| Parfum de livres… parfum d’ailleurs Littérature, forum littéraire : passion, imaginaire, partage et liberté. Ce forum livre l’émotion littéraire. Parlez d’écrivains, du plaisir livres, de littérature : romans, poèmes…ou d’arts… |
|
| Simone de Beauvoir | |
|
+23Queenie Gwen90 Camille19 Cachemire Babelle eXPie Amapola Nathria Steven bix229 Epi Nibelheim Sieglinde bulle swallow Senhal Marie Bédoulène coline JDP Fantaisie héroïque mimi Sophie 27 participants | |
Auteur | Message |
---|
Marie Zen littéraire
Messages : 9564 Inscription le : 26/02/2007 Localisation : Moorea
| Sujet: Re: Simone de Beauvoir Sam 18 Juil 2009 - 20:36 | |
| Je ne l'ai pas lu, Lara. Mais je pensais à toi hier en lisant le livre de Josyane Savigneau, qui parle beaucoup, et intelligemment, de Simone de Beauvoir. Et de ce qu'elle lui a apporté. Je voudrais savoir ce qu'aujourd'hui, Simone de Beauvoir apporte à une jeune fille de 15 ans? | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Simone de Beauvoir Sam 18 Juil 2009 - 22:03 | |
| - Marie a écrit:
- le livre de Josyane Savigneau, qui parle beaucoup, et intelligemment, de Simone de Beauvoir.
Je note ce livre tout ce qui touche Beauvoir m'intéresse, pourrais tu me donner son titre? - Marie a écrit:
- Je voudrais savoir ce qu'aujourd'hui, Simone de Beauvoir apporte à une jeune fille de 15 ans?
Ma réponse est très personnelle, je ne sais pas si toutes les jeunes filles de 15 ans ayant lu Beauvoir te répondraient de la même façon. J'ai découvert Beauvoir par pur hasard au détour d'un rayon au CDI. Ma première lecture d'elle fut Le sang des hommes. Qu'est ce qu'elle m'a apporté? Énormément de choses. J'aime sa vision de son époque, ses idées sur le monde, la guerre, les autres, la presse, la politique. On la sent impliquée. Dans tous ces romans il y a une part d'actualité plus ou moins faible, je l'accorde. ( Les mandarins par ex.) J'aime aussi les questions qu'elle pose, tout simplement, mais pourtant elles ont une telle importance. Elles touchent concrètement notre vie. Et elles revêtent beaucoup de profondeur. C'est facile de payer avec le sang des autres. La guerre, la résistance, être engagé, ne pas l'être, vivre avec un présent lourd ou l'oublié. Dans ces livres les chapitres s'enchaînent soit à la troisième personne soit à la première. Ces changements de point de vu m'ont profondément lié à ses personnages. Je les aime car au milieu de tout ça, il y a leur vie à eux. Leur vie toute simple, ils cherchent le bonheur, ils sont humains. Dans La femme rompue se sont des histoires de vie toute simple. Je trouve Beauvoir profondément humaine. Son premier livre Anne n'était pas très au point, elle le dit elle même. Mais on sent déjà tous ces futurs personnages prendre corps. Cet auteur a une sensibilité qui m'a touché. Quand j'ai lu ses autobiographies ( mémoire d'une jeune fille rangée, une mort très douce... etc), j'ai découvert une femme fragile bien loin de la femme forte du Deuxième Sexe. Plus que ses livres c'est l'être humain que j'aime. Je me suis souvent sentie proche de ses rêves, de ses ressentis, des ses réactions. Même si elle le dément, on pourrait presque dire que tous ces écrits ont de fortes tendances autobiographique. ( L'invitée, les mandarins ect...) D'ailleurs je me suis amusée à la chercher à travers tous ses mots. Dans les mandarins, le personnage principale, Anne (qui ressemble beaucoup à Beauvoir) m'a tellement prise au tripe que j'ai eu terriblement envie de la prendre dans mes bras, de la bercer, de la consoler, de lui offrir mon aide, j'ai eu peur, mais vraiment peur qu'elle se suicide. Après il y a aussi la Beauvoir du Deuxième Sexe. Symbole du Féminisme. Mais je me méfie beaucoup du féminisme. Je crois au vrai féminisme, celui qui dit simplement, l'homme est l'égale de la femme civilement, elle peut prétendre au même droit que lui, et le vaut intellectuellement et qu'il faut lutter contre toute les pratiques la discriminant. Mais pour moi cela s'arrête là. Je ne suis pas pour une sorte de machisme inversée et les femmes qui cherchent la petite bête partout m'énerve prodigieusement. Au contraire je soutiens envers et contre tout qu'un homme peut être féministe et qu'il n'y a là aucun mal pour son égaux et sa virilité. Quand à ma lecture de cet essai, elle m'a moyennement satisfaite. Il a beaucoup vieilli. Le découpement est intéressant, divers côtés sont abordés (scientifique, historique, psychanalytique ect...) et surtout ce fut un des premier ouvrage à débattre de ce thème. Malheureusement, la psychanalyse infeste un peu trop à mon goût cet ouvrage et des fois j'ai trouvé Beauvoir un peu excessive. Mais bon... Il y beaucoup de choses qui méritaient d'être soulignées surtout cette affreuse phrase t ota mulier in utero! (Problème avec le vatican il me semble... il y a eu une immense polémique, beaucoup d'auteur ont calomnié l'oeuvre et ont refusé cet étude clinique de la condition des femmes) Ce n'est pas le même contexte qu'aujourd'hui, on peut comprendre certains aspects "vieillots". Et puis à l'adolescence sa féminité n'est pas toujours facile à porter et ce livre m'a sûrement inconsciemment aidé. Un regret peut-être c'est l'image qu'on donne de Beauvoir à travers l e deuxième sexe. Elle ne se résume pas qu'à ça! Je pense même que son utilisation en tant qu'îcone la dépasserait aujourd'hui. Beauvoir c'est aussi les années saint-germains des prés, le café flore, l'après guerre, les envies de changer le monde, des auteurs comme Prévert, Quenaud, Aragon, les surréalistes, breton, Éluard ect, les intellectuels de la rive gauche comme on les appelait... et des artistes aussi Picasso, Dali, de nouveaux courant, une certaine effervescence intellectuelle . Un vraie gauche potlitique, on croyait encore un peu au communisme. Mais la désillusion fut prompte. On avait des idéaux , on réagissait, on avait de la volonté, le Che ect... Des auteurs engagés avec leur revue des temps modernes. Et puis l'existentialisme, l'existence précède l'essence, Beauvoir c'est Sartre, n'en déplaise, les amours nécessaires, les amours contingents (voir l'invitée), un refus de la condition bourgeoise, une nouvelle philosophie de vie. Sartre créa Libération entre autre. Sa relation avec Sartre m'a toujours beaucoup intéressée. Je crois que Beauvoir avait besoin d'être dominée intellectuellement. Leur lien était très fort au delà des rapport sexuelles banaux. Le Castor et Sartre c'était un couple fabuleux, libre, ou du moins qui en donnait l'impression. Je pense d'ailleurs qu'elle a beaucoup souffert de cette façon de vivre mais qu'elle le cachait. Et puis tout dire à l'autre cela devait être pesant. Et puis ensuite il y a eu Nelson Algreen et d'autre amant comme Lanzmann. Ce refus de maternité était aussi troublant. Je ne sais pas si elle a été entièrement satisfaite de sa vie. Elle est morte un an après Sartre, à l'hôpital des tuyaux enfoncée dans le corps... C'était une femme de caractère aussi, "petite mon père me disait que j'avais un cerveau d'homme', agrégée de philo elle a bataillé toute sa vie, pour être reconnue. Elle a choisi son chemin, seule elle s'est construite. Mais je ne pense pas qu'elle était aussi forte qu'elle le paraissait... Son amitié pour Zaza m'a aussi beaucoup interpellée. Ell est capable d'une très grande souffrance intérieur, d'une très grande introspection. Pour moi Beauvoir est un modèle, une amie, une soeur, une mère, un peu tout. C'est le seul écrivain pour lequel j'ai eu ce genre de réaction. Je crois que c'est du hasard si après autant d'année je me suis autant retrouvée en elle. Peut-être que ma vision est fausse, peut-être que je n'ai vu d'elle que ce que j'avais envie de voir. Peut-être... Mais pour moi elle a une présence immense. Et je regrette sincèrement de ne pas l'avoir connu. Je me suis un peu emballée...
Dernière édition par Lara le Sam 18 Juil 2009 - 23:29, édité 12 fois |
| | | Steven Zen littéraire
Messages : 4499 Inscription le : 26/09/2007 Age : 52 Localisation : Saint-Sever (Landes)
| Sujet: Re: Simone de Beauvoir Sam 18 Juil 2009 - 22:10 | |
| Ce n'est pas cette auteure qui devrait se retrouver au portail le mois prochain ? | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Simone de Beauvoir Sam 18 Juil 2009 - 22:14 | |
| - Steven a écrit:
- Ce n'est pas cette auteure qui devrait se retrouver au portail le mois prochain ?
Si je l'ai proposée! Et j'espère qu'elle y sera! ^^Tu as vu mon message spolier Steven. Tentative d'hypnose... Mais c'est pour Beauvoir alors qu'importe! |
| | | Marie Zen littéraire
Messages : 9564 Inscription le : 26/02/2007 Localisation : Moorea
| Sujet: Re: Simone de Beauvoir Dim 19 Juil 2009 - 4:34 | |
| - Citation :
- Je me suis un peu emballée...
Non, ça fait plaisir, cet enthousiasme! Je vote pour toiSimone de Beauvoir! Le livre de Josyane Savigneau s'appelle Point de côté, mais elle ne parle que de l'influence qu'a eu Simone de Beauvoir sur elle. La même qu'elle a eu sur beaucoup de femmes, leur faire découvrir qu'elles pouvaient prétendre à une certaine liberté de choix de leur destin. Qu'elles n'étaient pas justement, qu'un utérus.. Merci d'avoir si bien répondu , Lara! | |
| | | Nathria Sage de la littérature
Messages : 2867 Inscription le : 18/06/2008 Age : 57
| Sujet: Re: Simone de Beauvoir Dim 19 Juil 2009 - 9:38 | |
| Dans "Castor de guerre", Danièle Sallenave établit, entre autre, le parallèle entre les personnages fictifs des romans de Beauvoir et ceux qui les ont inspirés. Elle propose une lecture des oeuvres et un regard sur la vie de Beauvoir. Beauvoir ne voulait pas de biographe, ni qu'on écrive sur elle. Mais j'ai beaucoup aimé lire le travail de Danièle Sallenave. Même si certains textes ont un peu vieilli et que j'ai pris du recul avec certaines idées, les pistes de réflexion proposées par Beauvoir restent pour moi essentielles. Contente de voir ton plaisir de la lire, Lara Du coup, je note le Savigneau (Merci, Marie, c'est malin, je n'avais pas assez de travail... ) | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Simone de Beauvoir Dim 19 Juil 2009 - 14:00 | |
| Merci Marie et Nathria pour les titres des livres!
Castor de guerre m'intéresse un peu plus. Il concerne exclusivement Beauvoir et son siècle.
Mais je retiens Savigeau tout de même, si j'ai plus de temps je le lirai. Je ne connais pas du tout cette femme, apparemment ancienne directrice du Monde des Livres et journaliste au monde.
Je crois que si je veux faire des lettres plus tard, cette envie je la dois en partie à Beauvoir. Mon désir de construire ma vie d'une certaine façon, je le lui dois aussi. La vie est faîte de rencontre. Beauvoir m'a influencé au même titre qu'une personne vivante. Elle existe encore pour moi avec une réalité troublante.
Si je pouvais retourner dans les années 50 je le ferais sans hésiter. Je regrette tellement d'avoir raté cette époque d'absolu extrême. Même si j'ai conscience de la difficulté de ces années là. |
| | | Marie Zen littéraire
Messages : 9564 Inscription le : 26/02/2007 Localisation : Moorea
| Sujet: Re: Simone de Beauvoir Dim 19 Juil 2009 - 21:05 | |
| - Citation :
- Je regrette tellement d'avoir raté cette époque d'absolu extrême.
C'était une période d'après-guerre, et toutes les périodes d'après-guerre sont peut être plus foisonnantes d'énergie. Ne souhaite pas pour autant une nouvelle guerre, Lara! - Citation :
- Mon désir de construire ma vie d'une certaine façon, je le lui dois aussi.
c'est cela qui est très étonnant.. Tu veux dire libre de tes choix? Mais vous l'êtes, maintenant, contrairement à elle pour qui c'était un défi? | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Simone de Beauvoir Dim 19 Juil 2009 - 23:59 | |
| - Marie a écrit:
C'était une période d'après-guerre, et toutes les périodes d'après-guerre sont peut être plus foisonnantes d'énergie. Ne souhaite pas pour autant une nouvelle guerre, Lara! ^^Oh ne t'en fais pas! Il n'y a aucun risque! Je suis antimilitariste au possible! Et comment disait déjà Beauvoir? "Tout sauf la guerre!" - Citation :
- c'est cela qui est très étonnant... Tu veux dire libre de tes choix? Mais vous l'êtes, maintenant, contrairement à elle pour qui c'était un défi?
Je vais te répondre comme je le sens. D'abord il me semble que quelque soit le siècle, être indépendante et libre n'est pas aisé. De tous côtés, financièrement, intellectuellement, sentimentalement... Et puis Beauvoir c'est des choix de vie avant tout. Un refus d'un confort petit bourgeois, un refus des cadres religieux, l'union libre, l'émancipation, l'engagement, ect.! Je ne veux pas jouer la féministe caricaturale... Mais il y a encore dans beaucoup de cercle des femmes qui ne travaillent pas, qui élèvent leurs enfants et qui ont renoncé à toute carrière et vivent aux crochets de leur mari. Parce que dans ce milieu, le travail des femmes est mal vu. Après si c'est par choix, je respecte tout à fait. J'ai conscience que tout conjuguer doit être dur, mais malheureusement j'ai tendance à penser que ce n'est pas toujours par choix. L'émancipation a prodigieusement évolué mais il reste encore à faire... Je pense particulièrement à l'inégale répartition des tâches domestiques, au manque d'autorité auquel les femmes se trouvent confronté, aux salaires eux aussi inégaux, à cette puissance exclusivement masculine qu'il faudrait briser, au nombre plus que conséquent de famille monoparentales dont le parent est une femme, au problème de la prostituion, au nombre de femmes battues aussi (La violence qu'elle soit faite au femme ou au homme est à rejetée, je souligne) et puis avec la monté d'un certain extrémiste religieux cela n'arrange pas les choses... Et il faut aussi maintenant voir au delà de la France où dans certains pays la Charria se fout royalement des droits de la femme... À cela s'ajoute des problèmes liés directement à notre siècle. La femme est devenue une consommatrice forcenée. Les hommes aussi mais on reconnaîtra sans trop tergiverser qu'ils le sont moins que les femmes, même si certains disent que la tendance s'inverse. (Vêtements, produit de beauté, parfums, accessoires, ect...) Il faut plaire à tout prix. Un véritable tsunami médiatique. La pression des média, des pubs, des marques, des peoples, des autres est telle qu'on en arrive à ce que se développe des maladies psychiatriques importantes chez bon nombre d'adolescentes qui refusent leur corps par exemple pour des problèmes souvent fictifs de poids! C'est impressionnant l'attente qui pèsent sur les épaules des femmes. Elles doivent être désirables, cela les obsèdent, il faut qu'elles collent aux canons types. Un culte de la beauté pleinement exploité... ça y'est, on a trouvé la vache à lait... Autre chose qui m'énerve prodigieusement... M'entendre dire dans la rue "Et moeufs t'es bonne" Merci bien! Comme réification de la femme il n'y a pas mieux. Je n'ai rien contre un nouveau langage mais va tout de même revoir en compagnie de Goeth par ex. ou quelqu'un d'autre le topos de la rencontre amoureuse.... L'ennuie c'est que bon nombre de mes amies se prêtent aux jeux, elles jouent avec le feu... font ressortir leur string, remuent le popotin, tirent la langue, se maquillent à outrance et après s'étonnent qu'on leur mette la main au cul... Si elles le cherchent aussi... Mais le problème c'est que certaines n'ont pas envie d'être prises pour des objets sexuelles et voudraient un minimum de respect mais elles subissent ce comportement généralisé par une bande d'idiote... Et après on s'étonne que le cliché de la bombe blonde, gros seins, gros cul, avec rien dans le ciboulot soit si répandu... Que penser aussi de l'image vulgaire que nous renvoie la télé ou autres... Cette image devient de plus en plus choquante.. La faute au homme certes, mais aussi aux femmes qui acceptent qu'on les utilise à ses fin là! Sois belle et tais toi, ça jamais!Et puis,si je n'ai pas non plus l'étoffe d'une bonne mère popote au foyer, fée du logis, genre soubrette avec à ses côtés produits ménager et autres, récurent le sol, repassant, faisant la bouffe! Ou bien encore ( ça dépend des fantasmes) si je ne suis pas une belle connace tout dans le maillot, et rien ailleurs si ce n'est de l'air dans la tête! Je ne m'en fous!! Je suis moi même et je m'exprimerai et l'exprimerai à ma manière! |
| | | Marie Zen littéraire
Messages : 9564 Inscription le : 26/02/2007 Localisation : Moorea
| Sujet: Re: Simone de Beauvoir Lun 20 Juil 2009 - 3:45 | |
| Ca, je suis persuadée que tu t'exprimeras, Lara! Et tu m'en vois ravie! Etre indépendante et libre n'est pas aisé, c'est sûr.Et tout cumuler, je ne t'en parle même pas.. J'en sais quelque chose! Mais c'est possible et un choix. Et c'est très intéressant de lire que Simone de Beauvoir amène encore des jeunes filles à comprendre qu'elles peuvent tout faire! Merci Simone et vas-y ,Lara, fonce! | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Simone de Beauvoir Lun 20 Juil 2009 - 18:08 | |
| - Marie a écrit:
- Merci Simone et vas-y ,Lara, fonce!
J'y compte bien! Tu as raison merci en partie Simone! Et merci à toi Marie de t'intéresser à nos générations aussi! |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Simone de Beauvoir Sam 1 Aoû 2009 - 23:21 | |
| Je viens de lire un entretien très intéressant entre deux femmes sur le site de télérama, entretien qui s'inscrit dans le dialogue que j'ai eu avec Marie.
Avant ça quelques renseignements: L'une est anthropologue, professeur honoraire au Collège de France, et a consacré l'essentiel de ses recherches, depuis un demi-siècle, aux fondements de la domination masculine. La seconde est essayiste et écrivaine, spécialiste du XVIIIe siècle, grande lectrice de Sade et de Casanova, notamment. Françoise Héritier et Chantal Thomas ne s'étaient jamais rencontrées, il nous semblait pourtant qu'elles avaient bien des choses à se dire. Sur les rapports entre hommes et femmes. Sur le travail intellectuel et la liberté d'esprit qu'il permet d'acquérir. Sur le rôle que peut jouer, dans le cours d'une existence, une rencontre décisive : pour Françoise Héritier, ce fut Claude Lévi-Strauss, dont elle fut l'élève dans les années 50 et à qui elle succéda au Collège de France en 1981 ; pour Chantal Thomas, ce fut Roland Barthes, dont elle suivit l'enseignement à la fin des années 60. Sur toutes ces questions, voici leurs regards croisés.
Le premier extrait est en lien directe avec Beauvoir:
“C'est avec Beauvoir que j'ai appris que comprendre est une manière de se changer soi-même et de changer le monde.” (Chantal Thomas)
Est-ce en les côtoyant, l'un et l'autre, que vous est apparu le fait que la connaissance était une voie d'émancipation ?
Françoise Héritier : L'envie de comprendre, que j'ai ressentie dès l'enfance face à tout ce qui m'apparaissait mystérieux, ne trouvait pas de réponse dans mon milieu familial. Je ne reproche rien à mes parents, j'ai été une enfant heureuse, mais ils n'avaient pas de curiosité intellectuelle. L'ouverture d'esprit que m'a apportée Lévi-Strauss s'est accompagnée d'une véritable émancipation. Il a fallu que je sorte de ce milieu familial provincial et cela s'est accompagné de toute une série de nouveautés : la découverte du jazz, des films noirs américains, la lecture de Sartre et de Beauvoir... Toutes ces expériences nouvelles, survenues en même temps, ont été pour moi la véritable émancipation intellectuelle.
Chantal Thomas : Vous citez le nom de Simone de Beauvoir, et je dois dire combien sa lecture a été décisive pour moi. Colette l'a été pour le style et la sensualité. Mais c'est avec Beauvoir que j'ai appris que comprendre est une manière de se changer soi-même et de changer le monde. La lecture de Simone de Beauvoir a été décisive aussi par rapport à une question qui était pour moi brûlante lorsque j'avais 20 ans, dans les années 60, à une époque où la contraception n'était pas libre. J'ai dû affronter directement la question de l'avortement. Face à cela, Simone de Beauvoir n'indiquait pas un chemin à suivre, mais elle vous assurait que l'on pouvait faire des choix différents. Et que la question d'avoir un enfant ou pas était une vraie question. Non pas une interrogation se posant comme une révolte, mais un choix parfaitement libre.
F.H. : Ce que vous dites de Simone de Beauvoir est peut-être l'essentiel de ce qui nous rapproche. L'attachement à cette liberté féminine, liberté de regard, d'action, de choix, qui n'avait jamais pu s'exercer librement dans aucune société au monde, et qui tout à coup est devenue possible à penser grâce à Simone de Beauvoir, puis possible concrètement grâce à la contraception. Même si d'autres droits sont intervenus pour les femmes avant celui-là – le droit de vote, celui de travailler sans l'autorisation de leur époux, d'avoir un compte en banque, etc. –, le droit à la contraception est la clé. Parce que, à l'origine de la domination masculine, il y a la volonté de mainmise des hommes sur le pouvoir de fécondité des femmes.
Le deuxième extrait est plus large et répond mieux que moi à ta question Marie:
“A 10 ans, une petite fille a le sentiment d'une force extraordinaire en elle, d'une résolution inflexible et sauvage.” (Chantal Thomas)
Vous souvenez-vous de votre prise de conscience de l'inégalité entre hommes et femmes, de cette domination masculine ?
F.H. : J'ai le sentiment que, durant toute la vie, on tire profit de tout ce qui se passe autour de soi, ce qu'on lit, ce qu'on entend, ce qu'on voit, sans nécessairement donner du sens à ces scènes sur le moment. J'ai été très frappée, dans l'enfance, par des chromos de la fin du XIXe siècle qui représentaient les âges de la vie. C'étaient des sortes de pyramides sur lesquelles étaient figurés l'homme et la femme, à 10, 20, 40, 60 ans... Si je résume ce qu'on y voyait, disons que la femme n'y était représentée seule qu'à l'âge de 10 ans, alors qu'elle jouait au cerceau. Ensuite, elle était toujours accompagnée : d'un amoureux à 20 ans, puis de son mari et de ses enfants, plus tard de petits-enfants la soutenant. Quant à l'homme, de l'autre côté de la pyramide, il était seul, lui, et les années avançant, on voyait qu'il avait réussi professionnellement, qu'il était prospère, qu'il voyageait et embrassait le monde. Observant cela enfant, je sentais que les choses étaient bel et bien ainsi, mais je trouvais cela fondamentalement injuste. Je ne pense pas que ce soit cela qui m'a orientée vers l'ethnologie et qui m'a fait choisir les rapports entre les sexes comme thème de recherche, mais, régulièrement, des incidents de ce genre me reviennent à l'esprit et alimentent ma réflexion.
C.T. : C'est pour cela que je me suis intéressée à l'univers des petites filles, que j'ai l'impression d'ailleurs de n'avoir jamais quitté. A 10 ans, une petite fille a le sentiment d'une force extraordinaire en elle, d'une résolution inflexible et sauvage. Puis, à l'adolescence, les choses changent, la jeune fille se tourne vers le garçon, se soumet à son regard, à son jugement. Je me souviens parfaitement que j'avais envie d'ouvrir le monde, qu'il s'offre à moi. Au contraire, pour certaines filles autour de moi, ce qui comptait, c'était le petit ami. Je me suis sentie trahie par elles, par cette dépendance effroyable à laquelle elles consentaient. Je ne voulais pas que l'histoire d'amour soit le modèle de ma vie. C'est incroyable de voir à quel point ces modèles anciens continuent aujourd'hui encore d'agir, alors qu'on n'en a plus besoin.
“Cela me fait un peu mal d'observer que nombre de jeunes filles considèrent que tout a été gagné déjà.” (Françoise Héritier)
La persistance de ces modèles archaïques, Françoise Héritier, c'est pleinement votre sujet de recherche...
F.H. : Ces modèles archaïques sont des systèmes de représentation qui ont été construits au paléolithique, il y a quelque 500 000 ans, et qu'on nous a transmis jusqu'à aujourd'hui. Avec, en plus, le relais des religions révélées qui ont accentué ce que j'appelle la « balance différentielle des sexes », en y ajoutant les obligations proprement féminines que sont la fidélité, la virginité, la modestie, la continence, l'absence d'ambition personnelle et, surtout, le rejet du savoir. La certitude de l'infériorité des femmes, que les hommes considèrent comme naturelle, et qu'on inculque aux femmes comme étant naturelle également. Beaucoup de femmes se coulent dans cette situation, et même s'y trouvent bien, assurées d'être protégées dans le mariage, de trouver un confort dans le fait de n'avoir plus à réfléchir par elles-mêmes. Cela me fait un peu mal d'observer que nombre de jeunes filles, de jeunes femmes, considèrent que tout a été gagné déjà, qu'avec les lois imposant la parité, l'égalité professionnelle, il n'y a plus de problèmes. Elles ne voient pas que les noyaux de résistance sont dans les systèmes de représentation et dans des lieux d'élection tels que la vie domestique et la vie sexuelle - je pense notamment au recours à la prostitution.
C.T. : La manière dont la domination s'exerce n'a plus le caractère répressif et autoritaire d'avant. Les voies sont beaucoup plus insidieuses. Prenez les images du bonheur que véhiculent la publicité, les médias : le bonheur, c'est forcément deux personnes amoureuses, ou deux personnes jeunes, un homme et une femme, avec un enfant. Ce n'est jamais une personne seule qui marche ou qui lit - ni homme ni femme, d'ailleurs. Nous vivons pourtant un moment excitant pour les hommes comme pour les femmes : les rencontres se jouent avec les mêmes chances, les mêmes attentes, les rapports sont beaucoup plus drôles.
“C'est très important, le goût de soi. Il en découle une éthique vis-à-vis de soi-même, qui peut être discrète, mais inflexible et invincible.” (Chantal Thomas)
Croyez-vous, l'une et l'autre, à l'égalité future ?
F.H. : Mon optimisme est à l'échelle du temps de l'humanité ! S'il a fallu, comme je le pense, 500 000 ans pour construire ce modèle qui nous est imposé, on ne peut pas le détruire en trente ans. Il n'empêche qu'il serait possible d'y parvenir si la question était considérée comme une question politique essentielle, ce qui malheureusement n'est pas le cas. Pourtant, à mes yeux, ce rapport des sexes est au cœur des choses, et le modèle d'inégalité qu'il promeut, à la base de toutes les autres inégalités. Et c'est pour cela que c'est une question politique, et pas une banale question domestique comme on veut toujours nous le faire croire. Quant aux moyens d'action, ils ne peuvent porter que sur l'éducation, celle qu'on reçoit à l'école, mais aussi celle qu'on reçoit chez soi, celle que donnent la rue, les médias. Cela dit, je crois que nous vivons dans une période de mutation importante, où des changements de mentalité se font beaucoup plus vite que par le passé.
C.T. : Pour quelqu'un de ma génération, c'est comme vivre plusieurs siècles en même temps. Un homosexuel, par exemple, a pu vivre son homosexualité comme un secret indicible dans sa jeunesse puis, quelques décennies plus tard, comme quelque chose de revendiqué, et enfin aujourd'hui comme une manière parfaitement normale d'aimer et de vivre. Les décisions politiques ne peuvent pas avoir d'effet si elles ne sont pas soutenues par une volonté collective et une volonté de connaissance de soi-même. Il me semble que l'individu se perd dans une sorte d'égarement, de hâte, et qu'il se manque comme partenaire privilégié de lui-même. C'est très important, le goût de soi. Il en découle une éthique vis-à-vis de soi-même, qui peut être discrète, mais inflexible et invincible : elle pose une limite stricte qui empêche l'autre d'empiéter sur vous.
F.H. : Oui, c'est essentiel. Il faut avoir le goût de soi-même, l'estime de soi, et de l'indulgence pour soi - les femmes n'ont pas été habituées à cela.
L'entretien en entier: http://www.telerama.fr/idees/francoise-heritier-et-chantal-thomas-deux-passionnees-de-l-intelligence,45643.php
Une pensée en mouvement, de Françoise Héritier, éd. Odile Jacob, 450 p., 27,90 EUR. Cafés de la mémoire, de Chantal Thomas, éd. du Seuil, 352 p., 20 EUR. |
| | | Marie Zen littéraire
Messages : 9564 Inscription le : 26/02/2007 Localisation : Moorea
| Sujet: Re: Simone de Beauvoir Dim 2 Aoû 2009 - 1:36 | |
| Merci Lara! J'aime bien ce que dit Chantal Thomas: - Citation :
- . Les décisions politiques ne peuvent pas avoir d'effet si elles ne sont pas soutenues par une volonté collective et une volonté de connaissance de soi-même. Il me semble que l'individu se perd dans une sorte d'égarement, de hâte, et qu'il se manque comme partenaire privilégié de lui-même. C'est très important, le goût de soi. Il en découle une éthique vis-à-vis de soi-même, qui peut être discrète, mais inflexible et invincible : elle pose une limite stricte qui empêche l'autre d'empiéter sur vous.
- Citation :
- Nous vivons pourtant un moment excitant pour les hommes comme pour les femmes : les rencontres se jouent avec les mêmes chances, les mêmes attentes, les rapports sont beaucoup plus drôles.
Et en partant de là, beaucoup de choses sont dites, non? Je crois que dans nos pays privilégiés , éduqués, avec un droit à la contraception etc, les filles sont tout à fait en mesure de prendre leur destin en main. Le seul handicap qui reste est celui de la maternité, il est sérieux d'ailleurs, beaucoup de jeunes femmes hésitent maintenant à interrompre une carrière ne serait-ce que quelques semaines. Je trouve que Rachida Dati a fait beaucoup de mal aux femmes avec son numéro de superwoman, j'assure, une césarienne, et hop, et mon bébé, je m'en occuperai quand j'aurai 5 minutes. Là devrait être la vraie volonté politique, jusqu'à nouvel ordre biologique! Permettre aux femmes de vraiment cumuler .Ce qui est beaucoup mieux fait dans les pays nordiques, preuve que c'est tout à fait possible. A part cela, heu.. le formatage dont tu parles, même s'il est insidieux, tu peux aisément le décrypter. D'ailleurs, tu le fais très bien!Et à 15 ans! Personne n'oblige ( à l'heure où des iraniennes se font tuer pour leur liberté..) tes petites camarades à se comporter telles que tu les décris? Je veux dire, pas avec un pistolet sur la nuque? Si elles le font et que ça leur convient, grand bien leur fasse! | |
| | | Marie Zen littéraire
Messages : 9564 Inscription le : 26/02/2007 Localisation : Moorea
| Sujet: Re: Simone de Beauvoir Lun 3 Aoû 2009 - 3:05 | |
| Lara, voici encore une femme très influencée par Simone de Beauvoir dans son trajet, Elisabeth Badinter. Tu peux l'entendre icidans l'émission de Vincent Josse, Les bibliothèques d'esprit critique. | |
| | | Amapola Agilité postale
Messages : 792 Inscription le : 18/08/2007
| Sujet: Re: Simone de Beauvoir Lun 3 Aoû 2009 - 4:41 | |
| Aaaaah... Que mon fils ne m'écoute pas... les jeunes filles de 15 ans sont tellement plus euh... je n'arrive pas à trouver le mot. Sérieuses? Évoluées? Mûres? Intelligentes? Bref... vous me comprennez... Si tellement plus quoique ce soit le mot, que les garçons de 15 ans... Soupir. Bon, pas toutes mais en effet... | |
| | | Contenu sponsorisé
| Sujet: Re: Simone de Beauvoir | |
| |
| | | | Simone de Beauvoir | |
|
Sujets similaires | |
|
| Permission de ce forum: | Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
| |
| |
| |
|