Bret Easton Ellis

Moi je trouve que si le fond se confond avec la forme, c'est plutôt réussi, même si ça laisse parfois à l'écart, et un peu dubitatif, surtout dans ce roman, où le fond c'est l'apparat, le vide (ça me rappelle ce que j'ai ressenti en voyant le film Amore : l'impression d'être à l'écart, de ne pas être à fond dedans, alors qu'en même temps tout collait exactement comme il fallait entre fond et forme).


Quelque part... aussi... l'impression d'une facilité, d'une non prise de risque... de manque de distance ou de connivence avec le sujet qui, du coup, donne un sentiment de "trop peu"...

J'ai trouvé Suite(s) impériale(s) bien moins intéressant que les autres romans de Bret Easton Ellis, mais malgré tout saisissant. Saisissant dans sa façon de saisir une ville, Los Angeles, qui s'inscrit ici dans une tradition de littérature gothique californienne, et de cinéma (Bret Easton Ellis cite Sunset Boulevard, mais on pense aussi à Lynch, Lost Highway et Mulholland Drive).
Au début, le subterfuge de l'écrivain raté m'agaçait : prétexte pour mal-écrire. Mais finalement, cette accumulation de phrases à rallonges truffées de 'et' donne vraiment cette impression d'être submergé de visions, de sensations, d'angoisses. Et cela a sans doute à voir avec la drogue. il y a quelque chose dans les phrases de ce livre qui parviennent à donner une idée rythmique, sensuelle de la drogue.
Cela dit, je trouve ce livre moins intéressant - peut-être parce que l'héroïne, si mystérieuse soit-elle, si femme fatale, suit une ligne narrative trop claire, ne déborde jamais, ne se révolte pas. A mon sens il lui manque une épaisseur humaine, quelque chose de singulier et de surprenant.

asketoner a écrit:

J'ai trouvé Suite(s) impériale(s) bien moins intéressant que les autres romans de Bret Easton Ellis, mais malgré tout saisissant. Saisissant dans sa façon de saisir une ville, Los Angeles, qui s'inscrit ici dans une tradition de littérature gothique californienne, et de cinéma (Bret Easton Ellis cite Sunset Boulevard, mais on pense aussi à Lynch, Lost Highway et Mulholland Drive).

Tu ne trouves pas que ça reste au niveau de l'intention? Le résultat m'a semblé plat et pauvre en comparaison des magnifiques modèles que tu cites. Ou alors c'est vraiment la vision de l'écrivain raté qu'il décrit. Je me suis un peu ennuyé pour tout dire. ça tournait en rond et je ne croyais pas du tout aux personnages même comme fantoches. Je voudrais comprendre ce que je loupe parce que certains critiques en parlent comme d'un grand livre (???)

je comprends ce que tu veux dire sur les personnages
pour moi non plus ils n'existent pas vraiment
malgré tout je me suis retrouvé embarqué dans un rythme hallucinatoire, dans une ambiance très particulière
je ne reprocherai rien à l'écriture elle-même
plutôt à certains motifs récurrents dans l'oeuvre d'ellis et ici platement remis en scène
à vrai dire cette histoire de mise en abime au début m'a franchement ennuyé - surtout qu'il n'en fait pas grand chose, sauf pour parler du passé de ses personnages

Je crois qu'asketoner met le doigt sur quelque chose pour ce Suite(s) Impériale(s) : c'est vraiment un rythme hallucinatoire dans lequel il faut se laisser embarquer, sinon on passe à côté de l'essentiel du livre, de ce qui fait son intérêt.

Parce que je n'ai pas cru non plus aux personnages, et c'est clair qu'il manque à l'héroïne principale une scène où on toucherait à quelque de chose de plus profond, palpable (ce qui arrive, par exemple, avec le personnage de Blair dans Moins que zero, la scène où elle rompt avec Clay lui donne, d'un coup, une vraie présence).

Peut-être qu'ici Ellis se repose trop sur ses facilités, et est dans la redondance. Mais il reste que ce bouquin m'a vraiment donné l'impression de sentir la ville de Los Angeles, avec toutes ses lumières et ses zones d'ombres.

Et la mise en abîme pas franchement exploitée avec précision, je trouve qu'elle a son importance, elle laisse planer un doute constant, et pose immédiatement un voile d'ambiguïté et de mystère sur l'histoire qu'on est en train de lire, et sur les poursuivants de Clay.

Je viens de relire American Psycho, premier et pour le moment unique bouquin de Bret Easton Ellis qui m'est passé entre les mains.

Je suis tombée dessus par hasard en l'achetant. Je ne connaissais pas, j'ai lu le résumé et je me suis dit : "Tiens, ça a l'air assez malsain comme truc", et je n'imaginais pas à quel point.

Au début, j'ai dû m'accrocher pour adhérer au style. Les énumérations de noms de marques, d'objets, de trucs futiles et insignifiants dont le narrateur dressait la liste sur des pages me fatiguait et m'ennuyait. Je ne comprenais pas encore l'ironie qui allait avec (je pensais bien que ce n'était pas sérieux, mais je trouvais ça lourd et insignifiant). Après relecture, j'ai changé d'avis. Cette énumération est cruciale car elle représente les seules valeurs qui animent Bateman. Pour finir, rien d'autre que tous ces noms de marques et d'objets n'auront vraiment eu une importance dans sa vie. Il s'agit de la seule chose à laquelle il croit vraiment et qui ne cessera de le suivre du début jusqu'à la fin.
L'abondance est partout, elle en devient dégoutante :

Citation :

On a recouvert une longue table pliante d’une nappe rouge, elle-même recouverte de plats et d’assiettes et de raviers remplis de noisettes grillées et de homard et de bisque aux huîtres et de soupe au céleri aux pommes et de caviar Beluga et de toasts et de crème d’oignon et d’oie rôtie farcie aux marrons et de bouchées à la reine au caviar et de tartes aux légumes à la tapenade, de canard rôti et de poitrine de veau rôtie aux échalotes et de gratin aux gnocchi et de strudel aux légumes et de salade Waldorf et de coquilles Saint-Jacques et de bruschetta au mascarpone et de truffes blanches et de soufflé au piment vert et de perdreau rôti à la sauge avec des pommes de terre et des oignons et du coulis d’airelles, de pudding à la compote et de truffes au chocolat et de tarte soufflée au citron et de tarte Tatin aux noix de pécan.

Les relations que Bateman entretient avec les autres sont désespérantes. Il n'est jamais seul, tout le temps entouré et sollicité par ses clones pour un dîner dans tel ou tel restaurant, mais lorsqu'il se retrouve en compagnie, l'esprit n'y est pas. Les conversations sont creuses et superficielles, tout le monde s'ennuie et les conversations ressemblent finalement à des monologues à voix haute.

Citation :

Je pose mon verre sur la table de chevet et roule sur elle. Tandis que j’embrasse et lèche son cou, elle fixe un regard passionné sur le récepteur grand écran Panasonic à télécommande, et baisse le son. Je relève ma chemise Armani et pose sa main sur mon torse pour qu’elle palpe cette dureté de statue, cet admirable sillon des abdominaux, et je bande mes muscles, heureux que la pièce soit éclairée, car elle peut ainsi voir combien mon ventre est à présent bronzé et finement sculpté.

Citation :

Evelyn parle, je n’écoute pas. Elle fait les questions et les réponses, ses paroles se chevauchent. Je vois sa bouche remuer, je n’entends rien, je n’écoute rien, je ne peux pas me concentrer ; mon lapin a été découpé… en forme… en forme d’étoile ! Des frites longues et fines l’entourent, et une sauce rouge, épaisse, a été barbouillée en haut de l’assiette –blanche, en porcelaine, cinquante centimètres de diamètre – pour suggérer un coucher de soleil. Pour moi, cela évoque une énorme blessure par balle et, secouant doucement la tête, incrédule, j’enfonce un doigt dans la viande, y laissant mes empreintes digitales, puis un autre, puis je cherche une serviette –pas la mienne- pour essuyer ma main. Evelyn poursuit toujours son monologue –elle parle en mastiquant, avec une grâce infinie- et, avec un sourire charmeur, je tends le bras sous la table et, saisissant sa cuisse, je m’essuie les doigts.

Bateman vit dans un monde à part. J'ai l'impression qu'il incarne le barbare dénaturalisé par la culture.

Citation :

J’ai tellement l’habitude d’imaginer les choses comme sur un écran de cinéma, à voir les évènements et les gens comme s’ils faisaient partie d’un film, qu’il me semble soudain entendre jouer un orchestre, voir littéralement la caméra s’approcher en travelling et tourner autour de nous, tandis que des feux d’artifice éclatent au ralenti dans le ciel et que ses lèvres en soixante-dix millimètres s’écartent pour murmurer l’inévitable « Je te veux » en Dolby stéréo. Mais mon étreinte se fige et je sens, imperceptiblement d’abord, puis plus nettement, se calmer la tempête en moi. Elle m’embrasse sur la bouche, ce qui me fait brutalement retomber sur terre.

Ce bouquin est vraiment dérangeant. Il me plaît beaucoup car il aborde le mal-être d'une certaine catégorie de personnes -les yuppies, en l'occurence- d'une façon froide, adoptant le point de vue de l'un d'entre eux et montrant à quel point cette situation semble finalement bien peu le déranger. C'est peut-être ça le pire : Bateman mène une vie de dingue, une vie qu'il déteste, entouré de gens pour lesquels il n'éprouve aucune sorte d'intérêt, mélangeant réalité et hallucinations, et tout ça semble lui convenir parfaitement.

J'ai bien fait de m'accrocher malgré les difficultés que j'ai ressenties au début de ma lecture. Ce livre en valait vraiment la peine.

colimasson a écrit:

Cette énumération est cruciale car elle représente les seules valeurs qui animent Bateman. Pour finir, rien d'autre que tous ces noms de marques et d'objets n'auront vraiment eu une importance dans sa vie. Il s'agit de la seule chose à laquelle il croit vraiment et qui ne cessera de le suivre du début jusqu'à la fin.

J'aime bien ton analyse!
En fait on se rend compte que Bret Easton Ellis, même s'il a cette aura d'écrivain trash/underground/rebelle/cynique, reste un moraliste à la base: critique de la société, perte des vraies valeurs etc. C'est encore plus frappant dans Lunar Park, où c'est les liens familiaux que le héros à la dérive semble rechercher.

Nezumi a écrit:

J'aime bien ton analyse!
En fait on se rend compte que Bret Easton Ellis, même s'il a cette aura d'écrivain trash/underground/rebelle/cynique, reste un moraliste à la base: critique de la société, perte des vraies valeurs etc. C'est encore plus frappant dans Lunar Park, où c'est les liens familiaux que le héros à la dérive semble rechercher.

Oui, tout à fait, je ne le trouve pas si provoquant que ça. Il me semble plutôt extrêmement lucide. S'il semble cynique, c'est parce que les choses qu'il décrit le sont.

Cela m'intéresserait beaucoup de lire ce qu'il écrit à propos des liens familiaux. Lunar Park, roman à me procurer pour bientôt. Glamorama m'intéresserait beaucoup aussi.

Lunar Park
Ma première rencontre avec Ellis... En fait, je ne sais trop qu'en dire. Dans sa globalité, j'ai trouvé l'histoire assez sympa, même si on a fait plus original dans le genre. Dans l'approche qu'on a du narrateur et personnage central, c'est extrêmement bien décrit, c'est comme si on regardait le monde avec ses yeux, comme si on se pochtronnait et camait avec lui... Mais bon, vivre la vie d'un mec qui ne sait pas vivre sans se noyer dans l'alcool et se poudrer le pif à tour de bras, j'ai trouvé ça vite lassant...
Et puis, la fin, il me semble que je l'ai trouvée bâclée ou peut-être au contraire trop longue à venir, mais je ne saurais pas dire pourquoi, vu qu'un mois après la lecture je l'ai déjà oubliée...

Donc, verdict, pas inoubliable, mais j'aimerais tout de même tenter American psycho, un de ces quatre... ^^

Suny a écrit:

Lunar Park
Ma première rencontre avec Ellis... En fait, je ne sais trop qu'en dire. Dans sa globalité, j'ai trouvé l'histoire assez sympa, même si on a fait plus original dans le genre. Dans l'approche qu'on a du narrateur et personnage central, c'est extrêmement bien décrit, c'est comme si on regardait le monde avec ses yeux, comme si on se pochtronnait et camait avec lui... Mais bon, vivre la vie d'un mec qui ne sait pas vivre sans se noyer dans l'alcool et se poudrer le pif à tour de bras, j'ai trouvé ça vite lassant...
Et puis, la fin, il me semble que je l'ai trouvée bâclée ou peut-être au contraire trop longue à venir, mais je ne saurais pas dire pourquoi, vu qu'un mois après la lecture je l'ai déjà oubliée...

Donc, verdict, pas inoubliable, mais j'aimerais tout de même tenter American psycho, un de ces quatre... ^^

Je n'ai pas lu ce Lunar Park... Mais, persuadée qu'American Psycho te plairait beaucoup plus. (Quelle idée tu as eu de commencer par celui-ci d'ailleurs ? C'est le plus critiqué des "fans" d'Ellis, tu sais ?)

Queenie a écrit:

(Quelle idée tu as eu de commencer par celui-ci d'ailleurs ? C'est le plus critiqué des "fans" d'Ellis, tu sais ?)

Tiens, je ne savais pas ça. En tout cas il a eu un excellent accueil critique (c'est peut-être à cause de ça d'ailleurs que les fans d'Ellis l'aiment moins?). Moi je l'ai d'autant plus apprécié qu'il est assez dénué des aspects gênants des romans précédents (voyeurisme facile, name-dropping continuel), il est plus "profond" et plus ambitieux, abouti, on sent un auteur plus mûr...

Je ne savais pas non plus, en même temps avant d'arriver ici je savais même pas qu'il existait ce mec, ni qu'American psycho avait été un livre avant d'être un film ^^"

J'ai éprouvé un ennui véritable à la lecture d'American Psycho, comme le dit Colimasson, ces longues énumérations de plats, d'objets, de vêtements... sans doute qu'il y a un intérêt au cours des pages mais voilà, j'ai abandonné à la 120e... je trouve le style vraiment plat, ces descriptions sans intérêt même si on sent bien en effet que c'est pour démontrer le vide de l'existence de Bateman. Peut-être que je tenterai une autre fois (mais j'en doute).

Dommage que tu n'aies pas accroché... C'est vrai que cette énumération prend son sens avec le développement de l'intrigue, et tranche de plus en plus cruellement avec les horreurs commises par Bateman, mais je comprends que ce ne soit pas forcément facile à supporter.
Je dois t'avouer que parfois, je n'hésitais pas à zapper quelques descriptions trop détaillées des fringues des personnages ou du décor de leurs appartements... Le tout est de savoir qu'elles existent et qu'on peut y revenir à n'importe quel moment, plus tard, quand l'esprit est un peu plus disposé à recevoir cette masse d'informations futiles !

j'ai arrêté de lire justement parce que je zappais trop de choses, je me suis dit que je risquais de louper des trucs...de passer à côté du livre en fait.