Olga Tokarczuk [Pologne]

darkanny a écrit:

Copieuse !

Et c'est qui qui a ouvert le fil, hein.

Tu n'aurais jamais même regardé de loin ce livre sans ça.

Effectivement

Je rigole tout seul en lisant Sur les ossements des morts. Son humour est décapant

Tu me donnes envie de le commencer illico.

Et ensuite ça devient plus mystérieux, poétique, avec de belles descriptions de ce hameau de montagne en plein hiver. Et puis il y a les animaux qu'on croise un peu partout y compris dans les maisons. L'heroine se passionne pour l'astrologie et elle n'aime pas les chasseurs. Chouette ambiance !

Il y a quelques petits bouts qui font sourire dans Maison de jour Maison de nuit, mais je n'aurais pas dit un humour décapant. Je serais curieuse de lire des extraits drôlissimes, Marko !



Et un autre extrait de Maison de jour Maison de nuit !

Citation :

Selon Marta, il ne faut pas prendre trop à cœur ce que l'on voit. C'est ce qu'elle m'a dit tandis que nous regardions, à travers la croisée, la procession de la Fête-Dieu, cheminant au loin parmi les champs de lin. [...]
Le soir je repensai à sa phrase... Image figée d'un film où tout change et se métamorphose. C'est ainsi que sont construits les yeux : ils ne voient que des segments morts d'un ensemble plus vaste, vivant. Et ce qu'ils voient, ils l'épinglent et le tuent. Quand je regarde, je crois voir quelque chose de stable. Mais ce n'est que fausse image du monde. Le monde est mouvant, vibrant. Il n'existe pour lui aucun point zéro susceptible d'être mémorisé et compris. Les yeux prennent des photos qui ne sauraient être autre chose que des images, des schémas. Il n'y a pas plus grande illusion qu'un paysage, puisque la fixité n'y existe pas. Or on se souvient d'un paysage comme s'il s'agissait d'un tableau. La mémoire fabrique des cartes postales, mais elle n'a aucune compréhension du monde. Voilà pourquoi les paysages sont tellement enclins à se plier aux états d'âme de ceux qui les regardent. L'homme voit à travers le paysage un instant fugace de sa propre vie intérieure. En tout lieu, nous ne voyons jamais que nous-mêmes. Point final. C'est ce que Marta avait voulut dire.

Belle résonance avec ma visite de Lille métamorphosée par Lille 3000.

C'est un mélange d'humour, d'écologie, de philosophie de vie inspirée de la poésie de William Blake au travers d'un personnage de vieille femme un peu excentrique qui regarde les autres avec une lucidité très caustique et parfois drôle. Elle se met en colère en disant que c'est une valeur extrêmement saine qui ouvre à la lucidité. Je vais essayer de te trouver un passage mais c'est davantage le personnage et une succession de situations à la fois cocasses et inquiétantes. On pourrait être dans un film des frères Cohen (Fargo) avec un pseudo thriller et de l'humour mais avec en plus une dimension plus cosmique et presque onirique dans le lien avec la nature et les animaux. Je prends beaucoup de plaisir et je l'aurai bientôt fini.

Vu comme ça, ça ressemble beaucoup à la vieille Marta.

Queenie a écrit:

Vu comme ça, ça ressemble beaucoup à la vieille Marta.

Elle fait une tirade contre la chasse et le commerce des animaux absolument géniale. Les flics ne savent pas s'ils doivent l'enfermer ou l'ecouter et c'est jouissif. Elle donne un sobriquet à chaque personnage en disant que les prénoms ne signifient rien et obéissent aux modes. Alors elle désigne chacun par un qualificatif très parlant. L'ensemble crée une ambiance assez magique et drôle. Une femme têtue et au grand cœur face à la cruauté du monde! La poésie contre la rationalité qui ne voit plus l'essentiel.

J'ai lu 30 pages de Sur les ossements des morts, ça promet !

Sur les ossements des morts


Un roman plaisir, facilement et rapidement lu, en forme de faux polar. L'action se situe dans un petit hameau de montagne en Pologne où quelques cadavres sont successivement retrouvés entourés de traces d'animaux. Une vieille femme un peu excentrique est la narratrice de cette histoire. Elle porte un regard plein de drôlerie et de lucidité sur ceux qui l'entourent. Elles déteste les chasseurs qui ont probablement tué ses "fillettes" (ses 2 chiennes) et mène son enquête en tentant de convaincre la police que ce sont les animaux qui sont à l'origine des morts mystérieuses. Elle passe pour une folle tant ses accès de colère et ses références à l'astrologie dérangent cette population cartésienne et peu portée sur les lois de la nature et du cosmos. Elle aide par ailleurs un autre protagoniste à traduire les textes de William Blake dont Olga Tokarczuk fait la figure tutélaire de ce roman. Le dénouement pas forcément inattendu a le mérite d'être cohérent avec l'ensemble du récit.

Olga Tokarczuk a un univers bien à elle. J'aime la façon dont elle fait vivre ce personnage de vieille enseignante qui me rappelle un peu la femme à bûche chez David Lynch. Elle est à la fois pleine d'humanité, de compassion pour la nature animale, de révolte envers la cruauté des chasseurs (Elle dit que la colère est une qualité qui ouvre à la lucidité), de drôlerie dans son regard décalé et caustique mais aussi un peu inquiétante par son excentricité et ses passions excessives (on parlerait de personnalité schizotypique dans le jargon psychiatrique mais ça n'est pas le propos).

Les échos à la poésie de William Blake sont intéressants parce qu'ils définissent une forme de philosophie de vie qui prend souvent une tonalité presque hallucinatoire. Le titre Sur les ossements des morts est une citation de Blake et l'héroïne est elle-aussi pratiquement une médium (aux portes de la perception) qui est en prise avec la nature et les animaux sans que le récit ne bascule jamais vraiment dans le fantastique.

C'est donc un réussite très divertissante qui pourra agacer ceux qui sont allergiques à l'astrologie ou aux discours écologistes et anti-chasseurs. Mais dans le cas contraire les colères de Janina vous régaleront.

Extrait:

Les enfants m'avaient toujours bien plus intéressée que les adultes, moi-même je suis restée un peu infantile. Il n'y a pas de mal à cela. L'essentiel, c'est de s'en rendre compte. Les enfants sont flexibles, souples, ouverts et sans prétention. Ils ne vous assomment pas des banalités dont se servent volontiers les adultes pour mieux escamoter leur vie. Hélas, plus ils sont grands et plus ils succombent à la domination de la raison, devenant ainsi, comme l'aurait dit Blake, des citoyens d'Urlo; dès lors, il n'est plus aussi facile ni naturel de les remettre sur la bonne voie. C'est pourquoi seuls les petits me procuraient de la joie.

Sur les ossements des morts

Comme Marko j'ai trouvé cette lecture divertissante et fort réjouissante par moments.
C'est bien sûr la personnalité si originale de l'héroïne qui l'emporte et qui dit personnage original équivaut chez cet auteur à un ton tout aussi unique, conférant à cette écriture un attachement immédiat et durable.

Je ne l'ai pas trop perçu comme un polar ou pseudo polar, j'y vois plutôt un conte cruel, où les animaux se voient dotés de pouvoirs et disputent à l'homme un territoire si cher à leurs yeux. On est à la frontière du fantastique ou du rêve éveillé.
L'être humain y est souvent décrit d'une manière peu glorieuse et souffre beaucoup de la comparaison avec l'animal, vénérable, noble et sacré.
La nature si rude de cette région située entre la Pologne et la Tchéquie apporte son lot de fantasmagorie et illustre encore mieux ce lien que tissent les habitants avec les animaux.

D'un côté on tue, on chasse sans laisser un quelconque répit à la bête, d'un autre, celui de l'héroïne, on combat avec toute sa force ces pilleurs et ces braconniers, on y emploie toutes ses heures en plein jour ou au beau milieu de la nuit, on traque les autorités au risque de passer pour une vieille folle.

Il y a autant de l'Ogre que du Petit Poucet chez Janina (qui n'aime pas son prénom, qui n'aime pas un tas de choses d'ailleurs et qui le dit si bien), e Grimm n'est jamais très loin.

L'auteur habille son histoire de vers de Blake, de petites citations au début de chaque chapitre, sorte de plaidoyer pour l'animal.

Alors discours écologique ? alternatif ?

Pas seulement, en traitant de la maltraitance des animaux si je puis dire, c'est toute une réflexion sur l'humain dans ce qu'il a de plus étroit et de mesquin.
Poésie, astrologie, forcément ça heurte certains quand on veut s'en servir dans une enquête policière.
Je crois que l'auteur cherche à nous ouvrir, simplement.

En tous cas, je suis ravie d'avoir découvert cet auteur dont j'ai déjà 2 autres livres.

Je ne vais pas tarder à le recevoir et le lire. Cela semble différent des autres livres que j'ai lu d'elle.

On attend ça avec impatience.

Il faut quand même lever ce malentendu qui pourrait laisser croire que le livre bascule dans l'irrationnel et le fantastique. Ça n'est en fait jamais le cas. Mais le personnage de Janina est en revanche un peu à la frontière du rationnel et de l'irrationnel. C'est à travers son regard qu'on découvre cette histoire.

Les références à l'astrologie m'ont personnellement un peu lassé à la longue. Mais c'est un des aspects de ce personnage qui cultive un brin de folie derrière sa lucidité.