Joseph Conrad

Intéressant et riche commentaire Shanidar. Décidément si livre n'a pas fini de faire de l'effet.

Personnellement, j' avais préféré Jeunesse au Coeur des ténébres quand j' avais lu les deux...

et tu en as trouvé quoi pour ta part de cette fin qui n'est pas la mort de Kurtz ?

animal a écrit:

et tu en as trouvé quoi pour ta part de cette fin qui n'est pas la mort de Kurtz ?

D'après ce que j'ai pu lire, Conrad voulait finir sa longue nouvelle sur les mots de Kurtz : "Horreur ! Horreur !", mais il entendait ces mots en français et écrivant sa nouvelle en anglais il a été déçu par la sonorité du mot anglais. Il a donc renoncé à finir son récit de cette manière et a poursuivi son texte avec une fin qui me semble tout aussi fascinante. Dans la mesure où le véritable héros est Marlow (Kurtz est si chargé de symboles qu'il est totalement déshumanisé...), il me parait logique que le récit s'achève avec lui, bouclant ainsi la boucle avec le début sur la Tamise. Je vois les deux femmes évoquées à la fin de la nouvelle comme les deux hélices quii forment l'ADN d'un être humain, la noire, sauvage et primitive, la blanche, occidentale et policée sont les deux extrémités d'une même vision de la Femme (lointaine et dure, durable et persévérante), l'une comme l'autre sont nécessaires à l'équilibre du récit. Et le mensonge final de Marlow ouvre sur un nouvel abime, il relance obligatoirement la réflexion du lecteur sur des pistes vertigineuses car comment l'expliquer, le soutenir, l'accepter, le défendre ? Tout au long de la nouvelle il me semble que le lecteur suit Marlow et tente de répondre aux incessantes questions qu'il pose sur la nature humaine confrontée à la sauvagerie, à l'inconnu, au différent et à la fin il lui est demandé de prendre position par rapport au mensonge prononcé par le héros ! Les derniers mots d'un mourant sont ses dernières traces, son ultime Vérité... alors que faire de ces mots-là, a-t-on le droit de les déformer, les effacer, les nier ?
Cette fin m'a donc paru non seulement justifiée mais absolument cohérente par rapport au reste de l'histoire.

c'est une jolie réponse, merci

Oui, elle est logique et cohérente cette fin, Animal, mais rien ne t' empeche d' en imaginer une autre le lecteur a tous les droits... ou presque !
Etant imaginatif de nature, je ne m' en prive pas !

après ton commentaire, Shanidar, j'ai presque envie de relire ce livre

kenavo a écrit:

après ton commentaire, Shanidar, j'ai presque envie de relire ce livre

j'ai acheté Typhon hier et compte bien poursuivre ma lecture de Conrad !

shanidar a écrit:

j'ai acheté Typhon hier et compte bien poursuivre ma lecture de Conrad !

ah oui, celui là se trouve aussi dans ma LAL

et comme je l'ai déjà dit sur ce fil, la découverte de Conrad peut aussi donner envie de poursuivre avec Bleu Conrad: ici

Shanidar:

Citation :

j'ai acheté Typhon hier et compte bien poursuivre ma lecture de Conrad !

Tu as bien la splendide traduction d´André Gide?

swallow a écrit:

Shanidar:

Citation :

j'ai acheté Typhon hier et compte bien poursuivre ma lecture de Conrad !

Tu as bien la splendide traduction d´André Gide?

absolument Swallow ! et pourtant l'illustration de Gilbert Raffin en couverture donnerait plutôt envie de fuir...

J´ai l´illustration de James Prunier ( en Folio) mais si j´avais pu décider.... J´aurais choisi un tableau de Turner...

Où en es-tu de ta lecture de "Typhon", Shanidar?
Je vis les 2 mois d´été face à la mer, et je ne me lasse pas de relire chaque année ce livre de Conrad. Je t´assure que ça rate pas, j´ai inévitablement le tournis, quand le referme le livre, une fois terminée sa lecture!

J´aime beaucoup les petites piques de CONRAD, genre la théorie contre la pratique ou bien que ce n´est pas dans un manuel qu´on apprendra à sortir vivant d´un typhon, ses doutes aussi sur les appareils de navigation, baromètres et autres : c´est bien beau mais…

Le capitaine Mac Whirr meuble le temps tandis que la tempête se prépare. Puisqu´Il sait déjà que le Nan-Shan fonce tout droit et irrémédiablement dans sa direction. Alors, dans la chambre de veille, il relit, sans grande conviction, le chapitre sur les tempêtes d´un gros livre de navigation qu´il a à bord.

"Il s´était plongé dans la terminologie savante. Il se perdait parmi les " demi- cercles maniables" et les " demi- cercles dangereux", les quarts de cercles droits et gauches, les courbes des orbites, la trajectoire du centre et le gisement probable de celui-ci, les sautes de vent et les hauteurs du baromètre (…) Mais la colère l´avait envahi contre une telle avalanche de mots, contre tant de conseils, un travail su purement cérébral et des suppositions sans une lueur de certitude.
(…) -Si un malheureux s´avisait de croire tout ce qu´il y a là-dedans, il passerait le plus clair de son temps à essayer de contourner le vent!(…) On pourrait croire que c´est une vieille femme qui a écrit tout ça!…
-Comment peut-on savoir de quoi est faite une tempête avant de l´avoir sur le dos. Il n´est pas à bord, n´est-ce pas? Très bien. Il dit ici que le gisement du centre de ce fourbi est à huit quarts du lit du vent; mais nous n´avons pas de vent du tout, malgré la chute du baromètre. Alors, où est le centre?
...On ne trouve pas tout dans les livres. Toutes ces règles pour esquiver la brise et contourner les vents du ciel me paraissent la pire folie, pour peu qu´on les considère avec bon sens.(p. 54).
"Ces livres ne sont bons qu´a vous brouiller la cervelle et à vous rendre nerveux. Ça va être mauvais, et voilà tout."( p. 131).

Même apreciación sarcastique de la formation académique d´un homme d´equipage, à cette époque :
“La sagesse de son pays avait décrété, au moyen d´un acte de Parlement, qu´avant d’être jugé digne d´assumer la charge d´un navire on devait avoir été reconnu capable de répondre à quelques simples questions au sujet des orages circulaires tels les ouragan, cyclones et typhons ; il faut croire que Mac Whirr avait répondu passablement puisqu´il commandait maintenant le Nan-Shan dans les mers de Chine pendant la saison des typhons".(p. 36).

Je reviens sur Conrad, la rentrée littéraire s´annonce aussi en Espagne, et le dernier livre de Mario Vargas Llosa "El sueño del Celta" qui est sur le point de sortir est une biographie de Roger Casement, consul britannique d´origine irlandaise avec lequel Joseph Conrad avait sympathisé, puisqu´ils s´etaient connus au Congo, et je lis que Conrad utilisa les " Rapports officiels » rédigés et transmis( dans les années 1903) par Casement au Secrétaire des Affaires Exterieures de l´époque,le Marquis de Lansdowne comme base pour "Au coeur des Ténèbres".
Rien d´étonnant que Vargas Llosa ait eu besoin de 3 ans de recherches de documentation sur le personnage qui promet!

Ceci dit, et pour en revenir à Conrad, il adore soumettre ses personnages à des situations extrêmes, et je remarque que dans " TYPHON" ces hommes s´en sortent très bien , et c´est tout le contraire de ceux qu´ils confrontera aux atrocités du colonialisme africain condamnés à s´enliser dans le mal , la brutalité et la corruption.
Dans TYPHON : les personnages, que ce soit le capitaine Mac Whirr , Juke, le second à bord ou Salomon le flegmatique mécanicien en chef, tous semblent au départ apparemment insignifiants, et Conrad devra les placer en danger de mort pour que le lecteur se rende compte qu´en realité ce sont des hommes de principes, doués d´une humanité hors-commun ( épisode avec les coolies) et sur lesquels on peut compter en pleine adversité.
La mer loin de détruire les personnages, révèle leur véritable carrure. Eux-mêmes ne savaient pas, D´ailleurs leur conduite grandiose n´éveille aucune fierté en eux.
Tout au plus estiment-ils s´en être pas trop mal tirés. Et c´etait un typhon...

J'ai commencé ma lecture de Typhon cet après-midi et déjà je retrouve l'atmosphère si particulière de Conrad, cette manière si spéciale de décrire un homme insignifiant en parlant de la couleur et de la rugosité de sa barbe. Unique.