Michel Houellebecq

C'est exactement ça

Soumission


Bon alors... Par où commencer?
D'abord cette sortie indissociable des évènements traumatiques récents qui donnent une tonalité particulière à cette lecture. Le lien troublant entre Houellebecq et l'équipe de Charlie Hebdo. Par l'amitié, par l'esprit de provocation, par l'humour et le second degré parfois ambigus...

Puis l'inévitable polémique de la part de journalistes qui ont parlé du livre sans l'avoir lu ou en n'ayant lu que quelques passages tirés hors de leur contexte (j'ai entendu un journaliste l'avouer dans une émission). Je suis frappé de voir que personne n'évoque cette 3e partie du roman qui est une analyse mi-sérieuse mi-parodique, mais très complexe, des mouvements religieux depuis l'antiquité. J'aurais aimé trouver des analyses de fond qui auraient éclairé cette réflexion ou qui en auraient dénoncé les éventuelles erreurs ou approximations. Mais personne n'ose s'y aventurer et il semble plus facile d'ironiser sur quelques phrases polémiques piochées ici ou là (pourtant énoncées avec l'humour du second degré).

Le choix de Huysmans n'est pas fortuit dans la mesure où il était lui-même une sorte d'écrivain décadent et désabusé (mais plus esthète, dixit Houellebecq) dans une époque de tensions religieuses. Comme Huysmans, le narrateur se laisse tenter par une retraite (à Rocamadour) et par la foi chrétienne pour fuir la médiocrité ambiante et l'inanité de son existence consumériste avant d'y renoncer et de se soumettre, par opportunisme et facilité, à l'idéologie d'un mouvement islamiste modéré accédant au pouvoir.  Toutes ces pages sur Huysmans sont très intéressantes et montrent la probable complicité de Houellebecq avec une oeuvre qu'il a du fréquenter au fil des années. En tout cas il donne envie de le lire plus avant. Notamment "En ménage" ou "En rade" aux côtés de "A rebours" ou "En route".  Il y a par ailleurs des pages savoureuses sur l'importance de la littérature.

Houellebecq alterne des descriptions quotidiennes cocasses et désenchantées comme il en a le secret avec des réflexions économiques ou théologiques plus abstraites à travers des dialogues entre universitaires dans les vapeurs de digestifs variés. C'est à la fois drôle, grinçant et ludique mais aussi beaucoup plus analytique comme dans des ouvrages universitaires justement. Et c'est là qu'il est difficile de faire la part entre ce qui relève de la citation, de la parodie ou de propositions personnelles... C'est à la fois très brillant mais aussi parfois un peu trop théorique. Soumission est cet étrange hybride entre le roman et l'essai. Il perd en divertissement ce qu'il gagne en réflexion mais cela fonctionne plutôt bien. Pas mon préféré de Houellebecq pour ces raisons mais un livre bien plus intéressant et important que ce qu'on en dit parfois trop hâtivement. Il me faudra relire cette dernière partie qui est d'une densité qui dépasse mes capacités de compréhension par manque de bagage historico-religieux.

A noter que si Emmanuel Carrère a adoré "Soumission", Houellebecq aime lui-même beaucoup "Le Royaume" malgré une aversion habituelle pour le roman historique.

Merci pour ce commentaire Marko.
J'aime beaucoup Huysmans (son côté décadent-névrosé ?). Et ton commentaire sur cette troisième partie me donnerait presque envie d'y jeter mes deux yeux !!

shanidar a écrit:

Merci pour ce commentaire Marko.
J'aime beaucoup Huysmans (son côté décadent-névrosé ?). Et ton commentaire sur cette troisième partie me donnerait presque envie d'y jeter mes deux yeux !!

Je l'ai lue vers 23h/ minuit et c'était psychédélique! Tout éclairage sera le bienvenu.

Je doute de pouvoir éclairer quoi que ce soit sur ce sujet mais ton commentaire donne vraiment envie de découvrir Soumission ! Le seul Houellebecq que j'ai lu jusqu'à présent m'avait fait forte impression et le brouhaha médiatique/provocateur autour de l'auteur ne me fait ni chaud, ni froid. Noté, donc !

LIS JEAN-CHARLES PICHON ! Tu dis que tu manquais d'éclairages... je lis en ce moment L'Islam dans le Coran (aucun rapport avec les derniers événements, j'avais prévu de le lire depuis le mois de décembre et j'ai seulement eu le temps ces derniers jours) et ce serait très constructif peut-être de comparer les analyses de ce court ouvrage (120 pages à tout casser, très condensé mais aussi très clair) avec la 3e partie du livre de Houellebecq.

J'aime beaucoup Jean-Charles Pichon qui est un homme érudit (j'ai dévoré avec passion Les hommes et les dieux et Histoire des mythes). Je suis moi-même très ignorante de l'Islam et j'aimerais savoir ce que tu penserais à l'issue de cette lecture comparée.
Et je vais m'y mettre aussi. Il faut que je me procure le Soumission, mais ils ne l'ont pas encore à la bibliothèque...

C'est vrai ce que tu dis, Coli.

J'ai le Coran sur ma liseuse et j'ai tenté maintes fois de le lire mais il me manque tellement de clefs que je crois bien passer à côté de tout. Pas facile d'être autodidacte avec ce texte.
Les Hadith semblent plus accessibles pour le profane. (?)

En tout cas, autant partir de la source pour mieux cogiter.

Citation :

quote="Marko"Soumission


Bon alors... Par où commencer?
D'abord cette sortie indissociable des évènements traumatiques récents qui donnent une tonalité particulière à cette lecture. Le lien troublant entre Houellebecq et l'équipe de Charlie Hebdo. Par l'amitié, par l'esprit de provocation, par l'humour et le second degré parfois ambigus...

En lectrice assidue de Charlie Hebdo, puis-je me permettre de rectifier les fausses rumeurs qui courent sur une éventuelle amitié, voire une évidente complicité intellectuelle entre votre auteur et l'équipe du journal.  Seul Bernard Maris entretenait un lien d'amitié avec votre auteur, ce qui n'engageait en rien les autres membres de l'équipe.

Citation :

A noter que si Emmanuel Carrère a adoré "Soumission", Houellebecq aime lui-même beaucoup "Le Royaume" malgré une aversion habituelle pour le roman historique.

Deux auteurs chez le même éditeur; éditeur qui a lui-même avoué avoir gentiment incité Carrère à dire tout le bien qu'il pensait du bouquin de Houelle : un renvoi d'ascenseur entre confrères qui permet d'augmenter les ventes ... en attendant que le bouquin soit adapté au cinéma.
Et oui ! le producteur Alain Terzian et l'éditeur de Houelle sont déjà en négociations pour mettre ce "chef d'oeuvre" en images : la machine à faire de la thune tourne à plein régime ... ceci dit, avant les attentats, Houelle était en tête des ventes chez Amazon, mais , heureusement il est train de se faire griller la première place par le "Traité sur la tolérance" de Voltaire. Pourvu que ça dure.

Ouf ! Merci Constance !
  Depuis des jours. Rien d' autre à moudre que des éloges tellement excessifs qu' ils en deviennent insignifiants...

Une petite pause, SVP, pour que les pas d' accord respirent un peu. Là on étouffe...

au moins ici on a des lecteurs ! (et puis tu peux te consoler avec Nicole Ferroni qui n'avait pas l'air d'accord-d'accord).

et puis sinon tu peux aussi aller lire William Gibson.

Philippe Lançon, à propos de Bernard Maris :

Citation :

Il venait de parler du roman de Michel Houellebecq, que nous aimons, et je l’avais engueulé… pour ce qu’il avait écrit du traitement de Libération. Puis nous nous étions aussitôt réconciliés sur les passages de Soumission qui, bien entendu, nous avaient fait rire. Bernard ? Une intelligence ouverte et un merveilleux sourire, assez juvénile. Cabu maugréait : il avait entendu Houellebecq dire que la République était morte et il ne l’avalait pas. Cabu était le grognard juvénile et génial des vieilles valeurs de la gauche.

Voir le texte écrit par Philippe Lançon sur : http://www.liberation.fr/societe/2015/01/13/j-allais-partir-quand-les-tueurs-sont-entres_1180088

Bon, il faudra vraiment que je lise un Houellebecq, histoire d'en dire du bien ou du mal, en connaissance de cause...

Comment juger les éloges excessifs (cf Bix) si on n'a pas soi-même lu le roman?   Cela voudrait dire qu'on cherche à tout pris à confirmer ses  a priori négatifs parce qu'on n'aime pas le personnage. Dommage parce que ce qu'écrit Houellebecq est bien plus intéressant et complexe que ce que bien des critiques rapides et paresseuses en disent. Le seul commentaire vraiment fouillé et nuancé que j'ai pu trouver est celui-ci. Le seul à être de nature à apporter une vraie réflexion qui montre que la personne a lu le roman. Et c'est d'autant plus intéressant que c'est un évêque qui connaît bien la question religieuse. LIEN

P.S. Je note Pichon, Colimasson.

Je retenterai un Houellebecq. J'avais détesté les particules élémentaires (voir com) pour des raisons autres que la personnalité de l'écrivain pour le coup. 
Une critique peut être rapide et excessive que j'avais faite puisqu'elle était négative. Donc comme pour Oates (bien que je reconnaisse le talent certain de Oates) je récidiverai pour cet auteur.

Je parle des critiques professionnels évidemment J'attends d'eux qu'ils apportent des avis constructifs et éclairants, qu'ils soient positifs ou négatifs. Sinon à quoi serviraient-ils? Beaucoup restent en surface et ne cherchent pas à comprendre un auteur. C'est flagrant pour le cinéma et c'est d'autant plus dommage en matière de littérature. Ça ne me pose pas de problème qu'on critique Houellebecq si c'est fait avec une lecture aiguë du roman dont on me montrerait les erreurs ou excès. Les avis négatifs sont souvent lapidaires et insuffisants avec le seul soucis de créer la polémique ou de faire des bons mots.

J' ai lu le dernier numéro de Charlie auquel je suis abonné. Depuis beaucoup ont extrait un passage par
çi, une citation par là...
On fait parler les morts et on fait la cour aux vivants.

Depuis la mort des journalistes, tout le monde, : politiques, journalistes et média tirent la
couverture à eux en se faisant passer pour ce qu' ils ne sont pas.
Ce qu' ils sont vraiment : lamentables.
.
J' ajoute pour  avoir lu le dernier numéro du journal que Maris était en effet le  seul à  saluer le livre
 de MH.
Comme l' a dit Constance, chaque rédacteur était responsable de ce qu' il écrivait.
C' est qui faisait aussi la beauté de ce  journal. Et la grande qualité des rédacteurs comme des
dessinateurs. Meme s' ils étaient parfois en désaccord sur certains sujets, ils étaient unanimes sur
l' essentiel.
Autant parler  de ce que je connais et non d' un livre que je ne lirai pas.


Bernard Maris était un grand  économiste. Un polémiste, un journaliste brillant et aussi un écrivain.
Un lecteur boulimique. C' était enfin un homme adorable qui n' a laissé que des bons souvenirs à ceux qui l' ont fréquenté.
Je souhaite vivement qu' on réédite ses éditos de Charlie. On pourra juger de la qualité de l' homme
et du penseur.
Je   le connaissais déjà quand il était enseignant à Toulouse. Il avait écrit à ses débuts un roman  intitulé Les Sept péchés  capitaux des universitaires, un livre qui avait fait beaucoup rire, sauf les profs de la Fac de droit et d' économie  qui se demandaient s' il  ne les avaient pas épinglés dans
ce qu' ils craignaient etre un roman à clefs.

Philippe Lançon est un écrivain brillant et dont les articles souvent féroces me le font lire en premier.
Dans le dernier numéro, il avait épinglé Raphael Enthoven, "le marquis en dentelles de France Culture".
Ce qui m' avait beaucoup réjoui.
Comme me réjouit beaucoup le fait qu' il ait échappé à la tuerie.

Je mets au défi ceux qui n' ont pas l' habitude de lire Charlie, de trouver un seul dessin dans ce
numéro qui ne caricature pas MH.
Ni au  second degré ou au dixième. On peut les reproduire ici, au moins ça ferait rire !
Qu' il ait apprécié, ou qu' il se soit senti ému après le drame,  je veux bien le croire. Mais il n' avait guère le choix.

Le livre ? Non je ne l' ai pas lu. Je considère que c' est un non évènement littéraire,  dont les média
sont tellement friands.
Je ne juge pas le livre que je n' ai pas lu, mais comme Michel Polac, je pense que le meilleur de MH
est derrière lui. Et  que le peu de talent qu'  il avait a sans doute disparu. Et que l' écrivain qu' il aurait pu etre a été phagocyté par le personnage  qu' il incarne.
Je crains que le fait qu' il se soit affiché avec BHL ne soit ni anodin ni anecdotique. 
Je crois qu' ils avaient -au moins à ce moment-là- besoin l' un de l' autre dans un domaine qui leur
est commun...
Ils sont quelques uns dans le paysage littéraire et médiatique à jouer ce jeu. J' ai énormément de projets de lecture et, je le crains,  bien trop peu de temps pour les réaliser...
Donc, je ne lis pas un certain nombre d' auteurs. Et je l' assume.

Voilà. Je laisse ce fil à ceux qui ont lu ou liront le livre.