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Parfum de livres… parfum d’ailleurs
Littérature, forum littéraire : passion, imaginaire, partage et liberté. Ce forum livre l’émotion littéraire. Parlez d’écrivains, du plaisir livres, de littérature : romans, poèmes…ou d’arts…
J'ai lu ce livre hier soir, c'est une pièce de théâtre qui se lit très facilement. Je ne connaissais Jean Cocteau que de réputation et la petite biographie en début d'ouvrage n'était pas de trop. Je partage une petit info qui m'a émue (sans vraiment savoir pourquoi) : il est mort le même jour que son amie Edith Piaf.
" - La Reine Jocaste est veuve, je l'épouserai... - Une femme qui pourrait être votre mère ! - L'essentiel est qu'elle ne le soit pas. "
On revisite donc avec humour et fatalité le fameux mythe d'Oedipe avec quelques sensibles différences, des changements qui dévoilent la machine infernale des Dieux. Œdipe ("celui qui a les pieds enflés" en grec puisque ses parents lui ont percé les pieds) est pris au piège de sa propre destinée et il semble être la marionnette préférée des Dieux.
" Regarde, spectateur, remontée à bloc, de telle sorte que le ressort se déroule avec lenteur tout le long d'une vie humaine, une des plus parfaites machines construites par les Dieux infernaux pour l'anéantissement mathématique d'un mortel."
Et comme, en tant que lecteur, nous connaissons les tenants et les aboutissants de cette histoire d'amour, il est difficile de ne pas être indigné par l'aveuglement des deux principaux protagonistes, Oedipe et Jocaste. Tous les signes sont là, ils clignotent en rouge même mais aucun des deux n'y prête attention...
" - Est-il donc aveugle ? - Beaucoup d'hommes naissent aveugles et ils ne s'en aperçoivent que le jour où une bonne vérité leur crève les yeux. "
Un livre que je conseille
coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
J'aime bien les grands personnages mythologiques, avec un faible certain pour la famille des Labdacides et notamment Antigone...Mais je ne suis pas une spécialiste, j'ai seulement plaisir à approfondir ce qui a été survolé lors des années d'études...Et à découvrir ce qu'a inspiré aux artistes,à travers les siècles, la mythologie...
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Perséphone de Stravinsky sur un livret d'André Gide
Citation :
Gide et Stravinski se réclament dans leur Perséphone du récit d’Homère et plus particulièrement de l’« Hymne à Déméter ». La tradition représente Homère comme aveugle, et sa cécité signifie en fait « lumière intérieure ». Eumolpe, dans l’approche de Sellars, est aveugle également, comme Homère et comme... Iolante.
Perséphone n’est pas un opéra. Est-ce un ballet ? Disons plutôt qu’il s’agit d’une musique composée pour la danse, avec la différence qu’on y ajoute un ténor et une récitante. Il s'agit ici de mélodrame au sens restrictif du concept: parole déclamée et accompagnement musical. Perséphone suit un texte d’André Gide qui modifie la péripétie et le sens du mythe de l’enlèvement de Core-Perséphone par son oncle Hadès, dieu des Enfers. « Enfers » au sens ancien, sans châtiment, mais sans rédemption non plus. Pour une commande d’Ida Rubinstein (on épargnera les détails), Stravinsky compose un chef-d’œuvre moins connu, moins populaire, mais plus parfait; la continuation d’Apollon et Œdipe Roi, certainement, mais peut-être surtout de la Symphonie de psaumes. Perséphone ressent ce qui pour l’Antiquité n’était pas une exigence des consciences: de la compassion pour le malheur d’autrui. Perséphone descend vers Hadès de sa propre volonté.
La séquence syllabique de Perséphone inspire une chorégraphie pour le chœur, conjointement à celle des danseurs. Tout réalisme étant déplacé, Sellars crée une gestuelle différente. Et peut-être ces gestes, plus fins, moins statuaires, sont-ils projetés sur Iolante également. Perséphone réclame le hiératisme, et Iolante ne peut l’admettre que par « contagion ».
Gros coup de coeur pour ce DVD/Bluray qui propose 2 courts opéras mis en scène par Peter Sellars au Real de Madrid. Iolanta de Tchaïkovsky (que Gustav Mahler considérait comme un chef-d'oeuvre) et Perséphone de Stravinsky d'après la pièce de Gide (qui a écrit également une oeuvre d'après Oedipe).
Cet opéra appartient à la période néo-classique de Stravinsky qu'on boude souvent à tort devant l'incroyable richesse de ses inventions sonores antérieures. Mais il y a de très beaux passages notamment au moment de l'éveil de Perséphone aux enfers. Dominique Blanc est parfaite dans le rôle parlé de Perséphone et elle est accompagnée par un ténor (Paul Groves dans le rôle d'Eumolpe) et des choeurs impeccables. La mise en scène de Peter Sellars donne un sentiment de lent rituel majestueux renforcé par des transformations progressives du fond de scène qui font basculer de la lumière du printemps aux ténèbres des Enfers. Un vrai plaisir des yeux et des oreilles.
Extrait d'un autre enregistrement (la diction de Dominique Blanc est bien meilleure et plus sobre qu'ici). J'adore les choeurs à partir de 3'40:
Présentation du DVD:
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Perséphone de Stravinsky sur un livret d'André Gide
il y a de très beaux passages notamment au moment de l'éveil de Perséphone aux enfers. Dominique Blanc est parfaite dans le rôle parlé de Perséphone et elle est accompagnée par un ténor (Paul Groves dans le rôle d'Eumolpe) et des choeurs impeccables. La mise en scène de Peter Sellars donne un sentiment de lent rituel majestueux renforcé par des transformations progressives du fond de scène qui font basculer de la lumière du printemps aux ténèbres des Enfers. Un vrai plaisir des yeux et des oreilles.
Dommage que tu n'aies pas pu trouver un extrait avec Dominique Blanc. C'est ma comédienne préférée!
Héhé...J'ai trouvé!...un petit bout... clic! clic! clic!
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
J'avais tous les liens mais pas le passage que je voulais. Je te recommande vraiment ce DVD. Tu devrais beaucoup aimer.
coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
Sujet: Re: Oedipe, Antigone,... Mar 19 Fév 2013 - 18:55
Marko a écrit:
J'avais tous les liens mais pas le passage que je voulais. Je te recommande vraiment ce DVD. Tu devrais beaucoup aimer.
Je le crois aussi...J'ai été séduite par les extraits.
shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
Sujet: Re: Oedipe, Antigone,... Ven 19 Fév 2016 - 16:57
Nouvel avatar pour la figure d'Antigone, avec le roman de Roy-Bhattacharya : Une Antigone à Kandahar.
L'histoire est un décalque de celle de l'Antigone antique mais revisitée par le XXIème siècle guerrier.
Pour résumer : Nizam est une jeune femme afghane qui se rend sur le champ de bataille où son frère Youssouf a été tué par des soldats américains. Ces derniers lui demandent ce qu'elle veut : - Je veux la dépouille de mon frère ! - C'est impossible, ton frère était un dangereux taliban et son cadavre doit être envoyé à Kaboul pour être identifié. - C'est faux. Mon frère ne faisait que défendre son pays, il a toujours combattu les talibans. Je peux l'identifier, moi ! - Va-t-en ! Nizam choisit alors de s'installer dans la plaine désertique qui borde le fort tenu par les américains, bien décidée à enterrer son frère selon le rite musulman. Le soir, deux soldats lui amènent de quoi manger mais elle refuse la nourriture des envahisseurs. L'interprète Massoud lui dit qu'en faisant ainsi elle renonce aux coutumes de leur nation et souille la réputation de leur pays. Le lendemain matin, Nizam égorge un agneau pour l'offrir en remerciement aux américains. Mais les soldats sont effrayés par ce qu'ils prennent pour de la barbarie et refuse le cadeau de la jeune femme.
Le chapitre s'achève sur cette phrase étrange : (…) je passe mon couteau sous la couverture qui enveloppe l'agneau et je coupe le fil torsadé.
On le voit, Roy-Bhattacharya reprend pas à pas les codes de la tragédie grecque, mettant en scène une jeune femme démunie face au pouvoir des hommes, des soldats, des princes d'un pays conquis. Elle veut, tout comme son ancêtre antique enterrer son frère selon la coutume et lui rendre les 'derniers hommages'. Elle possède une force de caractère incroyable qui la fait tenir malgré la canicule, la soif, les hyènes.
Pour que son texte soit en parfait écho avec la tragédie grecque, Roy-Bhattacharya use de différents procédés, lesquels tressent des lient parfois un peu artificiels entre le temps antique et celui de la modernité ; mais il n'en reste pas moins que certains détournements, certaines citations cachées et certains traits de caractères rappellent d'une manière lumineuse les anciens personnages et prouve que la modernité peut encore se nourrir largement aux fontaines du passé.
Roy utilise dès le début de son roman la citation directe du texte de Sophocle ; ainsi deux citations enserrent le texte comme des repères, des lampes, des phares allumés dans le désert de l'histoire. Mais, Roy a également recours aux citations cachées, directement insérées dans le texte sans être mises entre guillemets. Elles sont alors exploitées pour donner des mots à Nizam, des mots qui sont ceux, exacts, de celle qui l'a précédée.
Un autre moyen pour Roy est de raconter les liens que certains soldats entretiennent avec la tragédie de Sophocle et en particulier ceux de Nick Frobenius, sorti d'une grande université américaine, s'étant inscrit en lettres classiques, ayant même rencontré sa future femme lors d'une répétition de la pièce antique. De ce lien, de ces échos permanents, Roy tisse comme un tapis de prières tourné vers Sophocle, une sorte d'hommage en filigrane qui n'empêche nullement le texte d'être résolument moderne.
Chaque chapitre suivant le premier est le récit d'un soldat ou d'un gradé, jusqu'à celui intitulé Ismène lequel pourrait laisser perplexe. Car il n'y a nulle autre femme que Nizam au fort de Tarsandan et que toute sa famille a été décimée par les Américains : Vous avez tué mon père aveugle (= Œdipe) qui ne pouvait pas se défendre. Vous avez tué ma famille depuis les airs. Sans vous, ma mère, ma grand-mère, ma sœur Fazia, ma belle-sœur et mon petit frère Younous seraient encore en vie.
Or, Ismène est, au sein de la grande famille des Labdacides : la sœur d'Antigone. Alors, qui est donc, dans le roman de Roy la sœur ? Celle dont il est dit (dans le dictionnaire des personnages) : Faible enfant, et malheureuse, Ismène n'a pas su puiser dans son malheur le courage, la décision héroïque d'Antigone (…) laquelle la méprise pour son manque de courage. La belle idée de Roy est de faire de l'interprète Massoud cette Ismène inconnue, frêle gamin (il a 18 ans) qui croit que les Américains sont des incarnations des dieux sur terre (à la fois puissants et sauveurs) mais qui pourtant voit ses belles croyances lentement érodées par la fréquentation des soldats. Le jeune homosexuel, rejeté par les soldats mais aussi par Nizam qui le désigne comme un traître, est l'un des personnages les plus touchants de cette tragédie.
La mutation du mythe fonctionne donc parfaitement dans cette réactualisation de la tragédie. A lire !
Je vais maintenant relire la tragédie de Sophocle et je complèterais peut-être par la suite ce post...