Béatrix Beck [Suisse]

Des accomodements avec le ciel

Barny, le double littéraire de Béatrix Beck, est en Belgique. La Belgique de l' immédiat après guerre. La vie y est dure et plus encore pour elle et sa fille. Ceux qu' elle cottoie par nécéssité sont les pires gens qui soient. Sa tante à elle seule cumule l' hyprocrie, la bigoterie et la bétise. Sa soeur est en plein délire et défend les nazis à cor et à cris. La soeur bien aimée de l' enfance a perdu la boule. Les autres, tous les autres, sont aussi betes que méchants. Envieux, féroces, ridicules. Sans oublier l' antagonisme entre Wallons et Famands. Oui, déjà.

Barny souffre et compte les coups. Bon. Voulait-elle sublimer la matière ? Mais elle n' a fait qu' épingler la médiocrité humaine de façon aussi littérale que déprimante. Etait-ce n'écessaire ?

Pour moi, la réponse est non. Béatrix Beck me doit une revanche. Et je pense vraiment qu' elle y parviendra.

Je pense que oui.
Pour moi ça reste son livre "manqué".

je ne doute pas qu'elle y parviendra.

j'ai relu mon commentaire sur celui-ci (en début de fil) et remué mes souvenirs... c'est vrai qu'elle épingle beaucoup mais il y a le mélange de détermination et de doute et la présence d'autre chose, sa fille, sa volonté. c'est émouvant aussi de le penser un instant dans cette chronologie de son double très proche de la sienne. cet équilibre peu stable et très tourmenté.

darkanny a écrit:

Je pense que oui.
Pour moi ça reste son livre "manqué".

Quand le style ne parvient à transcender le réél, alors la nécessité de l' écriture ne n' est que celle de l' auteur. Le lecteur ne suit pas. Enfin, moi.

Bon. Et le prochain, alors, ce serait quoi, Animal et Darkanny ?

C'était le premier que tu lisais ?

darkanny a écrit:

C'était le premier que tu lisais ?

J' ai lu d' abord Leon Morin pretre, mais il y a longtemps. Ceci dit, je pense que je renouerai sans problème avec B Beck...Ce que je sais d' elle et ce que vous en avez dit me le fait penser.

Elle souffre un peu du piège de son écriture blanche quand on est pas dedans, surtout avec les Barny post Morin ptet. (Le rapport à cette écriture, ce choix, m'a bien intéressé dans les confidences du coup). Pourquoi ne pas s'écarter temporairement du personnage (à reprendre dans l'ordre plus tard ?) et tenter La décharge ou L'enfant chat ? (et d'autres sûrement mais je n'ai pas encore eu la chance de les lire).

Son écriture ne me gène pas. Par contre la répétition à longeur de pages de répliques de la tante Fancine et le florilège de bondieuseries in extenso, oui ! Le style de B Beck, n' y résiste pas...

Je suis étonné qu' un écrivain digne de ce nom, n' ait pas été pas été suffisamment lucide et ait accepté de laisser publier un livre qui la déssert en fin de compte. A moins que ce soit pour des raisons purement aimentaires ?

A revoir !

mmmmh.... son regard sur cette série de livre est nuancé il me semble. toujours est-il que les répétitions, les mélanges grand écart et l'attachement à des paroles, mots, expressions n'est pas que directement sur le sens de ces mots. c'est un peu comme Quignard et son espèce d'articulation tordue des phrases à dire, il y a un côté obsessionnel pas sans raisons.

c'est une des étapes de Barny, une étape qui arrive tout de même après Une mort irrégulière et Léon Morin. Le contexte n'est pas neutre quand on y pense.

c'est cependant vrai que ce n'est sans doute ni son meilleur ni le plus évident à lire.

Josée dite Nancy

Bathilde est "dans l'écriture", elle est écrivain, sa nouvelle voisine Josée est dans la fourrure et se prostitue. Les deux personnalités vont s'apprivoiser au fil de discussions parfois improbables et que Josée se raconte et se construit, et déconstruit. Compliquée la vie de Josée avec sa famille, ses enfants, ses ex et ses amants. Une certaine inconstance qui ne l'empêche pas d'être. Cette Bathilde est évidemment un alter ego de Béatrix Beck, tout comme Josée est celui d'une voisine...

On retrouve l'écriture simple qui mélange très volontiers le coq et l'âne et se régale de la juxtaposition de deux univers langagiers qui cohabitent par l'intermédiaire de Bathilde qui raconte cette histoire. Quand on lit Béatrix Beck on peut rire et se dire qu'elle est décidément infernale, c'est un bonheur ! Le coq et l'âne c'est aussi le sujet du livre, un sujet abordé à la manière de l'auteur c'est à dire aussi naturellement que sans détours. Comment se fait cette rencontre et cette observation mutuelle, comment le fossé... social se franchit et se constate et ne s'abolit pas. C'est encore un regard sur l'enfance atypique, compliquée mais peut-être heureuse, blessée. Josée est jeune et ses enfants plus encore... Ce n'est pas vraiment édulcoré. Pourtant la tendresse distante, réelle amusée ou attristée est bien là et s'échappe tout doucement de ce récit rocambolesque indirect.

C'est un peu le grand écart de la Décharge qui revient, la posture particulière de l'auteure pour dire ce qui ne devrait pas se dire ou pas pouvoir se dire. Sa capacité qui n'est pas celle de sauver les meubles mais leurs habitants. Le portrait de la voisine (et des réserves de Bathilde) n'est pas complaisant, il est vrai, un peu triste et réprobateur et un peu admiratif.

ça a toujours l'air simple, pourtant avec la somme de ce qu'on trouve dans ce petit livre on est bien loin du banal.

Je persiste à croire que la voix de BB nous est d'un grand secours.

animal a écrit:

et... Béatrix Beck un génie malicieux, livret publié par ces mêmes Editions du Chemin de fer à l'occasion de la réédition du Cou coupé court toujours, une bio-bibliographie illustrée (photos de l'auteur) offerte par les libraires. et ça c'est gentil. et ça fait plaisir. en plus de voir Béatrix Beck rééditée.

c'est arrangé par Valérie Marin la Meslée, qui connaissait donc bien la dame, et je dois dire qu'avec trois fois rien c'est une belle chose. La vie entre les soutiens utiles et les galères et grosses galères... et le personnage, et la famille. Et comme avec quelques mots à peine sur les œuvres diverses... c'est assez émouvant en fin de compte. (pouvez peut-être enquiquiner votre libraire pour les curieuses/curieux).

c'est vrai qu'on devrait peut-être la mettre sur le fil France (depuis le temps qu'on en cause).

je ne remets pas précisément le passage... (et as-tu vu le film au fait ?).

Il faut reconnaitre aussi que les dialogues entre le prêtre et Barny ont quelque chose de la provocation en aller-retours (avec ou sans histoires de Barny) et qu'il prend soin de lui laisser les clés de sa propre conscience (et la notion de culpabilité c'est compliqué). Et puis le prêtre n'est pas neutre dans ses actions, il aide aussi et cache des gens (dans le livre aussi me semble).

on pourrait dire une beckerie dans toute sa splendeur, et je ne pense pas qu'elle invente beaucoup avec ce genre d'histoire. le plus simplement du monde quelque chose qui pose problème : le mélange de la situation elle même, le "Vous aimeriez bien sauver une vie pour vous donner de l'importance", et l'inéluctable et son doute. le récit factuel et ses implications sans détours. et l'autre forme de doute : bien ou mal. Ce n'est pas un effet de rhétorique je pense et la façon de poser ce problème on peut l'imaginer partagée avec le prêtre, c'est à dire que son choix d'un moindre mal (a priori il s'agit de ça et dans la perspective de l'engagement contre l'occupation/action allemande) n'exclut pas le doute ou le tourment.

en plus, en poussant un peu, c'est le problème de la distance à l'autre, la non transparence 'absolue', la tentation de cette transparence (ça doit être avec marie qu'on avait parlé de ça il y a... un certain temps, a propos d'autre chose). ça ferait, presque malgré lui, de ce dialogue un dialogue assez représentatif.

je pense qu'elle a souvent eu grand soin d'exprimer noir et blanc. Les effets de dialogues ne sont sans doute pas non plus invention mais c'est plus la langue de l'auteur qu'une volonté d'inclure une rhétorique forcée dans le récit. je pense. la personne plutôt que la personnification de l'idée.

Plus loin, mais où

Un ouvrage relativement tardif, 1997, qui nous fait connaitre Marceline, une vieille représentante de la marginalité rurale, absolument sauvage et asociale qui se nourrit de plantes diverses et d'animaux tout aussi divers... ses mots et ses pensées sont autant de maximes et de conjurations ! aussi infernale que réjouissante sorcière qui ressemble bien un peu à l'auteur et qui s'échange régulièrement quelques jets de pierres avec les gamins du village... Arrive un jeune étudiant qui trouve là son sujet de thèse. beau gosse, rouquin, juif, il cherche à amadouer sa proie qu'il appelle grand-mère et qui ne manque pas de l'asticoter et de l'envoyer paitre jusqu'à son dernier souffle.

Arrivé là on aurait un très réjouissant portrait teinté de la rage langagière caractéristique et des sujets habituels de famille, religion, marginalité, sociétés et apparences... l'accent est quand même mis, très pieds dans le plat, sur l'antisémitisme et il faut reconnaitre que sa sauvagerie rurale dépossédée et ses piques ont l'air bien acérés pour une fin des années 90 où se complaisait (et complait) à se croire revenu de tout et hardcore et libre de parole... ça réveille !

Mais la Lanturlu meurt donc. notre gars attaché malgré tout s'occupe des funérailles comme il peut assister des gamins qui se chamaillent, les adultes absents, il ne reste plus que cette étrange vérité de conte naturel...

Mais on continue à suivre notre type qui s'en retourne à ses études et à son oncle et à sa tante, puis sa vie d'adulte et de père... c'est une des surprises de voir BB se glisser dans la peau d'un homme assez naturellement surtout universitaire peut-être, il est à la fois différent et autre double de l'auteur... et continuité, et reviennent étrangetés, différences de classes et vengeances. Et enfance au sens large et pas uniquement sous son meilleur jour (la notion de sale gosse à du sens chez BB). On pense forcément aussi à L'épouvante, l'émerveillement. pour le mélange des thèmes et des genres. ça serait un peu une version conte sauvage pour adultes, une rare évocation affirmée de la différence et de son manque, après tout, de différence, une affirmation aussi, presque tendre mais pas trop, d'un droit à la cassure, tant que ça se tient.

J'ai été assez surpris finalement, tout en recevant le choc attendu et l'humour infernal, tellement tout est à la fois simple et pas si simple dans ce petit monde cruel mais enchanté.

le bon début :

Citation :

On dit que je fais peur aux gens, tant mieux comme ça ils viennent pas. J'ai pus de dents, c'est pas gênant, pas besoin de dentier pour manger ma soupe, je vais pas faire des rentes au Mathieu Grattenoix, voleur et compagnie. Dans le temps c'était l'arracheur, aujourd'hui on s'écoute, on se chouchoute.
Je me fais des bonnes petites crèmes, sans œufs, sans lait, sans rien. Des compotes à la maraude, vaut mieux manger le fruit du voisin que le sien. J'ai mon bol marqué Henri et mon gobelet de première communion, argent doré, imitation saint ciboire.
Le matin je mange ma soupe du soir. A midi j'hache, je suis mange-viande mais pas celle au Francis Dousse, ya assez de bêtes par les champs, chats, hérissons, campagnols, vite fait hop dans le sac. Je suis chat pour les mulots et cabot pour les chats.
Litron, roupillon. Mon caoua, jus de chaussettes, chicorée blé cornu. Qui va à la guerre comme à la guerre peut bien marcher aussi quand ya pus de guerre.
Un petit verre de gnôle à la lune tombante pour chasser le ver.

Ma meilleure jambe, c'est ma trique à vaches. Vaches point, trique oui, je l'ai trouvée dans le chemin.
Les araignées me font leur tapisserie. Ils disent comme ça qu'une araignée a sauvé le petit Jésus et sa mère, coursés par les soldats. Ils venaient de s'enfourner dans une grotte. Cette bête a goupillé sa toile à l'entrée, vite fait. Soi-disant. Ça ne se peut pas, je connais mes araignées mais si que ça serait vrai, tant pis. Toutes ces guerres de religion, on a assez avec les sans-religion.