Michel Houellebecq

Peut-être Nils confonds-tu "grand écrivain" et "grand styliste". Certains auteurs ont un style très fort et reconnaissable entre mille, d'autres ont une écriture plus simple (en apparence) et directe ce qui n'exclut pas la richesse et la justesse des idées. Je lis les Frères Karamazov en ce moment et je trouve ça merveilleux même si chez Dostoïevski ce n'est pas nécessairement le style littéraire qui frappe le plus. Il décrit peu l'environnement, les objets, les paysages (réduits à leur simple fonction) mais à travers ses nombreux dialogues et ses digressions philosophiques ou spirituelles il crée des portraits incroyables de finesse psychologique. Et ça se lit comme un roman d'aventure sans heurt! Houellebecq n'est pas Dostoïevski mais un écrivain du XXIe siècle qui parle avec le langage d'aujourd'hui pour décrire une humanité en souffrance qui cherche la jouissance promise par la société de consommation sans vraiment y parvenir. Il observe les maux de son époque, que ce soit une chaudière qui tombe en panne ou l'injustice de la hiérarchie sociale qui ne cesse d'inventer de nouvelles fausses valeurs de référence pour cloisonner les relations humaines. Il les dénonce avec ce mélange de "bon" sens populaire (parfois maladroit et péremptoire capable de dire des horreurs qui ont malgré tout souvent un fond de vérité) et de réflexions plus subtiles qui se nourrissent d'influences et de théories sociologiques ou philosophiques souvent plutôt bien documentées. Ta référence à L'oeuvre de Zola est bienvenue. Zola observait les artistes de son époque et leur donnait vie en restituant avec minutie le contexte dans lequel ils se débattaient. Houellebecq fait la même chose dans "La carte et le territoire" en observant cette cour des miracles du monde de l'art et du show-biz d'aujourd'hui. C'est bien notre réalité quotidienne que de voir co-exister des grands artistes et des pantins grotesques qui fascinent les foules. Il en fait son sujet comme il s'intéressait auparavant davantage à la frustration sexuelle (entre autres). C'est bien tout l'intérêt de son oeuvre que de suivre les pas d'un Balzac ou d'un Zola en s'intéressant à ce qui l'entoure. Il y apporte son humour et sa tristesse désenchantée, sa poésie aussi qui surgit de manière fulgurante à certains moments. Il ne cherche pas l'effet "mode" il décrit ce qu'il voit et ce qu'il ressent. Dans 100 ans comme tu le suggères on lira sûrement Houellebecq comme un portraitiste saisissant et original de son temps. C'est en tout cas mon sentiment. Ensuite qu'on aime ou pas le personnage médiatique n'a pas beaucoup d'importance. Et pour terminer, même si on peut être cynique à l'égard des prix littéraires et leur relativité (trop d'enjeux politiques ou de querelles de chapelles inévitables), quand je regarde la liste des prix Goncourt depuis leur origine je ne vois pas beaucoup de déchets et on a une sacrée liste d'écrivains qui ont marqué leur temps.

ce que pensait Houellebecq lui même du Goncourt (AVANT d'avoir le prix évidemment!) sur la "sacrée liste d'écrivains qui ont marqué leur temps."

Et sur ce coup là, je serai plutôt d'accord avec lui!

https://www.youtube.com/watch?v=RPXet7PrQrw&feature=player_embedded#!

(j'espère que le lien va marcher! si quelqu'un sait comment mettre la vidéo directement.)

A propos de style simple, j'aime beaucoup Queneau, Ajar, Pennac, Le Clezio, qui ont des styles simples, mais quels styles!

Nils a écrit:

ce que pensait Houellebecq lui même du Goncourt (AVANT d'avoir le prix évidemment!) sur la "sacrée liste d'écrivains qui ont marqué leur temps."

Et sur ce coup là, je serai plutôt d'accord avec lui!

https://www.youtube.com/watch?v=RPXet7PrQrw&feature=player_embedded#!

Il doit y avoir du vrai dans tout ça (je parlais bien de la relativité des prix) mais ça n'enlève en rien la qualité de la plupart des auteurs récompensés. Evidemment c'est la partie la plus fragile de mon post que tu retiens mais j'aurais aimé avoir ta réaction sur le reste. Oui on risque de tourner en rond!

Et du style malgré tout il en a un reconnaissable immédiatement! On devrait d'ailleurs se mettre à poster quelques extraits qui manquent sur ce fil.

j'ai répondu sur le style et sur l'éventuelle qualité des prix, enfin là j'ai laissé houellebecq répondre lui même, c'était plus drôle.

Ceci dit, sur le style, pourquoi pas effectivement donner des extraits de ce que tu penses refléter la qualité du style, je vais peut être avoir une révélation...

Je peux te répondre sur "le bon sens populaire qui a un fond de vérité'

Le bon sens populaire s'oppose à l'analyse critique argumentée: il fonctionne par des évidences assénées, il naît de l'adhésion à ce que les autres ont exprimé sur le sujet, il fonctionne sur un sentiment d'évidence absolue, c'est ce qui fonde la pensée unique et la propagande.
Des exemples:
"le soleil tourne autour de la terre" ceux qui pensaient différemment passaient sur le grill
"quand on met ensemble de vieux chiffons et du blé, il naît des rats: théorie de la génération spontanée" Pasteur a eu du mal à prouver le contraire
"Les juifs sont responsables de la crise économique allemande" quelques millions de morts grâce au bon sens commun

Que Houellebecq relève de ce style moutonnier, je suis assez d'accord aussi, mais pour moi c'est un argument contre, pas un argument pour donner envie de le lire.

l'analyse critique argumentée à des faiblesses elle aussi et n'empêche pas des vérités bancales ou transitoires... une forme de bons sens populaire modernisé (parfois).

bord... vais finir par en lire un pour voir si ça continue !

Nils a écrit:

Que Houellebecq relève de ce style moutonnier, je suis assez d'accord aussi, mais pour moi c'est un argument contre, pas un argument pour donner envie de le lire.

Il fait dire certaines choses excessives à quelques uns de ses personnages. Pourquoi faut-il toujours le prendre au premier degré quand il joue aussi avec les idées reçues et la beauferie ordinaire. Il montre bien au travers de ses livres qu'il ne s'arrête pas à ces quelques (rares) phrases un peu polémiques. Quand il fait dire à un personnage dans un précédent livre que l'Islam est la religion la plus con il faudrait être naïf pour penser que ça résume l'opinion de Houellebecq lui-même. Idem pour Picasso par exemple dans "La carte et le territoire". S'il se contentait d'aligner ce genre de jugements primaires sans contrepoint ses romans seraient ineptes. Ce qu'il raconte est bien plus élaboré. Mais c'est comme toujours, l'opinion publique s'empare du petit bout de phrase hors contexte pour alimenter des scandales et sa propre soif de méchanceté ou de cynisme tout aussi ordinaires.

Nils a écrit:

Je peux te répondre sur "le bon sens populaire qui a un fond de vérité'

J'ai mis "bon" entre guillemets volontairement et ça change tout. Je ne pense pas que ce sens populaire soit bon (en tout cas pas toujours). Mais certaines de ces phrases peuvent effectivement parfois comporter un peu de vérité. Pas celles que tu cites évidemment. Il ne faut pas tout mélanger. Si je reprends l'exemple de L'Islam, on sait tous que les extrémistes s'emparent des textes en les interprétant au pied de la lettre comme autant de prétextes pour justifier leurs actes. L'Islam en soi n'est pas le problème (bien que tout texte, religieux ou non, ne soit pas toujours exempt de dérives dommageables). Il veut certainement dire que l'Islam est de tous les textes religieux celui qui peut prêter le plus à ces dérives d'interprétation. ça reste à prouver mais pourquoi pas. En langage basique, celui de son personnage, ça donne "L'Islam est la religion la plus con". Et là forcément provocation! Horreur... Pourquoi faut-il toujours s'engager dans cette brèche du scandale alors qu'il suffit de remettre tout ça tranquillement à sa place? Il dit par ailleurs tellement de choses intéressantes qu'on ferait mieux de commenter pour le coup.

Vos débats passionnés et passionnants vont finir par m'amener à lire La carte et le territoire...ou quelque autre Houellebecq...

coline a écrit:

Vos débats passionnés et passionnants vont finir par m'amener à lire La carte et le territoire...ou quelque autre Houellebecq...

Commence plutôt par celui-ci. Le sujet devrait davantage t'intéresser à mon avis.

Houellebecq fait débat en tous les cas. Je ne vais pas tarder à me faire une opinion sur lui, Les particules élémentaires m'attendent. Je pense aussi personnellement qu'il vaut mieux séparer l'homme et l'oeuvre, que la perception de l'oeuvre, qui est en effet la plus importante, est souvent faussée par la personne de l'écrivain. C'est pour cela que je n'ai aucune tentation pour aller à des salons.

Houellebecq semble d'après vos commentaires avoir capté l'esprit du temps, savoir s'il survivra à son époque est à mon sens est impossible. Les écrivains qui survivent à leur présent, sont ceux qui arrivent au-délà de ce qui caractérise un moment particulier à toucher dans leur oeuvre quelque chose d'universel, qui n'est pas le propre d'un lieu ni d'un moment. Zola ou Balzac que vous citez ont eu cette capacité, pour les écrivains contemporains, on le saura lorsque leur temps sera passé, et le nôtre par la même occasion. Chacun peut avoir son opinion, je ne vais pas tarder à me faire la mienne, mais ce ne sera que la mienne, là pas de raisonnent irréfutables, je crains qu'on reste tous au niveau d'une convictions.

Quand au Goncourt, pourquoi pas, si cela lui fait plaisir. Zola a aussi écrit des romans qu'il pensait plus consensuels pour je crois me souvenir tenter de rentrer à l'Académie. La plupart des artistes, ressentent le besoin d'être reconnus, voire aimé. Rien de vraiment honteux à ça, sauf si les concessions qu'ils font sont vraiment trop importantes et dénaturent leur art. Mais ce sont les mauvais artistes qui risquent le plus cela.

Cela dit, je ne suis pas d'accord avec Marko, j'ai tendance à penser en regardant les noms des anciens prix Goncourt, que peu sont de qualité. Cela dit, j'en ai lu très peu, mais ils en me tentent vraiment pas.

Arabella a écrit:

La plupart des artistes, ressentent le besoin d'être reconnus, voire aimé. Rien de vraiment honteux à ça, sauf si les concessions qu'ils font sont vraiment trop importantes et dénaturent leur art. Mais ce sont les mauvais artistes qui risquent le plus cela.

Balzac lui-même avait tellement voulu entrer à l'Académie Française... Maintenant, quand on lit la liste des académiciens, il y en a tellement dont on ne se souvient plus, et à juste titre...

Marko a écrit:

coline a écrit:

Vos débats passionnés et passionnants vont finir par m'amener à lire La carte et le territoire...ou quelque autre Houellebecq...

Commence plutôt par celui-ci. Le sujet devrait davantage t'intéresser à mon avis.

Je crois, oui...Mais je vais attendre qu'il sorte en poche...

Michel Houellebecq est-il plus abordable pour les lecteurs que les anciens Goncourt selon vous ?
Moi si ça peut faire sortir certains de mes clients du trio Lévy-Musso-Pancol, je suis contente....

Queenie a écrit:

Notre monde, c'est aussi, justement les People. ce n'est plus la mine.

Ben quoi, c'est faux ! La mine c'est très actuel et c'est un thème qui fait fureur. Les anciens écrivains n'ont pas encore tout dit à ce sujet !
Je serais pour que Houellebecq écrive son prochain bouquin là-dessus ! Au moins c'est un thème noble

Arabella a écrit:

Cela dit, je ne suis pas d'accord avec Marko, j'ai tendance à penser en regardant les noms des anciens prix Goncourt, que peu sont de qualité. Cela dit, j'en ai lu très peu, mais ils en me tentent vraiment pas.

Tu dis que peu sont de qualité mais que tu en as lu peu... Paradoxal! Qu'ils ne te tentent pas n'est pas nécessairement le signe qu'ils n'en valent pas la peine. Peut-être pourrais-tu y trouver quelques bonnes surprises? Une lecture commune prix Goncourt pour les découvrir?? Mais c'est vrai qu'il y a pas mal d'oubliés ou même de parfaitement inconnus (ce qui ne veut pas dire que les livres ne sont pas bons). J'en ai quand même retenu quelques uns qui m'ont plu ou qui ont eu de bons échos:

* 1916 - Henri Barbusse, Le Feu (Flammarion)
* 1919 - Marcel Proust, À l'ombre des jeunes filles en fleurs (volume 2 d' À la recherche du temps perdu) (Gallimard)
* 1925 - Maurice Genevoix, Raboliot (Grasset)
* 1933 - André Malraux, La Condition humaine (Gallimard)
* 1936 - Maxence Van der Meersch, L'Empreinte du dieu (Albin Michel)
* 1938 - Henri Troyat, L'Araigne (Plon)
* 1940 - Francis Ambrière, Les Grandes Vacances (Nouvelle France)
* 1945 - Jean-Louis Bory, Mon village à l'heure allemande (Flammarion)
* 1947 - Jean-Louis Curtis, Les Forêts de la nuit (Julliard)
* 1948 - Maurice Druon, Les Grandes Familles (Julliard)
* 1949 - Robert Merle, Week-end à Zuydcoote (Gallimard)
* 1951 - Julien Gracq, Le Rivage des Syrtes (J. Corti), refusé par l'auteur
* 1952 - Béatrix Beck, Léon Morin, prêtre (Gallimard)
* 1954 - Simone de Beauvoir, Les Mandarins (Gallimard)
* 1956 - Romain Gary, Les Racines du ciel (Gallimard)
* 1967 - André Pieyre de Mandiargues, La Marge (Gallimard)
* 1968 - Bernard Clavel, Les Fruits de l'hiver (Laffont)
* 1970 - Michel Tournier , Le Roi des aulnes (Gallimard)
* 1973 - Jacques Chessex, L'Ogre (Grasset)
* 1975 - Émile Ajar (Romain Gary), La Vie devant soi (Mercure de France)
* 1976 - Patrick Grainville, Les Flamboyants (Seuil)
* 1978 - Patrick Modiano, Rue des boutiques obscures (Gallimard)
* 1980 - Yves Navarre, Le Jardin d'acclimatation (Flammarion)
* 1982 - Dominique Fernandez, Dans la main de l'Ange (Grasset)
* 1984 - Marguerite Duras, L'Amant (Minuit)
* 1987 - Tahar Ben Jelloun, La Nuit sacrée (Seuil)
* 1990 - Jean Rouaud, Les Champs d'honneur (Minuit)
* 1991 - Pierre Combescot, Les Filles du Calvaire (Grasset)
* 1992 - Patrick Chamoiseau, Texaco (Gallimard)
* 1993 - Amin Maalouf, Le Rocher de Tanios (Grasset)
* 1995 - Andreï Makine, Le Testament français (Mercure de France)
* 1997 - Patrick Rambaud, La Bataille (Grasset)
* 1999 - Jean Echenoz, Je m'en vais (Minuit)
* 2001 - Jean-Christophe Rufin, Rouge Brésil (Gallimard)
* 2002 - Pascal Quignard, Les Ombres errantes (Grasset)
* 2004 - Laurent Gaudé, Le Soleil des Scorta (Actes Sud)
* 2005 - François Weyergans, Trois jours chez ma mère (Grasset)
* 2006 - Jonathan Littell, Les Bienveillantes (Gallimard)
* 2007 - Gilles Leroy, Alabama song (Mercure de France)
* 2008 - Atiq Rahimi, Syngué sabour. Pierre de patience (P.O.L.)
* 2009 - Marie NDiaye, Trois Femmes puissantes (Gallimard)
* 2010 - Michel Houellebecq, La Carte et le Territoire (Flammarion)

Ta liste ne fait que confirmer mon impression. J'en ai quand même lu quelques uns.

Barbusse et Malraux, je les lirai, ils sont prévus.

Parmi ceux que j'ai lu, Proust, évidemment, que l'on cite toujours, et que j'aime au combien. Evidemment, Duras et Beck découverte récemment.

Maxence Van der Meersch, j'en ai lu un autre, à mon sens très daté. Henri Troyat aussi figure parmi des lectures faites dans le passé, ce fut un très grand bof. Maurice Druon, à part Les rois maudits, certes réussi dans son genre, le reste est sans grand intérêt. Les romans de Beauvoir me paraissent maintenant très datés. Je vais me faire des ennemis mais je n'aime pas Gracq, ni Modiano, ni Gaudé, ni Quignard. Romain Gary ça passe, mais sans passion. De Mandiargues, j'ai en lu un et me suis vraiment ennuyé. Michel Tournier pareil. Idem pour Chessex. Tahar Ben Jelloun et Amin Maalouf, pas totalement sans intérêt mais il y a tellement de trucs plus passionnants. Jean Echenoz m'assomme.

Le testament français de Makine reste un plutôt bon souvenir en revanche.

Cela ne fait pas beaucoup de bonnes lectures pour moi....