliqué de se remettre tout le monde en tête, mais je comprend aussi qu'avec la densité on ait envie de souffler un peu avant d'entamer le deuxième.

A moi aussi, il me manque !
Passer quelques 1200 pages avec autant de fortes personnalités, comment l'oublier ?
Je vais prendre le tome 2 sans écouter les avis des gens déçus.
Pour moi, l'écriture ne peut pas régresser, l'intrigue peut-être.
Mais elle aborde une autre période historique, aussi riche, donc c'est à lire.

Qui a eu la patience d'écouter son interview passionnante ?
Je suis d'accord avec elle sur le fait que "raconter des histoires " ou "entendre des histoires" est un besoin primitif. Que le nouveau roman a négligé.
Finalement, elle renoue avec une certaine tradition et j'ai vu sur internet qu'elle était comparée à Hugo ou Balzac.

Quand même.

Je n'ai pas encore écouté l'interview d'Anne-Marie Garat mais je vais m’efforcer de trouver un petit moment pour cela.
Là, je suis plongé dans le second volume de sa trilogie. Toujours cette belle écriture précise. Peut être trop, ce qui considérant le nombre de personnages devient (en ce qui me concerne) un peu difficile à lire. Mais l’intérêt de l'histoire l'emporte et je passe outre.

20 ans ont passé entre les deux livres et nous sommes en 33...
Je m’arrête sur un passage où il est question d'un tableau du peintre: George Grosz.
Un des protagoniste, amateur et collectionneur, se trouve avoir un de ses tableau chez lui. Certainement pas par hasard.
Il est d'origine juive, et vient d'apprendre la mort de son frère, professeur de philosophie, qui de retour d'une rencontre entre confrères à Berlin et y ayant subit une agression a mis fin à ses jours.
Effondré par cette nouvelle, le personnage a une attitude qui est décrite dans ces lignes:

Citation :

il s'éloigna brusquement, fit cette chose extravagante d'aller se poster devant le tableau de Grosz, comme s'il n'y avait rien de plus pressé que de le scruter soudain, avec une intensité hagarde, afin d'y vérifier un détail. De retrouver tout de suite parmi les figures grimaçantes et grotesques, niant de la tête, acquiesçant, surpris et peu à peu convaincu que les ombres indéchiffrables dansant devant ses yeux, ses yeux seuls, lui apportaient une réponse, qui sembla le hérisser de dégoût.

Ce tableau était décrit quelques pages plus tôt de cette manière:

Citation :

...d'un réalisme choquant. Hommes obèses, lubriques femelles disloquées en biseaux, en rondelles, aux nudités grotesques, grimaçantes et fardées sur fond d'une ville concassée, peuplant l'espace de présences fantasmatiques, aussi menaçantes que fascinantes, issues d'un noyau de nuit fracassée où voisinent les hallucinations de la chair et de l'esprit.

J'ai recherché quel pouvait être ce tableau dont j’apprends l'existence dans ces pages et trouvé trois peintures qui correspondent à la description mais n'étant pas très perspicace, l'avis des parfumés sera le bienvenu.

Je reviens par ici, sans y être invité puisque ça n'a l'air d’intéresser personne, mais bon...

Toujours "L'enfant des ténèbres"
Page 761, un autre personnage se trouve devant ce tableau et y va de son commentaire:

Citation :

-Ces putains de banquiers contorsionnés, casques à pointes, monocles, buveurs de bière lubriques, estropiés ricanants, ça date, et rien ne change pour autant, qui s'indigne?
-Personne. C'est du passé, en effet plus aucun scandale, des retraités. Si un dessin, une peinture pouvait tuer, ça se saurait.
-Ces gens, remarquez, même la couperose est juste. De l'art réaliste. Reportage sur le vif: Dans la rue, au bordel ou au café du coin, ils y sont tous. J'arrive de Berlin.

Ça précise bien le tableau. Je vais certainement pouvoir le reconnaître sans aide.

Ah! J'ai écouté son interview, et j'aime encore plus cette belle personne.

Edit: belle plus approprié que jolie.

Igor a écrit:

Je reviens par ici, sans y être invité puisque ça n'a l'air d’intéresser personne, mais bon...

cela m'intéresse, et certainement aussi d'autres, mais les pavés qu'elle a écrit, je ne me vois pas les lire à l'instant.. néanmoins cela ne m'arrête pas de lire avec intérêt ce qu'on dit d'elle

Igor a écrit:

Je reviens par ici, sans y être invité puisque ça n'a l'air d’intéresser personne, mais bon...

Ciel ! Que lis-je ???
Bien sûr que ça nous intéresse hautement, surtout moi qui l'ai commencé, j'en suis au début et je le lis en parallèle de Dickens, le soir jusqu'à des heures impossibles ! Je n'ai pas résisté, du coup, je suis sur 3 livres en ce moment, du délire !

Et pour moi, ça marche, ça y est, je nage en pleine magie.

Faut dire que rencontrer la grande Virginia dès les premières pages, ça motive. Avec ses doigts de déesse touchant la pluie...

A part l'immense talent littéraire de l'auteur, je sais ce que j'aime : son amour de l'art (qu'il soit peinture, écriture, photographie ou autre) qui dégoûline de partout.

Quelle belle découverte !

Très intéressante approche de cette SDN, dont on sait déjà - hélas - qu'elle n'a servi à rien.

Igor, livre vite tes impressions mais sans déflorer car je suis dedans !!


PS : Et la prochaine fois que tu dis que ça n'intéresse personne, je te gronde !!!