Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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 Robert Walser [Suisse]

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jack-hubert bukowski
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MessageSujet: Re: Robert Walser [Suisse]   Robert Walser [Suisse] - Page 4 EmptyDim 18 Aoû 2013 - 8:24

J'ai lu La Promenade. Pour ma part, ce fut un moment de pur ravissement. eXPie a tout dit dans son introduction à cette oeuvre. Nous avons à nous laisser porter par son cours et tout simplement poursuivre le fil de la promenade. C'est si fou la façon que Walser raconte. Je lirai bien sûr d'autres livres de lui mais déjà, nous avons une clé de ce qui fait les secrets de l'écriture de Walser. Il faut un rare degré de liberté pour parvenir à cette virtuosité de l'art de raconter.
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colimasson
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MessageSujet: Re: Robert Walser [Suisse]   Robert Walser [Suisse] - Page 4 EmptyLun 9 Sep 2013 - 12:53

L'institut Benjamenta (1909)


Robert Walser [Suisse] - Page 4 Walser10

L’Institut Benjamenta est un petit établissement qui se fait connaître de bouche à oreille... Tenu par deux enseignants qui tiennent davantage lieu de parents officieux que de professeurs officiels, son programme se résume brièvement :


« Il n’y a qu’un seul cours qui se répète continuellement : « Comment un garçon doit-il se conduire ? » En somme, tout l’enseignement tourne autour de ce problème. »


A partir de là, les brimades, punitions et humiliations ne nécessitent plus de justification et s’exercent sur les rares élèves qui se sont dévoués à intégrer l’Institut Benjamenta. Démarche masochiste ? … ou démarche désespérée. Pour Jacob von Gunten, il est clair que son intégration relève surtout du premier penchant, mais aussi d’une volonté salvatrice de quitter un milieu social aisé où tout est donné, où tout est factice, pour repartir dans l’anonymat le plus complet et pour acquérir son mérite par ses propres forces. Mais si Jacob justifie ainsi son intégration, quels sont les mobiles qui expliquent la présence de Kraus le simplet, de Fuchs l’hypocrite ou de Hans le primaire ? Et qu’est-ce qui a pu conduire M. Benjamenta à ouvrir cet étrange institut où l’on enseigne l’humilité jusqu’à l’abnégation ?


Jacob von Gunten passe au crible de son regard amusé le caractère et les manies de ses camarades. A travers eux, un large pan de l’humanité se laisse déjà décrire. Ne manquait plus que l’étude de la personnalité du narrateur, qui bénéficie de toutes les nuances progressivement acquises par l’enseignement Benjamenta. Humour et dérision caractérisent ce Jacob qui sait n’être rien mais qui ne peut s’empêcher de jouer la tragédie, se lamentant et pleurant sur son sort avec un air de je-m’en-foutisme aérien.


« Je serai toujours capable de m’échauffer, car rien de personnel ni d’égoïste ne m’empêchera jamais de me passionner, de m’enflammer, d’éprouver de la sympathie. Comme je suis heureux de n’avoir rien découvert en moi qui fût estimable ou curieux ! Être insignifiant et le rester. »


La ressemblance avec Kafka est évidente mais la plus frappante est peut-être celle qui unit cet Institut Benjamenta à La faim de Knut Hamsun. En effet, que caractérise le mieux les narrateurs de ces deux romans sinon leur volonté incompréhensible, masochiste et autodestructrice, de vouloir se placer de leur propre gré dans des situations impossibles, de s’y installer douloureusement et d’en jouir avec tristesse ?


« Reverrai-je jamais un sapin de montagne ? Ce ne serait d’ailleurs pas un bien grand malheur. Se passer de quelque chose : cela aussi a de l’odeur et de la sève. »


On découvre également des similitudes entre les pensées de Jacob et la force vitale transmise par la philosophie dansante d’un Nietzsche ou d’un Cioran (« La race humaine perd le courage de vivre avec toutes ces sciences, dissertations et traités ») mais ici, l’abolition de la frontière entre légèreté et aliénation se fait extrêmement ténue. On progresse avec appréhension dans la lecture, se demandant à chaque page tournée vers quel monstre d’insignifiance se dirige Jacob von Gunten.


Robert Walser [Suisse] - Page 4 Quint_10


L’institut Benjamenta, s’il plaît ou attire, mériterait que l’on se pose cette question : quel moteur inconscient nous pousse nous-mêmes à rechercher l’humiliation par substitution ? Quel plaisir pensons-nous tirer du récit d’un jeune garçon qui procède sciemment au gâchis de son existence ? L’institut Benjamenta se donne l’apparence d’un institut fermé inaccessible au grand nombre : il faut passer des examens pour y être intégré et suivre ensuite une discipline fermement inculquée. Mais certaines indications devraient nous mettre en alerte :


« L’enseignement qui nous est donné consiste ici principalement à nous inculquer l’obéissance et la patience, deux qualités qui promettent peu de succès, voire pas du tout. Des succès intérieurs, certes. Mais quel profit tire-t-on de ceux-là ? »


Et qu’est-ce que la vie docile, soumise aux volontés d’autrui, dont les potentialités ont été gâchées à force d’aliénation, sinon un Institut Benjamenta grandeur nature ? Prenant conscience de cette ressemblance, on oscillera une fois encore entre répulsion et attrait –attrait pour cette communion de l’indifférence qui se fait dans la joie la plus résignée qui soit, et répulsion pour l’insignifiance même d’un récit qui semble n’être plus qu’une voix anonyme perdue dans un immense brouhaha.


« Les inventions diaboliques sont vraiment ce qu’il y a de plus charmant dans la vie. »

*peinture de Quint Buchholz
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MessageSujet: Re: Robert Walser [Suisse]   Robert Walser [Suisse] - Page 4 EmptyLun 9 Sep 2013 - 13:04

Je ne suis pas sûre d'avoir envie de poursuivre avec un autre roman ou des nouvelles...
Les Lettres choisies peut-être.. ?
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MessageSujet: Re: Robert Walser [Suisse]   Robert Walser [Suisse] - Page 4 EmptyLun 9 Sep 2013 - 19:09

@Colimasson : Pour une fois, ton commentaire ne m'incline guère à tenter cet opus de Walser ... Sûrement une question d'humeur du moment ...
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MessageSujet: Re: Robert Walser [Suisse]   Robert Walser [Suisse] - Page 4 EmptyJeu 12 Sep 2013 - 12:44

Oui, j'ai moi-même été un peu déçue...

J'ai repris la préface de de Marthe Robert et j'ai lu ceci :

Citation :
« Voulant échouer en tout, Walser pressent très tôt qu’il lui faudra accepter aussi d’échouer dans la création de son œuvre, c’est-à-dire là où il ne peut consentir à l’échec qu’en travaillant à se détruire lui-même. »
On sent bien cette dualité dans son livre.
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MessageSujet: Re: Robert Walser [Suisse]   Robert Walser [Suisse] - Page 4 EmptyVen 13 Sep 2013 - 7:26

colimasson,

Je ne saurais dire si c'est le cas, mais Robert Walser est un écrivain de la mouvance des écrivains négatifs. Cette posture d'écriture radicale détient sa part de promesses dans la mesure où elle signifie le refus de l'écrivain de s'abaisser aux mondanités de la célébrité et des affres de la publication.
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MessageSujet: Re: Robert Walser [Suisse]   Robert Walser [Suisse] - Page 4 EmptyDim 15 Sep 2013 - 20:34

Et pour cela, Robert Walser tient effectivement sa promesse.
A la lecture, il ne sonne pas faux.
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MessageSujet: Re: Robert Walser [Suisse]   Robert Walser [Suisse] - Page 4 EmptyVen 4 Sep 2015 - 9:15

L'homme à tout faire, aux éditions L'âge d'Homme (ou Le Commis chez Gallimard):

Joseph Marti est un jeune homme de vingt-quatre ans, qui va atterrir un peu par hasard chez un ingénieur un peu fantasque, qui cherche à faire décoller les ventes de ses inventions.
Joseph devient l'homme à tout faire, le commis. Son prédécesseur faisait parfaitement l'affaire, mais avait un goût trop prononcé pour l'alcool et les femmes. Ce personnage reviendra régulièrement dans le récit.
Nourris-logé, dans une région montagneuses aux paysages féeriques, la place semble rêvée...
Joseph s'efface au fil de l'histoire, tiraillé entre ses aspirations profondes, et sa rationalité qui l'entraîne à se dépersonnaliser pour rentrer dans la norme, et faire ce que l'on attend de lui.

J'ai eu une relation particulière avec cette lecture, d'amour-haine. J'ai souvent eu envie de l'abandonner, et pourtant j'y revenais constamment. Son écriture est très spéciale, simple et poétique, et en même temps difficile d'accès, repoussante. Une expérience très étrange.

Un passage intéressant où il évoque l'armée:

Citation :
Le chef, à l'heure du départ, lui remit une gratification, malgré l'incident des livres anglaises, et lui souhaita bonne chance à la caserne. Commence alors un voyage en train à travers un paysage de printemps ensorcelé, et après on ne sait plus rien, car à partir de là on n'est plus qu'un numéro, on reçoit un uniforme, une cartouchière, une baïonnette, un fusil réglementaire, un bonnet et de gros souliers militaires. On n'est plus rien en soi : on n'est plus qu'un morceau d'obéissance, un morceau d'exercice. On dort, mange, s'exerce, tire, marche, et s'accorde des pauses, mais toujours selon le règlement. Les sentiments eux-mêmes sont sévèrement surveillés. Au début, les os font mine de se rompre, puis, peu à peu, le corps se durcit, les flexibles rotules deviennent des charnières d'acier, la tête se libère de toute pensée, les bras et les mains s'habituent au fusil, ce compagnon perpétuel du soldat, de la recrue. Même dans ses rêves, Joseph entend des commandements, des claquements de fusil. Il y a huit semaines que cela dure, ce n'est pas une éternité : pour lui pourtant, c'en est une parfois.
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MessageSujet: Re: Robert Walser [Suisse]   Robert Walser [Suisse] - Page 4 EmptyVen 4 Sep 2015 - 18:43

De quel côté penche la balance ? Haine ou amour ? Arrêt ou poursuite ?
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MessageSujet: Re: Robert Walser [Suisse]   Robert Walser [Suisse] - Page 4 EmptyVen 4 Sep 2015 - 19:20

La balance pèse vers l'interrogation. J'en lirai d'autres, sûrement La promenade.
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MessageSujet: Re: Robert Walser [Suisse]   Robert Walser [Suisse] - Page 4 EmptyVen 4 Sep 2015 - 22:18

ArturoBandini a écrit:


J'ai eu une relation particulière avec cette lecture, d'amour-haine. J'ai souvent eu envie de l'abandonner, et pourtant j'y revenais constamment. Son écriture est très spéciale, simple et poétique, et en même temps difficile d'accès, repoussante. Une expérience très étrange.


J'ai remarqué ça aussi lors de ma dernière lecture ! mais ça m'avait enthousiasmée, je trouve cet aspect de reviens-y-pas-que-je-te-cherche très plaisante.
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MessageSujet: Les enfants Tanner - Robert Walser   Robert Walser [Suisse] - Page 4 EmptyVen 13 Nov 2015 - 13:06

Robert Walser [Suisse] - Page 4 97820710
 
Ce livre est un chef-d’œuvre pour certains. Le fait que ses 340 pages aient été écrites en 3 ou 4 semaines et que le manuscrit ne comporte que 3 ou 4 ratures doit jouer dans cette appréciation. Au-delà de la performance, cette genèse rapide donne un éclairage sur la forme du roman (divisé en chapîtres qui forment chacun une unité qui se suffit à elle-même, une étape dans la vie du héros) et surtout sur la forme de son écriture : écriture « fleuve », inspirée, passionnée, incarnée dans Simon, jeune homme de 20 ou 21 ans, qui questionne la vie : travailler, ça donne quelle vie ? (oscillation entre le sentiment  du devoir, de la nécessité, de l’estime des autres et sa tendance naturelle à la contemplation, à la promenade, à la liberté), sous quelle forme maintenir et faire vivre les liens avec ses frères et sœurs au-delà de leus différences ? (la relation avec son frère ingénieur Klaus, avec son frère artiste-peintre Kaspar, avec sa sœur institutrice Hedwig, avec son frère interné dans un asile Emile), comment se positionner/s’affirmer par rapport aux gens qu'il cotoie ? (employeurs divers, logeurs, rencontres de hasard, femmes), quels penchants maoureux et sexuels ?(la sexualité est abordée discrètement à travers ses différentes formes possibles : masochisme, fétichisme, inceste, homosexualité…), qui suis-je et comment rester fidèle à ma nature ? (les circonstances, ses choix font apparaître sa versatilité, son optimisme, sa curiosité, sa tolérance, ses idées sur tout et sur rien : la campagne, la ville, l'argent, Dieu, sa souplesse, son intransigeance, son affectivité…).

R Walser nous livre un personnage tellement « complet », nous fait partager sa vie de façon tellement intime qu’on n’hésite pas trop à voir en ce personnage un alter ego de l’auteur et une sorte de conversation-monologue ininterrompue se tisse entre le personnage-auteur et le lecteur, témoin privilégié des errances de Simon et à ces occasions de sa façon d’être, de ressentir, de penser, de dire, de vivre.

Autrement : comme ce personnage ne tient pas en place, il nous conduit dans des endroits très divers de la société, de riches maisons bourgeoises à des soupes populaires, de différents lieux de travail (librairie, bureau de banque, usine, cuisine, salle d’écriture), à la rue en journée ou le soir, avec ses cafés, ses faits divers. On pénètre avec lui dans la société de l’époque (la société suisse de 1907), appréhendée de son point de vue, celui d’un jeune homme original - ou marginal (selon qu’on le voit d’un bon œil ou pas), une société avec ses devoirs et sa privation de liberté, société qu’on intègre ou pas, alternative toujours d’actualité, à la différence près qu’à l’époque pour subsister il n’y a que le travail. Au travers de son personnage, Walser nous promène, nous commente, nous donne sa vision du monde et de l’existence, et je repense à Gombrowicz qui écrit dans son journal (tome 1) que c’est justement à ça qu’on reconnaît un écrivain (qu’il donne dans ses livres sa vision du monde). On y est ici.
Mais ce marginal, qui n’est pas loin du vagabond, a une façon de penser et de s’exprimer particulière, surprenante, un peu théâtrale, peu naturelle, qui, à la longue - ou rapidement, peut être ressentie par le lecteur comme assez pesante, surtout quand le personnage discourt sur la vie, avec fraicheur mais aussi prétention (et vice-versa) :
"
Citation :
Vous parlez comme un poète, Monsieur", dit un des deux hommes en souriant.
C'est possible. Le vin me fait toujours parler poétiquement, répliqua Simon, si peu poète que je sois au demeurant. Je m'impose habituellement des règles et je ne suis guère de ceux qui se laissent entraîner par des rêves et des idéaux, pour la raison que je trouve cela extrêmement bête et prétentieux. Croyez-moi, je peux être très sec. Mais il n'est pas juste non plus de considérer, comme vous semblez le faire, que tout homme qui se met à parler de la beauté est un homme qui déraille ; pour ma part je pense qu'il peut même arriver à de froids calculateurs, du genre d'un prêteur sur gages ou d'un caissier de banque, de réfléchir à d'autres choses qu'à leur métier qui est de ramasser de l'argent. Il y a plus de gens qu'on ne croit qui sont sensibles et capables de réfléchir. Simplement on n'a pas appris à les connaître sous ce jour-là. Je me suis fait un devoir quant à moi de risquer avec tout le monde de parler le langage direct qui vient du coeur : comme cela je vois tout de suite à qui j'ai affaire. C'est une règle qui vous expose à pas mal de gaffes et il peut même arriver qu'une dame fort délicate, par exemple, vous paie d'une bonne gifle, mais qu'est-ce que cela peut faire ! Cela me fait plaisir à moi d'être ridicule, et je continue à croire que la considération des gens qui ne vous pardonnent pas une parole libre ne mérite pas qu'on se soucie de l'avoir perdue.

Ce qui fait que j'ai apprécié les moments sans cogitations, réflexions ou conversations, comme par exemple les très belles pages (111 à 1115) où Simon décide de rejoindre à pied de nuit le village où vit son frère Kaspar :

Citation :
A chaque poteau il faisait craquer une allumette et la tenait à bonne hauteur pour lire l’indication. Il marchait à très vive allure, comme s’il craignait que le chemin pût s’échapper sous ses pas et le laisser sur place. Le vin rouge de Rosa lui donnait de l’ardeur et il souhaitait rencontrer bientôt les montagnes qu’il se voyait vaincre dans le plaisir et la facilité. Il arriva ainsi dans un premier village ; parmi tous les chemins qui s’y croisaient il avait du mal à s’y retrouver. Il héla un forgeron qui tapait encore sur son enclume et qui lui confirma qu’il était sur la bonne route. Alors commença un voyage flou, fait entièrement de buissons et de taillis ; le chemin montait ; puis vint une sorte de haut plateau qui avait quelque chose de lugubre. L’obscurité était profonde, le ciel sans étoiles, de temps à autre la lune perçait les nuages mais ils couvraient de nouveau sa lumière. Simon traversait à présent une sombre forêt de sapins, il haletait et il fit davantage attention au sol sous ses pas ; car il heurtait souvent les cailloux épars sur le chemin et cela commençait à l’agacer. Le bois de sapins s’arrêta et Simon respira, car marcher comme cela seul dans une forêt obscure n’est pas sans danger. Une grande ferme surgit devant lui comme si elle sortait de terre, barrant l’horizon. Un grand chien bondit dans le chemin et sauta sur le promeneur mais sans mordre. Simon se tint tranquille, se contentant de fixer le chien dans les yeux et le chien ainsi n’osa pas mordre. Et la marche reprit. Vinrent des ponts, qui grondèrent sous ses pas dans le silence ; ils étaient en bois. C’étaient de vieux ponts couverts, avec des statues de saints à l’entrée et à la sortie. Simon se mit à faire des pas de danse pour se distraire. Brusquement, en pleine campagne et dans cette obscurité, une homme de forte carrure se tint devant lui et lui cria quelque chose en le fixant d’un air terrible. « Qu’est-ce que vous voulez ? » cria Simon à son tour, mais il fit un crochet pour contourner l’homme et se mit à courir sans attendre sa réponse. Son cœur battait. C’était l’apparition brusque, et non l’homme lui-même qui lui avait fait peur. Ensuite il traversa un village endormi  bordant la route, interminable. Les longs bâtiments blancs d’un couvent lui firent face, puis disparurent à leur tour. Le chemin recommença à monter. Simon ne pensait plus à rien, la fatigue grandissante paralysait ses idées ; des ruisseaux qu’on n’entendait pas et des bouquets d’arbres çà et là, le bois et les nuages, les pierres et l’eau, tout semblait marcher un moment avec lui avant de disparaître dans son dos. La nuit était humide, obscure et froide, mais les joues lui brûlaient et ses cheveux étaient trempés de sueur. Tout à coup il vit étendue à ses pieds une chose vaste qui scintillait ; c’était un lac ; Simon s’arrêta. A partir de là le chemin descendait et devenait terriblement mauvais. Pour la première fois il sentit qu’il avait mal aux pieds mais il n’y prit pas garde et continua sa route. Il entendait le bruit sourd des pommes qui tombaient dans les prés.

Je pense que c’est un livre à lire si on est curieux de la démarche existentielle d’un jeune homme qui se réinvente en permanence et/ou du cadre historique du roman (100 ans en arrière, dans un pays européen, comment y vivait-on ?) dont j’ai parlé, avec les réserves que j’ai émises sur l’écriture, « à cœur ouvert », chargée de sentimentalité, assez fake selon moi de nos jours - mais il est possible que cela ravisse des lecteurs avec des sensibilités différentes.
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MessageSujet: Re: Robert Walser [Suisse]   Robert Walser [Suisse] - Page 4 EmptyDim 15 Nov 2015 - 23:10

Merci pour ce commentaire et les citations. J'ai bien envie de me remettre à lire Walser ! content
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MessageSujet: Re: Robert Walser [Suisse]   Robert Walser [Suisse] - Page 4 EmptyLun 16 Nov 2015 - 5:47

Titine a écrit:
avec les réserves que j’ai émises sur l’écriture, « à cœur ouvert », chargée de sentimentalité, assez fake selon moi de nos jours

C'est un peu rapide comme jugement... Il est possible que le caractère de Robert Walser ne soit pas nécessairement des plus communs, mais il a un esprit littéraire. Concernant la candeur dont il fait preuve, elle n'est pas exempte de lucidité face à la vie et il reste irrémédiablement lui-même. C'est ça quand nous rencontrons des écrivains. Je peux quand même comprendre en quelque part les réticences qui transparaissent de la lecture qui vient de se dérouler. Il y a aussi une question d'affinité avec les écrivains. Je ne pense pas qu'on puisse réduire ça à une question de mode «de nos jours».
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MessageSujet: Re: Robert Walser [Suisse]   Robert Walser [Suisse] - Page 4 EmptyLun 16 Nov 2015 - 9:24

"jugement rapide", je ne pense pas : j'ai passé tout le temps de ma lecture à peser le pour et le contre concernant l'écriture et le ton de ce livre, de cet écrivain.
en revanche, oui, j'ai exprimé de façon succincte (rapide donc) un sentiment persistant de malaise diffus par rapport à la façon d'évoluer et de se s'exprimer du personnage principal.
en d'autres termes, et pour appeler un chat un chat, la sensibilité de Walser ne me convient pas, vu sous l'angle "d'individu (lui)à individu (moi)", que ce soit lié à l'époque ou, indépendamment de l'époque, à son tempérament.
tu dis que cela ne tient pas à l'époque mais à une question de tempérament. je crois que cela tient quand même aux deux : il y a clairement une divergence au niveau des tempéraments (lee héros Simon a un tempérament à la fois asocial et expansif) mais je ne pense pas que si Walser vivait aujourd'hui il écrirait de la même façon, l'écriture me semble pas mal "vieillotte", qui écrit comme ça aujourd'hui ?
je n'ai jamais dit que R Walser n'avait pas d'"esprit littéraire". il l'a, avec ce livre (pas lu d'autres livres, je lirais bien "la promenade", qui me plairait peut-être plus) on est en plein dans la littérature : Walser révèle son moi profond en long, en large et en travers, de façon très détaillée - et intéressante (sa lucidité, comme tu dis justement - ce que j'ai rangé dans le "pour Walser" en cours de lecture), mais pas du tout finement à mes yeux (tu parles de "candeur", moi c'est : "gros sabots et sentimentalité" - j'ai rendu le livre à la bibliothèque, sinon je citerais un passage à l'appui).
quand tu parles de son caractère "pas commun", que veux-tu dire ? son instabilité, son introspection quasi-permanente ? soit un caractère précisément qui prédispose à la littérature. alors ce n'est pas un caractère pas commun "mais" littéraire, mais plutôt un caractère pas commun "et" littéraire.
et quand tu dis qu'il reste lui-même, ça ne signifie absolument rien pour moi. chacun reste fidèle à lui-même. ça serait une qualité d'écrivain la fidélité à soi ? vois pas.
et enfin, quand tu écris "mais littéraire" on dirait que le caractère littéraire du livre devrait recouvrir/faire taire tout ressenti personnel mitigé par ailleurs. pas pour moi, je fais la part des choses : littéraire oui (puisque ça parle de soi), un chef d'oeuvre de la littérature non (ça parle de soi mais pas de la meilleure façon).
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