Après avoir lu il y a bien longtemps "Mémoires d'une jeune fille rangée" que j'avais beaucoup apprécié, j'ai abordé la suite et je dois dire que je ne le regrette pas.
Nous suivons l'auteur à partir de l'obtention de son agrégation de philosophie à l'âge de 19 ans qui va être un moment clé de sa vie, celui où elle quitte le milieu familial, commence une vie professionnelle et indépendante, accompagnée de Sartre et de quelques amis que l'on suit tout au long du livre.
L'époque est passionnante, début des années 30, une situation mondiale que l'on pressent critique, intense, et sujette à de nombreux débats et créations, ce qui correspond parfaitement à cet esprit vif et empreint de curiosité dont fait preuve Simone de Beauvoir.
Comme c'est très difficile de tout aborder tellement le livre est riche, je vais juste mentionner ce qui m'a surpris, amusé, interpellé dans ce parcours de femme de 19 à 36 ans.
Avec son diplôme en poche, elle occupera tour à tour plusieurs postes de prof de philo dans des lycées de filles bien évidemment comme cela se faisait à l'époque, à Paris, Rouen (qu'elle n'aimera pas trop), Marseille également.
D'emblée on ne la sent pas passionnée par ce travail (elle ne se liera pas beaucoup avec ses collègues et son esprit frondeur et peu conventionnel ne lui permettra pas vraiment de s'épanouir dans une institution encore gangrenée par des principes bien établis)
C'est un gagne pain, qui lui permet de subvenir à ses besoins matériels (c'est la grande question à ce moment là) et elle résidera très souvent dans des chambres d'hôtel pas reluisantes (à l'époque pas question de prendre un appart) mais meublées.
Elle passe son temps dehors, dans les cafés où elle travaille, côtoie des gens, noue des amitiés et se tient au courant des affaires du monde.
Dès qu'elle peut elle rejoint Sartre (nommé à Paris) le we ou durant des vacances et n'hésite pas à prendre un congé maladie bison pour s'évader. C'est dire qu'elle n'est pas emballée, ni par la province, ni par son travail.
ça a l'air anecdotique ce que je raconte mais c'est cet immense espace de liberté, grâce à ce travail aussi peu prenant (elle fait environs 10h de cours / semaine) qui lui permettra de se consacrer à la culture (elle lit énormément), à des conversations et des moments privilégiés avec Sartre (qu'elle n'appelle jamais par son prénom), à côtoyer une sphères d'intellectuels petits bourgeois (elle n'hésite pas à se qualifier comme telle) et à faire son entrée dans le monde adulte.
Elle se sent libre et mord à pleines dents dans cette liberté nouvelle, délivrée du carcan familial.
Elle vit chichement, je pense qu'elle ne reçoit pas ou alors très peu d'argent familial, et privilégie la vie de bohême.
Ce qui ne l'empêchera pas de voyager énormément, partout en Europe, avec Sartre et quelques autres par moments, en Espagne, en Italie, en Grèce.
Elle goûtera aussi beaucoup la province et abandonnera ses préjugés en la parcourant à pied, à bicyclette.
Et voilà où j'ai découvert un aspect de la vie de SDB que je ne connaissais nullement, c'est une passionnée de randos à pied, qui a fait des km et des km avec son sac à dos (notamment quand elle fut nommée à Marseille, elle ne rentrait pas systématiquement à paris le WE) , seule, bravant même quelquefois le danger, s'aventurant un peu partout, elle décrit magnifiquement tous ses émerveillements, et il m'est arrivé de l'envier plus d'une fois, avec son impétuosité et sa curiosité toujours en éveil, une sacrée bonne femme.
Au delà de l'intellectuelle, on a une véritable sportive au sens le plus noble du terme, infatigable, avec un besoin de se dépasser toujours présent.
Elle tracera énormément de routes avec son vélo avec Sartre que je découvre aussi, ils feront des randos incroyables.
Donc moi qui m'imaginais ces deux intellectuels cloqués dans des bars enfumés à refaire le monde, tout faux, ils adorent être dehors et gambader en fait.
C'est ce qui les rend somme toute assez attachants et nul doute que toutes ces occupations, par leur diversité, aura contribué à leur développement affectif, intellectuel et culturel.
Le livre prend un tournant plus sombre mais pas seulement, avec l'approche et l'entrée dans la guerre.
Je les aurais crus plus impliqués dans la politique , mais Sartre a un profond dégoût de tout encartement et appartenance à une idéologie, ils sont attentifs, observateurs, ils fréquentent des personnes de milieu politique différent, mais ce sont principalement des artistes, peu désireux de perdre leur liberté pour un engagement très marqué.
Je crois que la personne la plus impliquée politiquement sera Nizan, qui sera éliminé pendant la guerre.
Tout au long de ces années sombres, SDB écrira, connaîtra l'angoisse de savoir Sartre prisonnier, sera bien sûre comme tout le monde sujette aux privations, à la maladie, aux bombardements, à la perte de proches.
Sartre sera sujet à de longues réflexions sur un engagement plus marqué pour s'opposer à l'oppression, mais ni l'un ni l'autre n'ont fait partie d'un groupe de résistants.
Ils écrivent et sont publiés, ils s'en sortent et je pense que leur véritable engagement politique sera pour plus tard.
Donc pour résumer, deux personnalité fort intéressantes (car on en apprend autant sur Sartre que sur SDB), une façon très pudique et réservée de commenter leur relation, mais on sent que ces deux là ne sont pas près de se séparer, l'aspect peu conventionnel de leur relation y contribuant.
Une époque troublée mais pas malheureuse, des discussions sans fin, des "fêtes" folles jusqu'à l'aube, des virées en province, du travail (beaucoup) partout, à tout moment libre), des doutes bien sûr, des écrits enfin publiés qui les mettront à l'abri du besoin.
Une vie d'intellectuel petit bourgeois et ce n'est pas une accusation.