Herzog Werner « Manuel de survie » Capriccientretien avec Hervé Aubron et Emmanuel Burdeau
Il est fort possible que j'attendais beaucoup, voir trop, de ce livre. Non pas que je souhaitais des révélations sur ces films et documentaires que j'avais admiré, mais j'espérais sentir une connivence ou une filiation avec l'auteur d' « Herz aus Glas ». De la même manière que j'avais été transportée par les lectures du « Temps scellé » d'Andreï Tarkovsky et de « Comme une autobiographie » d'Akira Kurozawa, je rêvais de courir à la suite de Herzog et de découvrir son espace, ses lieux et, pourquoi pas, son âme.
Ma déception a débuté dès la présentation d'Emmanuel Burdeau et ses « envolées » sur la puissance, la virilité, la mâle force du cinéma du bavarois. Ce genre de discours a le don de me crisper. Je l'ai survolé pour atterrir en douceur, je l'appelais de mes vœux, sur l'aérodrome personnel du réalisateur de « Wodaabe - Die Hirten der Sonne », un documentaire hypnotique au sujet des peuls, un documentaire qui faisait écho à ma fascination pour cette partie du Sahara. Mais, hélas, l’atterrissage fut digne d'un retour de raid sur Leipzig ; la carlingue trouée de partout, les verrières éclatées et les masques à oxygène au vent. Je fus sidérée de découvrir un personnage imbu, se congratulant lui-même et vantant ses supposées ou réelles qualités. J'ai, très honnêtement, détesté cet homme dont j'admire l’œuvre. Mais était-ce une surprise ? Non pas du tout. Le milieu est plein de ces outres arrogantes. Je sais que les mots sont forts mais c'est le sentiment que ces personnages m'inspirent. Je sais que l'art est une histoire d’ego. Mais rien de nous oblige a en faire le moteur de notre œuvre.
Alors, il faut aller au-delà de l'enveloppe charnel et des défauts de l'homme pour trouver l'artiste. Zola n'était-il pas homophobe et Degas antisémite ? Herzog distille alors des indices au compte goutte. On comprend, quand il parle de « Grizzly man », que son idée du documentaire est bien plus née des désirs d'un artiste que d'un scientifique. Il revendique son droit à la liberté de montrer et d'interpréter. Il voit, monte et sent ses documentaires de la même façon qu'il tourne ou imagine un film. Les plans qui l'intéressent peuvent sans soucis naître de rien, n'avoir un rôle atmosphérique plutôt que didactique. C'est un reproche que certains lui font aisément. Mais, à l'image d'un interprète qui prend possession de la partition a jouer, Herzog prend possession de son sujet et s'y coule invariablement. En tant qu'auteur il est en quête de vérité. De la vérité qui se cache derrière les choses. Que se soit dans une scène montrant un poule prisonnière d'un manège enchanté ou dans une autre montrant des danseurs arborant des mimiques expressives, il veut capter ce que la poésie, selon lui (mais aussi selon tant d'autres artistes) arrive à montrer et dire plus facilement que le cinéma. Cette vérité si limpide qu'elle n'a guère besoin d'être analysée. Herzog est un de ces artistes en quête perpétuelle, qui sautera toujours sur la pierre suivante pour franchir le guet sans se mouiller les pieds.
Mais, en définitive, ce livre restera une déception dont quelques semaines après la lecture, les propos s'estompent déjà. Il ne m'aura apporté aucun éclairage sur l’œuvre et trop peu sur l'homme. Je ne dirai pas que c'est un entretien inutile. Mais c'est faible comme apport en regard de ce que sont « Aguire la colère de Dieu », « Coeur de verre » et « L’énigme de Kaspar Hauser » dont certaines éditions comportent, en parallèle du film visionné, des commentaires du cinéaste lui-même, des commentaires mille fois plus instructifs.
Quelques citations du livre« Je ne suis pas juste le commentateur de son aventure.{...} Ma vision du monde et ma vision de la nature sauvage sont si diamétralement opposées à celles de Treadwell qu'il fallait que je dise quelque chose. {...} Une attitude qui a bien sûr à voir avec des expériences que j'ai personnellement faites à pied, particulièrement mon expérience en Alaska. »
« Je crois que c'est très bien de déclarer la guerre à un tel ennemi (La marche de l'empereur)!{...} la Nature selon Disney{...} la disneyisation du monde civilisé ».
« Le but (in Grizzly man) était de lui faire un maximum de place afin qu'il puisse exprimer toute la gamme de sa personnalité ».
« Avec ce film, j'offre à Traedwell la possibilité d'être une star, la star de ce film, la star qu'il avait toujours voulu être. Je lui fais cadeau de cet espace-là. Nous ne devrions jamais oublier que cet homme nous a donné de fabuleux aperçus sur la nature. {...} Ce qu'il a accompli est monumental. {...} Je voudrais surtout éviter de le diminuer. »
« Je parle avec un mort. Enfin pas tout à fait. Car si vous regardez les films qu'il a tournés, il n'est pas vraiment mort. Il est là, quelques part, présent. Il survit d'une certaine manière à travers ses images. »
« Derrière les images, derrière la vision, derrière l'histoire, derrière la grammaire de la narration et la grammaire de l'image, il y a quelque chose dont le cinéma peut vous offrir l'expérience en de très rares occasions : vous touchez alors une vérité profonde. Ça n'arrive pas très souvent, çà arrive en poésie. {...} Il (Rimbaud) touche à une vérité qui se tient derrière les choses. Quelque chose que vous n'avez pas besoin d'analyser. »
« Je crois que l'émergence de la psychanalyse a été une énorme erreur. Une erreur de grande amplitude. »
« Il y a à ce propos une métaphore que j'ai beaucoup utilisée. Si vous vivez dans un appartement dont tous les coins, jusqu'au dernier, sont illuminés, cet appartement devient inhabitable. Les êtres humains qui exposent à la lumière les recoins les plus sombres de leur âme deviennent des êtres inhabitables. »
« Vous ne pouvez rien créer qui ait à voir avec la culture sans établir un lien avec ce qui constitue l'histoire de cette culture : la philosophie, les écrivains, la musique, les cinéastes. »