Splendeurs et misères des courtisanes
Troisième volume du triptyque composé par
Le Père Goriot, Illusions Perdues, et Splendeurs et Misères des Courtisanes ce roman est considéré comme l'un des sommets de
Balzac. N'ayant pas lu les deux premières oeuvres de ce triptyque, (je dois lire le roman pour les cours donc j'ai du m'adapter à cet ordre de lecture un peu illogique) j'ai eu parfois du mal à comprendre toutes les subtilités des secrets et des manigances des personnages. J'avais aussi peu de points de comparaison (j'ai lu avant ça seulement
La peau de chagrin et La fille aux yeux d'or) mais cela m'a plus ou moins suffi pour me rendre compte qu'en effet, ce roman de
Balzac a une puissance hors du commun.
Splendeurs et misères des courtisanesrelate la suite de l'histoire de Lucien de Rubempré, jeune homme originaire d'Angoulême qui monte à Paris dans l'ambition de voir ses talents artistiques reconnus. A la fin d'Illusions perdues, désespéré, il est prêt à se suicider lorsque Vautrin, un ancien bagnard, lui propose un marché : si Lucien se donne entièrement à Vautrin, ce dernier s'appliquera à réaliser les ambitions de Lucien et à opérer son ascension dans la société parisienne de l'époque. Dans Splendeurs et Misères, Vautrin utilise l'amour que partagent Lucien et Esther, une jeune courtisane douée d'une beauté particulièrement époustouflante, pour soutirer de l'argent à un riche banquier, le baron de Nucingen, qui s'est épris d'Esther, afin de faire la fortune de Lucien.
Dans cette fresque foisonnante du Paris du 19ème,
Balzac semble en effet au sommet de son étude des moeurs. Il offre au lecteur une galerie impressionnante de portraits de personnages qui semblent chacun des personnages-types : Esther, la jeune courtisane qui renonce à tout par amour, Lucien, le jeune et beau poète un peu naïf qui fait, Vautrin, le bagnard prêt à tout pour parvenir à ses fins et doté d'une intelligence hors pair, Nucingen, le vieil homme plutôt ridicule (la façon dont
Balzac reproduit à l'écrit son accent est assez hilarante), ou encore Europe et Asie, les deux servantes perfides et amorales mais toutes dévouées à leur maître Vautrin, ainsi qu'une multitude de personnages secondaires dont les traits physiques et moraux sont décrits avec une telle précision que le personnage nous apparaît tout à fait nettement. L'on pourrait reprocher à certains personnages de manquer de nuance, mais ces portraits-types correspondent bien au projet d'étude de moeurs voulu par
Balzac, car ils représentent aussi à eux seuls toute une classe sociale. Ce sont plutôt les différences entre chaque caractère qui sont passionnantes.
Balzac fait danser tous ces personnages en une valse sans fin, motivée par différentes intrigues, différentes manigances, dans lesquels chacun des personnages a toujours un intérêt qui lui est propre et le force à se confronter à ceux des autres. On suit avec émerveillement la construction des plans de Vautrin et de ses ennemis essayant de le contrer. De chaque événement découle une multitude d'autres actions, et ainsi de suite, ce qui fait de cette oeuvre un roman dans le plus pur style du 19ème, démontant tout les mécanismes d'une société en reconstruction, ou les classes sociales commencent à se mélanger et où l'ambition et l'amour se mêlent de manière inextricable.
Lisez cette oeuvre proliférante qui semble percer à jour toutes les profondeurs de la nature humaine, le plus souvent ses pires instincts mais aussi, plus rarement, ses instants de grâce. Si la visée critique de
Balzac apparaît clairement, je n'ai pu m'empêcher à la lecture d'admirer la puissance de l'esprit humain qui est ici mise en avant, même si elle doit servir des desseins immoraux. La critique de
Balzac s'accompagne, à mon sens, d'une véritable fascination pour la nature humaine que l'on ne peut s'empêcher de ressentir à la lecture. Même si
Balzac se réclame d'une simple étude des moeurs, le lecteur se doute bien que dans Splendeurs et Misères, toutes les intrigues sont amplifiées, démultipliées, menées à leur paroxysme par rapport à la réalité, mais tout ceci pour son plus grand plaisir. Au cours de la lecture, on s'aperçoit que
Balzac fait des clins d'oeil à son entreprise, comme lors de cette description d'une prison :
- Citation :
- "Aussi, parlez vous de la possibilité de communiquer ou de s'évader ? ... le directeur de la Conciergerie aura sur les lèvres un sourire qui glacera le doute chez le romancier le plus téméraire dans ses entreprises contre la vraisemblance".
Et pourtant, des libertés avec la vraisemblance,
Balzac n'hésite pas à en prendre lorsque c'est nécessaire à son intrigue, et semble même montrer qu'il l'assume lors de ces clins d'oeil, peut-être parce qu'il se plait à remettre en cause le système qu'il a lui même défini, ou peut-être parce que la peinture de tous ces traits amplifiés, magnifiés, sert d'une manière bien plus efficace son étude de moeurs que ne le ferait une simple "reproduction de la réalité".
Pour finir, je vous cite un petit passage que je trouve particulièrement réussi, pour lequel j'ai un faible probablement parce qu'il est un peu lyrique et que c'est rare chez
Balzac, et que je dois toujours avoir un côté fleur bleue
Au cours de ce passage, Esther, retirée du monde depuis quatre ans, et devenue pure à nouveau après s'être repentie de ses activités de courtisanes par amour pour Lucien, se résigne, sous la pression de Vautrin, à faire une nouvelle entrée dans le monde et à reprendre son activité de courtisane auprès de Nucingen afin de faire la fortune de Lucien. Par amour pour lui, elle renonce à la rédemption qu'elle avait connue pour la même raison, et s'efforce de retrouver son caractère de courtisane :
- Citation :
- Après avoir dit ses dernières prières, Esther renonçait à sa belle vie, à l'honneur qu'elle s'était fait, à sa gloire, à ses vertus, à son amour. Elle se leva. [...] Les yeux retenaient encore un peu de l'âme qui s'envolait au ciel. Le teint de la juive étincelait. Trempés de larmes absorbées par le feu de la prière, ses cils ressemblaient à un feuillage après une pluie d'été, le soleil de l'amour pur les brillantait pour la dernière fois. Les lèvres gardaient comme une expression des dernières invocations aux anges, à qui sans doute elle avait emprunté la palme du martyre en leur confiant sa vie sans souillure [...]
"J'aurais voulu que Lucien me vît ainsi, dit-elle en laissant échapper un sourire étouffé. Maintenant, reprit-elle d'une voie vibrante, blaguons..."
En entendant ce mot, Europe resta toute hébétée, comme elle eût pu l'être en entendant blasphémer un ange.
"Eh bien, qu'as tu donc à regarder si j'ai dans la bouche des clous de girofle au lieu de dents ? Je ne suis plus maintenant qu'une infâme et immonde créature, une voleuse, une fille, et j'attends milord. Ainsi, fais chauffer un bain et apprête moi ma toilette [...] je veux le rendre fou, cet homme... Allons, va, va, ma fille... Nous allons rire, c'est à dire nous allons travailler."
La transformation radicale d'Esther représente bien, à mon sens, tous les jeux de maquillage de la personnalité auwquels s'adonnent les différents personnages. Si Esther maquille sa nature pure et innocente derrière un masque de courtisane sans scrupules, elle apparaît comme l'antithèse de tous les autres personnages qui, tout au long du roman, dissimulent leur nature viciée et interessée derrière un apparaître correct et aimable. Le masque est ainsi une thématique récurrente dans ce roman, tout est dissimulé, tout est feinté, et les déguisements omniprésents reviennent comme un leitmotiv. Pour réussir, il faut tromper, et c'est pour moi ce qui finalement ressort le plus de cette oeuvre, qui d'ailleurs s'ouvre sur un bal masqué, ce qui n'est pas innocent de la part de
Balzac !
Voilà, pour conclure je dirais que malgré de petites longueurs par endroit ( lors des longues descriptions du Paris de l'époque, ou quand les intrigues devenaient si compliquées que je ne suivais pas tout
)
Splendeurs et misères des courtisanes apparaît comme une métaphore géante de la nature humaine en général et dégage une telle puissance qu'il faut le lire !!